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02/03/2023 | FRANCE | N°21/00332

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 02 mars 2023, 21/00332


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 02 MARS 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00332 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC526



Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F 16/02315





APPELANTE



S.A. AIR FRANCE

[Adresse 2]



[Adresse 2]



Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03



INTIMEE



Madame [C] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Sandrine BOURDA...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 02 MARS 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00332 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC526

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOBIGNY - RG n° F 16/02315

APPELANTE

S.A. AIR FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

INTIMEE

Madame [C] [U]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Sandrine BOURDAIS, avocat au barreau de PARIS, toque : G0709

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 décembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Julie CORFMAT, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat d'adaptation à durée indéterminée en date du 13 octobre 2000, la société Air France (ci-après la société) a embauché Mme [C] [U] en qualité d'hôtesse de l'air ' personnel navigant commercial (PNC) statutaire, 6e classe, sous réserve de validation de son stage de formation, moyennant une rémunération mensuelle brute de base de 8 823 francs (soit 1 345,09 euros).

Par avenant au contrat de travail PNC en date du 16 janvier 2012 et sur la base du volontariat, Mme [U] a été affectée sur la base de [Localité 8] à compter du 1er avril 2012.

Par avenant au contrat de travail PNC en date du 4 décembre 2013, Mme [U] a été affectée, à sa demande, en base région parisienne à compter du 1er janvier 2014, en qualité d'hôtesse à la division Amériques, secteur C.

La relation contractuelle est soumise à la convention d'entreprise du personnel navigant commercial.

Le 3 décembre 2015, Mme [U] a informé son employeur qu'elle entendait faire valoir son droit de retrait concernant un vol AF566 [Localité 6] [Localité 4] programmé ce jour-là, estimant sa sécurité sérieusement compromise au regard de la dégradation de la situation politique confirmée par les informations disponibles sur le site du ministère des affaires étrangères.

Considérant que les conditions pour l'exercice du droit de retrait n'étaient pas réunies, la société n'a pas procédé au paiement de la rémunération correspondant au vol que Mme [U] a refusé d'effectuer et a ainsi opéré une retenue d'1/30ème sur son bulletin de salaire du mois de février 2016, soit la somme de 51,09 euros.

Par lettre recommandée datée du 9 février 2016, Mme [U] a contesté cette retenue et, par lettre recommandée datée du 4 mars 2016, la société l'a informée de sa décision de maintenir la retenue, eu égard au renforcement des mesures de sûreté.

Parallèlement, Mme [U] a sollicité de la société l'indemnisation de son préjudice résultant d'une inégalité de traitement entre salariés révélée, selon elle, par la publicité donnée par l'un des syndicats au sein de la société Air France à un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2015.

Mme [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 31 mai 2016.

Par jugement du 13 novembre 2020 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Bobigny a :

- déclaré irrecevable la demande de Mme [U] au titre de l'inégalité de traitement ;

- condamné la société à verser à Mme [U] les sommes suivantes de :

* 51,09 euros bruts à titre de rappel de salaire retenu indûment ;

* 5,10 euros à titre d'indemnité de congés payés incidente ;

* 300 euros de dommages et intérêts pour violation du droit de retrait de Mme [U] ;

- condamné la société à payer à Mme [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société aux dépens.

Par déclaration du 17 décembre 2020, la société Air France a interjeté appel du jugement notifié le 8 décembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 septembre 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Air France demande à la cour de :

- juger que les conditions d'exercice du droit de retrait de Mme [U] n'étaient pas réunies ;

en conséquence,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le droit de retrait exercé par Mme [U] pour la rotation du 3 décembre 2015 était fondé et, en conséquence, en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [U] les sommes suivantes :

* 51,09 euros bruts à titre de rappel de salaire retenu indûment ;

* 5,10 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés incidente ;

* 300 euros de dommages-intérêts pour violation du droit de retrait de Mme [U] ;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer la retenue sur salaire opérée par la société ;

- juger que Mme [U] est irrecevable en ses demandes relatives à l'inégalité de traitement en raison de la prescription ;

en conséquence,

- confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré les demandes prescrites ;

- débouter Mme [U] de l'ensemble de ses demandes ;

- la condamner à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- laisser à sa charge les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 26 octobre 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [U] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce que le conseil de prud'hommes a considéré que le droit de retrait exercé par elle était fondé et a, par conséquent, condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

* 51,09 euros bruts à titre de rappel de salaire retenu indûment ;

* 5,10 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés incidente ;

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit à sa demande de dommages et intérêts pour violation par la société des dispositions relatives au droit de retrait, mais l'infirmer sur le quantum des dommages et intérêts alloués et, statuant à nouveau, fixer le montant des dommages et intérêts à la somme de 5 000 euros ;

- infirmer le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau, condamner la société à lui payer la somme de 10 000 euros pour violation du principe d'égalité de traitement entre salariés ;

- en tout état de cause, condamner la société aux dépens et à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2022.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur l'exercice du droit de retrait, la retenue sur salaire et les dommages-intérêts pour violation du droit de retrait

Mme [U] a notifié le 3 décembre 2015 à la société Air France l'exercice de son droit de retrait concernant une rotation [Localité 6] [Localité 4] prévue ce 3 décembre dans les termes suivants :

« (') Exerçant la fonction d'hotesse, chez Air France, je suis programmé le 3 decembre 2015 sur le vol [Localité 4] (AF566)

Je vous informe par la presente, de ma décision d'effectuer mon droit de retrait, ce conformement aux articles L4131-1 et suivants du code du travail, face aux dangers graves et imminents que la rotation entre [Localité 6] et [Localité 4] represente pour mon integrité physique.

Or j'estime raisonnablement que ma sécurité est serieusement compromise au regard de la degradation de la situation politique, dégradation confirmée par les informations disponibles sur le site du ministere des Affaires Etrangères (ou France Diplomatie)

Mon inquietude est de surcroit renforcée par les conditions entourant cette rotation en particuliers le vol AF566 du 3 decembre 2015.

L'ensemble de ses raisons me conduit à réfuser d'assurer le vol AF566 ([7]-[3]-[7]) ce qui vous en conviendrez, parfaitement justifié dans le cadre des dispositions de l'article L4131-1 et suivants du code du travail. (') ».

La société Air France soutient que l'exercice par Mme [U] de son droit de retrait le 3 décembre 2015 concernant le vol [Localité 6] [Localité 4] était injustifié et abusif et que, dès lors, la retenue sur salaire était justifiée. A cet égard, la société fait valoir que Mme [U] n'avait aucun motif raisonnable de penser que ce vol présentait un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. La société reproche à Mme [U] les termes très génériques de sa lettre datée du 3 décembre 2015, soulignant qu'elle ne fait référence à aucun fait particulier et précis ni à aucun avis de danger grave et imminent du « CHSCT » concernant l'escale de [Localité 4]. La société fait également valoir que Mme [U] ne l'a pas informée le 3 décembre 2015 sur sa situation de travail au sens de l'article L. 4131-1 du code du travail.

La société fait ensuite valoir que les motifs invoqués ultérieurement ne présentent pas un caractère raisonnable ; que le motif raisonnable ne s'apprécie pas subjectivement du point de vue de la salariée mais procède de la raison et du bon sens ; qu'en l'occurrence, Mme [U] n'a pas indiqué en quoi les règles de sécurité et les mesures de sûreté mises en place par l'employeur étaient non conformes et susceptibles de l'exposer aux dangers dont elle fait état. La société ajoute que la rotation litigieuse devait s'effectuer sur la journée sans « découcher » à [Localité 4].

La société fait encore valoir qu'a posteriori, Mme [U] a fondé l'exercice de son droit de retrait sur le contexte géopolitique et la menace terroriste à [Localité 4] à raison du double attentat survenu le 12 novembre 2015 à proximité de la route de l'aéroport et revendiqué par l'Etat islamique ' attaque ciblée contre le fief du Hezbollah sans impact, selon l'employeur, sur la zone aéroportuaire et ses voies d'accès.

La société fait enfin valoir que les deux avis de danger grave et imminent déposés par le « CHSCT-PNC » et le « CHSCT-Pilotes » de la société au mois de novembre 2015 sont sans lien de causalité avec la situation de Mme [U] : le premier avis du 20 novembre 2015 faisant suite aux attentats de Bamako et le second du 27 novembre 2015 faisant suite à une erreur dans la préparation du vol AF566 du 21 novembre 2015 concernant la prise en compte des zones interdites en cas de dégagement du vol de [Localité 4] vers Larnaca ; que les supposés tirs de missile quotidiens sur les vols à destination de [Localité 4] n'étaient pas avérés ; que l'erreur dans la préparation du vol portait sur « une route de dégagement de [Localité 4] à Larnaca semblant interférer avec une zone de tir de la marine russe dans l'Est de la Méditerranée » mais qu'il n'y a pas eu de dégagement ; que si un dégagement avait eu lieu, l'équipage aurait rectifié la situation puisqu'il connaissait la zone interdite et le contrôle aérien aurait pris en charge la trajectoire de l'avion pour lui faire éviter la zone interdite.

La société rappelle que l'existence du motif raisonnable s'apprécie à la date de l'alerte et qu'elle avait mis en place des mesures de sûreté renforcées pour les escales dites sensibles dont [Localité 4] ; que le vol AF566 au départ de [Localité 6] à destination de [Localité 4] a été effectué le 3 décembre 2015, le commandant de bord ayant estimé qu'il n'y avait pas de motif raisonnable de penser à un danger grave et imminent.

La société estime que la situation de Mme [U] relevait de l'article 7 de l'arrêté du 4 septembre 2007 spécifique au personnel navigant dès lors que la salariée indiquait qu'elle ne se sentait pas en capacité d'assurer la rotation selon son for intérieur.

Ce à quoi Mme [U] réplique qu'elle pouvait, comme le conseil de prud'hommes l'a jugé, raisonnablement penser que la rotation à destination de [Localité 4] du 3 décembre 2015 l'exposait à un danger et qu'elle n'a pas entendu, contrairement à ce que la société suggère, mettre en 'uvre la « clause fatigue » de l'article 7 de l'arrêté du 4 septembre 2007 qui entraîne légitimement une retenue sur salaire. Mme [U] réplique également qu'il s'agissait pour elle, et non pour l'employeur, d'apprécier le danger sans avoir à rapporter la preuve que le danger était réel et effectif. Elle fait valoir qu'elle n'était pas tenue d'expliciter, dans son courrier du 3 décembre 2015, la nature du danger grave et imminent auquel elle se référait et que la seule exigence requise par les textes est l'information préalable par le salarié de l'employeur consistant à alerter celui-ci de l'existence d'une situation présentant un danger grave et imminent pour sa santé ; que son courrier du 3 décembre 2015 répondait aux exigences légales et qu'au surplus, elle avait indiqué que le danger résultait d'une dégradation de la situation politique au Liban et d'une menace terroriste à la suite des attentats survenus le 12 novembre 2015. Ainsi Mme [U] soutient-elle que, lors de l'exercice de son droit de retrait, elle avait, eu égard à ses connaissances et son expérience, un motif raisonnable de penser qu'il existait un danger. Elle fait encore valoir que le commandant de bord a toujours la possibilité d'exercer son droit de retrait une fois la mission aérienne débutée, ce qui n'est pas le cas d'un « PNC » de sorte que la circonstance invoquée par la société selon laquelle le commandant de bord a effectué le vol [Localité 6] [Localité 4] le 3 décembre 2015 est sans incidence sur l'appréciation de l'exercice de son droit de retrait, droit individuel et personnel. Elle fait enfin valoir qu'elle n'a pas fait un usage abusif de son droit de retrait justifiant une retenue sur salaire.

A l'appui de sa demande en dommages-intérêts, Mme [U] dénonce une violation par l'employeur des règles applicables au droit de retrait et la pratique de la société consistant à opérer systématiquement une retenue sur salaire avant de saisir le juge pour contester la légitimité de l'exercice du droit de retrait. Elle souligne enfin que la société ne lui a toujours pas versé les sommes auxquelles elle a été condamnée en première instance.

Aux termes de l'article L. 4131-1 du code du travail, le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection.

L'article L. 4131-3 du code du travail précise qu'aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l'encontre d'un travailleur ou d'un groupe de travailleurs qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu'elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d'eux.

Il résulte de ces textes que, pour être justifié, l'exercice du droit de retrait par un salarié est subordonné à deux conditions :

* le salarié doit alerter immédiatement l'employeur de sa situation de travail qui présente un danger grave et imminent pour sa santé ou sa vie ;

* le salarié doit avoir un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un tel danger.

Les textes ne subordonnent pas l'exercice du droit de retrait à la démonstration par le salarié de l'existence réelle et effective d'un danger grave et imminent et l'appréciation du danger appartient au salarié et non à l'employeur, le juge étant saisi en cas de divergences entre eux.

En l'espèce, Mme [U] a adressé à la société Air France le 3 décembre 2015 un courrier dans lequel elle a alerté son employeur d'une situation de danger et lui a notifié, en conséquence, l'exercice de son droit de retrait concernant un vol [Localité 6] [Localité 4] prévu ce jour-là. La société Air France ne peut donc légitimement reprocher à la salariée les termes très génériques de sa lettre ou l'absence de référence à un fait particulier ou à un avis de danger grave et imminent du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (ci-après CHSCT). Au demeurant, Mme [U] a expressément précisé qu'elle estimait sa sécurité sérieusement compromise au regard de la dégradation de la situation politique à [Localité 4] confirmée par les informations disponibles sur le site du ministère des affaires étrangères.

A l'appui de son assertion selon laquelle elle avait un motif raisonnable de penser que le vol litigieux l'exposait à un danger grave et imminent, Mme [U] produit, outre son courrier du 3 décembre 2015 et la réponse de la société Air France en date du 4 mars 2016 à son courrier contestant la retenue opérée sur son salaire :

- un courrier de l'inspection du travail au président du CHSCT PNC en date du 11 janvier 2016 précisant les conditions d'exercice du droit de retrait par les personnels navigants et actant, à propos des « DGI risque sûreté » la suspension des hébergements sur les escales sensibles et une escorte de la navette vers l'hôtel par des gardes armés ;

- un avis de danger grave et immédiat du 27 novembre 2015 du CHSCT PNT concernant le vol AF 566 [Localité 6] [Localité 4] du 21 novembre 2015 ;

- la modification des prescriptions de la direction de la Sûreté à partir du 6 janvier 2017 en raison de l'amélioration de la situation sécuritaire à [Localité 4] ;

- un tract du syndicat UNAC Air France datée du 16 décembre 2015 rapportant que la direction avait proposé une dérogation permettant l'aller-retour [Localité 6] [Localité 4] « en fonction », suivi de deux jours « off » depuis le 6 décembre 2015 et jusqu'au 4 janvier 2016, avec un décollage à 8 heures et un retour à [7] à 18h50 ; le tract mentionne, par ailleurs, qu'un équipage a « découché » à [Localité 4] le samedi 5 décembre 2015 ;

- un article du journal Le Monde rapportant deux attaques terroristes à [Localité 4] le 12 novembre 2015 menées par l'Etat islamique contre le Hezbollah dans la banlieue sud de la ville et qualifiées de « pire attentat qu'ait connu [Localité 4] depuis 1990 ».

La société Air France verse aux débats :

- un avis de danger grave et imminent du CHSCT PNC du 20 novembre 2015 mentionnant les escales présentant un danger au rang desquelles [Localité 4], dans le contexte d'une prise d'otages à l'hôtel Radisson de Bamako et des attentats survenus à [Localité 6] le 13 novembre 2015 ;

- une lettre de saisine de l'inspection du travail datée du 24 novembre suivant en raison d'un désaccord entre la direction et le CHSCT PNC dans laquelle la société Air France expose les mesures de sûreté complémentaires immédiatement mises en place sur les escales sensibles après les événements de Bamako du 20 novembre : sécurisation du transport des équipages lors des trajets aéroport/hôtel/aéroport, mise en place d'un véhicule d'escorte avec agents armés, présence d'un agent de sécurité armé dans les navettes, sécurisation des hôtels d'hébergement par la présence de gardes armés, mise en 'uvre du rapprochement documentaire à l'embarquement pour tous les vols au départ de la France ;

- l'avis de danger grave et imminent du CHSCT PNT du 27 novembre 2015 concernant le « dispatch » du vol AF566 [Localité 6]-[Localité 4] du 21 novembre 2015 et la lettre de saisine de l'inspection du travail datée du 3 décembre suivant en raison d'un désaccord entre la direction et le CHSCT-PNT dans laquelle la société Air France indique qu'il y avait une erreur dans la préparation du vol cité en ce qui concerne la prise en compte des zones interdites pour le dégagement vers [Localité 5] mais que la sécurité du vol n'a néanmoins jamais été mise en cause pour plusieurs raisons qui sont énumérées ;

- un flash informations de la direction de la Sûreté en date du 19 février 2015 sur les recommandations faites aux équipages pour leurs déplacements à [Localité 4] au regard de la situation sécuritaire stable.

La cour observe que, si l'inspection du travail n'a pas donné suite aux deux saisines de l'employeur, aucun élément ne permet d'établir que Mme [U] en avait connaissance le 3 décembre 2015. De plus, en dépit des mesures de sûreté complémentaires prises par la société Air France après le 13 novembre 2015, la mise en place d'une rotation [Localité 6] [Localité 4] sur la journée sans hébergement des personnels navigants n'est intervenue qu'à compter du 6 décembre 2015, ce qui permet d'établir que ce n'était pas le cas pour le vol du 3 décembre 2015 et que Mme [U] avait donc un motif raisonnable de penser qu'il existait un danger grave et imminent pour sa santé ou sa vie d'effectuer ce vol [Localité 6] [Localité 4] le 3 décembre 2015. Partant, l'exercice par Mme [U] de son droit de retrait était fondé de sorte que la retenue opérée sur son salaire n'était pas justifiée.

La société Air France sera donc condamnée à payer à Mme [U] les sommes suivantes :

* 51,09 euros à titre de rappel de salaire indûment retenu ;

* 5,10 euros au titre des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

Par ailleurs, en opérant indûment et automatiquement une retenue sur le salaire de Mme [U], la société Air France a commis une faute qui a causé un préjudice moral à la salariée, qui a dû prendre l'initiative de la procédure judiciaire pour faire reconnaître le bien-fondé de l'exercice de son droit de retrait. Ce préjudice sera réparé à hauteur de 300 euros et la décision des premiers juges sera donc confirmée à ce titre.

La cour rappelle enfin que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation.

* Sur l'inégalité de traitement

* sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription

La société soutient que la demande en dommages-intérêts de Mme [U] est prescrite faute d'action avant le 20 juin 2013, eu égard à la loi du 17 juin 2008 et à la loi du 14 juin 2013. Elle fait valoir que la salariée avait connaissance ou aurait dû avoir connaissance au plus tard le 1er janvier 2002 des faits sur lesquels elle fonde sa demande. La société conteste que l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 28 mai 2015 constitue la révélation de la prétendue rupture d'égalité de traitement et qu'un nouveau délai de deux ans a commencé à courir à compter de cette date.

Ce à quoi Mme [U] réplique que la prescription n'est pas acquise car le point de départ de la prescription de deux ans est fixé au jour où le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit c'est-à-dire, selon elle, du jour où le salarié dispose de tous les éléments de comparaison nécessaires lui permettant de mettre en évidence l'inégalité de traitement dont il a personnellement souffert. A cet égard, Mme [U] fait valoir que le point de départ de la prescription ne peut être fixé au plus tard au mois de janvier 2002 comme l'a retenu le conseil de prud'hommes car il n'est pas démontré qu'à cette date, elle connaissait ou aurait dû connaître l'ensemble des éléments lui permettant de mettre en évidence l'inégalité de traitement qu'elle estime avoir subie ; que les tracts syndicaux ou les flashs actu de la société sur la nouvelle échelle de carrière appelée B-Scale n'évoquaient pas une inégalité de traitement et, en tout état de cause, la preuve qu'elle avait reçue une information individuelle et complète n'est pas rapportée. Ainsi Mme [U] soutient-elle n'avoir eu connaissance de tous les éléments qu'en janvier 2016, lorsque les syndicats ont diffusé l'arrêt définitif de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2015, décision opposable aux tiers, quand bien même elle n'est pas créatrice de droits à son égard ; que, dès lors, à la date de saisine du conseil de prud'hommes, le 31 mai 2016, la prescription n'était pas acquise.

Aux termes de l'article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

L'article 2224 du code civil dans sa version en vigueur depuis le 19 juin 2008 et issue de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 dispose que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Ainsi cet article a-t-il réduit la prescription de droit commun de trente ans à cinq ans.

Et le II de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 précitée de préciser que les dispositions de la loi qui réduisent la durée de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de ladite loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

L'article L. 1471-1 du code du travail dans sa version issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 en vigueur à compter du 17 juin 2013 applicable en l'espèce dispose, dans son premier alinéa, que toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

Aux termes du V de l'article 21 de la loi du 14 juin 2013, les dispositions du code du travail prévues aux III et IV du présent article s'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Les parties ne critiquent pas l'application, par les premiers juges, de la prescription prévue par l'article L. 1471-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013 à la demande en dommages-intérêts pour inégalité de traitement entre salariés. La divergence qui existe entre les parties porte, en effet, uniquement sur le point de départ de la prescription.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la nouvelle échelle de carrière B-Scale a été appliquée aux embauches réalisées à compter du 1er janvier 1996 et a pris fin à compter du 1er janvier 2002.

Il ressort des pièces versées aux débats que :

- la B-Scale concernant le personnel navigant commercial comprenait plus d'échelons et de classes que l'échelle de carrière dite A-Scale applicable aux embauches avant le 1er décembre 1996, avec, corollairement, une incidence défavorable sur le niveau de rémunération des nouveaux embauchés ;

- la B-Scale a été à l'origine de nombreux mouvements sociaux dans l'entreprise sur la période 1996-2001 ;

- les syndicats et l'employeur ont largement communiqué sur la B-Scale et ses incidences : en témoignent, par exemple, les tracts de l'UGICT / CGT section PNC Air France des 30 janvier, 15 avril et 4 juillet 2001, celui de l'UNAC des 21 mai, 20 juillet et 17 septembre 2001 ainsi que le flash actu d'Air France du 21 juin 2001 ;

- l'abandon de la B-Scale à compter du 1er janvier 2002 a également fait l'objet d'une communication au sein de l'entreprise notamment par l'envoi d'un courrier aux salariés le 29 janvier 2002 portant information sur la nouvelle grille de rémunération à compter du 1er janvier 2002.

Dans ces circonstances, Mme [U] a eu connaissance ou aurait dû avoir connaissance au plus tard le 1er janvier 2002 des différences entre l'échelle de carrière B-Scale qui lui était applicable lors de son embauche et l'échelle A-Scale. Elle était donc en mesure d'agir en justice à compter de cette date ' il importe peu que la société Air France ne rapporte pas la preuve, en l'espèce, de l'envoi du courrier l'informant personnellement de l'application de la nouvelle grille de rémunération à compter du 1er janvier 2002. Au surplus, la comparaison des bulletins de paie versés aux débats par Mme [U] révèle qu'au 31 décembre 2001, elle avait un classement niveau 6 échelon A1 tandis qu'au 31 décembre 2002, elle avait un classement niveau 4 échelon 2. Or, la référence aux échelons A1, B1, C1 et D1 relevant de la B-Scale, n'apparaît plus ensuite à compter du 1er janvier 2002.

Mme [U] ne peut donc légitimement soutenir qu'elle n'a eu et pu avoir connaissance de l'inégalité de traitement dont elle se plaint qu'à compter de la diffusion d'un arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 mai 2015 dont il n'est ni soutenu ni démontré qu'il aurait ouvert un droit nouveau pour la salariée modifiant sa situation juridique de sorte que la demande ne pouvait pas être formée avant cette décision.

Eu égard à l'ensemble de ces éléments, par le jeu combiné des dispositions légales rappelées précédemment, la prescription était acquise au 20 juin 2013. Or, Mme [U] a saisi le conseil de prud'hommes le 31 mai 2016. Partant, sa demande en dommages-intérêts pour violation du principe d'égalité de traitement est irrecevable. La décision des premiers juges sera donc confirmée.

Sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société Air France sera condamnée aux dépens d'appel, la décision des premiers juges étant confirmée sur les dépens de première instance.

La société Air France sera également condamnée à payer à Mme [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles. La décision des premiers juges sur ces frais sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

RAPPELLE que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation ;

CONDAMNE la société Air France à payer à Mme [C] [U] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Air France aux dépens en appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00332
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;21.00332 ?
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