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02/03/2023 | FRANCE | N°20/08237

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 02 mars 2023, 20/08237


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 02 MARS 2023



(n°2023/ , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08237 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYKW



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE ST GEORGES - RG n° F18/00689





APPELANTE



SAS TRANSGOURMET OPERATIONS

[Adresse 2]

[Localité

4]



Représentée par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010



INTIMEE



Madame [F] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]



Assistée de Me Khéops LARA, avocat a...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 02 MARS 2023

(n°2023/ , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08237 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYKW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE ST GEORGES - RG n° F18/00689

APPELANTE

SAS TRANSGOURMET OPERATIONS

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Marie-catherine VIGNES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

INTIMEE

Madame [F] [O]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Assistée de Me Khéops LARA, avocat au barreau de MELUN, toque : M07

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-José BOU, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Julie CORFMAT, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [F] [O] a été engagée par la société Transgourmet opérations, ci-après la société, par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 25 novembre 2013 en qualité de commerciale RHF, agent de maîtrise niveau 6.

Mme [O] percevait en moyenne une rémunération mensuelle brute de 2 958,96 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire (IDCC 3305).

Le 14 novembre 2017, Mme [O] a eu avec le véhicule de fonction de la société un accrochage avec une automobiliste.

Mme [O] a été convoquée par lettre du 17 novembre 2017 à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu'au licenciement, fixé au 27 novembre 2017.

Le 24 novembre 2017, Mme [O] a fait l'objet d'un arrêt de travail prescrit en raison d'un état pathologique résultant de la grossesse.

L'entretien préalable fixé au 27 novembre 2017 a été reporté au 7 décembre 2017.

Par lettre du 21 décembre 2017, Mme [O] a été licenciée pour faute grave en raison du non-respect de ses obligations professionnelles et de l'atteinte à l'image de l'entreprise.

Par lettre du 16 janvier 2018, Mme [O] a contesté son licenciement et la matérialité de la faute grave, estimant que son licenciement était liée à sa grossesse, ce à quoi la société a répondu qu'elle maintenait sa décision.

En conséquence, Mme [O] a saisi le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges qui, par jugement du 29 octobre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- dit que le licenciement pour faute grave prononcé est infondé ;

- dit que le licenciement prononcé est nul ;

- fixé le salaire de Mme [O] à la somme de 2 958,96 euros ;

- condamné la société à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

* 29 590 euros au titre des rappels de salaire durant la période de protection,

* 5 917,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 591,79 euros au titre des congés payés afférents,

* 29 589,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [O] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que les sommes allouées au titre des rappels de salaire, indemnité compensatrice de préavis porteront intérêts de droit au taux légal à compter du jour de la réception par la société de la convocation à la séance du bureau de conciliation soit le 20 décembre 2018 ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- condamné la société aux entiers dépens, y compris ceux liés à l'exécution de la décision.

Par déclaration transmise le 3 décembre 2020, la société a relevé appel de ce jugement dont elle a reçu notification le 6 novembre 2020.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 décembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

infirmer l'entier jugement et notamment en ce qu'il :

- a dit que le licenciement pour faute grave prononcé est infondé ;

- a dit que le licenciement prononcé est nul ;

- l'a condamnée à verser à Mme [O] les sommes suivantes :

* 29 590 euros au titre des rappels de salaire durant la période de protection,

* 5 917,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 591,79 euros au titre des congés payés afférents,

* 29 589,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en conséquence et statuant à nouveau :

- juger que le licenciement est fondé sur une faute grave ;

- juger que le licenciement repose sur une faute grave non liée à son état de grossesse ;

- débouter Mme [O] de l'ensemble de ses demandes au titre d'un prétendu licenciement nul ;

en tout état de cause :

- débouter Mme [O] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner Mme [O] au paiement de la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [O] aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 14 novembre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [O] demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit son licenciement nul et infondé,

- condamné la société à lui verser les sommes suivantes :

* 5 917,92 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 591,79 euros au titre des congés payés y afférents,

* 29 589,60 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

infirmer le jugement pour le surplus ;

en conséquence, statuant à nouveau :

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 32 548,56 euros à titre de rappel de salaires (11 mois) sur la période du 21 novembre 2017 (notification de la mise à pied) au 24 octobre 2018 (4 semaines après l'expiration de son congé maternité de 26 semaines),

en toute hypothèse :

- condamner la société à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- fixer le point de départ des intérêts au taux légal à la date de saisine du conseil de prud'hommes et ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1231-7 du code civil ;

- condamner la société aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 7 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement

La lettre de licenciement du 21 décembre 2017 qui fixe les limites du litige est ainsi rédigée :

" [...] Nous avons eu à déplorer de votre part les faits suivants :

Non-respect de vos obligations professionnelles et atteinte à l'image de l'Entreprise

En date du 14/11/2017, le service Transport a été alerté par une automobiliste suite à un incident qui a eu lieu, le même jour, avec un véhicule Transgourmet immatriculé DYU67LK, qui s'avère être le vôtre.

Cette automobiliste, nous a alors expliqué que vous l'avez dépassé (ainsi qu'un autre véhicule placé derrière elle), en montant sur le terre-plein et que dans cette man'uvre, vous avez cassé son rétroviseur gauche et accroché son pare choc avant gauche.

Face à cette situation, vous n'avez pas pris la peine de vous arrêter pour procéder à un constat, malgré que l'automobiliste ai tenté de vous suivre pour le faire ; Au contraire, elle déclare qu'après lui avoir fait un doigt d'honneur, vous avez continuez votre route en accélérant, au point de « griller un feu rouge ».

Face à cette situation, en présence de plusieurs témoins, l'automobiliste s'est rendu au Commissariat de Police pour déposer plainte.

Au cours de l'entretien du 07 Décembre 2017, nous vous avons fait lecture du dépôt de plainte afin d'avoir votre retour sur le déroulé de cet événement.

Vous avez reconnu le fait qu'il y avait eu un accrochage, qui selon vous se limitait « à un choc de rétroviseur », le vôtre n'ayant rien, vous n'avez pas jugé nécessaire de vous arrêter. Vous n'avez pas reconnu les autres faits évoqués par l'automobiliste.

Avec votre attitude, vous avez eu un comportement fautif.

Vous n'êtes pas sans savoir que vous devez en cas d'incident procéder à la réalisation d'un constat amiable et que vous êtes tenu de prévenir l'entreprise. Cette disposition est rappelée dans le protocole de mise à disposition du véhicule qui a été signé par vos soins le 22/07/2016 et qui précise les termes suivants « dans le cadre de l'utilisation de votre véhicule de fonction, vous êtes tenu d'aviser immédiatement, et au maximum dans les 48 heures, l'entreprise en cas d'accident ou incident relatif au véhicule en précisant toutes les circonstances et en tentant d'obtenir l'identification des tiers ainsi que des véhicules en cause (l'établissement d'un constat amiable est obligatoire »

Or, dans le cadre de l'incident du 14/11/2017, vous n'avez pas pris la peine de vous arrêter pour procéder aux démarches usuelles par l'établissement d'un constat avec l'autre automobiliste et n'avez pas prévenu l'entreprise de l'incident. Vous n'avez de ce fait pas respecté vos obligations professionnelles.

En outre, votre comportement, alors que vous êtes dans le cadre du travail, en possession du véhicule Transgourmet, identifiable par tous et à la vue de tous, porte atteinte à l'image de l'entreprise.

Ce type de comportement est inacceptable et ne correspond pas aux relations de travail que nous souhaitons dans notre entreprise.

Pour ces faits, nous nous voyons contraints, ce jour de prononcer à votre encontre un licenciement pour faute grave. [...] "

La société soutient que le licenciement pour faute grave est fondé. Elle estime que la réalité de l'accident et du comportement reproché à Mme [O] (comportement à risques, insultes et délit de fuite) est établie au regard du mail de l'autre automobiliste, Mme [G], de son dépôt de plainte et de l'attestation de Mme [S]. Elle conteste le témoignage produit par Mme [O] en appel. Elle fait valoir que le non-respect des procédures de la société imposant l'établissement d'un constat amiable et d'informer l'entreprise de l'incident est aussi avéré, Mme [O] ayant été informée de ces obligations par le protocole de mise à disposition du véhicule de fonction et le règlement intérieur. Elle conteste que Mme [O] ait proposé à son responsable d'établir un constat après qu'il l'a informée du dépôt de plainte, se prévalant d'une attestation en ce sens. Elle affirme que le licenciement n'est pas lié à l'état de grossesse de sa salariée, arguant pour l'essentiel que lors de l'envoi de la convocation à l'entretien préalable, elle n'en était pas informée.

Mme [O] réplique qu'elle n'a fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire auparavant et qu'elle a été licenciée alors qu'elle était enceinte depuis le 21 août 2017. Elle prétend que son employeur connaissait son état de grossesse, en voulant pour preuves une attestation, le droit d'alerte exercé par un délégué du personnel à la suite de sa mise à pied et l'arrêt de travail adressé par elle le 24 novembre 2017 à la société. Elle soutient que cette dernière, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas la réalité et le sérieux de l'incident du 14 novembre 2017. Elle souligne avoir contesté les griefs énoncés dans la lettre de licenciement et produire un témoignage qui évoque son calme lors des faits. Elle affirme avoir proposé de remplir un constat amiable lorsque son responsable l'a contactée, en dépit de l'absence de dommage sur son véhicule. Elle observe que les attestations de l'employeur sont stéréotypées, dactylographiées et pour certaines non accompagnées d'une pièce d'identité.

***

Aux termes de l'article L. 1225-4 du code du travail, aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

Pour pouvoir bénéficier de la protection contre le licenciement, la salariée doit remettre à son employeur un certificat médical attestant son état de grossesse et la date présumée de l'accouchement, soit contre récépissé, soit par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la formalité étant alors réputée faite au jour de l'expédition de la lettre recommandée en application de l'article R. 1225-3 du code du travail. Mais cette formalité n'a pas un caractère substantiel dès lors que l'employeur a connaissance de l'état de grossesse avant la rupture du contrat de travail.

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et entraîne la perte du droit aux indemnités de préavis et de licenciement.

En cas de licenciement motivé par une faute grave, il appartient au juge non seulement de vérifier que les faits reprochés à la salariée sont bien constitutifs de la faute grave invoquée à son encontre mais aussi de caractériser un manquement dépourvu de lien avec son état de grossesse rendant impossible son maintien dans l'entreprise.

En l'occurrence, il n'est pas établi que l'employeur ait eu connaissance de l'état de grossesse de la salariée avant l'engagement de la procédure de licenciement. En effet, l'attestation de Mme [J] n'est pas circonstanciée, tant sur les personnes qui étaient au courant de la grossesse que sur la date à laquelle cette information a été sue, et le courriel adressé par M. [T], délégué du personnel, au directeur le 17 novembre 2017, date de la convocation à l'entretien préalable, par lequel il a exercé un droit d'alerte sur la situation de Mme [O] ne fait nullement état de son état de grossesse.

Mais il résulte de la lettre de report de l'entretien préalable, motivant celui-ci par la réception de l'arrêt maladie de Mme [O] qui mentionne lui-même sa grossesse, et il n'est

d'ailleurs pas contesté que la société a eu connaissance de son état de grossesse avant la rupture du contrat de travail.

Il est établi qu'alors qu'elle conduisait un véhicule de fonction portant le logo Transgourmet, Mme [O] a eu un accrochage avec le véhicule d'une autre conductrice, Mme [G], le 14 novembre 2017 vers 8 heures du matin, puisque Mme [O] l'a notamment reconnu dans sa lettre du 16 janvier 2018 dans laquelle elle a relaté que cette conductrice s'était mise en travers de son chemin, qu'elle avait dépassé son véhicule en montant légèrement sur le trottoir et que les rétroviseurs s'étaient alors touchés. Il est constant aussi au vu de cette lettre et de ses conclusions qu'elle ne s'est pas arrêtée et n'a pas établi, ni proposé d'établir avec cette conductrice un constat amiable dans les suites immédiates de l'accrochage. Il est tout aussi acquis au vu de ces mêmes éléments que Mme [O] n'en a pas prévenu immédiatement l'entreprise. Celle-ci l'a appris par Mme [G] ainsi qu'en témoigne le courriel que cette dernière a adressé le 14 novembre 2017 à 11h09 à la société dans laquelle elle a indiqué avoir appelé le matin même pour se plaindre du comportement de la salariée à son égard.

Il n'est en revanche pas prouvé que lors de l'accrochage, Mme [O] ait heurté le pare-choc de l'autre voiture, ni qu'elle ait fait 'un doigt d'honneur' à Mme [G], ni qu'elle ait ensuite passé un feu qui était au rouge, ces faits ressortant seulement des déclarations de Mme [G] lors de son dépôt de plainte au commissariat de police de [Localité 5] le 14 novembre 2017, sans être corroborés par d'autres pièces. Les dommages matériels causés par l'accrochage ne sont au demeurant pas établis de manière certaine et objective par la société qui, comme l'a relevé la juridiction prud'homale, ne produit ni constat, ni expertise, ni photographie des véhicules. L'attestation de Mme [S] versée aux débats par la société, qui fait notamment état de l'accélération de Mme [O] après le heurt avec l'autre véhicule, n'est pas probante dès lors qu'elle est dactylographiée et n'est accompagnée d'aucune pièce d'identité de son auteur, ne permettant pas de s'assurer de celle-ci.

Il reste que Mme [O] n'a pas établi de constat amiable avec l'autre conductrice, ne s'est pas arrêtée et n'a pas prévenu immédiatement son employeur des faits qui ne les a appris que par l'autre automobiliste. Or, la société prouve que le 22 juillet 2016, Mme [O] a signé le protocole de mise à disposition d'un véhicule de fonction et d'une carte de paiement stipulant notamment que son bénéficiaire s'engage 'à respecter la réglementation routière' et à 'aviser immédiatement, et au maximum dans les 48 heures, l'entreprise en cas d'accident ou d'incident relatif au véhicule en précisant toutes les circonstances et en tentant d'obtenir l'identification des tiers ainsi que des véhicules en cause (l'établissement d'un constat amiable est obligatoire)'.

Mais la conduite dangereuse et le geste grossier imputés à Mme [O] ne sont pas démontrés. Compte tenu du fait qu'il s'agissait d'un accrochage limité au niveau des rétroviseurs et que les dégâts matériels causés à cette occasion ne sont pas prouvés, le fait pour Mme [G] de ne pas avoir prévenu immédiatement l'employeur de l'incident, alors qu'elle disposait en tout état de cause d'un délai de 48 heures à cet effet, n'est pas fautif. Par ailleurs, dans ces circonstances, le fait de pas s'être arrêté immédiatement après le heurt des rétroviseurs en vue de vérifier s'il existait des dégâts, de recueillir l'identité de l'autre conductrice ainsi que de son véhicule et de ne pas lui avoir proposé l'établissement d'un constat amiable est certes fautif mais ne caractérise pas une faute d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise et nécessitait son départ immédiat, la cour relevant qu'il n'est justifié d'aucune sanction disciplinaire ni d'aucun autre incident lié à la conduite d'un véhicule de fonction par Mme [O] qui avait alors quatre ans d'ancienneté et que l'atteinte à l'image de la société résultant de son attitude n'est pas établie.

A défaut de faute grave, le licenciement de Mme [O] est nul, le jugement étant confirmé en ce sens.

Sur les conséquences du licenciement nul

- sur le rappel de salaires pendant la période de protection :

La société s'oppose à la demande de Mme [O] portant sur une durée de 11 mois aux motifs que le licenciement n'est pas nul et que Mme [O] n'a pas été mise à pied à titre conservatoire, ni n'a subi de retenue de salaire pour la période du 21 novembre 2017 au 21 décembre 2017. Faisant valoir que la période de protection s'arrêtait le 21 octobre 2018, elle estime le cas échéant que le rappel de salaire dû est de 29 589 euros correspondant à 10 mois.

Appelante incidente de ce chef, Mme [O] réclame un rappel de salaire de 32 548,56 euros correspondant à 11 mois.

La salariée qui ne demande pas sa réintégration a droit au paiement des salaires qu'elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

Mme [O] soutient qu'elle a droit à un rappel de salaire de 11 mois de la date de notification de la mise à pied, le 21 novembre 2017, jusqu'au 24 octobre 2018, 4 semaines après l'expiration de son congé de maternité. Mais comme le fait valoir la société, Mme [O] n'a pas été mise à pied à titre conservatoire, la convocation à l'entretien préalable datée du 17 novembre 2017 et celle datée du 29 novembre suivant ne faisant état que d'une dispense d'activité. Ses bulletins de paie de novembre et décembre 2017 ne mentionnent aucune retenue de salaire. Au regard des pièces relatives à la grossesse fournies de part et d'autre, la période de protection s'arrêtait le 22 octobre 2018 de sorte que Mme [O] n'est pas fondée en sa demande portant sur 11 mois de salaire.

Il lui sera alloué la somme de 29 589,60 euros correspondant à 10 mois de salaire, le jugement étant infirmé en ce sens.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice des congés payés afférents :

La société conclut au rejet de la demande d'indemnité compensatrice de préavis au motif de la faute grave commise par Mme [O] tandis que cette dernière sollicite la confirmation de ce chef.

La faute grave n'ayant pas été retenue, Mme [O] est fondée à prétendre à l'indemnité compensatrice du préavis dont elle a été privée et qui a été exactement fixée par le jugement à la somme de 5 917,92 euros sur la base d'un salaire mensuel de 2 958,96 euros. Le jugement sera confirmé de ce chef et sur l'indemnité compensatrice des congés payés afférents.

- sur l'indemnité pour licenciement nul

La société sollicite l'infirmation du jugement qui a accordé à Mme [O] des dommages et intérêts à hauteur de 29 589,60 euros aux motifs que cette dernière ne prouve pas l'existence et l'étendue de son préjudice.

Mme [O] conclut à la confirmation de ce chef.

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la salariée a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au cas d'espèce, compte tenu du montant des salaires de Mme [O], de son ancienneté lors de la rupture du contrat de travail d'un peu plus de 4 ans, de son âge (Mme [O] étant née

en 1979), et de sa qualification, le jugement sera confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 29 589,60 euros.

Sur les intérêts au taux légal et la capitalisation

Les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du jugement. La capitalisation des intérêts est ordonnée dans les conditions prévues aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

La société, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Mme [O] une somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, en plus de la somme allouée sur ce fondement en première instance, le jugement étant confirmé de ce chef et la propre demande présentée par la société étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions sauf sur le montant du rappel de salaire ;

Statuant à nouveau dans la limite du chef infirmé et ajoutant :

CONDAMNE la société Transgourmet opérations à payer à Mme [O] les sommes de :

- 29 589,60 euros à titre de rappel de salaire ;

- 2'000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du jugement ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE la société Transgourmet opérations aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/08237
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;20.08237 ?
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