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01/03/2023 | FRANCE | N°20/06679

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 01 mars 2023, 20/06679


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 01 MARS 2023



(n° 2023/ , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06679 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCPVI



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 18/01434





APPELANT



Monsieur [J] [R]

[Adresse 3]

[Localité 1]



Représenté

par Me Monika SEIDEL-MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : R138





INTIMÉE



Société GOLD LINE FEEDS LIMITED (ancienne dénomination DODSON & [H] LIMITED)

Société de droit Anglais, prise...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 01 MARS 2023

(n° 2023/ , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06679 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCPVI

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F 18/01434

APPELANT

Monsieur [J] [R]

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représenté par Me Monika SEIDEL-MOREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : R138

INTIMÉE

Société GOLD LINE FEEDS LIMITED (ancienne dénomination DODSON & [H] LIMITED)

Société de droit Anglais, prise en sa succursale française

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Patricia HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 17 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Christine DA LUZ, Présidente de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :

M. [J] [R] a été engagé selon contrat de travail à durée indéterminée par la société Dodson & Horell Limited par lettre d'engagement du 31 décembre 1993 en qualité de directeur commercial. Il a pris ses fonctions le 1er janvier 1994. Celle-ci est une société anonyme de droit anglais ayant son siège social au Royaume-Uni et disposant d'une succursale en France qui employait 3 salariés. Elle a pour activité principale la production et la commercialisation d'aliments hauts de gamme destinés en particulier aux chevaux notamment aux chevaux de course et de compétition.

M. [J] [R] était également représentant légal de la succursale française de la société Dodson & Horell Limited, laquelle était domiciliée chez lui.

Celle-ci a désormais pour dénomination sociale Gold Line Feeds Limited.

M. [J] [R] occupait le poste de directeur commercial de la filiale française ainsi que celui de représentant légal et percevait un salaire mensuel de base de 6.349,21 euros.

La convention collective applicable est la convention collective du négoce et des industries des produits du sol.

M. [J] [R] a été placé en arrêt de travail à compter du 30 juin 2016, prorogé le 5 août 2016, par le médecin du travail, constatant que ce dernier était temporairement inapte pour 'état dépressif'.

M. [J] [R] a établi, le 17 octobre 2016, une déclaration de maladie professionnelle auprès de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie.

Lors d'une visite médicale de reprise du, 13 juin 2017, le médecin du travail a déclaré M. [J] [R] inapte à tous les postes au motif que sont état de santé faisait obstacle à tout reclassement.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 septembre 2017, la société Dodson & [H] Limited a notifié le licenciement pour inaptitude médicale constatée par le médecin du travail et de l'impossibilité de reclasser M. [J] [R] du fait de son état de santé.

Le 14 décembre 2017, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Calvados a notifié sa décision après avis du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles s'agissant de l'état de santé de M. [J] [R], concluant à l'origine professionnelle de la maladie de M. [J] [R].

Ce dernier a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 28 février 2018 afin de voir juger son inaptitude professionnelle comme résultant d'un harcèlement moral, de voir reconnaître la nullité du licenciement, et condamner la société au versement de diverses sommes.

Par jugement en date du 18 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a débouté M. [J] [R] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.

M. [J] [R] a interjeté appel le 14 octobre 2020.

Selon ses dernières conclusions remises au greffe, notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 11 novembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, M.[J] [R] demande de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

dit que M. [R] établissait l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettaient de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre ;

- Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a :

Dit que la société Dodson & [H] Limited démontrait que les faits matériellement établis par M. [R] étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Débouté M. [R] de ses demandes relatives au harcèlement et au licenciement ;

Débouté M. [R] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

Jugé que M. [R] relevait de la catégorie des cadres dirigeants de l'entreprise ;

Débouté M. [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, du repos compensateur obligatoire, de la majoration conventionnelle pour le travail dominical ainsi que sur le travail dissimulé ;

Dit que M. [R] ne justifiait pas d'un préjudice lié à l'absence de visite médicale d'embauche

Dit que la société Dodson & [H] Limited précisait que les congés non pris par M. [R] lui avaient été réglés lors de l'établissement du solde de tout compte ;

Dit qu'aucun élément postérieur à la saisine du Conseil de prud'hommes ne justifiait l'ajout de la demande de M. [R] de rappel de prime d'ancienneté ;

Déclaré irrecevable la demande de M. [R] au titre de rappel de prime d'ancienneté ;

Dit que M. [R] ne produisait aucun élément justifiant qu'il demandait à la société Dodson & [H] Limited de bénéficier d'une formation ;

Débouté M. [R] de sa demande au titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation ;

Omis de répondre aux conclusions de M. [R] tendant à voir condamner la société Dodson & [H] Limited au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, d'une indemnité spéciale de licenciement et du rappel de congés payés pendant la période d'absence de M. [R] pour maladie professionnelle, et par là-même était insuffisamment motivé ;

Condamné M. [R] aux dépens;

Débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes.

- Et statuant à nouveau :

Juger que M. [R] a subi des agissements répétés de harcèlement moral ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail qui ont porté atteinte à sa santé ;

Juger que le licenciement de M. [R] fondé sur une inaptitude dont l'origine se trouvait dans les agissements de harcèlement moral de la société Dodson & [H] Limited est nul ;

Constater le caractère professionnel de l'état anxio-dépressif de M. [R] reconnu par le CRRMP ;

Juger que la société Dodson & [H] Limited a commis une faute inexcusable en ne prenant aucune mesure pour mettre fin aux souffrances de M. [R] en lien avec ses conditions de travail ;

Juger que la société Dodson & [H] Limited a également commis de nombreuses fautes en n'organisant ni visite médicale d'embauche, ni suivi médical, ni entretien individuel pour évoquer la charge de travail et le respect du temps de repos obligatoire, et en ne permettant pas à M. [R] de prendre ses congés payés ;

Juger que la société Dodson & [H] Limited a manqué à son obligation de sécurité de résultat ;

Juger que la société Dodson & [H] Limited avait connaissance de l'origine professionnelle de l'inaptitude de M. [R] au moment de son licenciement ;

Juger que M. [R] était soumis à la règlementation sur la durée du travail ;

- En conséquence :

Condamner la société Dodson & [H] Limited à verser à M. [R] :

140.000 euros au titre d'indemnité pour nullité de son licenciement ;

100.000 euros au titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité de résultat et harcèlement moral, et à titre subsidiaire pour la seule violation de l'obligation de sécurité de résultat ;

19.047,63 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

1.904,76 euros au titre des congés payés afférents ;

44.588,51 euros au titre de rappel de congés payés durant la période d'absence de M. [R] pour maladie professionnelle ;

7.321,67 euros au titre des congés payés afférents ;

19.334,66 euros au titre de sa prime d'ancienneté ;

1.933,46 euros au titre des congés payés afférents ;

41.549,38 euros au titre des heures supplémentaires effectuées sur la période du 15 septembre 2014 au 26 juin 2016 ;

4.154,93 euros au titre des congés payés afférents ;

11.881,70 euros au titre du travail dominical ;

1.188,17 euros au titre des congés payés afférents ;

9.794,88 euros au titre de l'indemnité de repos compensateur obligatoire ;

979,48 euros au titre des congés payés afférents ;

41.269,86 euros au titre de l'indemnité de travail dissimulé ;

14.000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation.

- En tout état de cause :

condamner la société Dodson & Horell Limited à verser à M. [R] la somme de 7.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

condamner la société Dodson & Horell Limited au paiement des intérêts au taux légal, avec capitalisation des intérêts ;

condamner la société Dodson & Horell Limited aux entiers dépens.

Selon les dernières conclusions responsives notifées par RPVA, le 28 novembre 2022, auxquelles la cour se réfère expressément, la société Gold line feeds ltd dont l'ancienne dénomination sociale était Dodson & Horell demande de:

- A titre principal :

De confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 18 septembre 2020 en ce qu'il a débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;

en conséquence,

De débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;

- A titre subsidiaire :

Si par extraordinaire la cour infirmait le jugement entrepris sur les demandes de prime conventionnelle d'ancienneté, de travail dominical et de repos compensateurs obligatoires, elle limiterait le montant des condamnations aux sommes suivantes :

' 6.450,31 euros à titre de rappel de prime conventionnelle d'ancienneté ;

' 1.179,10 euros au titre du travail dominical ;

' 3.265,20 euros au titre du repos compensateur obligatoire.

- En tout état de cause:

De condamner M. [R] à verser à la société la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

De condamner M. [R] aux entiers dépens dont distraction pour ceux la concernant au profit de la SELARL 2H AVOCATS prise en la personne de Me Patricia Hardouin et ce, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 novembre 2022.

MOTIFS

Sur le harcèlement moral :

Selon l'article L1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L1154-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

M. [R] soutient avoir été victime de harcèlement notamment à compter de la fin d'année 2014, lequel se serait illustré sur deux périodes. Il soutient avoir subi une pression importante de même que des consignes contradictoires et méprisantes du nouveau management, ce qui aurait conduit à son arrêt de travail à compter du 30 juin 2016. Il ajoute avoir été poursuivi par cette attitude harcelante pendant son arrêt de travail, sa convalescence et ce, jusqu'au terme de son contrat de travail.

Il présente les éléments suivants:

-un rétrécissement de ses prérogatives suite au changement de direction et d'encadrement de la société Dodson & [H] Limited, en 2014.

- un changement des méthodes de travail et de relations avec la clientèle dans le cadre d'une nouvelle politique commerciale afin d'adopter une politique commerciale basée sur les chiffres.

- un refus de dialogue de M. [N], nouveau directeur de la société Dodson & [H] Limited, méprisant son travail et son expérience.

- l'obligation d'utiliser un nouveau logiciel dans le cadre des entretiens clients pour lequel il ne s'est pas vu proposer de formation par son employeur.

- une réduction de son autonomie de travail, via ce logiciel, car ses relations clients étaient désormais gérées par la direction et ce, jusqu'à la négociation des tarifs.

- un défaut d'association aux orientations stratégiques essentielles pour le discréditer auprès des clients.

- un management entraînant la perte des équipes en place qui refusaient cette nouvelle politique ou se voyaient licencier pour ne pas vouloir l'appliquer. Ainsi, le Board of Directors était renouvelé en grande majorité en 2018.

- une situation de stress au travail

-la détérioration importante de ses conditions de travail ayant entraîné une dégradation de son état de santé se traduisant par un état anxio-dépressif, au point de le contraindre à prendre des antidépresseurs puis un repos, par un arrêt de travail du 30 juin 2016. Cet arrêt a été prolongé par le médecin du travail, le 5 août 2016.

- sa demande de rupture conventionnelle de son contrat de travail, le 22 septembre 2016 demeurée sans réponse de la société Dodson et [H] Limited.

- sa nécessité d'alerter à de multiples reprises la société des courriers reçus à son domicile, de sollicitations des clients et de la banque;

- sa mise en accusation par courrier du 23 mars 2017 de la société Dodson et [H] d'étayer artificiellement sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle et d'avoir ainsi dénigré la société auprès des clients ayant donné lieu à un avertissement injustifié.

- la déclaration d'origine professionnelle de sa maladie par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Calvados, sur avis de la CRRMP, le 14 décembre 2017.

M. [R] fait valoir qu'à la suite du changement de direction et d'encadrement de la société basée au Royaume-Uni fin 2014, il a été de moins en moins soutenu par sa hiérarchie et se prévaut à cet égard, dans sa pièce 56, de la nomination de M. [L] [N] en tant que directeur commercial. Ce seul fait, inhérent à la vie des entreprises, n'est cependant pas révélateur d'un quelconque dysfonctionnement au niveau de l'encadrement.

Il produit ensuite dans sa pièce n° 71, un e-mail de M. [L] [N] du 28 janvier 2015, qui traduirait un changement radical des méthodes de travail et des relations avec la clientèle, négligeant les attentes spécifiques des clients, ce qui se serait avéré par la suite 'fatal' pour l'activité de la société. L'examen de ce courriel démontre que s'il fait en effet état d'orientations commerciales axées vers la recherche du profit, il établit dans le même temps des consignes de travail dans le cadre classique du pouvoir de direction du supérieur hiérarchique sans aucune connotation harcelante. Ce document conclut de la façon suivante : 'je vais commencer à allouer des jours pour rendre visite aux clients, et je vous reviendrai avec des propositions de dates et de personnes que je voudrais voir. J'ai hâte de vous voir la semaine prochaine à la réunion commerciale, et ce serait formidable si [D] participait également à la prochaine réunion. Elle pourra peut-être vous aider à préparer les chiffres. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à me contacter. »

M.[R] fait ensuite état d'un « réel mépris de son travail » et expose que la nouvelle orientation prise a rapidement entraîné des difficultés financières mais également une perte des équipes en place qui refusaient cette nouvelle politique. Il se prévaut à cet égard dans ses pièces 57 et 58 d'une part de la révocation des membres du 'board of directors': MM [E] [H], [J] [H], [J] [U], [Z] [V], [F] [P] et d'autre part d'un extrait du site Global database ainsi que les bilans 2014 à 2018 qui établissent une baisse du chiffre d'affaires et une diminution de la masse salariale de 25 % entre 2013 et 2018. Ici encore ces documents traduisent des choix de gestion de la société et ne sont pas davantage significatifs d'une attitude harcelante à l'endroit de M. [R].

Ce dernier soutient que la société aurait refusé de faire droit à des réductions de prix qu'il proposait pour finalement les accorder elle-même aux clients. Toutefois, le mail qu'il produit à cet égard, n'est nullement révélateur d'une telle attitude de la part de son employeur.

En effet, le courriel de Monsieur [N], versé dans sa pièce n°71 indique simplement:

« en ce qui concerne les promotions, je ne suis pas d'accord pour dire que nous ne devrions pas chercher à faire des bénéfices sur les activités promotionnelles ». Ce message reflétant la politique commerciale du groupe n'est ni désobligeant ni offensant à l'égard de M. [R] et n'induit en tout cas nullement un quelconque désaveu à son égard .

L'attestation de Melle [D] [G] du 15 décembre 2016, commerciale au sein de la société, n'est pas non plus révélatrice d'un harcèlement à l'égard de M. [R] puisque celle-ci évoque surtout son ressenti et son choix personnel de quitter la société au regard de la pression à laquelle elle estimait avoir été soumise. Ce document n'est donc pas davantage opérant.

M. [R] ajoute qu'il devait rédiger des reporting fastidieux et très chronophages, que chaque communication avec les clients était tracée par un logiciel pour lequel il n'avait reçu aucune formation. Ici encore, il s'agit d'un mode opérationnel relevant d'un pur choix de gestion de la direction et en outre la formation a bien été proposée à M. [R]. En effet, les courriers dont il se prévaut lui-même l'établissent. M. [N] lui indique notamment en janvier 2015:

« [J],

Suite à votre appel d'hier, j'ai vérifié auprès de [X] et il est disponible pour vous rencontrer mercredi après-midi.

Sales I ' j'ai pris des dispositions pour que [K] et [S] organisent un atelier de formation pour vous permettre de vous familiariser avec Sales I. Je vous suggère de vous connecter à l'avance pour préparer la réunion.

Le lien internet est le suivant :

httpps://my1.sales-i.com/custom.portal/sales-i/login

Le nom d'utilisateur est : curtin, le mot de passe est Password 12. J'ai ouvert une session et cela fonctionne.

Lorsque vous vous connectez, vous obtenez un écran vous demandant de confirmer que vous êtes bien [J] [R], d'appuyer sur continuer, puis de vous rendre sur la page d'accueil. (')

Cela vous permettra de démarrer et vous aidera à rédiger le rapport de la réunion commerciale de mercredi(...) »

M. [R] ne conteste pas avoir été aidé par son collègue M.[T] puis par un membre de l'équipe anglaise, qui lui a expliqué le fonctionnement du logiciel, avant la réunion commerciale du 4 février 2015.

M. [R] soutient ensuite que la société aurait tenté de le remplacer dans ses missions, alors qu'il était toujours en poste. Bien qu'il évoque les inquiétudes de 'plusieurs clients inquiets de son sort dans l'entreprise', qui l'auraient interpellé pour lui demander de « s'expliquer sur sa situation alors que des annonces d'offres d'emploi correspondant en tous points à son descriptif de poste étaient publiés », il se prévaut d'un seul courriel, en date du 12 mai 2016, émanant de Mme [W] [Y], directrice du département équin d'Agrial, ayant pris connaissance d'une offre d'embauche apparaissant se rapporter au profil de poste de M.[R]. Ce dernier a alors interpellé sa hiérarchie aux termes d'un courriel adressé le même jour.

M. [R] produit la réponse que lui a aussitôt adressée M. [L] [N], aux termes de laquelle ce dernier indique que cela correspond au recrutement d'un poste d''Export Nutrionist' pour remplacer [D] [G], afin de le soutenir dans la réalisation de ses missions en France et sur les autres marchés. Il ajoute qu'il sera partie prenante du processus et lui adresse la fiche de poste envoyée à l'agence de recrutement. Enfin il lui indique, qu'ils discuteront ensemble de l'idée qu'il propose visant à concentrer son activité sur la France et l'Espagne (') il conclut en indiquant qu'il l'appellera prochainement.

Bien que ce message soit confirmé par un mail explicite de M.[X] Horell, directeur général de la société, le rassurant totalement sur son poste, M. [R] fait part à ce dernier de sa 'situation très difficile en raison des conditions particulières de travail', ce à quoi M. Horell répond qu'il est prêt à adapter son poste et lui demande des indications en vue d'une réunion sur ce sujet.

M. [R] soutient que 'participant à l'humiliation quasi-quotidienne dont il faisait l'objet, il constatait que des réductions proposées par ses soins sur les tarifs lui étaient refusées par la direction, pour être finalement accordées aux clients (en Allemagne et en Espagne notamment)

par [L] [N] ce, sans qu'il en soit tenu informé'. Il ajoute que 'convoqué en Angleterre sous le fallacieux prétexte d'une réunion d'équipe à laquelle il se trouvait finalement être le seul convié, il ne pouvait que constater le mépris et la défiance manifestée à son égard depuis le changement de direction chez Dodson & [H].' Il se prévaut d'un courriel du 14 juin 2016, dans sa pièce 14, dont l'examen révèle plutôt l'établissement d'un véritable programme de travail sur les journées des 27 et 28 juin, aussi bien pour lui-même que pour son collègue [B] [T], organisant des rencontres avec la hiérarchie, et divers collaborateurs, de même qu'une réunion export prévue durant toute la journée du mardi 28 juin. Ce document démontre bien qu'il était invité, en présence de M. [T], à un séminaire professionnel au siège de la société en Angleterre et qu'il n'existait donc aucun 'prétexte fallacieux'. Il ne conteste pas davantage l'impossibilité dans laquelle s'est finalement trouvé M. [T] d'y assister pour raison de santé.

Pour attester de 'l'humiliation' dont il aurait fait l'objet, M. [R] se prévaut également d'un courriel du 27 juin 2016, adressé notamment à M. [X] [H], aux termes duquel il demande dans des termes vagues qu'il 'clarifie' ses attentes à son égard ainsi que 'ses conditions de travail' et sollicitant le 'soutien de sa hiérarchie'. Il déplore le fait de 'devoir s'expliquer et justifier son rôle' et souhaite travailler dans de 'meilleures conditions, voir son travail reconnu et respecté', souhaitant que sa hiérarchie lui donne 'l'opportunité de maintenir ses fonctions managériales'. M. [R] produit néanmoins la réponse de M. [X] [H], se montrant favorable à une adaptation de ses fonctions sur la base des indications que lui donnera M. [R]. Ce dernier ne conteste pas n'avoir jamais répondu à ce courriel. Ces éléments ne peuvent donc laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral.

Le 22 septembre 2016, il a adressé à la direction un courriel souhaitant entamer des négociations en vue d'une demande de rupture conventionnelle, évoquant souffrir de « sérieuses difficultés à travailler en tant que membre reconnu d'une équipe avec la direction qui ne (lui) accorde plus le soutien nécessaire. » Il soutient que Dodson & [H] n'a jamais donné suite à ce courrier alors qu'il produit lui-même le courrier de réponse de M. Horrel se déclarant surpris de la démarche de son salarié.

Il fait grief à la société d'avoir dû fournir au Trésor Public l'annexe relative aux revenus encaissés hors de France (sa pièce n°32). Il ne conteste cependant pas le fait que son domicile étant le siège social de l'entreprise, il percevait à ce titre des loyers de la part de la société, qu'il encaissait sur un compte en Irlande. L'administration fiscale lui a donc demandé de produire l'annexe n°2047 des revenus encaissés hors de France au titre des revenus 2014-2015; ce dont il ne saurait faire reproche à son employeur.

Alors que sa préoccupation première était de recouvrer la santé, M. [R] s'est dit harcelé par Dodson & Horrel, au motif qu'il était de nouveau interrogé sur ses fonctions. Il se prévaut à cet égard de courriels de M. [X] [H] en date des 27, 28 et 30 juin 2016 mais reconnaît dans le même temps que ceux-ci précédaient son arrêt de travail.

M. [R] soutient que ses nouvelles conditions de travail ont affecté sa santé et qu'il a été contraint de se mettre en arrêt de travail à compter du 30 juin 2016. Il produit un avis d'arrêt de travail établi à cette date, un compte rendu d'entretien avec une psychosociologue du 9 septembre 2016, une fiche d'aptitude médicale le déclarant inapte le 28 juin 2017.

Durant son arrêt de travail, M. [R] produit plusieurs messages avisant son employeur du fait qu'il recevait toujours des courriers adressés à son domicile personnel ainsi que des sollicitations tant des clients que de la banque. Aux termes de courriels des 1er et 20 février 2017, il a interrogé la direction sur la réalité de la mise en 'uvre des formalités de domiciliation dans la mesure où il recevait toujours des lettres adressées à Dodson & [H] France et toujours autant d'appels téléphoniques des clients. Il a précisé que le numéro de téléphone venait seulement d'être changé sur le site Internet de Dodson & [H] mais que les clients continuaient de le contacter, de même que la banque et il se disait exténué par cette situation.

Il produit dans sa pièce n°25, un courriel de Dodson & [H] du 31 octobre 2016, indiquant ses nouvelles coordonnées mais précisant que les anciennes demeuraient valables encore pendant six mois. Il verse également dans ses pièces 26 et 27 une copie du catalogue Breeze UP [Localité 4] 11-12 mai 2017 et des pages de couverture du catalogue Galop Expo 17/19 octobre 2017 faisant apparaître son numéro. Il verse aussi un procès-verbal de constat de Me [I], huissier de Justice, en date du 25 novembre 2016, laissant apparaître que la page contact du site internet Dodson & [H] indiquait toujours son n° de mobile.

Il produit en pièce 30 de son dossier un avertissement notifié le 23 mai 2017, notamment pour avoir osé initier une démarche de demande de reconnaissance professionnelle alors que son contrat de travail était suspendu depuis le 30 juin 2016.

Il produit également un courrier du 14 décembre 2017, reçu des services de la CPAM reconnaissant l'origine professionnelle de sa maladie.

Pris dans leur ensemble, ces éléments font présumer une situation de harcèlement moral.

Il revient donc à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement.

L'employeur justifie de ce que dès le 30 juin 2016, M. [N], a donné toutes les instructions à l'équipe au sujet des coordonnées des interlocuteurs désignés pendant l'arrêt maladie de [J] [R]. Son courriel est rédigé comme suit:

« Cher [B],

Merci pour ta note de ce jour, m'informant que [J] est en arrêt de travail jusqu'au 18 juillet prochain.

Je pense que c'est important que [J] se rétablisse en paix, donc je voudrais envoyer une lettre à tous les clients, pour leur donner les coordonnées d'un autre interlocuteur en son absence.

Je propose que tous les clients français vous contactent.

Tous les autres clients européens contacteront [O].

En soutien, les clients pourront également me contacter.

Est-ce que je peux vous demander d'envoyer demain après-midi le mail que [O] et [A] ont préparé '

Je suis aussi vigilent sur le fait de savoir comment vous allez gérer la situation en l'absence de [J].

Nous allons prévoir un meeting à [Localité 7] avec [O] (comme vous ne pouvez pas vous déplacer à cause de votre blessure au pied) pour discuter des moyens dont vous aurez besoin en l'absence de [J]. [O] vous appellera demain pour vous faire part de ses disponibilités. »

La société justifie dans sa pièce n°8 des communications qu'elle a adressées aux clients et partenaires professionnels au sujet de l'absence de M. [R], fournissant à ces derniers les coordonnées d'autres interlocuteurs à joindre pendant cette période.

Elle justifie également de ce qu'elle a bien organisé le transfert de son siège social, initialement situé au domicile de M. [R], et produit aux débats le courriel du 29 décembre 2016 que lui a adressé à cet égard M. [X] [H], rédigé dans les termes suivants : « Cher [J], comme vous le savez, nous avons ouvert un nouveau bureau à [Localité 7] ou [B] travaille désormais. Afin de consolider notre activité en France, nous avons décidé de transférer le siège social de notre succursale à notre adresse parisienne. La décision de transférer le siège social a été décidée par l'assemblée et fait actuellement l'objet de la procédure d'enregistrement. Nous procéderons bien entendu au paiement du 4e trimestre pour la domiciliation de notre entreprise votre adresse mais aucun paiement ne sera fait à l'avenir. ».

Aux termes d'un courriel du 21 février 2017, M. [B] [T] a dûment informé les divers contacts de la société de ce qu'une responsable 'compte clés' basée au bureau parisien venait d'être recrutée, leur a indiqué que malheureusement M. [J] [R] était toujours en arrêt maladie et leur a donné les coordonnées à utiliser, à savoir [B] [T] ou [A] [M].

Suite au transfert effectif du siège social de la société à compter du 1 er novembre 2016, celle-ci a informé, par courriel du 31 octobre 2016, l'ensemble des clients de sa nouvelle adresse (sa pièce n°11).

La société justifie ainsi avoir réalisé des démarches de nature à assurer l'intérim de M. [R] en son absence, ce qui n'a cependant pas empêché certains clients de contacter ce dernier sur son numéro de téléphone et adresse email personnels; ce qui ne peut apparaître constitutif d'un harcèlement moral à la charge de la société.

Suite au courriel du 20 février 2017 de M. [R] se plaignant de continuer à recevoir des appels téléphoniques de clients pendant son arrêt de travail, M. [H] lui a demandé dès le 24 février suivant, de lui fournir le nom des clients qui continuaient à le solliciter.

Aux termes de cet e-mail, M. [H] a en effet indiqué les éléments suivants :

« vous prétendez que bien qu'étant en arrêt de travail depuis plusieurs mois, vous continueriez de recevoir des appels de clients, à tel point que cela compromet votre état de santé et nuit à votre convalescence.

Nous sommes très surpris de la situation car nous avons contacté tous les clients et les avons informés de votre arrêt maladie, leur indiquant clairement qu'ils devaient contacter [B] pour les clients français et [O] pour les clients européens.

Nous vous remercions de bien vouloir nous préciser le nom des clients qui continuent à vous contacter pour que nous puissions régler ce problème définitivement.

Si vous avez reçu des mails, le plus simple serait de les transférer à [B], qui sera en mesure de prendre les actions adéquates.

Comme je vous l'ai dit, nous sommes soucieux de votre santé et nous ne voulons pas que vous répondiez à des appels ou e-mail professionnel mais en l'état, nous ne pouvons pas résoudre ce point, sans avoir connaissance du nom des clients qui vous sollicitent.

Je comprends que l'un des problèmes résulte du fait que vous utilisiez le même téléphone pour vous communications personnelles et professionnelles. L'une des solutions serait de vous fournir une nouvelle carte SIM et que vous retourniez votre ancienne carte SIM à [B] , qui pourrait enregistrer un message d'absence pour renvoyer les clients vers le bureau de [Localité 7]. Nous vous laissons le soin de nous indiquer si cette solution pourrait vous aider.

En second lieu, vous nous indiquez avoir reçu plusieurs appels du crédit agricole pour confirmer des ordres de virement que vous n'avez pas réalisés et que « ce traitement serait insupportable ».

Comme vous le savez, nous avons entrepris toutes les démarches pour désigner un nouveau représentant légal en France. Toutefois votre remplacement ne sera pas effectif à l'égard des tiers tant que les formalités n'auront pas été finalisées et il se peut, pendant ce laps de temps, que vous receviez occasionnellement des messages de notre banque, ce qui ne peut objectivement être considéré comme un « traitement insupportable ».

Nous appelons votre attention sur le fait que cela est strictement lié au fait que vous êtes encore enregistré comme représentant légal pendant la période de transition, mais cela est sans rapport avec votre contrat de travail, vos allégations étant excessives. (') ».

M. [R] ne conteste pas avoir laissé ce courrier sans réponse.

En outre, la société produit dans sa pièce 40 le courriel de M. [T], rédigé dans les termes suivants:

« Nous avons prévenu tous nos clients par téléphone que M. [R] était en arrêt maladie dès le mois de juillet. J'ai eu connaissance que certains d'entre eux l'ont contacté pour lui souhaiter un bon rétablissement.

Il nous était impossible de changer légalement notre adresse postale, tant que notre kbis n'était pas modifié, ce qui peut prendre plusieurs mois. De ce fait, certaines administrations et fournisseurs ont continué à envoyer leurs courriers à l'adresse de M [R].

Nous avons informé nos clients, fournisseurs et administrations de notre nouvelle adresse postale mais il est difficile de contrôler que cela soit fait de leur côté. Nous continuons de surveiller cela car certains fournisseurs peuvent encore se tromper.

Ainsi, la société Arqana a, par erreur, publié un de nos anciens visuels où apparaissaient les coordonnées de M. [R] et de MMe [G]. Nous les avons contactés immédiatement par téléphone mais le catalogue était déjà publié et envoyé. Ils ont supprimé les anciens visuels afin que cela ne se reproduise plus. »

M. [R], qui disposait d'une adresse professionnelle Dodson & [H] (jcurtindodsonandhorrell.com), ne conteste pas avoir choisi de communiquer avec les clients par l'entremise de son adresse email personnelle ([Courriel 6]) ainsi que via une adresse

de réception wanadoo ([Courriel 5]), accessible aux autres salariés de la succursale française. En outre, il avait pris la décision de convertir la ligne téléphonique de la société Dodson & [H] en une ligne téléphonique personnelle. Cette démarche, initiée par M. [R] avait nécessairement rendu plus difficile pour la société l'organisation d'un intérim mettant ce dernier à l'abri de toute sollicitation, en dépit des initiatives dont elle a abondamment justifié.

M. [R] présente l'avertissement notifié par son employeur le 23 mai 2017 comme harcelant au motif principal qu'il aurait 'osé initier une démarche de demande de reconnaissance professionnelle'. L'employeur objecte à bon droit que cet avertissement a été établi au regard de plusieurs séries de faits, dont notamment l'utilisation de la carte bancaire de la société pendant la suspension de son contrat de travail, pour réaliser des dépenses de restauration et d'essence, ou encore l'achat d'un téléphone portable d'un montant de 807,89 euros, sans solliciter l'accord de la société, ni même l'en informer (dépenses dont l'employeur justifie dans ses pièces). Du reste, le salarié n'a jamais sollicité l'annulation de cette sanction disciplinaire.

S'agissant de l'état de santé de M. [R], dont ce dernier attribue l'origine à un harcèlement moral de la société, celle-ci justifie de ce que le conseil de l'ordre des médecins du Calvados a enjoint le médecin traitant de M.[R] de remettre de nouveaux certificats médicaux, se substituant aux précédents et ne faisant plus apparaître la mention 'burn out professionnel'. Ainsi, les pièces médicales versées aux débats ne contiennent aucune indication permettant d'avérer que la dégradation de sa santé du salarié serait précisément imputable à une attitude harcelante de l'employeur. Il en résulte que les certificats médicaux produits aux débats par M. [R] se limitent à constater un syndrome dépressif, sans pour autant pouvoir déterminer la cause de cette affection. En outre, la société fait justement observer qu'aux termes de son avis d'inaptitude du 13 juin 2017, le médecin du travail n'a pas coché la case « maladie professionnelle », imputant l'inaptitude du salarié à une maladie non professionnelle (sa pièce n°24).

M. [R] a établi une déclaration de maladie professionnelle en date du 17 octobre 2016. La société justifie avoir émis toutes réserves auprès de la CPAM sur le caractère professionnel de l'affection déclarée par le salarié, par courrier recommandé du 16 novembre 2016, dès lors que les conclusions médicales étaient fondées sur les seules déclarations de ce dernier. Néanmoins en raison d'une erreur d'adressage de la caisse, la société n'a reçu la lettre de clôture de l'instruction que quelques jours avant l'expiration du délai imparti aux parties pour consulter le dossier et émettre des observations. Dans ces conditions, le TASS de [Localité 7], par jugement du 25 novembre 2019, a déclaré inopposable à la société Dodson et [H] la décision de la caisse primaire d'assurance-maladie du Calvados de prise en charge, au titre de la législation sur les risques de la maladie déclarée le 11 août 2016 par M. [R]. La seule reconnaissance de l'origine professionnelle de la maladie, dans les conditions ci-dessus rappelées, ne peut apparaître comme étant consécutive à une situation de harcèlement moral.

Il résulte de tout ce qui précède que la société Dodson et [H] apporte des justifications objectives à ses agissements. Le harcèlement moral n'est pas établi et dès lors la demande de dommages-intérêts de ce chef sera rejetée. De même, il ne saurait être retenu que l'inaptitude de M. [R] s'est révélée imputable à un harcèlement moral et la demande de nullité du licenciement sera rejetée de même que la demande indemnitaire de ce chef.

- Sur le manquement à l'obligation de sécurité

S'il a été abondamment exposé ci-dessus qu'aucun harcèlement moral n'était caractérisé à la charge de la société, il reste que celle-ci ne conteste pas n'avoir organisé aucune visite médicale d'embauche, ni suivi médical, ni aucun entretien individuel pour évoquer la charge de travail.

M. [R] ajoute que la société ne lui a pas permis de prendre ses congés payés, ce qui est cependant contesté par celle-ci. L'employeur indique en effet qu'à aucun moment, il ne lui a refusé de poser ses congés payés, ce dernier n'ayant, d'une façon générale, jamais élevé de difficulté sur une prétendue impossibilité de poser ses congés du fait de l'activité de la société.

En cas de litige portant sur le respect des droits légaux ou conventionnels à congés payés d'un salarié, la charge de la preuve incombe à l'employeur.

La société ne démontre pas que M. [R] ait été en mesure de prendre l'intégralité des congés auxquels il avait droit. Du reste, elle lui a versé une indemnité de congés payés de 85 jours au moment du licenciement, tel que cela apparaît sur le reçu pour solde tout compte.

Il résulte de ce qui précède que la société a commis des manquements au regard de l'obligation de sécurité qui lui incombe et elle sera condamnée à verser de ce chef à M. [R] une somme de 5000 euros.

-Sur l'indemnité spéciale de licenciement

M. [R] reconnaît que la société Dodson & [H] lui a versé lors de son solde de tout compte un montant de 44.588,51 euros au titre de son indemnité légale de licenciement pour inaptitude non professionnelle. Il fait valoir néanmoins que son inaptitude était d'origine professionnelle de sorte que la société aurait dû doubler le montant de l'indemnité de licenciement et il revendique dans les motifs de ses conclusions la somme de 44.588,51 euros. Force est néanmoins de constater qu'il ne reprend nullement ce chef de demande dans son dispositif qui seul lie la cour. En effet, il demande un 'rappel de congés payés' mais en aucun cas une indemnité spéciale de licenciement. Dès lors, il ne saurait y être fait droit et cette réclamation sera rejetée. Il sera ajouté au jugement entrepris.

- Sur la demande de versement de la somme de 7321,67 euros au titre des 'congés payés afférents'.

Dans les motifs de ses conclusions, M. [R] demande la condamnation de la société Dodson & [H] à lui payer un rappel d'indemnité compensatrice de congés payés de 30 jours correspondant à un montant de 7.321,67 euros mais il ne formule nullement cette demande dans son dispositif. En effet, sa demande ne porte que sur des 'congés payés afférents'. Ici encore, sa demande de ce chef sera rejetée et il sera ajouté au jugement entrepris.

- Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents.

En application des dispositions combinées tirées des articles L 1226-6 et suivants, L. 1234-5 et L 3141-5 du code du travail, M. [R] apparaît fondé en sa demande. L'inopposabilité à l'employeur, dans ses rapports avec la CPAM, du caractère professionnel de la maladie du salarié ne fait pas obstacle à ce que celui-ci invoque à l'encontre de son employeur l'origine professionnelle de sa maladie pour bénéficier de la législation protectrice applicable aux salariés victimes d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle.

M. [R] a déposé une demande de reconnaissance de maladie professionnelle le 11 août 2016, dont son employeur a eu connaissance avant la procédure de licenciement. Le licenciement pour inaptitude de M. [R] n'est intervenu que le 14 septembre 2017. Par décision du 14 décembre 2017, le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies professionnelles (CRRMP) a expressément reconnu la maladie professionnelle de ce dernier. En tant que cadre, il aurait dû bénéficier d'un préavis de 3 mois. Compte tenu de son salaire mensuel de 6.349,21 euros, son indemnité compensatrice doit être évaluée à la somme de 19.047,63 euros. La société sera condamnée à paiement de ce chef qui n'ouvre cependant pas droit à congés payés et sa demande à ce titre sera rejetée. Il sera ajouté au jugement.

- Sur les heures supplémentaires.

M. [R] revendique la somme de 41 549,38 euros de ce chef pour la période du 15 septembre 2014 au 26 juin 2016 outre les congés payés afférents.

La société s'y oppose au motif notamment que ce dernier avait la qualité de cadre dirigeant et qu'il n'était pas, par conséquent, soumis à la réglementation de la durée du travail.

Il reste néanmoins que quatre conditions doivent être cumulativement remplies pour que le salarié reçoive la qualité de cadre dirigeant :

- il doit avoir des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de son emploi du temps,

- il doit être habilité à prendre des décisions de façon largement autonome ;

- il doit percevoir une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l'entreprise ;

- il doit participer à la direction de l'entreprise.

M. [R] verse au dossier diverses pièces révélant que s'il bénéficiait d'une certaine autonomie, il demeurait néanmoins soumis à une supervision constante par la direction de la société Dodson & [H] en Angleterre, au même titre que tous les autres commerciaux de la société. Il devait notamment rédiger des reportings à l'attention de sa hiérarchie, via un logiciel spécifique. Il devait également demander l'autorisation du siège pour engager des dépenses ou pour toute décision commerciale. Il devait aussi signaler ses absences.

Enfin, le contrat de travail de M. [R] prévoyait une durée de temps de travail hebdomadaire de 35 heures et ses bulletins de paie mentionnaient régulièrement un temps de temps de travail mensuel de 151,67 heures.

Au vu de tout ce qui précède, il ne peut être attribué à ce dernier le statut de cadre dirigeant et ce moyen sera donc rejeté.

En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 à L. 3171-4 du code du travail. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence de rappels de salaire, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

M. [R] expose qu'il a effectué un grand nombre d'heures supplémentaires.

Le calcul des heures supplémentaires doit néanmoins reposer sur des éléments précis.

En l'espèce, ces éléments reposent sur les indications contenues dans les conclusions de M. [R] (pages 54 et 55) selon lesquelles 'les exigences de la clientèle dans ce secteur d'activité très spécifique étaient très élevées (...) il recevait des clients à n'importe quelle heure ou journée à son domicile privé en Normandie (...) il n'était également pas rare qu'il fût contraint de se déplacer en urgence chez un client pour vérifier l'état de santé du cheval(...)'

Pour avérer ces affirmations, il ne produit que trois attestations, non circonscrites dans le temps, et dont les termes sont particulièrement vagues.

Il produit également dans ses pièces 68 à 70 des photocopies de pages d'agenda tronquées, et en grande partie illisibles.

En l'état d'une telle imprécision, il ne saurait être fait droit à la demande au titre des heures supplémentaires et ce chef de réclamation sera rejeté; la demande formée au titre de la majoration pour travail dominical , fondée sur ces mêmes agendas inexploitables, sera pareillement rejetée. Dès lors qu'il n'est pas fait droit à la demande au titre des heures supplémentaires, les réclamations subséquentes au titre du repos compensateur et du travail dissimulé seront également rejetées.

- Sur les dommages-intérêts pour défaut de formation

M. [R] sollicite la somme de 14.000 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de formation.

Pour justifier le montant de cette somme, ce dernier explique ne pas avoir été formé à l'utilisation d'internet.

Aux termes de l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

L'employeur est donc tenu à une obligation générale d'adaptation, qui l'oblige à envisager et proposer des formations à tout salarié, y compris en l'absence de toute évolution de poste, et ce afin de développer leur employabilité et leurs compétences.

L'obligation de formation reposant sur l'employeur, il lui appartient de justifier du respect de cette obligation. En l'espèce, la société n'apporte aucun élément pour contredire M.[R] qui soutient qu'il n'a jamais bénéficié d'une formation en 23 ans de carrière.

Dès lors il y a lieu de considérer que cette abstention est constitutive d'une faute qui a causé un préjudice au salarié, ne lui permettant pas ainsi d'acquérir des compétences nouvelles.

Il sera fait droit à la demande de dommages et intérêts de M.[R] à hauteur de 500 euros et le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté ce chef de demande.

- Sur la prime conventionnelle d'ancienneté

M. [R] n'avait pas saisi le conseil de prud'hommes de cette demande aux termes de sa requête du 28 février 2018. Il ne l'a fait que par conclusions communiquées le 12 mars 2019, conduisant les premiers juges à la déclarer irrecevable au regard de l'abrogation du principe de l'unicité de l'instance. En effet, une telle demande ne se rattache pas à ses prétentions originaires par un lien suffisant.

Cette irrecevabilité, que M. [R] ne conteste d'ailleurs pas, sera donc confirmée par la cour.

- Sur les autres demandes.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de ce chef et il lui sera accordé à ce titre une somme de 1500 euros.

La société sera également condamnée à lui verser le même montant au titre des frais irrépétibles à hauteur d'appel.

Les indemnités ci-dessus accordées produiront intérêts au taux légal, à compter du jour du présent arrêt, et la capitalisation sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement sauf en ce qui concerne le manquement à l'obligation de sécurité, l'indemnité compensatrice de préavis, le manquement à l'obligation de formation et d'adaptation, l'article 700 du code de procédure civile.

Statuant à nouveau de ces chefs;

DIT que la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) a manqué à son obligation de sécurité et la condamne à verser de ce chef à M. [J] [R] une indemnité de 5 000 euros.

CONDAMNE la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) à verser à M. [J] [R] la somme de 19.047,63 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis.

DIT que la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) a manqué à son obligation de formation et la condamne à verser de ce chef à M. [J] [R] une indemnité de 500 euros.

DIT que la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) est redevable d'une indemnité au titre des frais irrépétibles de première instance et la condamne à verser de ce chef à M. [J] [R] une indemnité de 1500 euros.

Ajoutant au jugement,

REJETTE la demande à hauteur de 44 588,51 euros au titre de 'rappel de congés payés' ainsi que la demande de versement de la somme de 7321,67 euros au titre des 'congés payés afférents'.

CONDAMNE la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) à verser à M. [J] [R] une indemnité de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel.

CONDAMNE la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) au paiement des intérêts au taux légal, à compter du jour du présent arrêt, avec capitalisation des intérêts ;

CONDAMNE la société Gold Line Feeds Limited (ancienne dénomination sociale : Dodson & [H] Limited) aux entiers dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/06679
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;20.06679 ?
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