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01/03/2023 | FRANCE | N°20/06621

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 01 mars 2023, 20/06621


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 01 MARS 2023



(n° 2023/ , 17 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06621 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCPLM



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 19/00806





APPELANTE



Madame [D] [U]

[Adresse 3]

[Localité 2]



ReprÃ

©sentée par Me Florence REBUT DELANOE, avocat au barreau de PARIS, toque : J060





INTIMÉE



Société COOPERATIVE U ENSEIGNE

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Gaëlle MÉRIGNAC, avocat...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 01 MARS 2023

(n° 2023/ , 17 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06621 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCPLM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Septembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 19/00806

APPELANTE

Madame [D] [U]

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Florence REBUT DELANOE, avocat au barreau de PARIS, toque : J060

INTIMÉE

Société COOPERATIVE U ENSEIGNE

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Gaëlle MÉRIGNAC, avocat au barreau de PARIS, toque : L0007

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société coopérative U Enseigne a employé Mme [D] [U], née en 1972, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2010 en qualité de directrice filière textile. Elle était classée au statut de cadre dirigeant, niveau 9, pour une rémunération mensuelle brute de 9.200 €. Elle était rattachée à la direction commerciale et était basée au siège de [Localité 4].

Le 21 avril 2016, Mme [U] a signé un avenant aux termes duquel elle est devenue directrice marketing et expérience clients, position cadre niveau 9, pour une rémunération mensuelle brute de 12 800 euros.

Mme [U] dirigeait une équipe d'environ 100 personnes et reportait au directeur commercial, marketing et communication, M. [S] (n+1) et au directeur général, en dernier lieu M. [M] (N +2).

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Sa rémunération mensuelle brute moyenne sur les 3 derniers mois (option la plus favorable) s'élevait en dernier lieu à la somme de 16 661,54 €.

Par lettre notifiée le 24 janvier 2019, Mme [U] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 1er février 2019. Elle a fait l'objet d'une mise à pied conservatoire.

Mme [U] a ensuite été licenciée pour cause réelle et sérieuse par lettre notifiée le 6 février 2019 ; la lettre de licenciement mentionne en substance :

- sa défaillance dans le cadre du projet de transformation digitale MACDA

- des manquements répétés aux règles de l'entreprise (communication externe à un magazine sans accord du service communication, organisation d'événements d'équipe à des coûts disproportionnés et altercation avec une collègue devant un prestataire)

- des critiques et désaccords exprimés et répétés sur la politique de l'entreprise.

A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, Mme [U] avait une ancienneté de 8 ans et 5 mois ; la société coopérative U Enseigne occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant la validité de sa convention de forfait jours, la validité et à titre subsidiaire la légitimité de son licenciement et réclamant diverses sommes sur le fondement des heures supplémentaires, des contreparties obligatoires en repos, du travail dissimulé, du non-respect des temps de repos et de l'amplitude horaire maximale, du harcèlement moral, de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de la prime exceptionnelle 2018, de la prime sur objectifs 2019 proratisée, du licenciement vexatoire et de l'article 700 du code de procédure civile, Mme [U] a saisi le 14 juin 2019 le conseil de prud'hommes de Créteil qui, par jugement du 8 septembre 2020 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a rendu la décision suivante :

« Dit que Madame [D] [U] était cadre dirigeant ;

Dit que le licenciement de Madame [D] [U] n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

Fixe à 16 661,54 € la moyenne mensuelle des salaires de Madame [D] [U] ;

Condamne la société coopérative U Enseigne COOPERATIVE U ENSEIGNE à verser à Madame [D] [U] les sommes suivantes :

' La somme de quatre-vingt-dix-neuf mille neuf cent soixante-dix-neuf euros et vingt-quatre cents (99 969,24 €) au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

' La somme de sept cent dix-neuf euros quatre-vingt-seize cents (719,96 €) au titre de rappel de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

' La somme de cinq mille euros (5 000 €) au titre du dommages et intérêts pour préjudice moral du fait du licenciement vexatoire,

' La somme de mille trois cents euros (1 300 euros) au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute Madame [D] [U] de toutes ses autres demandes. »

Mme [U] a relevé appel de ce jugement par déclaration du 12 octobre 2020.

La constitution d'intimée de la société coopérative U Enseigne a été transmise par voie électronique le 12 novembre 2020.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 8 novembre 2022.

L'affaire a été appelée à l'audience du 3 janvier 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 30 juin 2021, Mme [U] demande à la cour de :

« INFIRMER le jugement du Conseil des prud'hommes de Créteil en date du 8 septembre 2020,

REJETER l'ensemble des demandes de la société SYSTEM U,

ET STATUANT A NOUVEAU

I. A TITRE PRINCIPAL :

' CONSTATER que Madame [U] ne dispose ni du statut de cadre dirigeant, ni d'une convention de forfait valide ;

En conséquence :

1) Sur les heures accomplies

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme 461.891,63 euros au titre des heures supplémentaires et du travail dominical réalisés depuis le 1er janvier 2016, incluant les congés payés afférents ;

' FIXER la moyenne des rémunérations comme suit :

o Moyenne des 3 derniers mois de salaires : 33 624, 58 euros bruts ;

o Moyenne des 6 derniers mois de salaires : 31.615,09 euros bruts ;

o Moyenne des 12 derniers mois de salaires : 32 804, 54 euros bruts.

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 15.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos quotidiens, hebdomadaires et de l'amplitude horaire maximale ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 228.419,77 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos outre 22.841,98 euros au titre des congés payés afférents ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 189 690,54 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé ;

2) Sur le licenciement

' DIRE ET JUGER le licenciement de Madame [U] nul ;

' CONSTATER que Madame [U] ne sollicite pas sa réintégration ;

En conséquence,

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 758 762,16 euros au titre de l'indemnité de licenciement nul ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Subsidiairement, si par extraordinaire le Conseil ne prononçait pas la nullité du licenciement :

' DIRE ET JUGER le licenciement de Madame [U] dénué de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 252 920,72 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

II. A TITRE SUBSIDIAIRE

Si par extraordinaire le Conseil retenait la qualité de cadre dirigeant :

' FIXER la moyenne des rémunérations comme suit :

o Moyenne des 3 derniers mois de salaires : 16 560,39 euros bruts ;

o Moyenne des 6 derniers mois de salaires : 16 661,54 euros bruts ;

o Moyenne des 12 derniers mois de salaires : 16 629,10 euros bruts.

' DIRE ET JUGER le licenciement de Madame [U] nul ;

' CONSTATER que Madame [U] ne sollicite pas sa réintégration ;

En conséquence,

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 399 876,96 euros au titre de l'indemnité de licenciement nul ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

Subsidiairement, si par extraordinaire le Conseil ne reconnaissait pas la nullité du licenciement et le harcèlement moral :

' DIRE ET JUGER le licenciement de Madame [U] dénué de cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 133 292,32 euros à titre d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

EN TOUT ETAT DE CAUSE

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 44.925,20 euros au titre du reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

Subsidiairement, si par extraordinaire le Conseil ne retenait pas la qualité de cadre dirigeant ou la validité d'une convention de forfait-jours :

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 719,96 euros au titre du reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme brute de 67.249,16 euros outre les congés payés y afférents, soit 6.724,91 euros au titre de la prime exceptionnelle de décembre 2018 ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 8.320 euros bruts au titre de la prime sur objectif 2019 proratisée ;

' CONSTATER le caractère vexatoire du licenciement de Madame [U] ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral du fait du licenciement vexatoire ;

' DIRE qu'il sera fait application d'intérêts au taux légal sur les condamnations prononcées à compter de la date de saisine du Conseil de Prud'hommes, et prononcer l'anatocisme ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

' CONDAMNER la Société SYSTEME U aux entiers dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 1er avril 2021, la société coopérative U Enseigne demande à la cour de :

« À titre principal :

Juger que le licenciement de Madame [U] est fondé sur une cause réelle et sérieuse;

Juger que Madame [U] n'apporte pas la preuve de faits laissant supposer qu'elle aurait subi un harcèlement moral ;

Juger que la relation de travail n'a pas été entachée par un harcèlement moral ;

Juger que Madame [U] était une cadre dirigeante, valablement assujettie au régime dérogatoire de durée du travail de l'article L. 3111-2 du code du travail ;

Débouter en conséquence Madame [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

À titre subsidiaire :

Si la cour d'appel estime devoir faire droit aux demandes au titre de rappel d'heures supplémentaires:

Juger prescrits les salaires antérieurs au 11 mai 2016,

Constater les incohérences et partant, l'absence de fiabilité du décompte horaire produit par Madame [U],

En conséquence, limiter la condamnation à de plus justes proportions, au besoin en enjoignant à Madame [U] de produire des justificatifs complémentaires des heures revendiquées.

En tout état de cause :

Condamner Madame [U] à verser à la société Coopérative U Enseigne la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

Condamner Madame [U] aux entiers dépens. »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 15 février 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties, auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le statut de cadre dirigeant, sur la convention de forfait jours

Par infirmation du jugement, Mme [U] soutient que :

- elle n'est pas cadre dirigeante et la convention de forfait jours stipulée dans son contrat de travail n'est pas valide ;

- les conditions pour qu'elle puisse être qualifiée de cadre dirigeant ne sont en aucun cas réunies : non seulement, elle ne remplit pas les trois critères légaux de l'article L3111-2 du code du travail mais en outre, elle n'a jamais participé à la direction de l'entreprise ;

- elle exerçait son activité sous l'autorité du directeur général délégué puis du directeur commercial, tous deux membres du comité de direction ; Elle avait donc deux niveaux de hiérarchie au-dessus d'elle ;

- du fait de la nouvelle organisation, son poste allait à l'avenir dépendre de la nouvelle directrice marketing digital ;

- elle n'a jamais fait partie du comité de direction (Codir) et n'a jamais pris des décisions stratégiques concernant la gestion de la société coopérative U Enseigne : elle était N-1 du Codir ;

- la société coopérative U Enseigne dispose d'un outil qui permet de valider les factures reçues directement par la direction administrative et financière, dénommé BASEWARE ; dans cet outil, la DAF envoie aux directeurs d'activités les factures reçues pour validation en vue du règlement ; pour les directeurs, non membre du Codir, l'outil prévoit une double validation du N+1 (membre du Codir) pour les factures supérieures à 15 K€ (pièce salarié n° 21) ;

- les dépenses inférieures à 15 € ne sauraient constituer « des décisions stratégiques concernant la gestion de la société » ;

- en outre, toutes les demandes d'ouverture de poste et de recrutement devaient être signées par un directeur membre du Codir lorsqu'il s'agissait d'un cadre (pièce salarié n° 22) :

- les véhicules de fonction, qui est un avantage en nature, donc une forme de rémunération, n'étaient pas les mêmes selon que le cadre était un directeur membre du Codir ou un N-1 du Codir comme elle (pièce salarié n° 23) ;

- il en était de même pour l'attribution des téléphones portables (pièce salarié n° 24)

- son emploi du temps n'était par ailleurs pas totalement libre ; elle devait par exemple prendre ses congés payés sous réserve de l'accord de la direction commerciale, ce qui est incompatible avec la grande liberté dont jouissent les cadres dirigeants dans la prise de leurs congés payés ;

- enfin et surtout, elle ne détenait ni délégation de pouvoir ni habilitation qui lui permettait de prendre des décisions de façon totalement autonome ; son contrat de travail d'origine avait bien prévu qu'elle signerait une délégation de pouvoir par acte séparé mais ladite délégation n'a jamais été signée ;

- elle ne jouissait ainsi en aucun cas des responsabilités, de l'indépendance et de l'autonomie attachées au statut de cadre dirigeant ;

- les griefs faits dans le cadre de son licenciement le confirment ;

- seuls les membres du Codir, peuvent en réalité être cadres dirigeants.

Par confirmation du jugement, la société coopérative U Enseigne soutient que Mme [U] est cadre dirigeante et que :

- Mme [U] a toujours travaillé sous ce statut, stipulé dans son contrat d'origine (article 5 du contrat) ;

- cadre de niveau 9, Mme [U] était à la tête d'une équipe de plus de cent personnes, percevait une rémunération annuelle d'environ 200 000 euros, parmi les plus élevées de l'entreprise ;

- Mme [U] disposait de la plus large autonomie d'organisation de son temps de travail et de budget, qui ont d'ailleurs conduit aux dysfonctionnements à l'origine de son licenciement ;

- les cadres relevant du niveau 9 sont des cadres dirigeants comme cela ressort de l'avenant 67 du 31 mai 2018 de la convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire sur les salaires minima garantis en 2018 ;

- Mme [U] ne peut valablement nier relever du niveau 9 alors que l'article 3 de l'avenant précise que la rémunération mensuelle moyenne d'un cadre de niveau 8 de plus de trois ans d'ancienneté ne peut être inférieure à 46 700 euros, soit une somme bien en deçà de son salaire ;

- le fait que les dépenses de plus de 15 000 € engagées au sein de sa direction aient dues être revalidées en interne ne témoignent en rien d'un manque d'autonomie de sa part, mais s'inscrivent dans le cadre de procédures internes et de contrôle comptable, de compliance et de lutte contre la corruption auxquels sont assujetties toutes les entreprises ;

- le budget alloué au service que Mme [U] dirigeait était de 16 millions d'euros ce qui prouve l'ampleur de ses responsabilités ;

- le fait que certaines dépenses de son service ont été jugées inappropriées et en totale inadéquation avec l'esprit général de probité et de transparence de la vie économique ne contredit pas son statut de cadre dirigeante ;

- le fait qu'elle doive prendre ses congés en concertation avec le Directeur Commercial ne prouve aucunement son absence de qualité de cadre dirigeante, dès lors qu'un cadre dirigeant, dont les décisions et la présence ont un impact sur la bonne marche de l'entreprise, doit harmoniser son temps de travail avec celui des autres cadres dirigeants ;

- Mme [U] confond à dessein autonomie et autarcie et le statut de cadre dirigeant n'implique pas que l'employeur renonce à son pouvoir de direction ;

- la qualité de cadre dirigeante de Mme [U] ne signifiait pas pour autant qu'elle doive se situer au niveau hiérarchique le plus élevé et qu'elle n'ait pas de supérieurs hiérarchiques ;

- comme le montre son agenda, Mme [U] participait aux Codir liés à ses domaines de compétences et à des réunions de Codir (par exemple les 20 janvier 2016, 30 janvier 2017, les 3, 4, 5 septembre 2019) et exerçait des fonctions de pilotage des projets marketing et expérience clients, en parfaite cohérence avec son poste et son statut de cadre dirigeant ; elle menait la réunion mensuelle avec l'agence de communication TBWA et insufflait la stratégie marketing générale de la société ;

- les différences de traitement en termes de voitures de fonction ou encore de téléphone mobile selon le niveau de responsabilité d'un cadre dirigeant sont normales ; au surplus, ces différences ne sauraient illustrer la présence ou l'absence des critères cumulatifs de définition du statut de cadre dirigeant ;

L'article L. 3111-2 du code du travail dispose « Les cadres dirigeants ne sont pas soumis aux dispositions des titres Il et III ;

Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement. »

Le contrat de travail de Mme [U] du 23 avril 2010 précise « 5 - Durée de travail ' Convention de forfait-jours : Eu égard à la nature de ses fonctions et du niveau de ses responsabilités, le salarié dispose d'une large indépendance dans l'organisation de son temps de travail. Le salarié n'est pas soumis à un horaire de travail déterminé.

Conformément à l'article L3111-2 du code du travail, le salarié n'est pas soumis aux dispositions des Titres I et II. »

L'avenant en date du 21 avril 2016 a modifié comme suit le contrat de travail de Mme [U] « 1- FONCTION

Le contrat de travail du salarié est désormais rédigé comme suit:

La fonction confiée au salarié est celle de Directeur Marketing et Expérience clients et correspond, aux termes de la classification professionnelle, à la position suivante :

Position: Cadre

Niveau: 9

2 - REMUNERATION

En contrepartie de ses services, le salarié percevra une rémunération mensuelle brute de 12 800 Euros, payable sur douze mois, incluant les congés payés.

Par ailleurs, le salarié pourra percevoir des primes et/ou intéressements propres à sa catégorie professionnelle. Cette rémunération est forfaitaire et indépendante du nombre d'heures de travail réellement effectuées. Elle rémunère la mission confiée au salarié dans la limite de 216 jours de travail par cycle complet de 12 mois d'activité.

3 - MAINTIEN DES AUTRES CLAUSES

Les autres clauses du contrat de travail du salarié, dûment modifié par les avenants successifs, demeurent inchangées. »

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [U] est mal fondée à contester son statut de cadre dirigeante au motif d'une part qu'il ressort de la convention collective que le niveau 9 est le niveau le plus élevé des cadres dans la classification des emplois qui mentionnent « Les fonctions de responsabilités majeures sont classées dans le niveau 9. Elles se caractérisent par la participation à la définition de la politique de l'entreprise » comme cela ressort de l'article 11 de l'annexe 3, que les cadres de niveau 9 sont des cadres dirigeants comme cela ressort des avenants n° 21 du 31 janvier 2008, n° 22 du 25 avril 2008 et n° 26 du 5 novembre 2008, et au motif d'autre part que sa classification contractuelle prévue tant dans son contrat de travail que dans l'avenant est cadre de niveau 9, que ses fonctions initiales de directeur filière textile puis de directeur marketing et expérience clients sont des fonctions de responsabilités majeures qui se caractérisent par la participation à la définition de la politique de l'entreprise, que sa rémunération de plus de 200 000 € par an correspond à la moyenne des 10 salaires les plus élevées de la société coopérative U Enseigne, qu'elle avait une centaine de salariés sous ses ordres, qu'elle pouvait engager des dépenses jusqu'à 15 000 €, qu'elle participait à des Codir, que sa « rémunération (était) forfaitaire et indépendante du nombre d'heures de travail réellement effectuées », que son contrat de travail stipule « Eu égard à la nature de ses fonctions et du niveau de ses responsabilités, le salarié dispose d'une large indépendance dans l'organisation de son temps de travail. Le salarié n'est pas soumis à un horaire de travail déterminé » et « Conformément à l'article L3111-2 du code du travail, le salarié n'est pas soumis aux dispositions des Titres I et II. », que ces différents éléments suffisent amplement à caractériser que Mme [U] était au sens de l'article L.3111-2 du code du travail, cadre dirigeant comme étant une cadre à laquelle étaient confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement étant précisé que la mention de « convention de forfait jours » dans le titre du point 5 de son contrat de travail est sans portée s'agissant simplement d'une partie du titre d'une section intitulée « 5 - Durée du travail ' Convention de forfait jours » dont le contenu matériel est étranger à une convention de forfait jours et qu'il en est de même de la mention de « 216 jours de travail » dans l'article 2 de l'avenant précité qui non seulement ne fait pas référence à une convention de forfait jours mais en outre ne peut être lu sans l'article 3 selon lequel « Les autres clauses du contrat de travail du salarié, dûment modifié par les avenants successifs, demeurent inchangées ».

C'est donc en vain que Mme [U] soutient qu'elle n'est pas cadre dirigeante, qu'elle ne jouissait pas des responsabilités, de l'indépendance et de l'autonomie attachées au statut de cadre dirigeant et que les conditions pour qu'elle puisse être qualifiée de cadre dirigeant ne sont en aucun cas réunies : non seulement, elle ne remplit pas les trois critères légaux de l'article L3111-2 du code du travail mais en outre, elle n'a jamais participé à la direction de l'entreprise ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés en ce qui concerne les moyens relatifs à la définition du cadre dirigeant comme cela a été jugé plus haut.

C'est aussi en vain que Mme [U] soutient qu'elle exerçait son activité sous l'autorité du Directeur Général Délégué puis du Directeur Commercial, tous deux membres du Comité de Direction ; qu'elle avait donc deux niveaux de hiérarchie au-dessus d'elle ; que du fait de la nouvelle organisation, son poste allait à l'avenir dépendre de la nouvelle Directrice marketing Digital ; qu'elle n'a jamais fait partie du Comité de Direction (Codir) et n'a jamais pris des décisions stratégiques concernant la gestion de la société coopérative U Enseigne : elle était N-1 du Codir ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif d'une part qu'un cadre dirigeant peut avoir des supérieurs hiérarchiques sans pour autant perdre son statut de cadre dirigeant comme c'est le cas de Mme [U] et au motif d'autre part qu'il n'est pas obligatoire qu'un cadre dirigeant soit membre statutaire du Codir dès lors qu'il participe aux réunions stratégiques portant sur les sujets relevant de son périmètre comme c'était le cas de Mme [U].

C'est encore en vain que Mme [U] soutient que la société coopérative U Enseigne dispose d'un outil qui permet de valider les factures reçues directement par la Direction administrative et financière, dénommé BASEWARE ; que dans cet outil, la DAF envoie aux directeurs d'activités les factures reçues pour validation en vue du règlement ; pour les directeurs, non membre du Codir, l'outil prévoit une double validation du N+1 (membre du Codir) pour les factures supérieures à 15 K€ (pièce salarié n° 21) ; et que les dépenses inférieures à 15 € ne sauraient constituer « des décisions stratégiques concernant la gestion de la société » ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif d'une part qu'un cadre dirigeant peut avoir des limites dans ses prérogatives dès lors que l'existence de procédure de contrôle interne est inhérente à toute organisation responsable étant ajouté que la limitation à 15 000 € de son pouvoir d'engagement sans contrôle a priori ne saurait exclure en soi le statut de cadre dirigeant contractuellement défini.

C'est toujours en vain que Mme [U] soutient que toutes les demandes d'ouverture de poste et de recrutement devaient être signées par un directeur membre du Codir lorsqu'il s'agissait d'un cadre (pièce salarié n° 22) en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondés au motif qu'un cadre dirigeant peut avoir des limites dans ses prérogatives dès lors que l'existence de procédure de contrôle interne est inhérente à toute organisation responsable étant ajouté que la limitation à son pouvoir de recruter des cadres ne saurait exclure en soi le statut de cadre dirigeant contractuellement défini.

C'est par ailleurs en vain que Mme [U] soutient que les véhicules de fonction, qui est un avantage en nature, donc une forme de rémunération, n'étaient pas les mêmes selon que le cadre était un directeur membre du Codir ou un N-1 du Codir comme elle (pièce salarié n° 23) et qu'il en était de même pour l'attribution des téléphones portables (pièce salarié n° 24) ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif que les différences de traitement en termes de voitures de fonction ou encore de téléphone mobile selon le niveau de responsabilité d'un cadre dirigeant sont étrangers à la définition du statut de cadre dirigeant.

C'est encore en vain que Mme [U] soutient que son emploi du temps n'était par ailleurs pas totalement libre et qu'elle devait par exemple prendre ses congés payés sous réserve de l'accord de la direction commerciale, ce qui est incompatible avec la grande liberté dont jouissent les cadres dirigeants dans la prise de leurs congés payés ; en effet, la cour retient que ce moyen est mal fondé au motif que le fait que Mme [U] doive prendre ses congés en concertation avec le directeur commercial ne prouve aucunement son absence de qualité de cadre dirigeante, dès lors qu'il peut être attendu d'un cadre dirigeant, dont les décisions et la présence ont un impact sur la bonne marche de l'entreprise, qu'il harmonise ses congés avec ceux des autres cadres dirigeants.

C'est enfin en vain que Mme [U] soutient qu'elle ne détenait ni délégation de pouvoir ni habilitation qui lui permettait de prendre des décisions de façon totalement autonome ; que son contrat de travail d'origine avait bien prévu qu'elle signerait une délégation de pouvoir par acte séparé mais ladite délégation n'a jamais été signée, que les griefs faits dans le cadre de son licenciement le confirment et que seuls les membres du Codir, peuvent en réalité être cadres dirigeants ; en effet, la cour retient que ces moyens sont mal fondés au motif d'une part que l'existence d'une délégation de pouvoir n'est pas une condition déterminante du statut de cadre dirigeant, au motif d'autre part que son licenciement qui est la manifestation du pouvoir de sanction de l'employeur ne saurait contredire en soi l'existence du statut de cadre dirigeant de Mme [U] et au motif enfin qu'un cadre dirigeant n'est pas obligatoirement membre du Codir.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a dit que Mme [U] est cadre dirigeante et par voie de conséquence en ce qu'il a rejeté les demandes formées sur le fondement des heures supplémentaires, des contreparties obligatoires en repos, du travail dissimulé, du non-respect des temps de repos et de l'amplitude horaire maximale.

Sur le harcèlement moral

Mme [U] demande par infirmation du jugement à la cour de lui allouer la somme de 15 000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de dire que son licenciement est à titre principal nul du fait du harcèlement moral qu'elle a subi ; la société coopérative U Enseigne s'oppose à ces demandes.

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [U] invoque les faits suivants :

- les difficultés dans la relation de travail sont survenues à l'arrivée, au mois de juin 2018, du nouveau directeur général délégué, M. [M] ;

- il remet en cause toutes ses initiatives et de façon générale tout son travail ;

- il la dénigre auprès des associés et de façon générale auprès des équipes ;

- au mois d'octobre 2018, il a annoncé à l'ensemble des équipes une complète réorganisation des services, et en particulier la création d'un poste de directrice marketing et digitale qui allait donc la superviser et il a annoncé qu'un recrutement externe était en cours à cet effet (pièce salarié n° 2) ;

- elle n'a même pas pu postuler à ce poste contrairement à ce qui avait été prévu avec la précédente direction ;

- cette création de poste jetait un grave discrédit sur son travail et sur celui de ses équipes et remettait en cause complètement la stratégie que l'entreprise lui avait pourtant jusque-là demandé de mettre en place, et allait complètement vider son poste de toute sa substance ;

- M. [M] l'a ainsi très rapidement écartée de certaines réunions structurantes, l'a régulièrement et sciemment court-circuitée auprès de ses équipes la discréditant ainsi complètement et ne lui permettant plus d'assumer ses missions ;

- elle a vainement signalé la situation à M. [S] par courrier électronique du 15 novembre 2018 (pièce salarié n° 37) ;

- elle a d'ailleurs très rapidement perdu de nombreuses prérogatives et son poste a finalement perdu tout son intérêt ;

- la réorganisation mise en place en septembre 2018 lui avait en effet retiré le marketing points de vente, et les effectifs qui lui étaient rattachés sont passés de 91 collaborateurs en 2017 à 77 en 2018 (pièce employeur n° 14) ;

- M. [M] s'adressait à elle de manière très agressive, directive et méprisante et tenant à son égard des propos extrêmement vexatoires et diffamatoires (pièces salarié n° 29 à 31) ;

- M. [M] a annoncé son départ avant même l'engagement de la procédure de licenciement, ce qui l'a discréditée (pièces salarié n° 32 et 34) ;

- début décembre 2018, M. [M] l'a privée d'une prime qu'il avait décidé de verser à l'ensemble des équipes, au motif qu'elle était « sur le départ » ;

- cette situation l'a faite souffrir psychologiquement d'autant plus qu'elle avait toujours fait preuve d'un dévouement absolu pour l'entreprise, travaillant nuit et jours, pendant ses congés ;

- par différents courriels et une lettre de son conseil, envoyés entre novembre 2018 et janvier 2019, elle a vainement dénoncé le harcèlement moral qu'elle subissait de la part de M. [M] (pièces salarié n° 37, 7, 8, 12 et 15).

Mme [U] présente ainsi des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

En défense, la société coopérative U Enseigne fait valoir :

- Mme [U] n'établit nullement de faits permettant de laisser supposer l'existence d'un harcèlement moral ;

- tous les faits qu'elle vise résultent de l'exercice d'un pouvoir de direction normal de l'employeur, lequel doit en l'occurrence être apprécié in concreto s'agissant d'une salariée cadre dirigeante ;

- l'employeur apporte en revanche la preuve de l'absence de tout agissement pouvant être qualifié de harcèlement moral ;

- elle n'évoque pas des faits de harcèlement dans les courriers électroniques qu'elle invoque au titre de la dénonciation des faits (pièces adverses n° 7,8 et n° 37) ;

- les échanges survenus dans le cadre de la négociation de son départ de l'entreprise, ne font qu'acter son désaccord avec M. [M] quant à sa stratégie (pièces adverses n° 8, 12 et 15) ;

- « Mme [U] invoque notamment des courriels un peu brusques de M. [M], censés illustrer le fait que l'arrivée de celui-ci aurait eu un effet négatif sur ses conditions de travail ou dégradé sa santé. Or (...) M. [M] a pu se permettre ce ton direct précisément parce qu'il s'adressait à une cadre dirigeante, partie prenante avec lui (ou censée l'être) de la pérennité des projets mis en 'uvre. Dès lors, il ne s'embarrassait pas de formules de politesse ou courtoises ' ce qui constitue certes une maladresse, mais en aucun cas une forme de harcèlement moral. Mme [U] compare cette forme d'impolitesse, cette façon peu « aimable » de s'exprimer - de rudesse que l'intimée ne nie pas -, à une attitude « dénigrante et méprisante », laquelle serait constitutive d'un harcèlement. Or, s'il ne s'agit évidemment pas ici de justifier la moindre incorrection, il ne faut pas pour autant tout confondre ! » (sic) ;

- ses prétendues illustrations d'un dénigrement n'étaient autres que le constat de ses manquements ;

- les échanges entre M. [M] et Mme [U] ne sauraient établir l'existence de propos vexatoires ou diffamatoires tenus à l'égard de cette dernière ;

- les rapports entre M. [M] et Mme [U] étaient amiables et seul le déclenchement d'une procédure de licenciement a soudain justifié l'invocation de faits de harcèlement, sachant que si lesdits pourparlers n'ont pu aboutir favorablement, c'est en raison de ses prétentions démesurées (pièce adverse n° 12)

- Mme [U] n'a nullement été écartée des échanges au sujet du projet MACDA, comme elle le prétend dans ses écritures et dans le courrier de son conseil ; mais au regard des conclusions alarmistes du rapport d'audit du cabinet de consulting, M. [M] n'a eu d'autre choix que de mettre en 'uvre, dans l'urgence, les préconisations du consultant, d'organiser une cellule de crise pour sauver le plan MACDA et de recruter une Directrice Marketing Digitale à même de rattraper le retard et de répondre aux enjeux de développement digital de l'entreprise ; cette nécessité de réorganisation, justifiée par le caractère critique du projet, ne saurait sérieusement s'interpréter comme constitutive du moindre harcèlement à l'encontre de Mme [U] ;

- le non-versement d'une prime - discrétionnaire ' à Mme [U] était, là encore, totalement justifié par ses manquements ;

- Mme [U] ne peut soutenir que son périmètre allait être réduit par une réorganisation mise en place en septembre 2018 (pièce employeur n° 14) ; cette réorganisation annoncée n'était pas encore à l''uvre et, en tout état de cause, elle ne saurait caractériser un quelconque harcèlement exercé à son encontre ;

- le fait que M. [M] a annoncé son départ ne saurait aucunement constituer un fait de harcèlement pour « la pousser à partir », alors qu'elle négociait elle-même son départ.

La cour constate que Mme [U] établit que M. [M] a adressé à Mme [U] des courriers électroniques autoritaires, humiliants et vexants comme cela ressort des courriers électroniques échangés en septembre 2018 au sujet de l'audit (« En synthèse, on arrête la paranoïa, ce n'est pas un audit à charge. Clair ' [K]. »), en octobre 2018 au sujet du team building en Italie (« Franchement, ['] je suis assez choqué que l'on puisse valider d'envoyer des équipes de permanents faire du teambuilding deux jours à l'étranger ['] ' et je ne suis sûrement pas au bout de mes découvertes. », « Faut vraiment manquer de discernement pour avoir ce genre d'initiative. », « Dans la même veine, quelle est cette histoire de dîner des files Marketing du 27/11'... un dîner avec toutes les files Marketing, permanents et associés....Pour fêter quoi d'ailleurs' » «- en plus, radio moquette me dit que ce serait un dîner sur un bateau ('!'!'!). » ) et en novembre 2018 au sujet de LSA (« Il est absolument inacceptable que vous répondiez à des sollicitations de journalistes. Toute prise de parole externe passe par la validation de [X] [O]. C'est du B-A-BA ! Je ne peux croire que tu ne le saches. Cet amateurisme nous met en porte-à-faux vis-à-vis de nos associés, de certains de nos collègues et de nos autres partenaires mobilisés sur le projet. » (pièces salarié n° 29 à 31) et qu'il a annoncé en décembre 2018 et en début janvier 2019 le départ de Mme [U] avant même l'engagement de la procédure de licenciement, ce qui a suscité des interrogations (pièces salarié n° 32 et 34).

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que la société coopérative U Enseigne échoue à démontrer que ces faits matériellement établis par Mme [U] relativement aux courriers électroniques autoritaires, humiliants et vexants que M. [M] lui a adressés en septembre, octobre et novembre 2018 et à l'annonce indélicate de son départ en décembre 2018 et en début janvier 2019 avant même l'engagement de la procédure de licenciement, ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement ou qu'ils sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le harcèlement moral est donc établi.

En application de l'article L.1152-3 du code du travail, le licenciement intervenu dans ce contexte est nul.

Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus, compte tenu du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu'il a eu pour Mme [U], que l'indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 5 000 euros.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a débouté Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande de nullité de son licenciement et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral et dit que le licenciement de Mme [U] est nul.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement nul

Mme [U] demande par infirmation du jugement la somme de 758 762,16 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul. La société coopérative U Enseigne s'oppose à cette demande.

Tout salarié victime d'un licenciement nul qui ne réclame pas sa réintégration à droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part, aux indemnités de rupture, d'autre part, une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à six mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de Mme [U], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de Mme [U] doit être évaluée à la somme de 100 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 99 969,24 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.

Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire

Mme [U] demande par infirmation du jugement la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire étant précisé que le conseil de prud'hommes a retenu une somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ; elle fait valoir que :

- le 24 janvier 2019, après près de 9 années de bons et loyaux services, elle a été mise à pied à titre conservatoire et son employeur lui a demandé de quitter l'entreprise sur le champ, arguant d'une prétendue gravité des faits ;

- en l'espèce, rien ne justifiait une telle mise à pied et d'ailleurs elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse ;

- outre la brutalité de la procédure de licenciement, l'employeur n'a pas hésité à rendre publique sa décision de licenciement avant même l'entretien préalable puis à couper ses accès informatiques dès le lendemain de sa mise à pied.

En défense, la société coopérative U Enseigne s'oppose par infirmation du jugement aussi, à cette demande ; Mme [U] a été payée pendant son préavis de 3 mois dont elle a été dispensée de l'exécution, et seules des rumeurs sur son départ ont pu courir, puisque Mme [U] avait elle-même entamé des négociations avec la DRH et le directeur délégué général de l'entreprise aux fins de rupture de son contrat de travail.

En application des dispositions de l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver les faits nécessaires au succès de sa prétention, en particulier l'existence d'un fait générateur de responsabilité, du préjudice en découlant et donc d'un lien de causalité entre le préjudice et la faute.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [U] est mal fondée dans cette demande au motif qu'elle ne justifie d'aucun préjudice distinct de celui résultant de la rupture de son contrat étant ajouté que Mme [U] n'articule dans ses conclusions aucun moyen permettant de caractériser dans son quantum et dans son principe son préjudice.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.

Sur le solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement

Mme [U] demande par confirmation du jugement la somme de 719,96 euros au titre du reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement ; la société coopérative U Enseigne ne fait pas valoir de moyens de contestation de cette demande ni dans son principe ni dans son quantum.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [U] est bien fondée dans cette demande non utilement contestée.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a condamné la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 719,96 euros au titre du reliquat d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur la prime exceptionnelle de décembre 2018

Mme [U] demande par infirmation du jugement la somme brute de 67.249,16 euros outre les congés payés y afférents, soit 6.724,91 euros au titre de la prime exceptionnelle de décembre 2018 ; elle fait valoir que :

- tous les autres salariés de son équipe ont eu cette prime de 1 à 1,5 mois de salaires pour 10 collaborateurs et de 2 mois de salaires pour sa collaboratrice directe ;

- le refus de la lui accorder est discriminatoire.

En défense et par confirmation du jugement, la société coopérative U Enseigne s'oppose à cette demande et soutient que :

- le non-versement d'une prime exceptionnelle - discrétionnaire, tant dans son montant que dans son principe - était justifié par les manquements de Mme [U] ;

- le caractère discrétionnaire de cette prime fait qu'elle n'était pas un dû.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [U] est mal fondée dans sa demande au motif d'une part que la prime litigieuse n'est pas une prime obligatoire pour l'employeur ni en vertu d'une convention ou d'un accord collectif, ni du contrat de travail, ni d'un usage ou d'un engagement unilatéral de sa part en sorte que la société coopérative U Enseigne pouvait décider de son opportunité et de son montant comme elle l'a fait en l'accordant à certains salariés rattachés à Mme [U] et non à tous et pour des montants différents et au motif d'autre part si Mme [U] soutient que le refus de la lui accorder est discriminatoire, elle n'invoque pas de fait discriminatoire en sorte qu'il s'agit d'un moyen qui manque en fait ; en outre, elle ne peut utilement soutenir qu'elle est la seule à ne pas avoir perçu cette prime alors même qu'elle mentionne que 11 salariés l'ont reçue et que par ailleurs elle indique avoir des dizaines de salariés sous ses ordres, 77 en 2018 selon ses propres indications, ce dont il ressort que cette prime exceptionnelle n'a été accordée qu'à 11 personnes et non à tous les salariés et pour des montants variables de surcroît.

Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [U] de sa demande formée au titre de la prime exceptionnelle.

Sur la prime annuelle sur objectifs

Mme [U] demande par confirmation du jugement la somme brute de 8.320 euros bruts au titre de la prime sur objectif 2019 proratisée ; elle fait valoir que :

- elle a toujours eu des objectifs et une prime sur objectifs ;

- il ne lui a pas été fixé d'objectifs pour 2019 ;

- sa prime sur objectifs s'élevait en dernier lieu à la somme de 24 960 euros bruts ;

- elle a droit au versement de la prime sur objectif au titre de l'année 2019, au prorata de son temps de présence, soit la somme de 8 320 euros bruts (24 960 euros bruts x 4/12),

En défense, la société coopérative U Enseigne s'oppose à cette demande et soutient que :

- la prime sur objectifs perçue par Mme [U] avait un caractère discrétionnaire, tant dans son montant que dans son principe ;

- Mme [U] ne peut se prévaloir d'aucune réalisation au titre de l'année 2019 puisque son dernier jour travaillé fut le 24 janvier 2019 ;

La cour constate que le conseil de prud'hommes qui a retenu le bien fondé de cette demande a omis de mentionner dans le dispositif du jugement la condamnation à payer la somme de 8.320 euros bruts au titre de la prime sur objectif 2019 proratisée.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [U] est mal fondée dans sa demande au motif qu'elle ne justifie pas ni même ne soutient que cette prime sur objectifs était contractuelle ou qu'elle constituait un usage du fait qu'elle présente les caractères cumulatifs de constance, de généralité et de fixité.

Ajoutant, la cour déboute Mme [U] de sa demande formée au titre de la prime sur objectif 2019 proratisée.

Sur l'application de l'article L.1235-4 du code du travail

L'article L.1235-4 du code du travail dispose « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. ».

Le licenciement de Mme [U] ayant été jugé sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu à l'application de l'article L.1235-4 du Code du travail ; en conséquence la cour ordonne le remboursement par la société coopérative U Enseigne aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [U], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Sur les autres demandes

Les dommages et intérêts alloués seront assortis d'intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts est de droit, dès lors qu'elle est demandée et s'opérera par année entière en vertu de l'article 1343-2 du code civil.

La cour condamne la société coopérative U Enseigne aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles de la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant nécessairement des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a

- débouté Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et de sa demande de nullité de son licenciement ;

- condamné la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 99 969,24 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- condamné la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

CONDAMNE la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

DIT que le licenciement de Mme [U] est nul ;

CONDAMNE la société coopérative U Enseigne à payer à Mme [U] la somme de 100 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

DÉBOUTE Mme [U] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Ajoutant,

DÉBOUTE Mme [U] de sa demande formée au titre de la prime sur objectif 2019 proratisée ;

ORDONNE le remboursement par la société coopérative U Enseigne aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [U], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

DÉBOUTE la société coopérative U Enseigne et Mme [U] de leurs demandes antagonistes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

CONDAMNE la société coopérative U Enseigne aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/06621
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;20.06621 ?
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