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01/03/2023 | FRANCE | N°20/06513

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 6, 01 mars 2023, 20/06513


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 6



ARRET DU 01 MARS 2023



(n° 2022/ , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06513 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCOTU



Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mai 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 14/13424





APPELANTE



Société ASSOCIATED PRESS LIMITED

[Adresse 1]

[Localité 3]


r>Représentée par Me Marine GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : R235





INTIMÉE



Madame [F] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]



Représentée par Me Jean-François LOUIS, avocat au barreau...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 6

ARRET DU 01 MARS 2023

(n° 2022/ , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06513 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCOTU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 29 Mai 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 14/13424

APPELANTE

Société ASSOCIATED PRESS LIMITED

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Marine GICQUEL, avocat au barreau de PARIS, toque : R235

INTIMÉE

Madame [F] [J]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-François LOUIS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0452

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 03 janvier 2023 , en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre

Madame Nadège BOSSARD, Conseillère

Monsieur Stéphane THERME, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

La société Associated Press Limited, qui est une société de droit étranger, a employé Mme [F] [J], née en 1968, par contrat de travail à durée déterminée à compter du 14 janvier 1990 en qualité de journaliste ; la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 14 juin 1991.

Le salaire de référence de Mme [J] s'élevait en dernier lieu à 4.797,42 € bruts mensuels.

La société Associated Press Limited est une agence de presse mondiale, constituée sous la forme d'une coopérative.

Le contrat de travail était soumis au droit français, ainsi qu'à la convention collective nationale des journalistes.

Jusqu'en juillet 2012, l'activité de la société Associated Press Limited en France était scindée en trois services autonomes :

- le Service Photo (« Photo Desk ») regroupant des photographes locaux pour produire des photos d'actualité susceptibles d'intéresser un public international ;

- le Service International (« I Desk ») regroupant des correspondants anglophones qui, par leurs propres moyens, collectent, écrivent et mettent en forme, en langue anglaise, les informations provenant de France et d'Afrique du Nord susceptibles d'intéresser le public américain et international ;

- le Service Français dans lequel Mme [J] travaillait, qui opérait comme une agence de presse.

Entre 2007 et 2010, huit projets d'acquisition du Service Français par une entreprise extérieure sont survenus et ont été mis en échec malgré la volonté de réorganisation de l'entreprise de la société Associated Press Limited.

Face à ces échecs successifs de projets de cession du Service Français, la société Associated Press Limited a lancé en novembre 2009 une procédure d'information/consultation sur un projet de cessation des activités et de fermeture du Service Français s'accompagnant du licenciement collectif de l'ensemble des salariés y étant rattachés.

Tout en poursuivant l'élaboration de son nouveau plan de réorganisation et de PSE en résultant, la société Associated Press Limited était de nouveau approchée par la société DAPD au printemps 2011 dans le cadre du lancement de leur agence de presse globale, et cédait le 12 juillet 2012 le Service Français à la société DAPD étant précisé que cette cession obtenait le soutien des salariés du Service Français.

Un accord de cession de fonds de commerce était signé le 12 juillet 2012 entre la société Associated Press Limited et la société FLS French Language Service Limited emportant transfert en application de l'article L. 1224-1 du Code du travail des contrats de travail des salariés attachés au Service Français.

Cet accord s'insérait dans le cadre d'un accord plus large entre la société Associated Press Limited, la société FLS (French Language Service) Limited et la société DAPD News Wire Services AG (intervenant en qualité de garantie).

Le 11 juillet 2012, AP Paris sollicitait l'autorisation du transfert du contrat de travail des salariés investis d'un mandat représentatif et affectés au Service Français, dont celui de Mme [J]. A l'exception de Mme [J] qui se trouvait en arrêt maladie, le transfert était autorisé.

Plus exactement si l'Inspecteur du travail n'a pas répondu dans le strict délai de deux mois, le transfert de Mme [J] a finalement été expressément autorisé par décision du 12 octobre 2012 (pièce employeur n° 80) ; Mme [J] a fait appel de cette décision devant le ministre du travail, qui, le 16 avril 2013, ne s'est pas prononcé sur le bien-fondé du transfert, mais s'est déclaré incompétent dans la mesure où Mme [J] ne pouvait être considérée comme une salarié protégée du fait de l'absence de tout membre élu pour le CFE-CGC aux dernières élections du comité d'entreprise et de l'absence de nouvelle désignation de Mme [J] en qualité de déléguée syndicale et représentante syndicale CFE-CGC au comité d'entreprise suite à ces nouvelles élections.

En conséquence, les parties étant replacées dans la situation antérieure, le contrat de travail de Mme [J] a été transféré de plein droit au titre de l'article L. 1224-1 du Code du travail sans que cela ne nécessite aucune autorisation de l'Inspection du travail ni aucune notification particulière.

Le 2 octobre 2012, les deux sociétés constituant l'agence de presse DAPD en Allemagne déposaient le bilan, deux jours plus tard six autres filiales du groupe DAPD en Allemagne déposaient le bilan. Ce dépôt de bilan entraînait le licenciement de plus de 400 salariés journalistes en Allemagne et conduisait la société FLS Limited à déposer le 22 novembre 2012 au greffe du tribunal de commerce de Paris une déclaration de cessation des paiements aux fins d'une ouverture de liquidation judiciaire. La liquidation judiciaire de la société FLS Limited prononcée le 6 décembre 2012 entraînait le licenciement pour motif économique de l'ensemble des journalistes qui étaient alors salariés de la société FLS Limited, en ce compris les anciens salariés du Service Français qui avaient été transférés.

Aux termes d'une plainte avec constitution de partie civile déposée le 12 juillet 2012, le CHSCT de la société Associated Press Limited et le Syndicat national des journalistes, suivis par 12 salariés dont Mme [J], portaient plainte contre X pour dégradation des conditions de travail pouvant porter atteinte aux droits, à la dignité, à la santé ou à l'avenir professionnel d'autrui.

Le 7 octobre 2015 une ordonnance de non-lieu était rendue qui relevait notamment « En l'espèce, les investigations nombreuses et poussées n'ont pas permis d'établir que la situation délétère au sein d'AP a été volontairement créée par la direction dans le but de faire accepter par les salariés une reprise qui devait en fait aboutir à une liquidation permettant ainsi à ASSOCIATED PRESS de ne pas prendre en charge le coût des licenciements. Les échecs des nombreuses tentatives de cession antérieures à celle-ci tendent à démontrer que la situation de ce service était objectivement difficile ».

Mme [J], qui avait été transférée au sein la société FLS Limited, a fait l'objet d'un licenciement par son liquidateur le 20 décembre 2012.

Mme [J] a entre-temps demandé sa réintégration au sein de la société Associated Press Limited à compter de mai 2013, et jusqu'en mars 2014.

Contestant la légitimité du transfert du contrat de travail et réclamant diverses sommes, Mme [J] a saisi le 22 octobre 2014 le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 29 mai 2020 auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a rendu en formation de départage la décision suivante :

« Condamne la société Associated Press à payer à Madame [J] les sommes suivantes :

- 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi

- 66 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement, montant qui n'a pas pu être versé par les AGS,

- 11 390,87 euros à titre de rappel de salaire et 1 139,08 euros au titre des congés payés y afférents,

- 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Prononce l'exécution provisoire de la décision ;

Déboute Madame [J] du surplus de ses demandes ;

Condamne la société Associated Press aux entiers dépens de l'instance. »

Les premiers juges ont ainsi rejeté les moyens relatifs au harcèlement moral et au manquement à l'obligation de sécurité de résultat et les moyens relatifs au caractère frauduleux du transfert des contrats de travail et ont ensuite retenu les motifs suivants relatifs à l'obligation d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail et au rappel de salaire, dans les termes suivants :

« Étant rappelé qu'il est de principe que le transfert d'un salarié protégé compris dans un transfert partiel d'entreprise ou établissement par l'application de l'article L 1224-1 du Code du travail ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspection du travail, et force étant de relever en l'espèce à la lecture des décisions administratives successivement rendues dans le dossier qu'alors que suivant décision du 12 octobre 2012, l'inspecteur du travail avait retiré la décision implicite de rejet de la demande née le 13 septembre 2012 et avait accordé l'autorisation de transfert du contrat de travail de Madame [F] [J], le Ministre du travail, de l'emploi de la formation professionnelle et du dialogue social a, selon décision du 16 avril 2013, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 12 octobre 2012 et dit que la décision implicite de rejet de la demande née le 13 septembre 2012 était confirmée, ladite décision d'annulation par le Ministre du travail d'une autorisation de l'inspecteur du travail emportant nécessairement droit à réintégration dans l'entreprise d'origine au profit de la salariée (ainsi que cela a d'ailleurs été confirmé à l'intéressée par les services du ministère le 18 octobre 2013), réintégration expressément sollicitée par la demanderesse dès le 18 mai 2013 il apparaît que le juge judiciaire ne peut aucunement remettre en cause cette dernière décision au motif, comme le soutient la société défenderesse. que la salariée ferait une interprétation très extensive de la décision du Ministre du travail alors que celui-ci conclut à l'absence de qualité de salariée protégée de l'intéressée et à l'incompétence de l'inspection du travail, la société ASSOCIATED PRESS LIMITED, qui s'est abstenue de former un recours contentieux à l'encontre de la décision litigieuse du 16 avril 2013, ne pouvant ainsi sérieusement prétendre que le contrat de travail doit donc être considéré comme ayant été transféré de plein droit en même temps que celui des salariés ordinaires sans qu'aucune formalité ou notification quelconque soit nécessaire, une telle solution apparaissant en contradiction avec les termes mêmes de l'article 2 de la décision précitée qui dispose expressément que la décision implicite de rejet du transfert est confirmée.

Par conséquent, la société ASSOCIATED PRESS LIMITED ayant refusé à plusieurs reprises de faire droit à la demande réitérée de Madame [F] [J] aux fins d'obtenir sa réintégration dans son emploi dans un emploi similaire, il apparaît que l'employeur a ainsi manqué à son obligation d'exécution loyale et de bonne foi du contrat de travail telle qu'elle résulte des dispositions de l'article L 1222-1 du Code du travail, Madame [F] [J] devant dès lors se voir accorder en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi, et ce eu égard notamment à son ancienneté, son âge ainsi qu'à sa situation personnelle et professionnelle, une somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts, l'intéressée, dont l'indemnité conventionnelle de licenciement a été fixée par la commission arbitrale des journalistes à la somme totale de 125 000 € outre 2 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, et qui n'a perçu que la somme de 66 366,64 € prise en charge par l'AGS dans le cadre de la liquidation, étant en outre en droit d'obtenir en conséquence du manquement commis par la société défenderesse dans l'exécution du contrat de travail l'ayant privée de la possibilité de percevoir la totalité de ses indemnités de rupture, la somme de 60 633,36 € à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Enfin, en application des dispositions de l'article 36 de la convention collective nationale des journalistes, Madame [F] [J] n'ayant pas été réglée de l'intégralité des sommes lui revenant de ce chef eu égard au fait qu'en cas d'arrêt ininterrompu pendant la période de rémunération à demi-tarif, les réductions ne pourront être opérées que dans la limite où le demi-salaire et les prestations dépasseront le salaire de l'intéressé étant observé que la défenderesse, qui se borne à nouveau à indiquer que la salariée procède à une interprétation extensive et erronée de l'article précité et à critiquer le mode de calcul fantaisiste retenu par la salariée, s'abstient de proposer un calcul alternatif de ce chef, il convient d'accorder à Madame [F] [J] un rappel de salaire d'un montant de 11 390,87 € outre 1 139,08 € au titre des congés payés y afférents. »

La société Associated Press Limited a relevé appel de ce jugement par déclaration du 7 octobre 2020.

La constitution d'intimée de Mme [J] a été transmise par voie électronique le 22 décembre 2020.

L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 8 novembre 2022.

L'affaire a été appelée à l'audience du 3 janvier 2023.

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 7 novembre 2022, la société Associated Press Limited demande à la cour de :

« - Annuler, infirmer ou à tout le moins réformer le jugement de la Section départage du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 29 mai 2020 en ce qu'il a :

- Condamné la société Associated Press à payer à Madame [J] les sommes suivantes :

* 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi

* 66 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement, montant qui n'a pas pu être versé par les AGS,

* 11 390,87 euros à titre de rappel de salaire et 1 139,08 euros au titre des congés payés y afférents,

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- Prononcé l'exécution provisoire de la décision.

Confirmer le jugement de la Section départage du Conseil de prud'hommes de Paris en date du 29 mai 2020 pour le surplus ;

Statuant à nouveau,

Débouter Madame [J] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

Condamner Madame [J] à payer à la société Associated Press la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamner Madame [J] aux entiers dépens. »

Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 4 novembre 2022, Mme [J] demande à la cour de :

« Confirmer le jugement déféré à la Cour, sur le principe, en ce qu'il a retenu que ASSOCIATED PRESS a commis une faute en refusant la réintégration de Madame [F] [J] et qu'il lui a causé un préjudice résultant de la perte de son emploi ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné ASSOCIATED PRESS à payer à Madame [F] [J] une somme de 60 633,36 € à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné ASSOCIATED PRESS à payer à Madame [F] [J] une somme de 11 390,87 € à titre de rappel de salaire, et une somme de 1 139,08 € au titre des congés payés afférents ;

Confirmer le jugement en ce qu'il a condamné ASSOCIATED PRESS à payer à Madame [F] [J] une somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Recevoir Madame [F] [J] en son appel incident, et y faisant droit :

Constater qu'en plus d'avoir refusé fautivement la réintégration de Madame [J], ASSOCIATED PRESS LIMITED a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail loyalement et de bonne foi, et qu'elle a commis une fraude aux droits de Madame [J] en la transférant vers la société FLS LTD au lieu de mettre en place un Plan de Sauvegarde de l'Emploi.

En conséquence,

Infirmer sur le quantum la condamnation d'ASSOCIATED PRESS à payer des dommages et intérêts à Madame [J] en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi et condamner ASSOCIATED PRESS à payer à Madame [J] une somme de 115 138,08 €.

Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Madame [F] [J] de sa demande tendant à voir constater que ASSOCIATED PRESS LIMITED a manqué à son obligation de sécurité de résultat et à son obligation de prévenir et de remédier à la situation de harcèlement moral et de risque psychosocial avéré existant dans son bureau parisien entre 2007 et 2012.

Constater que ASSOCIATED PRESS a manqué à cette obligation et que cette faute a causé un grave préjudice à Madame [J].

Condamner en conséquence ASSOCIATED PRESS à payer à Madame [J] une somme complémentaire de 115 138,08 € à titre de dommages et intérêts en réparation de ce préjudice.

Dire que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter du jour de la convocation devant le Bureau de conciliation.

Condamner ASSOCIATED PRESS aux dépens de l'instance.

Condamner ASSOCIATED PRESS à payer à Madame [F] [J] une somme de 5 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. »

Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le président rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 1er mars 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)

MOTIFS

Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquels il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.

Sur le moyen tiré de la fraude dans le transfert du contrat de travail et le refus de réintégration,

Mme [J] demande par infirmation du jugement la somme de 115 138,08 € euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de son emploi. la société Associated Press Limited s'oppose à cette demande.

Mme [J] demande :

- par confirmation du jugement qu'il soit retenu que la société Associated Press Limited a commis une faute en refusant sa réintégration et a manqué à son obligation d'exécuter le contrat de travail loyalement et de bonne foi,

- par infirmation du jugement, que la société Associated Press Limited a commis une fraude en transférant son contrat de travail à la société FLS Limited au lieu de mettre en place un PSE ;

- par infirmation du jugement sur le quantum, qu'une somme de 115 138,08 € lui soit allouée à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi (au lieu de la somme de 50 000 euros retenue par le conseil de prud'hommes) ;

Mme [J] fait valoir que :

- le caractère frauduleux du transfert des contrats de travail des salariés du Service Français à la société FLS Limited a été retenu par la cour d'appel de Paris dans ses arrêts du 9 décembre 2020 ;

- le transfert de son contrat de travail à la société FLS Limited a été mis en 'uvre le 22 octobre 2012 sur le fondement de la décision d'autorisation de l'inspection du travail du 12 octobre 2012 :

- peu après elle a été licenciée par le liquidateur judiciaire de la société FLS Limited par courrier du 20 décembre 2012 ;

- la décision du ministre du travail du 16 avril 2013 annulant la décision d'autorisation de l'inspection du travail du 12 octobre 2012 lui donnait droit à réintégration au sein de la société Associated Press Limited puisque les parties ont été replacées dans la situation qui était la leur antérieurement à la décision annulée ;

- elle a donc demandé sa réintégration au sein de la société Associated Press Limited à 5 reprises, par courriers des 18 mai 2013, 10 juin 2013, 27 juin 2013, 3 février 2014 et 5 mars 2014 ;

- le refus de réintégration que lui a opposé la société Associated Press Limited est fautif et lui a causé un préjudice puisqu'elle a été privée de son emploi au sein de la société Associated Press Limited alors que cette dernière était tenue de la réintégrer ;

- la société Associated Press Limited aurait dû la réintégrer et la reclasser, ou la licencier pour motif économique avec l'obligation de chercher une solution de reclassement ;

- elle a multiplié les contrats à durée déterminée et elle est toujours dans une situation d'emploi précaire ; depuis ses revenus ont chuté puisqu'ils varient de 2 000 à 2 600 € alors que la moyenne de ses derniers salaires chez la société Associated Press Limited était de 4.797,42 € ; son préjudice est donc de plus de 190 000 €.

À l'appui de sa demande d'infirmation du jugement, la société Associated Press Limited soutient que :

- le Service Français remplissait toutes les conditions d'application de l'article L. 1224-1 du code du travail ;

- Mme [J] a été automatiquement transférée au sein de la société FLS Limited du fait de son absence de protection ;

- aucune collusion frauduleuse ne saurait être relevée à l'égard de la société Associated Press, la cession du Service Français à la société FLS Limited s'inscrivant dans le cadre d'un projet industriel construit et sérieux, le groupe DAPD affichant une surface financière importante ;

La cour constate que Mme [J] invoque au soutien de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi deux fondements :

- le caractère frauduleux du transfert des contrats de travail de la société Associated Press Limited à la société FLS Limited

- le manquement de la société Associated Press Limited à son obligation d'exécuter le contrat de travail loyalement et de bonne foi, en refusant sa demande réintégration.

Sur l'existence d'une fraude

Mme [J] soutient que le transfert de son contrat de travail résulte d'une fraude en relevant par la proximité entre la date de cession du Service Français par la société Associated Press Limited à la société FLS Limited, et celle du dépôt de bilan de la société cessionnaire, et en indiquant que la société FLS Limited était une coquille vide et que l'ensemble des clients du Service Français n'avait pas été transféré.

La société Associated Press Limited présente la cession comme une cession au groupe de presse allemand DAPD qui avait acquis précédemment en juillet 2011, via une de ses filiales, la société Sipa Press et avait pour ambition de concurrencer l'AFP, en soulignant le fait qu'elle était la deuxième agence de presse allemande, propriétaire d'une agence de photos, d'une société de distribution de communiqués de presse et d'une société de diffusion d'information sur Mobile, que son chiffre d'affaires était à la date de la cession de 32 millions d'euros en constante progression.

Elle ne fournit aucun élément sur la société FLS Limited société par actions de droit anglais créée en décembre 2011, qui seule signait l'accord de cession de fonds de commerce le 12 juillet 2012, mais explique que cet accord s'insérait dans un accord plus vaste entre la société Associated Press Limited vendeur, la société FLS Limited acquéreur et la société DADP News Wire Services AG, la filiale ayant acquis la société Sipa Press, garant.

Cet accord prévoyait au titre des actifs cédés : la clientèle rattachée au fonds, les accessoires et installations ainsi que les outils et équipements, bureaux, chaises, ordinateurs imprimantes télécopies, téléphones...etc., les archives texte en langue française, tous les registres et dossiers du vendeur relatif au fond FLS en particulier le fichier client, la documentation des contrats transférés ainsi que les contrats clients résiliés liés au fond FLS. Il y était également prévu que les actifs excluront toutes actions, part d'intérêt ou autres intérêts dans toute l'entreprise partenariat ou autre entité, les créances client relatives à des services fournis jusqu'à la date d'effet, valeurs mobilières et espèces.

Il était précisé que les contrats transférés devaient pour être effectifs recueillir le consentement du co-contractant, si le client refusait le transfert, le vendeur n'assumerait aucune responsabilité. Il sera observé que dans la liste des clients sont compris des clients basés en Suisse, Belgique Luxembourg, Maroc qui étaient exclus de la cession.

Les clauses du contrat relatives aux contrats conclus avec les clients basés en Belgique, Luxembourg et au Maroc, mentionnent « les parties reconnaissent qu'aucune cession ni concession de droits ne sont effectués au profit de l'acquéreur, l'acquéreur fournira aux clients tous les services en langue française par l'intermédiaire de la société affiliée au vendeur qui demeurera l'unique point de contact des clients l'acquéreur en étant exclu, tous les revenus tirés de la fourniture de service en langue française en vertu de ces contrats seront versées par le vendeur ou la société affiliée du vendeur à l'acquéreur. A cet égard pour les clients basés en Belgique la répartition se fera conformément aux contrats concernés et pour les clients basés au Maroc, la répartition se fera par parts égales entre les différentes lignes de service, seul l'acquéreur étant responsable des éventuelles difficultés dans l'exécution des services en langue française. »

« Les contrats conclus avec les clients basés en Suisse seront transférés dans le cadre d'un contrat distinct ».

Au vu de l'extrait K bis versé aux débats la société FLS Limited a débuté son activité le 16 juillet 2012 soit après la cession du fonds de commerce mais n'a été immatriculée que le 10 octobre 2012, ayant établi ses statuts le 10 octobre 2012.

La société FLS Limited a été créée, ainsi que cela ressort de la note au soutien de la demande d'ouverture de la procédure collective en juillet 2012, pour acquérir le fonds de commerce du Service Français de la société Associated Press Limited.

Aucune information sur son capital, sur ses fonds propres, sur l'activité qu'elle se proposait de développer n'est fournie. Il s'évince de ces éléments que cette société était la « coquille vide » décrite par Mme [J].

En outre le prix d'acquisition fixé à 10 euros dont un euro pour les actifs immatériels dont la clientèle confirme l'absence de transfert effectif de toute la clientèle, étant rappelé que les clients doivent donner leur accord à ce transfert et en particulier l'absence de transfert de la clientèle francophone, qui était en constante augmentation mais qui déjà ne figurait pas dans la comptabilité du Service Français.

Cette cession faite sans transfert direct des clients désignés de Belgique, Luxembourg, Maroc et Suisse accroissait les difficultés rencontrées par le Service Français, au désavantage de la société FLS Limited.

Le seul élément produit par la société Associated Press Limited pour démontrer l'existence d'un transfert de clientèle est une lettre adressée à la présidence de la République française l'informant de la cession des droits et obligations de la société Associated Press Limited à la société FLS Limited sous réserve de son accord, accord sur lequel aucune information n'est apportée.

Les termes du contrat accompagnant le contrat de cession, qui ne prévoyaient aucun soutien financier clair de DADP, ne permettaient pas à l'évidence à cette nouvelle société FLS Limited de pouvoir survivre.

La société Associated Press Limited ne produit aucun élément démontrant l'existence de garanties quelconques permettant à cette société d'exercer ou de pouvoir développer une activité rentable.

La grande proximité entre la cession le 12 juillet 2012, le début d'activité le 16 juillet et la demande d'ouverture d'une procédure collective le 22 novembre suivant confirme l'inexistence de la possibilité de survie de ce montage.

La déclaration de créance faite par la société FLS Limited, montre son absence d'activité propre et suffisante pour disposer de perspectives d'avenir réalistes et son besoin de soutien financier de l'actionnaire allemand.

Le jugement du tribunal de commerce de Paris mentionne un passif de 491 € et un actif de 191€ dont 24 € de disponible, constate qu'elle ne peut faire face à son passif exigible avec son actif disponible et juge que le redressement ne peut être envisagé en raison du manque de clientèle et de soutien financier.

La liquidation judiciaire est prononcée immédiatement, dès le 6 décembre 2012 deux mois après son immatriculation.

En l'espèce le transfert s'est fait sans la reprise des éléments incorporels nécessaires à l'exploitation de la nouvelle entité. Bien que le passif de ce service n'ait pas été transféré, son exploitation était impossible puisqu'il n'avait pas les moyens de fonctionner seul par manque de clients. A cet égard le prix cession en est révélateur.

En outre aucun élément n'a été apporté pour vérifier que l'activité s'est bien poursuivie pendant les 4 mois d'existence de la société FLS Limited.

Par ailleurs aucun élément du dossier ne démontre que le groupe allemand s'engagerait financièrement dans la création de la succursale (la société FLS Limited) de la société SIPA NEWS qui avait été créée au cours de l'été 2012 pour avoir une activité texte. Le directeur de ces deux structures a été désigné en février 2012, il a poursuivi la restructuration de SIPA menée par son prédécesseur conduisant à un plan social drastique pour tenter de mettre un terme aux pertes récurrentes de Sipa Press avant son acquisition.

A la clôture de l'exercice 2011 la société Sipa Press subissait une perte de près de 6 000 000 €.

Les conditions de réalisation de cette cession et du transfert des contrats de travail ne permettaient pas sans le soutien de la société DAPD de disposer de perspectives d'avenir.

Or les éléments contractuels versés aux débats n'apportent aucune garantie ni d'un apport de financement, ni d'un soutien, ni d'une solidarité financière de la société DAPD ou de sa filiale la société News Wire Services AG, étant souligné l'existence des pertes de la société Sipa Press.

Les faillites des différentes sociétés du groupe allemand n'auraient pas dû entraîner la mise en liquidation immédiate de la société FLS Limited s'il y avait eu réellement un transfert de l'unité économique autonome que représentait le Service Français.

L'article L 1224-1 du code du travail implique le transfert d'une organisation viable permettant la poursuite de l'activité. Or la situation du Service Français cédé et celle de la société FLS Limited ne permettaient pas cette poursuite d'activité ainsi que l'a démontré la rapide et brutale liquidation judiciaire.

L'ensemble de ces éléments démontrent que la cession n'offrait pas de perspectives d'avenir réalistes faute de la transmission de tous les éléments incorporels nécessaires à la poursuite de son activité et faute de soutien effectif du groupe allemand présenté comme florissant mais offrait un moyen de se séparer du Service Français, ce que souhaitait faire la société Associated Press Limited depuis 2007.

Le Service Français de la société Associated Press Limited avait des clients et réalisait un chiffre d'affaire, expressément mentionné au contrat de cession, même s'il y était précisé que son exactitude n'était pas garantie. Ce service rencontrait des difficultés financières et des pertes importantes.

Ces pertes justifiaient aux yeux de la société Associated Press Limited son désir de se séparer de ce service, celle-ci n'envisageant pas ainsi que cela résulte du rapport de l'expert du comité d'entreprise de revoir l'affectation des charges qui pesaient trop lourdement sur ce service ni de lui réattribuer les revenus des contrats francophones.

Cette volonté exprimée et réitérée de la société Associated Press Limited de se séparer de son Service Français s'est manifestée depuis 2007 par un premier projet de cession discuté puis abandonné. Cette intention s'est ensuite caractérisée par deux plans de sauvegarde pour l'emploi qui n'ont pas abouti, le premier en 2009 et le second en juillet 2010.

Il sera observé que pendant ces années de nombreuses alertes ont été faites sur les risques psycho sociaux, les salariés étant insécurisés sur leur avenir, sur leurs conditions de travail qui ont été modifiés du fait d'un recours moins important aux pigistes.

Il est ainsi démontré que le seul but de cette cession sans avenir était d'éluder les règles relatives au licenciement économique. La fraude résulte de l'absence de transfert des éléments incorporels générant des profits et de l'intention de la société Associated Press Limited de ne pas supporter « la facture sociale » relative au licenciement économique des salariés du Service Français.

En conséquence cette cession et les transferts des contrats de travail ont été effectués en fraude aux droits des salariés.

Il convient de constater que les conditions d'application de l'article L 1224-1 du code du travail n'ont pas été réunies lors de la cession. Les dispositions de l'article L 1224-2 du code du travail qui prévoient que le nouvel employeur est tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, aux obligations incombant à l'ancien employeur, n'ont pas à s'appliquer.

Dès lors les salariés qui souhaitent se prévaloir d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne peuvent le faire qu'à l'égard du cédant.

Sans qu'il ne soit nécessaire d'examiner le surplus du moyen relatif au refus de réintégration qui est aussi invoqué comme fondement à la demande de dommages et intérêts pour perte d'emploi, la cour retient, au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [J], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, que l'indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi par Mme [J] du chef de la perte de son emploi doit être évaluée à la somme de 90 000 €.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] la somme de 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] la somme de 90 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi.

Sur le harcèlement moral et le manquement à l'obligation de sécurité de résultat

Mme [J] demande par infirmation du jugement à la cour de lui allouer la somme de 115 000 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et manquement à l'obligation de remédier à la situation de harcèlement moral.

La société Associated Press Limited s'oppose à cette demande et fait valoir que :

- Mme [J] n'établit aucun fait susceptible de caractériser un harcèlement moral à son encontre ;

- l'entreprise a pris toutes les mesures nécessaires afin de préserver la santé et la sécurité des salariés et ne saurait être tenue pour responsable de la détérioration de la santé de Mme [J] ;

- aucune faute n'a été retenue à l'encontre de l'entreprise par le juge d'instruction ;

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Selon l'article L.1152-2 du code du travail, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, Mme [J] invoque les faits suivants :

- la déstabilisation du Service Français et la fragilisation permanente pendant près de 5 ans des salariés constituant un harcèlement moral et un manquement à l'obligation de sécurité ;

- l'annonce d'une cession, d'une réorganisation ou d'une fermeture du Service Français a naturellement déstabilisé les salariés rattachés à cette entité ;

- la menace permanente sur le sort et l'avenir du Service Français a porté atteinte à la santé psychique de ses membres depuis l'automne 2007 et jusqu'en 2012 ;

- le rapport du cabinet Technologia, demandé par le CHSCT le 15 septembre 2011 et remis le 13 mars 2012 met en lumière la responsabilité de la direction, par ses annonces successives et changeantes (cession, fermeture du service, ouverture de PSE puis abandon et réouverture de PSE), et son double jeu, consistant à priver le Service Français des moyens de fonctionner normalement et à laisser délibérément « pourrir » une situation intenable pour les salariés, afin de les inciter à quitter l'agence ;

- elle a été en arrêt de travail pour maladie du 9 décembre 2011 au 17 mars 2014, soit bien après son licenciement notifié par le liquidateur judiciaire de FLS le 20 décembre 2012, et a été hospitalisée en maison de soins, du 14 au 28 mars 2013.

Mme [J] produit de nombreuses pièces à l'appui de ces moyens.

Mme [J] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

En défense, la société Associated Press Limited fait valoir :

- Mme [J] se base quasiment exclusivement sur le rapport du cabinet Technologia en date du 13 mars 2012 qui concerne l'ensemble des salariés du Service Français et non Mme [J] particulièrement, qui n'est même pas citée, et qui principalement reporte des propos des instances représentatives du personnel ;

- les seuls "faits" invoqués sont "l'annonce d'une cession, d'une réorganisation ou d'une fermeture du Service Français", et "la menace permanente sur le sort et l'avenir du Service Français" qui sont en réalité relatifs au climat d'incertitude lié aux tentatives successives de cession du Service Français ;

- cette situation effectivement subie par l'entreprise et l'ensemble des salariés est liée à des circonstances extérieures et plus particulièrement un contexte de difficultés économiques

- dans son ordonnance de non-lieu rendue le 7 octobre 2015, suite à la plainte pénale déposée en juillet 2012 par le CHSCT et plusieurs salariés dont Madame [J] qui alléguaient exactement des mêmes faits et fautes à l'encontre de la société Associated Press Limited, le juge d'instruction a retenu qu'aucun acte de harcèlement ne pouvait être retenu.

A l'appui de ses moyens, la société Associated Press Limited invoque à son tour de nombreux éléments de preuve.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que - la société Associated Press Limited démontre que les faits matériellement établis par Mme [J] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement

Les demandes relatives au harcèlement doivent par conséquent être rejetées.

Sur l'obligation de sécurité de l'employeur

Mme [J] reproche à l'employeur de ne pas avoir mis en 'uvre de mesure de prévention des agissements de harcèlement moral ni pris les mesures pour les faire cesser. Elle sollicite des dommages et intérêts en réparation de ce préjudice distinct de celui causé par le harcèlement moral.

Il a été cependant été jugé plus haut que les faits dénoncés par Mme [J] n'étaient pas constitutifs de harcèlement moral dès lors l'employeur ne saurait se voir reprocher de ne pas les avoir prévenus ou de ne pas en avoir protéger Mme [J].

Aucun manquement à l'obligation de sécurité n'est caractérisé sur ce fondement.

Il convient de débouter Mme [J] de cette demande.

Par suite, le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a débouté Mme [J] de ses demandes relatives au harcèlement et au manquement à l'obligation de sécurité de résultat.

Sur le solde dû au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

Mme [J] demande par confirmation du jugement la somme de 66 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement, montant qui n'a pas pu être versé par les AGS et fait valoir, à l'appui de cette demande que :

- l'article L.7112-3 du Code du travail prévoit que le journaliste licencié a droit à une indemnité de licenciement égale à un mois de salaire par année ou fraction d'année de collaboration, dans la limite de 15 mois ;

- l'article L.7112-4 du Code du travail dispose que si l'ancienneté du salarié excède 15 années, le montant de l'indemnité est déterminé par la Commission arbitrale des journalistes ;

- par décision rendue le 24 juin 2015 et définitive, la Commission arbitrale a fixé le montant total de cette indemnité à 125 000 € ;

- elle n'a perçu que 66 366,64 € au titre de l'indemnité de licenciement nets en raison de l'application du plafond de la garantie de l'AGS-CGEA ;

- elle subit par conséquent un préjudice résultant de l'impossibilité pour elle de percevoir la totalité de l'indemnité de licenciement fixée par la Commission arbitrale des journalistes, soit la somme de 58.633,36 € (125.000 € - la somme de 66.366,64 € prise en charge par l'AGS-CGEA).

La société Associated Press Limited s'oppose à cette demande sans faire valoir de moyens.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [J] est bien fondée dans sa demande de dommages et intérêts correspondant au solde d'indemnité conventionnelle de licenciement à hauteur de 58 633,36 € au motif qu'elle a effectivement subi cette perte au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement du fait de son licenciement économique par la société FLS Limited et au motif que la société Associated Press Limited est responsable de ce préjudice consécutif au transfert de son contrat de travail frauduleux comme la cour l'a jugé plus haut.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] la somme de 66 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et statuant à nouveau de ce chef, la cour condamne la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] la somme de 58 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur le rappel de salaire

Mme [J] demande par confirmation du jugement la somme de 11 390,87 euros à titre de rappel de salaire et 1 139,08 euros au titre des congés payés y afférents, et fait valoir, à l'appui de cette demande que :

- l'article 36 de la convention collective nationale des journalistes institue un maintien de salaire pendant les arrêts maladie des journalistes, dans des proportions variant en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise ;

- elle avait plus de 15 ans d'ancienneté au jour de son arrêt de travail du 9 décembre 2011 (elle avait plus de 21 ans d'ancienneté) : elle a donc bénéficié d'un maintien de salaire « pendant 6 mois à plein tarif et 6 mois à demi-tarif » (article 36, 1er alinéa, e) ;

- l'alinéa 5 de l'article 36 prévoit que le montant du salaire mensuel du journaliste est, pour le calcul du maintien de salaire, réduit du montant des IJSS mais l'alinéa 6 dispose qu'en cas d'arrêt ininterrompu, pendant la période de rémunération à demi-tarif, les réductions ne pourront être opérées que dans la limite où le demi-salaire et les prestations dépasseront le salaire de l'intéressé ;

- en cas d'arrêt de travail ininterrompu d'une durée de plus de six mois, la réduction du salaire mensuel ne peut donc être opérée, entre le 7ème et le 12ème mois, que si l'addition des IJSS et d'un demi-salaire mensuel conduit à un montant supérieur au salaire ; le salarié doit donc continuer à percevoir son salaire plein entre le 7ème et le 12ème mois s'il est en arrêt de travail interrompu pendant plus de 6 mois et si la somme des IJSS et d'un demi-salaire n'excèdent pas son salaire habituel ;

- la différence entre la rémunération qui lui a été versée par la société Associated Press Limited entre le 9 juin 2012 et le 21 octobre 2012 et le montant qu'elle aurait dû percevoir s'élève à 11.390,87 € bruts dont elle demande le paiement.

La société Associated Press s'oppose à cette demande et fait valoir, à l'appui de sa contestation que :

- par une interprétation extensive de l'article 36 de la convention collective des Journalistes précisant que « en cas d'arrêt ininterrompu, pendant la période de rémunération à demi-tarif, les réductions ne pourront être opérées que dans la limite où le demi-salaire et les prestations dépasseront le salaire de l'intéressé », Mme [J] en conclut qu'elle aurait droit à l'équivalent d'une rémunération à plein tarif pendant 6 mois supplémentaires ;

- non seulement une telle interprétation est erronée, mais le calcul effectué par Mme [J] dans ses écritures est fantaisiste (sic) ;

- en effet, les dispositions conventionnelles ne signifient pas que le salaire devait être maintenu à 100% au-delà de 6 mois, mais que la société ne devait pas opérer de déduction d'IJSS pendant la période postérieure à 6 mois, dans la limite de 12 mois ;

- c'est ce calcul que l'entreprise a retenu pour la période entre le mois de juin 2012 et le mois d'octobre 2012 ;

- le décompte produit en pièce 84 montre que Mme [J] a été remplie de ses droits.

A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que Mme [J] est mal fondée dans sa demande au motif d'une part que les dispositions conventionnelles ne signifient pas que son salaire devait être maintenu à 100% au-delà de 6 mois, mais que la société Associated Press Limited ne devait pas opérer de déduction d'IJSS pendant la période postérieure à 6 mois, dans la limite de 12 mois et au motif d'autre part que c'est ce calcul que l'entreprise a retenu pour la période entre le mois de juin 2012 et le mois d'octobre 2012 comme cela ressort du décompte produit par la société Associated Press Limited (pièce employeur n° 84) et des bulletins de salaire qui démontrent suffisamment que Mme [J] a été remplie de ses droits.

Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a condamné la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] les sommes de 11 390,87 euros à titre de rappel de salaire et 1 139,08 euros au titre des congés payés y afférents, et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute Mme [J] de ses demandes formées à titre de rappel de salaire.

Sur les autres demandes

Les dommages et intérêts alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

La cour condamne la société Associated Press Limited aux dépens de la procédure d'appel en application de l'article 696 du Code de procédure civile.

Le jugement déféré est confirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Il apparaît équitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de condamner la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] la somme de 1 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure d'appel.

L'ensemble des autres demandes plus amples ou contraires formées en demande ou en défense est rejeté, leur rejet découlant des motifs amplement développés dans tout l'arrêt.

PAR CES MOTIFS

La cour,

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a condamné la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] les sommes de :

- 50 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi ;

- 66 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 11 390,87 euros à titre de rappel de salaire et 1 139,08 euros au titre des congés payés y afférents ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

CONDAMNE la société Associated Press Limited à payer à Mme [J] les sommes de :

- 90 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de la perte de son emploi ;

- 58 633,36 euros à titre de dommages et intérêts correspondant au solde de l'indemnité conventionnelle de licenciement ;

DÉBOUTE Mme [J] de ses demandes formées à titre de rappel de salaire ;

CONFIRME le jugement déféré pour le surplus ;

Y ajoutant,

DIT que les dommages et intérêts ainsi alloués seront assortis des intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

CONDAMNE la société Associated Press Limited à verser à Mme [J] une somme de 1 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples et contraires,

CONDAMNE la société Associated Press Limited aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 6
Numéro d'arrêt : 20/06513
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;20.06513 ?
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