REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 27 FEVRIER 2023
(n° 72/2023 , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/04315 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFLP2
Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 15 Février 2022 -Juge de la mise en état de Tribunal Judiciaire de Paris RG n° 21/07233
APPELANT
Société AIG EUROPE SA société de droit étranger dont le siège social est situé [Adresse 3], dont la succursale française est immatriculée au RCS de Nanterre sous le numéro 838.136.463, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité à ladite succursale
Ayant son siége social
[Adresse 9]
[Localité 5]
N° SIRET : 838 136 463
Représentée par Me Bruno REGNIER de la SCP SCP REGNIER - BEQUET - MOISAN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050
Assiqtée par Me Chloé DI MARCO, avocat au barreau de PARIS substituant Maître [R] [O] [Y] de la SELARL AWKIS
INTIMES
Monsieur [G] [L]
Domicilié [Adresse 8],
[Adresse 1]
[Localité 6],
Représenté par Me Bertrand DE CAMPREDON de la SELARL GOETHE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS
Assisté par Me LE FEUVRE
S.A.R.L. STRATEGIE ET CONSEIL PATRIMONIAUX
agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Ayant son siége social
[Adresse 2]
[Localité 4]
N° SIRET : 479 875 882
Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS - AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055
Assistée par Me HARBOUCHE Dounia C2038
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Edouard LOOS, Président dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Edouard LOOS, Président et par Sylvie MOLLÉ, Greffier présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
Le groupe hôtelier Maranatha, fondé en 2007 à Marseille par [B] [W], devenu le n°5 de l'hôtellerie française grâce aux apports de 6 000 investisseurs particuliers qui ont placé leur argent dans un ou plusieurs établissements (hôtel 3 et 4 étoiles) en échange d'un bon rendement (jusqu'à 7% d'intérêts), connait en 2017 des difficultés.
Le groupe Maranatha était constitué de plus de 200 sociétés s'inscrivant dans un schéma structuré consistant en une Sas Maranatha contrôlée par le dirigeant du groupe M. [B] [W] qui prenait des participations à hauteur de 1 à 5 % dans des sociétés en commandite par actions (Sca) et intervenait en qualité d'associée commanditée et en assumait la gérance. Les 95 à 99% des actions restantes étaient souscrites et détenues par des investisseurs privés commanditaires. Plus de 450 millions d'euros ont été collectés auprès des 600 investisseurs privés à travers divers réseaux de conseils en gestion de patrimoine.
Ces sociétés avaient pour objet de faire l'acquisition de sociétés d'exploitation d'hôtels. La Sas Maranatha en sa qualité de commanditée de l'ensemble des sociétés financières, exerçait un contrôle effectif sur toutes les sociétés et gérait seule avec sa société de gestion.
Sur les conseils de Stratégie et Conseil Patrimoniaux, M. [G] [L] a :
- le 6 mai 2015, acquis 40 200 actions de la société Hôtelière Valorisation Thetis au prix de 40 200 euros ;
- le 19 mai 2016, acquis 50 000 actions de la société Hôtelière Christiana pour un prix de 50 000 euros ;
- le 30 mai 2017, investi au passif de la société Hôtelière Anthémis la somme de 20 000 euros.
Le groupe Maranatha, en grande difficulté, ne pourra faire face à ses échéances et sera contraint de déclarer en état de cessation des paiements.
Suivant jugement en date du 27 septembre 2017, le tribunal de commerce de Marseille a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société Maranatha. Il a ensuite ouvert des procédures de redressement judiciaire ou de sauvegarde à l'égard de 130 sociétés en commandite par action constituant le groupe Maranatha Sa. Les sociétés Hôtelière Christiana et Hôtelière Anthémis ont été placées en redressement judiciaire.
Le 2 février 2021, la société Hôtelière Valorisation Thetis a été placée en liquidation judiciaire.
Par acte d'huissier de justice en date des 12 et 17 mai 2021, M. [G] [L] a fait assigner la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux Enseigne K2 Patrimoine et la société Aig Europe Sa devant le tribunal judiciaire de Paris.
* * *
Vu l'ordonnance prononcée le 15 février 2022 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris qui a statué comme suit :
- Déclarons M. [G] [L] recevable à agir à l'encontre des sociétés Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa ;
- Déboutons les sociétés Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa des demandes d'irrecevabilité et au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Renvoyons l'affaire à l'audience de mise en état de la 9ème chambre 1ère section du tribunal judiciaire de Paris en date du 22 mars 2022 à 09h30 pour conclusions des défendeurs ;
- Réservons les dépens ;
Vu l'appel déclaré le 23 février 2022 par la société Aig Europe,
Vu les dernières conclusions signifiées le 18 novembre 2022 par la société Aig Europe,
Vu les dernières conclusions signifiées le 25 novembre 2022 par Monsieur [G] [L]
Vu les dernières conclusions signifiées le 14 novembre 2022 par la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux Enseigne K2 Patrimoine,
La société AIG Europe demande à la cour de statuer comme suit :
Vu les articles 31, 33, 122, 2224 et 2234 du code de procédure civile,
Infirmer l'ordonnance du 15 février 2022 en ce qu'elle a :
* Déclaré monsieur [L] recevable à agir à l'encontre des sociétés Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa,
* Débouté les sociétés Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa de leur demande d'irrecevabilité et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Et, statuant à nouveau :
A titre principal,
- Déclarer irrecevable faute d'intérêt à agir l'action de monsieur [L],
En conséquence,
- Débouter monsieur [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa,
En toute hypothèse,
- Déclarer irrecevable comme prescrite l'action de monsieur [L] au titre de l'investissement souscrit en 2015,
En conséquence,
- Débouter monsieur [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions formulées à l'encontre de Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa,
En tout état de cause,
- Condamner monsieur [L] aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- Condamner monsieur [L] à verser à Aig Europe Sa la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Monsieur [G] [L] demande à la cour de statuer comme suit :
Vu les dispositions des articles 31, 789 6e et 2224 du code de procédure civile
A titre principal
- Débouter la société Aig Europe et la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux de ses fins de non-recevoir visant à faire constater à l'absence d'intérêt à agir de Monsieur [G] [L]
' Débouter la société Aig Europe et la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux de ses fins de non-recevoir visant à voir constater la prescription de l'action de monsieur [G] [L] à l'encontre de la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux au titre de l'investissement souscrit en 2015
En conséquence
' Constater l'action de l'intimé à l'encontre de la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe comme recevable.
' Confirmer l'ordonnance rendue par le juge de la mise en état de la 1ère section de la 9 ème chambre du tribunal judiciaire de Paris le 15 février 2022 dans toutes ses dispositions
' Renvoyer les parties devant la 9 ème chambre 1ère section du tribunal judiciaire de Paris concernant le fonds du dossier.
A titre subsidiaire
' Dire que M. [L] est recevable à agir contre la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux et son assureur au titre des opérations souscrites en 2016 et 2017.
' Renvoyer les parties devant la 9 ème chambre 1ère section du tribunal judiciaire de Paris concernant le fonds du dossier pour les opérations souscrites en 2016 et 2017.
En tout état de cause
' Condamner solidairement la société Aig Europe et la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux, à verser à l'intimé la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
' Condamner solidairement la société Aig Europe et la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Goethe Avocats représentée par Me Bertrand de Campredon, avocat à la cour en application de l'article 699 du code de procédure civile.
La société Stratégie et Conseil Patrimoniaux Enseigne K2 Patrimoine demande à la cour de statuer comme suit:
Infirmer l'ordonnance rendue le 15 février 2022 par le juge de la mise en l'état en ce qu'elle a :
* Déclaré M. [G] [L] recevable à agir à l'encontre des sociétés Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa
* Débouté les sociétés Stratégie et Conseil Patrimoniaux et Aig Europe Sa des demandes d'irrecevabilités et au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Et statuant à nouveau :
Vu les articles 122, 31 et 32 du code de procédure civile, l'article 110-4 du code de commerce, l'article 2224 du code civil,
- Déclarer irrecevable l'action de M. [G] [L] pour défaut d'intérêt à agir et par conséquent la rejeter
- Déclarer irrecevables les demandes formulées par M. [G] [L] au titre de la souscription du produit Club [7] du 22/05/2015 et par conséquent les rejeter pour avoir été introduites tardivement, soit le 12/05/2021
- Débouter M. [L] de toutes ses demandes
- Condamner M. [L] à payer à la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux la somme de 6 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Ingold & Thomas, représentée par maître Frédéric Ingold, avocat à la cour en application de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
a) Sur l'intérêt à agir
La société AIG Europe et la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux demandent à la cour d'infirmer l'ordonnnance déférée et de juger que M. [L] est dépourvu d'intérêt à agir au sens de l'article 122 du code de procédure civile. Elles exposent que M. [L] qui a bénéficié des avantages fiscaux adossés à son investissement ne justifie d'aucune perte effective.
M. [L] s'y oppose et expose qu'il justifie du principe et du montant de son préjudice.
Ceci étant exposé, M. [L] expose que la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux (société SCP) ayant pour assureur la société AIG Europe a commercialisé des produits financiers mis en place par la société Maranatha entre mai 2015 et mai 2017 et que , sur les conseils de la société SCP, il a acquis des titres de la société Hôtelière Valorisation Thetis, de la société Hôtelière Christiana et de la société Hôtelière Anthemis. Il reproche à la société SCP un manquement à son devoir d'information et de conseil lui ayant causé une perte de chance puisque les procédures collectives des sociétés hôtelières dans lesquelles il a investi ont entraîné la perte de ses actifs.
Sans préjuger de la solution définitive qui sera retenue , M. [L] est recevable en sa demande tendant à faire juger que le comportement fautif de la société qui l'a conseillé dans ses investissements lui a causé un préjudice .
L'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a dit que M. [L] avait intérêt à agir.
b) Sur la prescription
La société AIG Europe et la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance déférée et dire prescrite l'action engagée par M. [L].
Elles exposent que le point de départ de la prescription en matière d'obligation d'information et de conseil doit se situer au jour de la conclusion du contrat et que M. [L] était en mesure de déceler les manquements allégués au jour de la conclusion du contrat .
M. [L] expose qu'il n'était pas en mesure d'apprécier l'existence d'une perte de chance ni d'avoir conscience de la réalité de son préjudice au jour de la conclusion du contrat. Selon lui, le point de départ de la prescription ne peut être fixé au plus tôt qu'au jour de l'ouverture de la liquidation judiciaire de la société Hôtelière Valorisation Thetis le 2 février 2021.
Ceci étant exposé, l'article 2224 du code civil est ainsi rédigé :
'Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.'
Cet article est applicable au litige dans sa partie relative au manquement à l'obligation précontractuelle d'information et de conseil puisque les faits dénoncés sont postérieurs à son entrée en vigueur.
M. [L] a engagé son action judiciaire les 12 et 17 mai 2021. Cette action se situe dans le délai de 5 années prévu à l'article 2224 du code civil précité suivant les contrats d'achat des actions Hôtelière Christiana le 19 mai 2016 et des actions Hôtelière Anthemis le 30 mai 2017. Dans l'hyppothèse même d'un point de départ au jour de la conclusion des contrats les actions ne seraient pas prescrites .
Concernant les actions de la société Hôtelière Valorisation Thetis acquises le 6 mai 2015, M. [L] est bien fondé à soutenir que l'ouverture de la liquidation judiciaire de cette société par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 10 février 2021 avec publication au BODACC les 13 et 14 février 2021 a constitué le point de départ de son délai pour agir puisque antérieurement à cette décision M. [L], ainsi qu'il l'expose, ignorait le sort devant être réservé à l'hôtel Mercure de Brides les Bains dans lequel la société Hôtelière Valorisation Thetis détenait des participations.
Antérieurement au 14 février 2021 , le préjudice invoqué par M. [L] était théorique.
Dans l'hypothèse même où l'on retiendrait comme point de départ de la prescription le 27 septembre 2017, date d'ouverture du redressement judiciaire de la société Maranatha, société mère détentrice de participations au sein des sociétés en commandite par actions dont la société Hôtelière Valorisation Thetis, l'action ne serait pas prescrite pour avoir été engagée dans un délai infèrieur à 5 années .
En toute hypothèse le point de départ de l'action ne peut pas être fixé à la date de conclusion du contrat le 6 mai 2015 ( date d'acquisition des actions) puisque M. [L] ignorait à cette date les conséquences des manquements au devoir d'information et de conseil qu'il dénonce.
L'ordonnance déférée doit être confirmée en toutes ses dispositions.
La procédure se poursuivra devant les premiers juges.
c) Sur l'article 700 du code de procédure civile .
Une indemnité doit être allouée à M. [L] sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME l'ordonnance déférée ;
CONDAMNE in solidum la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux et la société AIG Europe aux dépens et accorde à la Selarl Goethe Avocats représentée par Me Bertrand de Campredon, avocat, le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum la société Stratégie et Conseil Patrimoniaux et la société AIG Europe à verser à M. [G] [L] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes .
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,
S.MOLLÉ E.LOOS