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23/02/2023 | FRANCE | N°20/05971

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 23 février 2023, 20/05971


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 23 FEVRIER 2023



(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05971 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLOK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 19/00277





APPELANT



Monsieur [F] [Y] (ancien nom : [Y])
>[Adresse 3]

[Localité 2]



Représenté par Me Jérémie JARDONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1987







INTIMEE



S.A.S. [P] prise en la personne de son représentant léga...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 23 FEVRIER 2023

(n° , 1 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05971 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCLOK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 19/00277

APPELANT

Monsieur [F] [Y] (ancien nom : [Y])

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représenté par Me Jérémie JARDONNET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1987

INTIMEE

S.A.S. [P] prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me Séverine MARTEL, avocat au barreau de PARIS, toque : J097

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Gwenaelle LEDOIGT, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente de la chambre

Madame Carine SONNOIS Présidente de la chambre

Greffier, lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Gwenaelle LEDOIGT, Présidente et par Sonia BERKANE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE :

M. [F] [Y] a été engagé par la société par actions simplifiée à associée unique (SASU) [P], suivant contrat à durée indéterminée à compter du 3 janvier 1983, en qualité de technicien après-vente affecté à l'agence de [Localité 4].

La SASU Perkin Elmer est spécialisée dans la fourniture d'équipements industriels, principalement dans le domaine médical.

Le 1er janvier 1993, le salarié a été promu ingénieur service après-vente et, à compter du 17 janvier 2000, il a été rattaché au siège social à [Localité 6].

En 1998, M. [F] [Y] a été désigné délégué syndical ainsi que représentant du personnel au sein de la délégation unique du personnet et secrétaire du CHSCT.

Depuis le 27 novembre 2000, le temps de travail du salarié était décompté selon un forfait en jours.

Dans le dernier état des relations contractuelles régies par la convention nationale de la Métallurgie des ingénieurs et cadres, le salarié percevait une rémunération mensuelle brute de 4 802,25 euros (moyenne sur les douze derniers mois).

Le 24 mai 2017, M. [F] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau de diverses demandes à l'encontre de la SASU [P].

Le 1er octobre 2018, M. [F] [Y] a notifié à la société sa volonté de faire valoir ses droits à la retraite à effet au 1er octobre 2018.

En janvier 2019, l'affaire a fait l'objet d'une radiation devant le conseil de prud'hommes avant d'être réincrite au mois de mai suivant.

Dans ces dernières demandes en première instance, M. [F] [Y] sollicitait des dommages-intérêts pour discrimination, l'annulation de deux avertissements en date du 26 mai 2015 et du 14 septembre 2016 et des dommages-intérêts pour sanction injustifiée, de même que pour modification unilatérale du contrat de travail et la requalification de son départ à la retraite en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul.

Le 5 juillet 2020, le conseil de prud'hommes de Longjumeau, dans sa section Encadrement a statué comme suit :

- dit que M. [F] [Y] ne démontre pas avoir été victime d'une discrimination en raison de son activité syndicale ou de son âge ni d'une inégalité de traitement

- dit que les avertissements des 26 mai 2015 et 14 septembre 2016 sont fondés

- dit que M. [F] [Y] ne peut se prévaloir d'une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail

- dit que M. [F] [Y] n'a pas été victime d'un harcèlement moral

- dit que le départ en retraite de M. [F] [Y] ne peut être requalifié en prise d'acte de rupture du contrat de travail justifiée

- déboute, en conséquence, M. [F] [Y] de l'ensemble de ses demandes

- déboute la SASU [P] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles

- met les dépens à la charge de M. [F] [Y].

Par déclaration du 18 septembre 2020, M. [F] [Y] a relevé appel du jugement de première instance dont il a reçu notification le 4 septembre 2020.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 26 mai 2021, aux termes desquelles M. [F] [Y] demande à la cour d'appel de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

«- dit que M. [F] [Y] ne démontre pas avoir été victime d'une discrimination en raison de son activité syndicale ou de son âge ni d'une inégalité de traitement

- dit que les avertissements des 26 mai 2015 et 14 septembre 2016 sont fondés

- dit que M. [F] [Y] ne peut se prévaloir d'une modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail

- dit que M. [F] [Y] n'a pas été victime d'un harcèlement moral

- dit que le départ en retraite de M. [F] [Y] ne peut être requalifié en prise d'acte de rupture du contrat de travail justifiée

- débouté, en conséquence, M. [F] [Y] de l'ensemble de ses demandes

- met les dépens à la charge de M. [F] [Y]".

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a débouté Monsieur [Y] de sa demande tendant notamment à voir :

* dire qu'il a été, en raison de ses activités syndicales et de son âge, discriminé en matière de promotion, formation, tenue des entretiens individuels concernant le forfait-jours, rémunération et/ou discipline

* condamner la société [P] à lui verser la somme de 362 476,16 euros à titre de dommages-intérêts

* dire discriminatoire l'avertissement daté du 26 mais 2015 dont il a fait l'objet

* annuler ledit avertissement

* dire discriminatoire l'avertissement daté du 14 septembre 2016 dont il a fait l'objet

* annuler ledit avertissement

Très subsidiairement,

* dire que Monsieur [Y] a été victime d'une inégalité de traitement en matière de promotion, formation, tenue des entretiens individuels concernant le forfait-jours et/ou rémunération

* condamner la société [P] à lui verser la somme de 352 476,16 euros à titre de dommages-intérêts

* dire injustifié l'avertissement daté du 26 mai 2015 dont Monsieur [Y] a fait l'objet

* annuler ledit avertissement

* condamner la société [P] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée

* dire injustifié l'avertissement daté du 14 septembre 2016 dont Monsieur [Y] a fait l'objet

* annuler ledit avertissement

* condamner la société [P] à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée

En tout état de cause

* dire que la société [P] a modifié unilatéralement le contrat de travail de Monsieur [Y], s'agissant de ses fonctions et rémunération

* dire que Monsieur [Y] a été moralement harcelé

* condamner la société [P] à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts

* requalifier le départ en retraite de Monsieur [Y] en prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de la société [P]

* dire que cette prise d'acte est justifiée et produit les effets d'un licenciement nul

* condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] les sommes suivantes : ' 24 537,23 euros à titre d'indemnité compensatrice de solde de préavis, outre 2 453,72 euros à titre de congés payés afférents

' 72 449,83 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

' 219 301,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

' 86 869,71 euros à titre d'indemnité pour violation de son statut protecteur

* ordonner à la société [P] de remettre à Monsieur [Y] un certificat de travail, un bulletin de paie et un solde de tout compte rectifiés, sous astreinte définitive de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir

* le conseil de prud'hommes se réservera la compétence pour liquider l'astreinte

* dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la notification des conclusions de Monsieur [Y] datées du 1er décembre 2018 s'agissant de l'indemnité compensatrice de solde de préavis, des congés afférents et de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et à compter du prononcé du jugement s'agissant de toutes autres sommes

* ordonner la capitalisation des intérêts annuels, en application de l'article 1343-2 du

code civil

* condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

* condamner la société [P] aux éventuels frais et dépens, y compris l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution du jugement à intervenir par voie d'Huissier, en particulier tous les droits de recouvrement et d'encaissement sans exclusion du droit de recouvrement ou d'encaissement à charge du créancier

Statuant à nouveau,

- de dire que Monsieur [Y] a été, en raison de ses activités syndicales et de son âge, discriminé en matière de promotion, formation, tenue des entretiens individuels concernant le forfait-jours, rémunération et/ou discipline

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de

365 866,93 euros à titre de dommages-intérêts

- de dire discriminatoire l'avertissement daté du 26 mai 2015 dont Monsieur [Y] a fait l'objet

- d'annuler ledit avertissement

- de dire discriminatoire l'avertissement daté du 14 septembre 2016 dont Monsieur [Y] a fait l'objet,

- d'annuler ledit avertissement,

Très subsidiairement,

- de dire que Monsieur [Y] a été victime d'une inégalité de traitement en matière de promotion, formation, tenue des entretiens individuels concernant le forfait-jours et/ou

rémunération

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de

355 866,93 euros à titre de dommages-intérêts

- de dire injustifié l'avertissement daté du 26 MAI 2015 dont Monsieur [Y] a fait

l'objet

- d'annuler ledit avertissement

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de

5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée

- de dire injustifié l'avertissement daté du 14 septembre 2016 dont Monsieur [Y] a fait l'objet

- d'annuler ledit avertissement

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de

5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour sanction injustifiée

En tout état de cause,

- de dire que la société [P] a unilatéralement modifié le contrat de travail, et à tout le moins changé les conditions de travail, de Monsieur [Y] s'agissant de ses fonctions et rémunération

- de dire que Monsieur [Y] a été moralement harcelé

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de

20 000 euros à titre de dommages-intérêts

- de requalifier le départ en retraite de Monsieur [Y] en prise d'acte de la rupture du

contrat de travail aux torts de la société [P]

- de dire que cette prise d'acte est justifiée et produit les effets d'un licenciement nul

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] les sommes suivantes :

* 24 537,23 euros à titre d'indemnité compensatrice de solde de préavis, outre 2 453,72 euros à titre

d'indemnité compensatrice de congés payés afférents

* 72 449,83 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

* 219 301,50 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

* 86 869,71 euros à titre d'indemnité pour violation de son statut protecteur

- d'ordonner à la société [P] de remettre à Monsieur [Y] un certificat de travail, un bulletin de paie ainsi qu'un solde de tout compte rectifiés, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter du 10 ème jour suivant la signification de la décision à intervenir

- de se réserver la compétence pour liquider l'astreinte

- de dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la notification des conclusions de Monsieur [Y] en date du 1er décembre 2018 s'agissant de l'indemnité compensatrice de solde de préavis, des congés afférents et de l'indemnité conventionnelle de licenciement, et à compter du prononcé de l'arrêt s'agissant de toutes autres sommes

- d'ordonner la capitalisation des intérêts annuels, en application de l'article 1343-2 du code civil

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance

- de condamner la société [P] à verser à Monsieur [Y] la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'instance d'appel

- de condamner la société [P] aux frais et dépens des deux instances, y compris

l'intégralité des frais, émoluments et honoraires liés à une éventuelle exécution de l'arrêt à intervenir par voie d'huissier, en particulier tous les droits de recouvrement et d'encaissement sans exclusion du droit de recouvrement ou d'encaissement à charge du créancier

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

"- dit et jugé que la procédure intentée par Monsieur [Y] à l'encontre de la société

[P] n'est pas abusive

- débouté la société [P] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles

- et dit n'y avoir pas lieu de prononcer une amende civile"

- de débouter la société [P] de l'ensemble de ses demandes

- de dire n'y avoir pas lieu de prononcer une amende civile.

Vu les dernières conclusions remises et notifiées le 9 mars 2021, aux termes desquelles la SASU [P] demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Longjumeau le 3 juillet

2020 en ce qu'il a :

"- dit et jugé que Monsieur [Y] ne démontre pas avoir été victime d'une quelconque discrimination en raison de ses activités syndicales ou de son âge

- dit et jugé que Monsieur [Y] ne démontre pas avoir été victime d'une quelconque inégalité de traitement

- dit et jugé que les avertissements des 26 mai 2015 et 14 septembre 2016 sont bien-fondés

- dit et jugé que Monsieur [Y] ne peut se prévaloir d'une quelconque modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail

- dit et jugé que Monsieur [Y] ne démontre nullement avoir été victime d'un quelconque harcèlement moral

- dit et jugé que la prise d'acte du 26 juillet 2018 de Monsieur [Y] était injustifiée"

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Longjumeau le 3 juillet 2020 en ce qu'il a dit et jugé que la procédure initiée par Monsieur [Y] à l'encontre de

la société n'était pas abusive

- débouter Monsieur [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

- condamner Monsieur [Y] à verser à la société la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive

- condamner Monsieur [Y] au paiement de la somme de 10 000 euros à titre d'amende civile en application des dispositions de l'article 32-1 du code de procédure

civile

- condamner Monsieur [Y] à verser à la société la somme de 8 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- le condamner aux entiers dépens.

Conclusions auxquelles la cour se réfère expressément pour un plus ample exposé des faits de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 26 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION :

1/ Sur la discrimination

Selon l'article L. 1132-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap ;

L'article L. 2141-5 dispose : "Il est interdit l'employeur de prendre en considération l'appartenance un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arr ter ses décisions en mati re notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de disciplines et de rupture du contrat de travail ".

En application de l'article L. 1134-1, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance de ces dispositions, il appartient au salarié qui se prétend lésé par une mesure discriminatoire de présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que les mesures prises sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

M. [F] [Y] soutient, qu'à compter de sa désignation en qualité de délégué syndical CFE-CGC au sein de la société [P], il a victime de discrimination de la part de l'employeur qui s'est manifestée par des sanctions injustifiées, l'absence de promotion, un salaire de base 20,67 % plus faible que des collègues ayant la même ancienneté que lui dans l'entreprise ou même une ancienneté plus faible. Le salarié prétend, également, qu'à cette discrimination syndicale s'est ajoutée une discrimination par l'âge quand il lui a été indiqué, en fin de carrière, qu'il ne lui serait plus proposé de formation.

1-1 Sur les avertissements en date des 26 mai 2015 et 14 septembre 2016

Le 26 mai 2015, M. [F] [Y] s'est vu notifier l'avertissement suivant :

"Le 18 mai 2015, vous avez ainsi rendu destinataires de vos emails quant aux négociations en cours sur la GPEC certains salariés de [P] sachant toutefois pertinemment que ces derniers ne sont nullement en charge des relations sociales.

Nous vous l'avons fait remarquer. Nous vous avons invité à limiter la diffusion de ces emails aux seules personnes habilitées à représenter la société dans le cadre des négociations collectives, à savoir : moi-même en ma qualité de Directrice des Ressources Humaines et [X] [G] en sa qualité de Directeur Général.

Certains salariés se sont faits les coûts d'une position identique.

Vous n'avez cependant pas souhaité y donner suite allant même jusqu'à adresser nos échanges à [Z] [D], Responsable Qualité, sans même nous ([X] [G] et moi même) mettre en copie (...)

Vos agissements constituent une violation de l'obligation de discrétion à laquelle vous êtes tenu à tous égards".

Le 14 septembre 2016, le salarié a reçu un deuxième avertissement ainsi rédigé :

"Une nouvelle fois, nous sommes contraints de constater que vous persistez à adresser à certains salariés de notre société des emails qui ne les concernent pas, vous retranchant derrière vos fonctions représentatives et semant volontairement la confusion.

Par ailleurs, vos emails dépassent largement la liberté d'expression, certains ayant un caractère brutal voire violent.

Vous mettez délibérément en copie les IRP et certains Managers de la société dans le but de mettre la société en porte-à-faux et n'hésitez pas à mentir pour semer le trouble.

Ainsi, vous indiquez dans vos emails à la Direction et aux autres IRP que certaines institutions telles que l'Inspection du Travail sont en copie de vos communications alors que c'est faux.

Au mois d'août notamment, vous avez rendu destinataires de vos emails, quant aux négociations annuelles obligatoires en cours, certains salariés de [P] sachant toutefois pertinemment que ces derniers ne sont nullement en charge des relations sociales.

Nous vous l'avons fait remarquer à de multiples reprises. Nous vous avons invité à limiter la diffusion de ces emails aux seules personnes habilitées à représenter la société dans le cadre des négociations collectives(...).

Vous n'avez cependant pas souhaité donner suite allant même jusqu'à assener d'emails le Service Leader EH afin d'obtenir une réunion de négociation syndicale avec lui et à contacter directement le [Localité 5] Leader EH afin de "débattre sur les sujets de NAO à venir".

Après avoir rappelé à la rédaction d'un PV de NAO par la Direction, vous vous permettez d'enjoindre la DRH de compléter un document de 53 pages sur un ton des plus inappropriés : "il reste à la direction, si elle souhaite le rédiger, de se mettre à la tâche".

Vos agissements constituent une violation de l'obligation de discrétion et de respects à laquelle vous êtes tenue à tous égards"

L'employeur indique que, dans le cadre des négociations portant sur la Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences (GPEC), M. [F] [Y] a transmis à plusieurs salariés de [P] des échanges portant sur ces négociations (pièce 1 employeur) manquant, ainsi, à son obligation de discrétion et de confidentialité. Rappelé à l'ordre par un courriel de la Directrice des Ressources Humaines (DRH), le salarié a persisté dans ses communications sur la GPEC auprès d'autres salariés, sans en mettre en copie les représentants de la Direction, ce qui a conduit à la notification du premier avertissement.

S'agissant de la deuxième sanction disciplinaire, elle est motivée par le fait que M. [F] [Y] a continué à adresser à des salariés des emails qui ne les concernaient pas, pour tenter d'influer sur les discussions de la NAO 2017 (pièces 3, 4 et 5) et il a envoyé des courriels à la Direction, dont il a été considéré qu'ils dépassaient "largement le cadre de la liberté d'expression" (pièce 6).

M. [F] [Y] rapporte que, selon l'accord collectif de travail concernant les Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication (NTIC), applicable au sein de l'entreprise et conclu jusqu'à la fin de l'année 2008 (mais non dénoncé avant la fin de l'année 2015), "la fréquence et le contenu des courriels" syndicaux "sont librement déterminés" par chaque syndicat "dans les limites des dispositions relatives au droit de la presse (diffamation et injure publique)". L'appelant considère, donc, qu'en sa qualité de délégué syndical, représentant des salariés, il était parfaitement normal qu'il échange avec ceux-ci sur la négociation des GPEC, qui n'avait pas encore commencé à la date des communications qui lui ont été reprochées en 2015. Il ajoute, qu'alors qu'il lui est fait grief d'avoir échangé avec des cadres sur ce qu'étaient les GPEC et sur le thème de la négociation future, ces informations, partagées en interne, ne présentaient aucun caractère de confidentialité et qu'il n'a pas manqué à une obligation de discrétion, qui ne s'applique pas aux organisations syndicales. Il précise, à cet égard, qu'alors qu'il a interrogé la Directrice des Ressources Humaines sur le fondement et le contenu de cette obligation, à la suite de son rappel à l'ordre préalable à la mesure d'avertissement, elle a été dans l'incapacité de lui préciser les règles de communication interne sur lesquelles elle s'appuyait.

S'agissant des communications qui lui ont été reprochées en 2016, M. [F] [Y] répond qu'il s'agissait pour l'essentiel de propositions d'échanges de points de vue avec le Directeur du SAV, la DRH, des Responsables de service et les membres du comité d'entreprise sur la future NAO 2017. Il constate, qu'alors qu'il lui est reproché d'avoir largement dépassé le cadre de la liberté d'expression, dans le courriel visé par la sanction, il s'est contenté de rappeler ce que prescrivait le code du travail s'agissant la rédaction du procès-verbal obligatoire de désaccord relatif à la NAO 2016, après que la Direction eut établi un document non conforme. Il a, par ailleurs, ajouté : "il reste à la Direction, si elle souhaite le rédiger, de se mettre à la tâche", ce qui ne peut en aucun manière être qualifié de propos injurieux, diffamatoire, ni même excessif.

M. [F] [Y] considère, donc, qu'il a été sanctionné de manière parfaitement infondée et pour des agissements commis dans le cadre de l'exercice de son activité syndicale, ce qui constitue une pratique discriminatoire de la part de l'employeur

Il sollicite, également, l'annulation des deux avertissements prononcés à son encontre et le versement d'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral subi.

La cour observe qu'alors que M. [F] [Y] a été sanctionné pour avoir diffusé, en copie, à plusieurs salariés de [P] ses échanges, portant sur les négociations salariales, avec la Directrice des Ressources Humaines de la société, cette dernière lui a répondu sur ces questions en laissant, également, en copie les salariés qui n'avaient pas vocation à avoir connaissance de ces discussions. Il s'en déduit que les supposés manquement aux règles de confidentialité ont été partagés par ceux qui en font le reproche au salarié et que ce dernier ne pouvait, dès lors être sanctionné pour ce motif. Il ne ressort pas des pièces versées au dossier que les communications du salarié avec des cadres de la société, dans le contexte de la préparation des négociations salariales, aient excédé ses missions de représentant du personnel. Enfin, la mention de M. [F] [Y] "il reste à Direction, si elle souhaite le rédiger, de se mettre à la tâche" ne présente pas un caractère injurieux, diffamatoire ou excessif qui permettrait de considérer qu'elle ne peut s'inscrire dans le cadre de la liberté d'expression du salarié, et ce, d'autant que cette phrase était immédiatement suivie des termes suivants : "Je suis à l'écoute et à la disposition de la Direction".

En conséquence, il sera fait droit à la demande d'annulation formée par le salariée des deux sanctions disciplinaires prononcées à son encontre et il lui sera alloué une somme de 500 euros en raison du préjudice moral subi.

1-2 Sur le faible nombre de formations proposées

M. [F] [Y] indique qu'il a cessé d'être formé sur les machines et les équipements nouveaux vendus par la société [P] de 2001 à 2006. A la suite des démarches qu'il a dû entreprendre, il a reçu plusieurs formations techniques entre 2006 et 2009 mais, à compter de cette date, il n'a plus jamais été formé sur un quelconque matériel, ce qui a gravement compromis son employabilité. Il n'a pas non plus été formé sur du matériel concurrent ce qui l'empêchait d'être opérationnel dans le secteur du dépannage multi-marques assuré par la société.

Sur le plan des formations techniques, M. [F] [Y] affirme ainsi qu'il n'a reçu que cinq formations en Chromatographie, là où ses collègues, occupant les mêmes fonctions, en ont reçu, le plus souvent, entre 13 et 14 (pièces 38-1, 38-2, 38-3, 38-4, 38-5).

Le salarié indique, également, qu'en 35 ans et 9 mois de service, il n'a reçu que deux légères formations en anglais, alors que l'environnement de la société [P] était partiellement anglophone et, qu'au vu des progrès accomplis lors des deux premiers stages, il avait demandé à poursuivre son apprentissage.

Enfin, à partir de 2018, il lui a été indiqué qu'il ne bénéficierait plus de formation technique en raison de la proximité de son futur départ à la retraite, ce qu'il considère comme une discrimination fondée sur son âge.

L'employeur répond que le salarié a bénéficié de 11 formations techniques entre 1984 et 2009 et que s'il ne s'en est plus vu proposer par la suite c'est qu'il disposait des compétences techniques nécessaires puisque lui-même assumait des fonctions de formateur auprès de ses collègues (pièce 10 employeur). Contrairement à ce qui est avancé par le salarié, il a bien continué à bénéficier de formations après 2009 mais sur la gestion du temps, sur le CHSCT, sur l'efficacité dans la relation clients, le logiciel PowerPoint etc.. (pièces 29 à 33).

La société intimée relève qu'il n'a jamais été refusé au salarié une formation de quelque nature que ce soit mais que c'est, au contraire, M. [F] [Y] qui a refusé les formations en Chromatographie qui lui ont été proposées à compter de 2014 (pièce 28).

Toutefois, la cour retient qu'il est établi, qu'à compter de 2009, M. [F] [Y] n'a plus bénéficié de formations techniques, contrairement à ses collègues de travail, alors que son poste nécessitait des mises à niveau constantes pour maintenir son employabilité. Contrairement à ce qu'avance l'employeur, il n'est pas démontré que l'appelant a refusé de suivre des formations qui lui auraient été proposées puisqu'il n'est produit qu'une liste de "ses formations overdue" (en retard), sans qu'il soit justifié que ce retard serait imputable au salarié plus qu'à l'employeur. Enfin, l'absence de communication par l'employeur des entretiens annuels d'évaluation pour les années litigieuses ne lui permet pas de prétendre qu'il a pris en compte les demandes et les besoins du salarié en termes de formation. Il sera donc jugé que M. [F] [Y] a subi une discrimination en termes de formation fondée sur son engagement syndical et sur son âge.

1-3 Sur l'absence de promotion

Le salarié appelant explique, qu'alors qu'il a obtenu un diplôme en Gestion et Commerce Formacadre en 2005, dont il a maintes fois demandé la mise à profit à l'employeur (pièces 20, 23-1, 26, 71) et bien qu'il ait candidaté en octobre/ novembre 2016 au poste de Service Delivery Leader (Responsable Technique Régional), il n'a plus jamais bénéficié de promotion après sa nomination comme Ingénieur Service Après-vente, en 1993. M. [F] [Y] estime qu'il s'agit là d'une nouvelle preuve de la discrimination dont il a fait l'objet puisque son collègue, M. [N] [V], ayant une formation initiale identique à la sienne et engagé le 30 novembre 1992, a été promu Responsable Support Technique et que son autre collègue, M. [R] [O], ayant également une formation initiale identique et embauché le 4 septembre 1989, a obtenu cette même promotion.

L'employeur objecte que si M. [F] [Y] n'a pas été retenu pour le poste de Service Delivery Leader, pour lequel il a été reçu en entretien le 21 novembre 2016, c'est parce qu'il ne disposait pas d'une parfaite maîtrise de l'anglais, nécessaire pour ce poste et que le salarié avait toujours exclu une mobilité géographique (voir pièces 13, 15 et 37).

Concernant les promotions accordées à Messieurs [V] et [O], la société intimée affirme que ces deux salariés disposaient de compétences en matière de management et maîtrisaient l'anglais.

Mais, outre que l'employeur ne justifie aucunement de ces dernière allégations, le salarié appelant établit qu'il avait obtenu un diplôme de gestion et commerce en 2005, dont n'étaient pas titulaires ses collègues et qu'il avait suivi deux formations en anglais et avait demandé à bénéficier de formations complémentaires qui ne lui ont pas été proposées.

Dans ces conditions, il ne peut pas plus lui être opposé son niveau insuffisant en anglais pour justifier du refus de sa candidature au poste de Service Delivery Leader.

De la même façon, il n'est pas démontré autrement que par une attestation de la Directrice des Ressources Humaines que M. [F] [Y] n'aurait pas été mobile géographiquement alors qu'il candidatait sur un poste dont il était précisé, explicitement, qu'il serait basé en région parisienne.

En l'absence de critère objectif permettant d'expliquer pourquoi M. [F] [Y] n'a bénéficié d'aucune promotion de 1993 à 2018, contrairement à des collègues qui occupaient les mêmes fonctions que lui, qui avaient une formation inférieure à la sienne et une ancienneté moindre, il convient de considérer que l'absence de promotion du salarié est discriminatoire.

1-4 Sur le salaire de base

Après avoir demandé à l'employeur de produire les bulletins de salaire de six de ses collègues, afin de comparer l'évolution de leurs salaires de base, et n'avoir reçu que les bulletins de paie des six salariés concernés pour les années 2014 à 2018, M. [F] [Y] a constaté que lesdits salariés ont perçu un salaire de base continuellement supérieur au sien, en moyenne de 20,67 %, ce qui représente une perte annuelle de salaire de 8 791,48 euros.

L'appelant ajoute, qu'en 2007, le Directeur de SAV de la société [P] avait lui-même écrit, dans un courrier, dont le Président Directeur Général de l'entreprise était en copie, que son salaire était anormalement bas, puisqu'il était même inférieur aux minima appliqués par la société, et qu'il devait être augmenté.

La société intimée réplique que M. [F] [Y] a bénéficié d'augmentations individuelles de salaires liées à ses performances, comme les autres employés de la société, et que si d'autres salariés ont connu des augmentations de salaire plus importantes que les siennes c'était parce que la qualité des prestations de l'appelant était bien moindre que celles des collègues avec lesquels il se compare (pièces 22, 25, 26 et 27). L'employeur en donne pour preuve que M. [F] [Y] n'a perçu aucune prime commerciale entre 2014 et 2018, contrairement à tous les salariés de son panel.

Cependant, à défaut pour l'employeur de communiquer les évaluations annuelles des salariés du panel et/ou les bilans d'atteintes des objectifs pour l'ensemble des salariés, il est impossible d'affirmer que les incontestables différences de rémunérations existant entre M. [F] [Y] et ses collègues de travail reposeraient sur des critères objectifs. Il ne peut davantage être considéré que Messieurs [V] et [O] doivent être exclus du panel en raison de leur promotion à un poste de Responsable Support Technique, dès lors qu'il a été considéré au point précédent, que l'appelant aurait parfaitement pu prétendre à cette promotion. Enfin, concernant les primes commerciales dont M. [F] [Y] n'a pas bénéficié entre 2014 et 2018, le salarié justifie qu'il n'a pas effectué les démarches pour obtenir le versement desdites primes, dont il estimait qu'elles n'avaient pas à lui être versées.

Il s'en déduit que la différence de salaire de base entre M. [F] [Y] et les salariés auxquels il se compare est acquise et qu'elle n'est pas justifiée par des éléments objectifs, qu'elle est donc discriminatoire.

1-5 Sur l'absence d'entretiens annuels

Le salarié appelant fait valoir, qu'en dépit de ses nombreuses démarches depuis 2001, il n'a pu, sauf au titre des années 2015 et 2016, bénéficier normalement d'entretiens annuels dans le cadre de son forfait en jours.

L'employeur observe que pour qu'il y ait discrimination au sens de la loi, il faut qu'une disparité de traitement existe entre des personnes placées dans une situation identique, or, il affirme qu'il est arrivé à d'autres salariés non élus et/ou non syndiqués de ne pas bénéficier de tels entretiens, pour des raisons de disponibilité des intervenants ou de surcroît d'activité. En outre, il affirme que la plupart des entretiens annuels ont bien eu lieu mais que l'appelant a refusé de signer leurs comptes rendus.

Toutefois, alors que la société intimée prétend avoir satisfait à son obligation d'organiser des entretiens annuels avec le salarié elle ne verse aux débats qu'un seul compte rendu relatif à l'année 2017. Elle ne justifie pas non plus que d'autres salariés de la société auraient été privés de leurs entretiens d'évaluation.

1-6 Sur la discrimination syndicale et la réparation du préjudice subi

Au regard de ce qui a été retenu aux points 1-1 à 1-5, il sera considéré que la société intimée ne justifie pas d'éléments objectifs qui permettraient d'expliquer les sanctions dont le salarié a été victime, le faible nombre de formation sproposées, son absence de promotion, l'inégalité avec ses collègues dans l'évolution de son salaire de base et le défaut d'organisation d'entretiens annuels, il sera donc jugé que M. [F] [Y] a été victime d'une discrimination en raison de son engagement syndical et de son âge et le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il l'a débouté de ses demandes de ce chef.

M. [F] [Y] précise que la discrimination dont il a souffert s'est traduite par une perte de salaire durant sa période d'emploi qu'il estime à 195 644,98 euros (pour la période de 1998 à septembre 2018, en comparant son salaire annuel à la moyenne des salaires d'un panel de salariés), une perte en termes de pension de retraite, qu'il a évalué à 150 221,95 euros, soit un préjudice matériel de 345 886,93 euros.

Il sollicite, également, une somme de 20 000 euros en raison du préjudice moral subi du fait des agissements de l'employeur qui ont eu un retentissement sur son état de santé.

Eu égard au préjudice matériel et en termes de perte de droit à la retraite subi par le salarié il lui sera alloué une somme de 130 000 euros à laquelle il sera ajouté 2 000 euros en réparation du préjudice moral subi par M. [F] [Y] qui a été atteint dans son affect et sa dignité.

2/ Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié lesalarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlementd'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [F] [Y] prétend, qu'en raison de son "activisme syndical" il a été l'objet d'un harcèlement moral caractérisé par :

- des réflexions, en public, sur son prétendu manque d'activité professionnelle, des réquisitoires contre son activité syndicale et des mises en cause de sa probité, dont il s'est plaint auprès de la Directrice des Ressources Humaines (pièces 64, 65, 66) et le médecin du travail dès l'année 2010 (pièce 67). Le salarié ajoute, aussi, qu'il a été qualifié de "paranoïaque" lors d'une réunion du Comité d'Entreprise du 22 septembre 2017 (pièce 35)

- le licenciement d'un de ses supérieurs hiérarchiques, en décembre 2005, pour faute grave en raison du harcèlement moral qu'il lui faisait subir (pièce 58 employeur)

- la notification d'avertissements injustifiés le 26 mai 2015 et le 14 septembre 2016

- la mise en oeuvre d'une enquête pour des risques psychosociaux au niveau du Comité d'Entreprise destinée à le mettre en cause

- la modification des modalités de calcul de sa rémunération variable et l'ajout aux fonctions d'Ingénieur Service Après-Vente des fonctions de "Vendeur de consommables", sans qu'un avenant au contrat de travail ne soit soumis à son accord exprès.

M. [F] [Y] souligne que ces agissements ont entraîné une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, médicalement constatée par son médecin traitant depuis 2016 (pièce 19-2), ainsi que par un psychiatre à compter de cette même date (pièce 19-3). D'ailleurs, entre le 10 janvier et le 5 juillet 2018, le salarié a dû être placé en arrêt de travail durant 75 jours.

En conséquence, M. [F] [Y] réclame une somme de 20 000 euros en réparation du préjudice subi.

La cour retient au vu de ses éléments, qui pris dans leur ensemble, relatent de manière concordante un syndrome dépressif avéré ainsi que l'imputation par le salarié de ce dernier à ses conditions de travail, que ce dernier présente des éléments de faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et qu'il appartient dès lors à l'employeur de prouver que les agissements précis qui lui sont reprochés n'étaient pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société intimée rapporte que si M. [F] [Y] a pu faire l'objet d'attitudes inadaptées de la part d'un de ses supérieurs hiérarchiques, tout comme trois autres employés de la société, le salarié en question a été licencié pour faute grave en raison de son comportement, ce qui démontre la parfaite réactivité de l'employeur aux dénonciations de ses subordonnées. Elle ajoute que l'enquête diligentée par un intervenant extérieur sur les risques psychosociaux au Comité d'Entreprise (CE) est survenue à la suite de la démission du secrétaire du CE de son mandat, ce dernier expliquant sa décision par le comportement agressif de l'appelant (pièce 36) et faisant état de pressions et d'un climat délétère au sein de l'instance. Après avoir échangé avec l'Inspection du travail, l'employeur n'avait d'autre choix que d'engager une procédure d'enquête pour satisfaire à son obligation de prévention de la santé des salariés.

S'agissant de la prétendue modification unilatérale du contrat de travail du salarié, l'employeur rappelle que les salariés de l'entreprise sont éligibles à un plan de rémunération variable dépendant de la réalisation d'objectifs fixés unilatéralement par la société, dans le cadre de plan de bonus, non soumis à la signature des salariés. En 2016, la société a procédé à une modification du plan de rémunération variable en faisant de la vente de consommables, qui était une composante facultative du déclenchement du bonus des ingénieurs SAV, une composante obligatoire. L'employeur considère que le mode de calcul de la rémunération variable n'étant pas contractualisé, il n'avait pas à recueillir l'accord des salariés sur ces nouvelles modalités qui se sont révélées, par ailleurs, plus favorables.

Enfin, la société intimée relève que si le salarié fait état d'une dégradation de ses conditions de santé en lien avec un harcèlement moral, la médecine du travail l'a toujours reconnu apte à exercer ses fonctions.

Mais, la cour retient que, selon un avenant contractuel du 25 décembre 1995, la part variable de M. [F] [Y] devait être exclusivement calculée en fonction d'objectifs et de résultats de nature collective et régionale en terme de "ventes de contrats", d'une part et de "facturation" de pièces de main d'oeuvre, d'autre part (pièce 2-2 salarié). Le mode de calcul ainsi que la nature des objectifs de la part variable ont donc bien été contractualisés et appliqués en fonction de ces critères jusqu'en 2016. En juin 2016, la société [P] a, unilatéralement, ajouté aux fonctions du salarié des tâches de "vendeur de consommables" et modifié le mode de calcul de sa rémunération variable, sans recueillir son accord et en dépit de ses protestations officielles alors même qu'en sa qualité de salarié protégé, M. [F] [Y] ne pouvait se voir imposer un simple changement de ses conditions de travail et que les modifications apportées, qui concernaient la définition de ses missions et sa rémunération portaient sur des éléments substantiels du contrat de travail. En 2016, il a également été ajouté aux missions du salarié une fonction de formateur, en dépit, là encore, de son opposition.

Il a, par ailleurs, été retenu au point 1 que les avertissements notifiés au salariés étaient injustifiés et il est démontré que le salarié appelant a continué à se plaindre d'être victime de faits de harcèlement moral postérieurement au licenciement de son supérieur hiérarchique en 2005 et, notamment, en 2010, auprès des services de la médecine du travail (pièce 67) et que la dégradation de son environnement professionnel a eu un retentissement sur son état de santé médicalement constaté.

Il s'en déduit que l'existence d'un harcèlement moral subi par le salarié est bien avérée. Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a débouté M. [F] [Y] de sa demande indemnitaire de ce chef et il lui sera alloué une somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice.

3/ Sur la prise d'acte

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Pour que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail. La charge de la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur à l'appui de sa prise d'acte pèse sur le salarié.

Il est rappelé que le courrier par lequel le salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail ne fixe pas les limites du litige, la juridiction doit examiner les manquements invoqués par le salarié même s'ils ne sont pas mentionnés dans ledit courrier.

M. [F] [Y] soutient que son départ en retraite est intervenu de manière anticipé en raison de la dégradation de ses conditions de travail résultant de la discrimination et du harcèlement moral subis, qui ont eu un retentissement de plus en plus lourd sur son état de santé le contraignant à s'arrêter à plusieurs reprises dans le courant de l'année 2018.

Le 26 juillet 2018, il a donc écrit à l'employeur : "Compte tenu de la situation actuelle, de mon état de santé, tant physique que psychique, contrairement à ce que j'ambitionnais, je prendrai ma retraite au plus tôt , le 1er octobre 2018" (pièce 62).

M. [F] [Y] demande donc que son départ en retraite soit requalifié en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul.

La société intimée objecte que le salarié a rédigé son courrier de départ en retraite de manière à pouvoir exciper, par la suite de son caractère éventuellement équivoque, mais qu'il a confirmé, par oral et par écrit, à la Directrice des Ressources Humaines, au mois d'août 2018, sa décision ferme et non équivoque de démissionner.

La cour observe, qu'à la date de son départ à la retraite, le salarié avait déjà saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau, ce qui atteste du contexte conflictuel qui a pu peser sur cette décision et dont le salarié a clairement fait état dans son courrier du 26 juillet 2018. Eu égard aux faits de discrimination et de harcèlement moral subis par le salarié, il sera jugé que son courrier de départ à la retraite constitue une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul.

Au titre de l'indemnité pour licenciement nul, conformément à l'article L. 1235-3-1 du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsqu'il est constaté que le licenciement est entaché par une des nullités prévues au deuxième alinéa de cet article, dont la discrimination et le harcèlement moral. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, il est en droit de revendiquer une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au regard de son ancienneté de plus de 35 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée en moyenne sur les douze dernier mois augmentée de 20,67 % correspondant à la perte salariale moyenne causée par la discrimination, soit 5 794,85 euros, il convie de lui allouer, en réparation de son préjudice la somme de 116 000 euros.

Le salarié peut, également, légitimement prétendre aux sommes suivantes :

- 23 179,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 2 317,95 euros au titre des congés payés afférents

- 72 449,83 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Il sera ordonné à la SASU [P] de délivrer à M. [F] [Y], dans les deux mois suivants la notification de la présente décision, un certificat de travail, un bulletin de paie et un solde de tout compte rectifié, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette obligation d'une astreinte.

4/ Sur l'indemnité pour violation du statut protecteur

M. [F] [Y] rappelle que le contrat de travail a été rompu le 26 juillet 2018 avec préavis jusqu'au 1er octobre 2018 et que la période de protection au titre de son mandat de délégué syndical expirait 12 mois après la cessation de ce mandat, soit au 30 septembre 2019.

En conséquence, il réclame une indemnité égale à la rémunération brute qu'il aurait dû percevoir entre la date de la rupture du contrat de travail et l'expiration de la période de protection, soit 86 869,71 euros.

L'employeur objecte que, dès lors que M. [F] [Y] a fait valoir ses droits à la retraite le 1er octobre 2018, il ne peut valablement prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur.

Mais, le départ en retraite du salarié s'appréciant comme une prise d'acte, il convient de faire droit à la demande du salarié de versement d'une indemnité pour violation du statut protecteur.

5/ Sur la demande reconventionnelles de dommages-intérêts et d'amende civile pour procédure abusive

La société intimée prétend que M. [F] [Y] ne s'est jamais plaint, au cours de la relation de travail, d'être victime d'une quelconque discrimination ou d'un harcèlement moral, à l'exception des faits qui ont conduit au licenciement de son supérieur hiérarchique en 2005. Elle ajoute qu'une telle attitude surprend de la part d'un délégué syndical qui n'a jamais hésité à se confronter à l'employeur.

La SASU [P] considère qu'en réalité, M. [F] [Y] a imaginé une stratégie pour obtenir, au motif d'accusations parfaitement infondées de discrimination et de harcèlement moral à l'encontre de l'employeur des sommes indues en sus de ses indemnités de départ à la retraite.

La société intimée demande, donc, que l'appelant soit condamné au paiement d'une amende civile de 10 000 euros et à lui verser une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive.

Cependant, la cour ayant considéré que tant les faits de discrimination syndicale que ceux de harcèlement moral dénoncés par le salarié étaient constitués, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la SASU [P] de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts et de condamnation du salarié à une amende civile.

6/ Sur les autres demandes

Les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2019.

Les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision.

Il sera ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.

La SASU [P] supportera les dépens de première instance et d'appel et sera condamnée à payer à M. [F] [Y] une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Infirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a débouté la SASU [P] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Annule les avertissements notifiés au salarié le 26 mai 2015 et le 14 septembre 2016,

Dit que le départ à la retraite du salarié en date du 1er octobre 2018 est une prise d'acte de rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul,

Condamne la SASU [P] à payer à M. [F] [Y] les sommes suivantes :

- 500 euros à titre de dommages-intérêts pour les deux avertissements injustifiés notifiés les 26 mai 2015 et 14 septembre 2016

- 132 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice matériel, préjudice de retraite et préjudice moral en raison de la discrimination syndicale et du fait de l'âge subie

- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral

- 116 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul

- 23 179,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 2 317,95 euros au titre des congés payés afférents

- 72 449,83 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement

- 82 062,84 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur

- 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,

Dit que les sommes allouées à titre salarial porteront intérêts au taux légal à compter du 9 mai 2019 et que les sommes allouées à titre indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de la présente décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts pourvus qu'ils soient dus pour une année entière,

Ordonne à la SASU [P] de délivrer à M. [F] [Y], dans les deux mois suivants la notification de la présente décision, un certificat de travail, un bulletin de paie et un solde de tout compte rectifié,

Déboute la SAS [P] de sa demande reconventionnelle et de sa demande de condamnation de M. [F] [Y] à une amende ainsi que du surplus de ses demandes plus amples ou contraires,

Déboute M. [F] [Y] du surplus de ses demandes plus amples ou contraires,

Condamne la SASU [P] aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 20/05971
Date de la décision : 23/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-23;20.05971 ?
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