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22/02/2023 | FRANCE | N°20/03793

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 22 février 2023, 20/03793


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 22 FEVRIER 2023



(n° , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03793 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB6BQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mars 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL - RG n° 14/01254



APPELANT :



Monsieur [T] [P]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Dominique N

ARDEUX, avocat au barreau de MELUN



INTIMEES :



SELARL [U][G] prise en la personne de Me [G] [U] - Mandataire liquidateur de S.N.C. GEOXIA ILE DE FRANCE

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 22 FEVRIER 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03793 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB6BQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mars 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CRETEIL - RG n° 14/01254

APPELANT :

Monsieur [T] [P]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Dominique NARDEUX, avocat au barreau de MELUN

INTIMEES :

SELARL [U][G] prise en la personne de Me [G] [U] - Mandataire liquidateur de S.N.C. GEOXIA ILE DE FRANCE

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 6]

Représenté par Me Jacques DES MOUTIS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0694

SELARL [D]-PECOU prise en la personne de Me [D] [O] - Mandataire liquidateur de S.N.C. GEOXIA ILE DE FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 10]

[Localité 7]

Représenté par Me Jacques DES MOUTIS, avocat au barreau de PARIS, toque : B0694

PARTIE INTERVENANTE :

Association CGEA IDF OUEST

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Florence ROBERT DU GARDIER de la SELARL DUPUY Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0061

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jean-François DE CHANVILLE dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

M. [T] [P], né le 5 novembre 1983, a été engagé par la société Geoxia Ile de France (IDF) selon contrat de travail à durée indéterminée du 11 octobre 2007 en qualité d'attaché commercial.

Initialement en poste sur le site de [Localité 11] (91), M. [P] a été muté en 2008 sur le site de [Localité 8] (91).

Suivant avenant du 1er mai 2009, il a été nommé ingénieur commercial statut VRP.

Par lettre remise le 3 avril 2014, il a été convoqué à un entretien préalable fixé au 14 avril 2014 en vue d'un éventuel licenciement et il lui a été notifié sa mise à pied conservatoire.

Celui-ci a été notifié pour faute grave par lettre du 18 avril 2014, pour "dénigrement et tentative de brutalisation à l'encontre" de son supérieur hiérarchique, "propos et agissements inappropriés à caractère sexuel" et "menaces et ragots à l'égard des salariés".

Contestant cette rupture, M. [P] a saisi le 28 mai 2014 le conseil de prud'hommes de Créteil aux fins de voir déclarer le licenciement nul pour harcèlement moral et condamner la société Geoxia Ile de France à verser à M. [P] les sommes suivantes :

- 92.081,52 euros des dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

- 46.040,76 euros de dommages-intérêts pour préjudice de santé causé par les conditions de travail ;

- 23.020,38 euros au titre de l'indemnité de préavis ;

- 2.302,04 euros brut d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 8.057,13 euros d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de l'article 13 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975 ;

- 92.081,52 euros d'indemnité pour licenciement nul.

Subsidiairement, le salarié se fondait sur l'exécution déloyale du contrat de travail pour solliciter la condamnation de la défenderesse à lui payer les sommes suivantes :

- 92.081,52 euros en réparation du préjudice né de l'exécution déloyale du contrat de travail sur le fondement de l'article L1222-1 du code du travail ;

- 92.081,52 euros, soit 12 mois de salaire, à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement de l'article L 1235-3 du code du travail ;

- 23.020,38 euros d'indemnité de préavis outre 2.302,04 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 8.057,13 euros d'indemnité conventionnelle de rupture en application de l'article 13 de l'accord national interprofessionnel des VRP du 3 octobre 1975.

En tout état de cause, le demandeur sollicitait l'allocation de la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la condamnation de la SNC Geoxia Ile-de-France à lui remettre un certificat de travail et une attestation pour Pôle Emploi conformes sans la mention de la faute grave, ainsi qu'un bulletin de paie pour le règlement des condamnations et enfin qu'il doit dit que les condamnations seront majorées de l'intérêt au taux légal à compter de la saisine par M. [P] du conseil des prud'hommes de céans, avec capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1154 du Code civil.

La défenderesse s'est opposée à ces prétentions et a sollicité le versement de 5.000 euros par M. [P] au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 12 mars 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, les demandes de l'une et l'autre des parties ont été rejetées et les dépens ont été laissés "à la charge de chacune des parties".

Par déclaration du 29 juin 2020, M. [P] a régulièrement interjeté appel de cette décision.

Par jugement du 24 mai 2022, le Tribunal de commerce de Nanterre a ouvert, au bénéfice de la société Geoxia IDF, une procédure de redressement judiciaire, convertie en liquidation judiciaire, suivant jugement du 28 juin 2022, qui a désigné Me [U] [G], représentant de la SELARL C. [G], et Me [O] [D], représentant de la SELARL [D]-Pecou, en qualités de liquidateurs.

Le 18 août 2022, l'appelant a signifié une assignation en intervention forcée à Me [U] [G] et Me [O] [D], ès qualité.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 24 octobre 2022, il demande à la cour d'infirmer le jugement, sauf en ce qu'il a débouté la Société Geoxia IDF de sa demande faite en application de l'article 700 du Code de procédure civile, de débouter les intimés de leur demande au titre des frais irrépétibles, réitère ses demandes de première instance à l'exclusion de l'indemnité au titre des frais irrépétibles, sou réserve qu'il sollicite cette fois la fixation des sommes revendiquées au passif de la liquidation judiciaire de la société Geoxia IDF et non plus la condamnation de la partie adverse.

Dans leurs dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 10 octobre 2022, Me [U] [G] et Me [O] [D], ès qualité, demandent à la cour de constater l'absence d'effet dévolutif de l'appel de M. [P] et de juger en conséquence que la cour n'est saisie d'aucune demande, de sorte qu'il n'y a pas lieu de statuer sur l'appel de M. [P] en application des dispositions des articles 901 et 562 du code de procédure civile.

Subsidiairement, ils prient la cour de confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement pour faute grave justifié, et en ce qu'il a débouté l'appelant de l'ensemble de ses demandes,

En tout état de cause, ils rappellent que les sommes mises à la charge de la société doivent être inscrites au passif de celle-ci, de juger l'arrêt à intervenir opposable à l'AGS au titre de sa garantie, et de décider que le jugement du 24 mai 2022 portant ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux, en application des dispositions de l'article L 622-28 du code de commerce et enfin d'employer les dépens en frais privilégiés.

Les liquidateurs, ès qualité, réitèrent leur demande de première instance fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses uniques conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 21 octobre 2022, l'AGS, partie intervenante, s'associe aux arguments et moyens des liquidateurs, ès qualité, demande à la cour la confirmation du jugement du conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il a déclaré fondé le licenciement pour faute grave et en ce qu'il a débouté M. [P] de l'ensemble de ses demandes.

Subsidiairement, elle demande de juger irrecevables les demandes de condamnation de la société SNC Geoxia IDF en application des dispositions de l'article L 622-21 du code de commerce et débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes en le condamnant aux dépens. Enfin, elle entend voir statuer ce que de droit quant aux frais d'instance, dont les dépens, sans qu'ils puissent être mis à la charge de l'AGS.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 08 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur l'effet dévolutif

La société Ubiqus soulève l'absence d'effet dévolutif de l'appel, motif pris de ce que la déclaration d'appel ne comportait pas comme le prescrit l'article 901 du Code de procédure civile la liste des chefs de jugements expressément critiqués auxquels l'appel est limité et qu'elle ne pouvait s'y référer par un simple renvoi à l'annexe, alors que celle-ci n'a de valeur que dans la mesure où une impossibilité technique interdit d'en inclure le contenu dans la déclaration elle-même et où l'acte d'appel opère un renvoi explicite à cette annexe, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce.

Les liquidateurs, ès qualité, oppose que point n'est besoin que la déclaration d'appel se réfère expressément à l'annexe, ni que l'annexe litigieuse vise précisément la disposition querellée.

Sur ce

Aux termes de l'article 901 du Code de procédure civile tel qu'il résulte du décret n° 22-245 du 25 février 2022, la déclaration d'appel est faite par acte comportant le cas échéant une annexe, contenant les mentions prescrites par les 2° et 3° de l'article 54 et par le cinquième alinéa de l'article 57, et à peine de nullité les chefs de jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

L'annexe fait donc partie intégrante de la déclaration d'appel "qui la comporte".

L'art 4 du de l'arrêté du 25 février 2022 précise que lorsqu'un document doit être joint à un acte, ledit acte renvoie expressément à ce document, instaurant ainsi une condition de forme.

Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 modifiant l'article 901 du code de procédure civile et l'arrêté du 25 février 2022 modifiant l'arrêté du 20 mai 2020 relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant la cour d'appel sont immédiatement applicables aux instances en cours pour les déclarations d'appel qui ont été formées antérieurement à l'entrée en vigueur de ces deux textes réglementaires pour autant qu'elles n'ont pas été annulées par une ordonnance du magistrat compétent, qui n'a pas fait l'objet d'un déféré dans le délai requis, ou par l'arrêt d'une cour d'appel statuant sur déféré.

Une déclaration d'appel, à laquelle est jointe une annexe comportant les chefs de dispositif du jugement critiqué constitue l'acte d'appel conforme aux exigences de l'article 901 du code de procédure civile, dans sa nouvelle rédaction, même en l'absence d'empêchement technique.

Ces décret et arrêté doivent s'appliquer aux actes d'appel antérieurs au 22 février 2022.

Les intimés n'invoquent, en l'espèce, aucun grief tiré de l'absence de référence à l'annexe dans la déclaration d'appel.

La déclaration d'appel litigieuse est ainsi rédigée "Objet/portée de l'appel : appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués".

En annexe figure un document intitulé "déclaration d'appel devant la cour d'appel de Paris", mentionnant : "Objet de l'appel : L'appel tend à faire réformer ou annuler par la cour d'appel la décision entreprise en ce qu'elle a débouté M. [T] [P] de l'ensemble de ses demandes".

Ainsi l'annexe à la déclaration d'appel reprend très exactement la formule utilisée par le conseil dans son dispositif et qui fait grief à l'appelant, de sorte que l'effet dévolutif opére.

Sur le harcèlement moral

M. [T] [P] soutient qu'il a été licencié à la suite d'un courriel de sa part du 19 mars 2014, par lequel il se plaignait du harcèlement moral dont il faisait l'objet et qui consiste dans des agissements de collègues et en particulier de son chef de vente, M. [R], que la société a laissé faire. Il se plaint d'avoir subi insultes, menaces, agressions verbales et physiques, intimidation et appels malveillants.

Les liquidateurs, ès qualité, répondent que la société a fait diligenter une enquête à la suite du courriel du 19 mars 2014 qui conclut à l'absence de harcèlement moral et objectent que les éléments de preuve apportés à l'appui de ses dires sont inopérants, en ce qu'il se borne à communiquer des courriels rédigés par lui-même, des mains courantes et des plaintes au commissariat émanant de lui-même, des témoignages de son entourage proche et des procès-verbaux d'huissier portant transcription d'enregistrement de conversations téléphoniques, ce qui serait irrégulier au regard de l'exigence de loyauté de la preuve. De plus, l'huissier n'aurait fait qu'exploiter des enregistrements remis par le salarié lui-même et dont on ignore l'authenticité.

Sur ce

Aux termes de l'article L 1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il convient donc d'examiner la matérialité des faits invoqués, de déterminer si pris isolément ou dans leur ensemble ils font présumer un harcèlement moral et si l'employeur justifie les agissements invoqués par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Seront écartés tous les faits invoqués postérieurs à l'envoi de la lettre de licenciement, c'est-à-dire l'agression dont a fait l'objet le salarié le 9 mai 2014, ou certains des appels téléphoniques malveillants invoqués et notamment ceux du 2 mai 2014.

Les liquidateurs, ès qualité, ne peuvent opposer le caractère déloyal de la preuve apportée par M. [T] [P] consistant en des enregistrements de conversations téléphoniques à l'insu de l'interlocuteur, retranscrits très précisément par huissier de justice sans risque de manipulation, dés lors qu'il ressort des constats de cet officier ministériel que l'interlocuteur savait qu'il était enregistré.

En tout état de cause, l'administration de la preuve, en matière civile, est subordonnée au respect des droits fondamentaux des parties, et notamment du droit au respect de la vie privée, sous réserve que le mode de preuve utilisé, fût-il réputé déloyal et attentatoire à la vie privée, ne soit pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de l'auteur de l'enregistrement au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, et proportionné aux intérêts antinomiques en présence.

Or la démonstration du harcèlement téléphonique impose l'enregistrement des appels qui le caractérisent et constitue une atteinte proportionnée au principe de loyauté.

Enfin ces constats d'huissier transcrivent aussi des messages téléphoniques, dont l'auteur en la personne de M. [R] ne pouvait ignorer qu'ils étaient enregistrés par l'appareil récepteur.

Le constat du 19 mars 2014 révèle que d'une part que le 15 février 2014 le chef des ventes et supérieur hiérarchique de M. [T] [P], M. [R] a laissé deux messages téléphoniques à son subordonné enregistrés à 01 heure 01 et à 2 heures 08 et d'autre part qu'une conversation téléphonique entre ces deux personnes a commencé le 15 mars 2014 à 1 heure 08, au cours de laquelle ce dernier précisait qu'il savait qu'il était enregistré. Chaque enregistrement correspond à des injures répétitives à l'encontre de M. [P], telles que "tu dégages de mon équipe", "ne me prends pas pour un con", j'ai la haine contre toi", "t'es devenu un trou du cul" "t'es une merde", "tu ne m'arrives pas à la cheville", "t'es rien du tout", "t'as pas de couilles", "T'es un enculé", "t'es malpoli", "si t'avais pas une bite dans le cerveau", "je vais de rifter", "je vais de défoncer la gueule" "petit bâtard".

L'arrêt de travail du 4 mars 2014 pour une durée de six jours pour "dépression réactionnelle" et l'ordonnance portant délivrance d'anxiolytiques le même jour intervenus entre les deux enregistrements litigieux sont nécessairement au moins partiellement liés au harcèlement téléphonique.

Aucun autre fait n'est établi.

Le harcèlement par un salarié d'un subordonné à l'égard de personnes avec lesquelles il est en contact en raison de son travail, ne relèvent pas de la vie personnelle.

Les faits retenus laissent présumer le harcèlement moral.

L'employeur objecte que c'est M. [T] [P] qui appelait M. [R].

Cependant, si celui-ci a dit à M. [T] [P] au cours de la conversation téléphonique enregistrée que cela fait "cinquante fois" qu'il appelle, ce dernier lui répond "Tu m'as harcelé toute la soirée" et plus loin "tu m'as harcelé toute la nuit".

L'employeur n'apporte aucun élément pour prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aux termes de l'article L. 1152-4 du Code du travail, l'employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

Aucun élément ne vient établir que l'employeur a pris les mesures nécessaires pour prévenir de tels agissements, dés lors que l'enquête diligentée n'a pas pris en compte les doléances justifiées du salarié.

En conséquence le harcèlement moral est établi et sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 2 000 euros.

La demande de réparation de l'atteinte à sa santé causée par le harcèlement moral et invoqué de manière complémentaire par M. [T] [P] sera écartée, ce chef de préjudice étant d'ores et déjà indemnisé par la somme ci-dessus accordée.

Sur la cause du licenciement

La lettre de licenciement reproche au salarié un dénigrement et une opération de destruction physique de M. [R], des propos et agissements à caractère sexuel, des menaces et ragots à l'égard des autres salariés.

M. [T] [P] conteste l'ensemble de ces griefs.

Sur ce

L'employeur produit pour justifier du bien fondé du licenciement, l'enquête interne diligentée par l'entreprise à la suite du courriel 19 mars 2014 du salarié et des attestations. Les faits postérieurs au licenciement doivent être écartés. Doit pareillement être écarté le témoignage de M. [R] avec lequel le salarié s'opposait dans le cadre d'un conflit qui est à l'origine des différents agissements visés dans le la lettre de licenciement.

S'agissant du fait reproché le plus grave, à savoir que M. [T] [P] aurait demandé à L. [E], commercial de profession, moyennant une somme d'argent de dégrader la voiture de M. [R], de le violenter et le laisser pour mort, le témoignage de M. [E] fait état de ce que le salarié aurait voulu se venger d'avoir perdu son emploi alors qu'aucune procédure de licenciement était alors en cours. Il fait état d'une rémunération de 2 500 euros pour ce faire, tandis que M. [Y], qui est son ami fait état de 5 000 euros. En outre il est peu vraisemblable que M. [T] [P] se soit adressé à M. [E] qui était un ami de son beau-frère également salarié au sein de l'entreprise et avec lequel il était dans les plus mauvais termes. Enfin M. [V], autre collègue de M. [T] [P] confirme que ce "contrat" sur la tête de M. [R] est invraisemblable. Dans le même ordre d'idée, le bruit selon lequel le salarié aurait parlé d'acquérir une "Kalachnikov", inquiétant ainsi ses collègues étant donnée l'ambiance de l'entreprise, n'apparaît dans les pièces qu'à l'état de rumeur.

Restent les témoignages de M. [Y], dont il a été relevé qu'il doit être regardé avec circonspection, et de M. [Z] selon lesquels le salarié a tenu des propos grivois sur une collègue, sans en donner le contexte et des propos "malveillants" évoquant une prétendue bisexualité de M. [R] et son soi-disant alcoolisme.

Les éléments ainsi admis par la cour ne sont pas établis avec suffisamment de précision sur leur ampleur et leurs circonstances pour qu'il puisse être admis la proportionnalité entre le licenciement pour faute grave et même pour faute simple et les agissements reprochés.

Dans ces conditions, le licenciement sera déclaré dénué de cause réelle et sérieuse.

Sur la qualification du licenciement

Aux termes de l'article L. 1152-3 du Code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Alors que la cause de la rupture n'apparaît pas sérieuse, la procédure de licenciement a été engagée le 3 avril 2014, par une convocation à un entretien préalable, alors que l'employeur avait fait diligenter une enquête entre le 24 mars et le 1er avril 2014, à la suite d'un courriel du 19 mars 2014, par lequel M. [T] [P] se plaignait du harcèlement moral et notamment téléphonique les nuits du 14 et 15 février 2014 et des 25 et 26 février 2014, avec menaces de morts ou de violences à son encontre. Les auditions effectuées par la société démontrent que les dires du salarié sur ses appels téléphoniques intempestifs et ceux de Mme [H] qui allaient dans le même sens n'ont pas été pris en considération, tandis qu'était pris à son encontre une mesure de licenciement, pour un motif qui n'est pas sérieux, ainsi qu'il l'a été démontré.

Dés lors le licenciement qui est lié au harcèlement moral est nul.

Sur les conséquences financières du licenciement

Le salarié sollicite des indemnités de rupture sur la base d'un salaire mensuel de 7 673,46 euros. Il calcule l'indemnité conventionnelle de licenciement en se référant à l'article 13 de l'accord national interprofessionnel des VRP. Il sollicite l'équivalent de 10 mois de salaire en réparation du licenciement nul, en faisant valoir que s'il a retrouvé un emploi, son nouveau salaire est inférieur de moitié à celui dont il bénéficiait au sein de la société Geoxia Ile de France.

Les liquidateurs, ès qualité, objectent que son salaire mensuel n'est en réalité que de 7460,48 euros, que l'article 13 de la convention collective invoqué ne s'applique pas en cas de faute grave.

Sur ce

Alors qu'il appartenait à M. [T] [P] de justifier de son salaire, il ne produit aucune pièce justificative à cet égard, telle que bulletin de paie ou attestation Pôle Emploi.

Dès lors force est de retenir le mensuel brut admis par l'employeur à savoir 7 460,48 euros.

Ainsi il lui sera alloué une indemnité de préavis correspondant à quatre mois de salaire de 22 381,44 euros outre 2 238,14 euros d'indemnité de congés payés y afférents.

L'ancienneté du salarié est de 6 ans et 6 mois.

Aux termes de l'article 13 de la convention collective après deux ans d'ancienneté, l'indemnité conventionnelle de rupture est égale à 0,15 mois par année entière, pour les années comprises entre 0 et 3 ans et à 0,20 mois par année entière pour les années comprises entre 3 et 10 ans.

Il s'ensuit qu'il sera alloué à ce titre à M. [T] [P] la somme de :

[(0,15 x 3) + (0,20 x 3)] x 7 460,48 euros = 1,05 x 7 460,48 = 7 833,50 euros

Les dommages-intérêts pour licenciement nul sont au minimum égaux à la somme des six derniers mois de salaire.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [N] [X], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquence du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme de 44 800 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Au vu des motifs qui précèdent, il sera ordonné la délivrance des documents de fin de contrat sollicités dans les conditions prévues au dispositif, sans qu'il soit nécessaire de fixer une astreinte.

En application de l'article L 1235-4 du Code du travail, il sera inscrit au passif de la société le remboursement à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées au salarié dans la limite de six mois à compter du jour de son licenciement, dès lors qu'il ne s'agit pas du licenciement d'un salarié de moins de deux ans d'ancienneté opéré dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

Sur l'intervention de l'UNEDIC Délégation AGS CGEA IDF Ouest

Il convient de donner acte à l'UNEDIC Délégation AGS CGEA IDF Ouest des limites de sa garantie.

Sur les intérêts, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Les sommes allouées de nature contractuelle porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu'il l'est demandé, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Toutefois, le cours des intérêts s'est trouvé arrêté par l'ouverture de la procédure collective le 28 mai 2022, de sorte que les sommes allouées de nature indemnitaire ne pourront porter intérêts.

Il est équitable au regard de l'article 700 du code de procédure civile de rejeter la demande de la société Geoxia Ile de France qui succombe, s'agissant des frais irrépétibles et de la condamner aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Dit que l'appel opère effet dévolutif ;

Infirme le jugement sauf sur les demandes de dommages-intérêts pour préjudice de santé et d'indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau ;

Fixe au passif du redressement judiciaire de la société Geoxia Ile de France, les créances suivantes en faveur de M. [T] [P] :

- 22 381,44 euros d'indemnité de préavis ;

- 2 238,14 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- 7 833,50 euros d'indemnité de licenciement ;

- ces trois sommes avec intérêts au taux légal à compter de la répétition par la société Geoxia Ile de France de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil des prud'hommes et jusqu'au 28 mai 2022 ;

- 44 800 de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- 2 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Constate que les sommes allouées à caractère indemnitaire ne portent pas intérêts ;

Ordonne la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ;

Ordonne la remise par M. [U] [G], représentant de la SELARL C. [G], et M. [O] [D], représentant de la SELARL [D]-Pecou, pris en qualité de liquidateur de la société Geoxia Ile de France, d'une attestation Pôle Emploi, d'un certificat de travail et d'un bulletin de paie conformes au présent arrêt dans le mois de la signification de celui-ci ;

Condamne M. [U] [G], représentant de la SELARL C. [G], et M. [O] [D], représentant de la SELARL [D]-Pecou, pris en qualité de liquidateur de la société Geoxia Ile de France aux dépens de première instance ;

Y ajoutant ;

Rejette la demande de M. [U] [G], représentant de la SELARL C. [G], et M. [O] [D], représentant de la SELARL [D]-Pecou, pris en qualité de liquidateur de la société Geoxia Ile de France au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Fixe au passif de la société Geoxia Ile de France le remboursement à Pôle-Emploi des indemnités de chômage versées à M. [T] [P] dans la limite de six mois à compter du jour de son licenciement ;

Condamne M. [U] [G], représentant de la SELARL C. [G], et M. [O] [D], représentant de la SELARL [D]-Pecou, pris en qualité de liquidateur de la société Geoxia Ile de France aux dépens d'appel.

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/03793
Date de la décision : 22/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-22;20.03793 ?
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