Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 11
ARRET DU 21 FEVRIER 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02231 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTOV
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Février 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F19/00264
APPELANT
Monsieur [Z] [F]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par Me Sébastien REVAULT D'ALLONNES, avocat au barreau de PARIS, toque : E201
INTIMEE
Association LA CROIX ROUGE FRANCAISE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Thibaut CAYLA, avocat au barreau de PARIS, toque : C2417
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 03 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière présente lors du prononcé.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
M.[Z] [F], né le 21 novembre 1986, a été engagé par la Croix Rouge Française en qualité de technicien d'intervention d'urgence sociale et affecté au service intégré d'accueil et d'orientation du val de marne suivant contrat à durée indéterminée en date du 2 décembre 2015.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention nationale de la croix rouge française.
Par courrier RAR en date du 4 décembre 2018, la Croix Rouge Française a convoqué M. [F] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 17 décembre 2018, avec mise à pied conservatoire
Par courrier recommandé avec AR en date du 26 décembre 2018, la Croix Rouge Française lui a notifié son licenciement pour faute grave motif pris d'un comportement inadmissible à l'égard d'une collègue de l'équipe de jour.
A la date du licenciement, M. [F] avait une ancienneté de 3 ans et l'association la Croix rouge française occupait à titre habituel plus de 10 salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverse indemnités, outre des rappels de salaires ainsi que des dommages et intérêts, M. [F] a saisi le 26 février 2019, le conseil de prud'hommes de Créteil, qui par jugement rendu le 13 février 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :
Dit le licenciement de M. [Z] [F] parfaitement fondé en ce qu'il repose sur une faute grave ;
En conséquence,
Déboute M. [Z] [F] de l'intégralité de ses prétentions ;
Condamne ce dernier aux entiers dépens ;
Par déclaration du 10 mars 2020, M. [F] a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes, notifié par lettre du greffe adressée aux parties le 25 février 2020.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 3 juin 2020, M. [F] demande à la cour de :
Infirmer le jugement entrepris,
En conséquence,
Juger sans cause réelle et sérieuse le licenciement du 26 12 2018
Condamner l'Association La Croix Rouge Française à payer à M. [Z] [F] les sommes de :
Indemnité compensatrice de préavis : 3994,03 €
CP afférents : 399,40 €
Indemnité conventionnelle de licenciement : 3245,14 €
D-I pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 7 988 €
Rappel de salaire sur mise à pied : 1198,20 €
CP afférents : 119,82 €
D-I pour licenciement vexatoire : 4.000 €
La remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document des documents suivants rectifiés :
Attestation Pôle Emploi
Dernier bulletin de paie rectifié
Article 700 du CPC en cause d'appel 2.500 euros
Intérêt au taux légal à compter de la saisine sur l'intégralité des condamnations
Capitalisation des intérêts
Dépens
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 23 juin 2020, l'association Croix rouge française demande à la cour de :
Recevoir la La Croix Rouge Française en ses écritures et les dire bien fondées ;
En conséquence :
Confirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Créteil le 13 février 2020 en toutes ses dispositions ;
Débouter M. [F] de l'intégralité de ses demandes ;
Condamner M. [F] aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 décembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 3 janvier 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur le licenciement pour faute grave
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige était ainsi libellée :
«(...)
Nous faisons suite à l'entretien préalable que nous avons eu le 17 décembre 2018 au cours duquel nous vous avons exposé les faits que nous vous reprochons. Vous êtes venu, assisté de Madame [P] [A], membre du CHSCT, nous vous avons reçu Mme [H] [R], Directrice adjointe au SIAO du Val-de-Marne.
Vous occupez le poste de technicien d'intervention d'urgence sociale au sein des équipes mobiles d'urgences sociales depuis le 2 décembre 2015, équipes qui doivent travailler en bonne cohésion afin de mener à bien les missions d'aller vers et accompagner les personnes en situation de rue dans le département.
Le lundi 3 décembre 2018, vous avez eu un comportement inadmissible à l'égard d'une de vos collègues de l'équipe de jour. En effet, ce soir-là, alors que Madame [Y] [M] travaillait dans le bureau des équipes mobiles avec M. [X] [V], vous êtes arrivés avec votre collègue dans le bureau. Vous êtes entré dans le bureau, énervé et agité, disant que vous alliez « péter les plombs », vous êtes ressorti puis rentré immédiatement dans le bureau, puis vous avez saisi le cahier de transmission et demandé qui avait écrit le mot daté du 29 novembre 2018 mentionnant « merci de ranger le bureau, la réserve et le vestiaire car on n'est pas votre mère. Merci de respecter les affaires de vos collègues qui n'ont pas encore de casier ».
Madame [Y] [M] a confirmé avoir écrit le mot et c'est alors que vous vous êtes emporté violement à son égard, en criant qu'il s'agissait d'une insulte. Votre collègue a voulu expliquer le sens de ses propos, reconnaissant la maladresse de la formulation, mais vous continuiez à hurler à son encontre sans l'écouter.
Face à votre agressivité, M. [X] [V] s'est interposé entre elle et vous et a tenté de vous calmer également sans succès. Vous avez poursuivi en rabaissant votre collègue « pour qui elle se prend, elle n'a que 22 ans, ça fait 2 mois qu'elle est ici » et en adoptant une attitude menaçante et des gestes brusques, cherchant à contourner M. [X] [V] pour atteindre physiquement Madame [Y] [M] sans y parvenir. Vous avez alors saisi le cahier de transmission pour le jeter sur Madame [Y] [M]. Le cahier a été dévié dans sa trajectoire par l'intervention de M. [X] [V].
Plusieurs personnes des autres services sont arrivées, alertées par les cris qu'ils entendaient, vous êtes alors ressorti du bureau. Madame [Y] [M], quant à elle, était tellement apeurée et tétanisée par votre attitude qu'elle a sollicité de pouvoir rentrer chez elle.
Alors qu'elle s'apprêtait à quitter le service, vous attendiez avec un collègue [G] [J], près du véhicule de service avant de repartir en maraude. Inquiète de cette attitude de votre part, Madame [Y] [M] a sollicité son collègue, M. [X] [V], pour qu'il la raccompagne avec sa voiture personnelle jusqu'au métro. Vous avez par la suite poursuivi les pressions exercées en prenant le véhicule de service pour suivre vos collègues en voiture un moment, avant de finalement prendre une autre route.
Suite à cet évènement, plusieurs collègues féminines travaillant au 115 se sont ouvertes à leur cheffe de service sur le fait de se sentir agressées dans les échanges téléphoniques avec vous. Elles craignent de prendre vos appels, mettent en place des stratégies d'évitement pour ne pas être en relation avec vous par crainte de vos réactions imprévisibles et agressives, qui vous conduisent même parfois à refuser des interventions pour des signalements émanant d'elles.
Au cours de l'entretien, vous avez reconnu avoir hurlé sur votre collègue, indiquant « je comprends qu'elle ait eu peur », sans toutefois exprimer de regrets ni prendre la mesure de la gravité de votre comportement, exprimant qu'il s'agissait « peut-être d'un dérapage», « j'aurais peut-être dû lui parler plus calmement ». Un tel comportement ne peut être toléré dans le cadre professionnel.
Au regard de la gravité des faits que nous vous reprochons, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave sans préavis ni indemnités. Le licenciement prend donc effet immédiatement à la date d'envoi de cette lettre. Nous vous signalons à cet égard qu'en raison de la gravité des faits qui vous sont reprochés, le salaire correspondant à la période pendant laquelle nous vous avons mis à pied à titre conservatoire ne vous sera pas versé.
Vous pouvez faire une demande de précision des motifs du licenciement énoncé dans la présente lettre, dans les quinze jours suivant sa notification par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous avons la faculté d'y donner suite dans un délai de quinze jours après réception de votre demande, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé. Nous pouvons également, le cas échéant et dans les mêmes formes, prendre l'initiative d'apporter des précisions à ces motifs dans un délai de quinze jours suivant la notification du licenciement.
Nous vous informerons de la mise à disposition de vos documents relatifs à votre solde de tout compte. ».
La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise même pendant la durée du préavis.
L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.
Il est constant que le juge a le pouvoir de requalifier la gravité de la faute reprochée au salarié en restituant aux faits leur exacte qualification juridique conformément à l'article 12 du code de procédure civile ; qu'en conséquence, si le juge ne peut ajouter d'autres faits à ceux invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement, lorsque celui-ci intervient pour motif disciplinaire, il doit rechercher si ces faits, à défaut de caractériser une faute grave, comme le prétend l'employeur, ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Au soutien de la réalité des faits reprochés dont la preuve lui incombe, l'employeur se rapporte de première part à l'attestation circonstanciée de M. [V] présent sur les lieux lors de l'altercation survenue le 3 décembre 2018 entre M. [F] et Mme [Y] [M], lequel confirmant les déclarations de cette dernière, y compris dans sa de main-courante au commissariat le 12 décembre 2018 (pièce n°6) ajoute s'être interposé entre les protagonistes, « M. [F] venant menaçant et se rapprochant de ma collègue, je me lève essaye de le calmer(...) M. [F] n'entend rien et ce rapproche de plus en plus de la collègue je me mets devant lui, il a des gestes brusques de la main et jette le cahier en sa direction à ce moment j'ai mis ma main pour l'empêcher d'atteindre la collègue et le cahier tombe sur le bureau à côté de l'ordinateur (...) ».Il produit de seconde part les attestations d'autres salariées qui ont été alertées par les éclats de voix et qui confirment qu'arrivées à l'étage elles ont constaté que M. [F] se disputait très fortement avec une collègue dans le bureau des Emus et qu'elles ont tenté en vain de le raisonner (pièces n°10, Mme [U] secrétaire de direction, et n° 9 Mme [I], chef de service arrivée peu après sur les lieux).
Il n'est pas discuté que M. [F] s'est emporté en découvrant une mention dans le cahier de transmission « merci de ranger le bureau, la réserve et le vestiaire car on n'est pas votre mère.(...) » dont Mme [M] a reconnu être l'auteur. Il ressort du dossier que M. [F] a pris cette remarque comme une insulte notamment à l'égard de sa propre mère d'autant que celle-ci provenait selon ses propres termes « d'une salariée de 22 ans présente depuis moins de trois mois ».
Cependant, les dénégations de M. [F] qui soutient sans preuve que son licenciement s'inscrit dans une détestation entre l'équipe de jour et celle de nuit dont il fait partie et dont il aurait été le bouc émissaire n'est pas convaincante. C'est en vain en outre qu'il soutient qu'un témoin direct dont il produit l'attestation vient contredire le comportement qui lui est imputé puisque celui-ci se borne à affirmer que « Bien que le ton fût élevé lors de cette altercation, je n'ai observé à aucun moment d'atteinte à l'intégrité physique de part et d'autre ».(pièce 11 attestation de M.[N]) Outre le fait que ce témoin confirme la réalité de l'altercation et que le ton avait été élevé, la cour relève qu'il ressort du témoignage de M. [V] précité, que précisément c'est en raison de son intervention qu'il n'y a pas eu d'atteinte à l'intégrité physique, celui-ci ayant pu détourner la trajectoire du cahier jeté par M. [F]. Il en va de même de l'attestation de M. [G], dont se prévaut aussi l'appelant qui s'il confirme également l'absence d'insultes et d'atteinte à l'intégrité physique admet que « M. [F] à hausser le ton avec Mr [M] [Y] ». (pièce12).
La cour en déduit que la réalité des faits reprochés est établie, sans qu'il y ait de place pour le doute contrairement à ce que soutient l'appelant et que ce dernier a fait preuve d'un comportement violent irraisonné et irraisonnable, traduisant un manque de contrôle de soi qui a impressionné et apeuré une jeune collègue de travail qui a du être raccompagnée lorsqu'elle a quitté le lieu du travail. Ce n'est en outre qu'à la faveur d'un tiers que la situation n'a pas dégénéré, étant observé que les témoins cités par M. [F] se sont gardés d'intervenir et ont d'ailleurs été sanctionnés pour cela.
La cour retient, à l'instar des premiers juges, que le comportement intolérable de M. [F] à l'égard, qui plus est, d'une très jeune collègue, sans aucune remise en cause ou de prise de conscience même a posteriori, est constitutif d'une faute grave rendant impossible la poursuite des relations contractuelles. C'est à bon droit qu'il a été débouté de l'ensemble de ses prétentions indemnitaires de ce chef et de rappel de salaire concernant la mise à pied conservatoire.
C'est en vain pour finir qu'il se prévaut de circonstances vexatoires du licenciement, l'attitude irrespectueuse à l'égard de sa collègue féminine ayant été caractérisée. Le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les autres dispositions
Partie perdante en son recours, M. [F] est condamné aux dépens d'instance et d'appel, le jugement déféré étant confirmé sur ce point et à verser à l'association Croix Rouge Française une somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions.
CONDAMNE M. [Z] [F] à verser à l'association Croix Rouge Française une somme de 1.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE M. [Z] [F] aux dépens d'appel.
La greffière, La présidente.