REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 20 FEVRIER 2023
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/10953 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CD3EI
Décision déférée à la Cour : Jugement du 19 Mai 2021 -TJ de PARIS RG n° 18/04799
APPELANT
LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'[Localité 4]
en ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire,
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430
INTIME
Monsieur [T] [S]
Domicilié [Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Alexis AGOGUET de la SELEURL Cabinet Alexis AGOGUET, avocat au barreau de PARIS, toque : A0709
Représenté par Me Christophe BLONDEL, avocat au barreau de PARIS, toque : A 0709, avocat plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller
Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrate honoraire exerçant les focnctions juridictionnelles
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Jacques LE VAILLANT dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signée par Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente et par Sonia JHALLI, Greffière présente lors du prononcé.
FAITS ET PROCEDURE
M. [T] [S] et Mme [Z] [L] épouse [S] ont déposé une déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2014 faisant apparaître un patrimoine brut d'un montant de 13 132 717 euros.
Parmi les éléments composant ce patrimoine, M. et Mme [S] ont fait figurer, à l'annexe 3-1 au formulaire de déclaration, un actif mobilier d'une valeur déclarée de 5 788 496 euros dont la désignation était la suivante : 'Bank of America 41-01-860-2631091 Estate Exec [F] R. [S] - Relevé fin d'année avec prise en compte de la dette successorale indivision 1/3".
Cet actif mobilier visait les droits de M. [T] [S] dans la succession de [F] [S], son père, décédé le [Date décès 2] 2013 qui était citoyen et résident américain.
Par courrier en date du 3 décembre 2015, M. [T] [S] et Mme [Z] [L] ont déposé une déclaration rectificative pour cet impôt, indiquant avoir intégré par erreur cette créance successorale alors que l'intégralité des biens relevant de la succession de [F] [S] était détenu en 2014 par son 'estate' et qu'il n'y avait pas eu de transfert de propriété dans le patrimoine de M. [T] [S].
Cette réclamation a fait l'objet d'une décision de rejet par l'administration fiscale le 22 février 2018.
Par acte d'huissier de justice en date du 24 avril 2018, M. [T] [S] a fait assigner la direction des finances publiques devant le tribunal judiciaire de Paris.
Par jugement rendu le 19 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a statué comme suit :
'- Infirme la décision de rejet de l'administration fiscale du 22 février 2018 ;
- Ordonne le dégrèvement de l'impôt résultant de la prise en compte de sommes relevant de la succession de [F] [S] pour le calcul de l'ISF dû par M. [T] [S] au titre de l'année 2014 ;
- Invite 1'administration fiscale à calculer de nouveau l'impôt de solidarité sur la fortune dû par M. [T] [S] pour l'année 2014 ;
- Condamne l'administration fiscale à payer M. [T] [S] la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rappelle que l'exécution provisoire est de droit ;
- Laisse la charge des dépens à l'administration fiscale.'
Par déclaration du 11 juin 2021, le directeur régional des finances publiques d'[Localité 4] et du département de [Localité 5] a interjeté appel du jugement.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par voie électronique le 8 septembre 2021, le directeur régional des finances publiques d'[Localité 4] et du département de [Localité 5] demande à la cour de :
'- Recevoir le directeur régional des Finances publiques d'[Localité 4] et du département de [Localité 5] en son appel et l'y déclarer fondé ;
- Infirmer le jugement entrepris ;
En conséquence,
- Dire que l'héritage de M. [T] [S] devait être intégré dans sa déclaration d'ISF au titre de l'année 2014 ;
- Confirmer la décision contentieuse de rejet de l'administration du 22 février 2018 ;
- Dire qu'il n'y a pas lieu à restitution d'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2014 ;
- Condamner M. [T] [S] aux entiers dépens de première instance et d'appel.'
Au soutien de son appel, l'administration fiscale fait valoir qu'en application de l'article R* 194-1 du livre des procédures fiscales, M. [T] [S] doit apporter la preuve qu'il ne détenait aucun droit au 1er janvier 2014 sur les biens qu'il a fait figurer à l'actif de son patrimoine imposable à l'impôt de solidarité sur la fortune dès lors que l'imposition a été établie selon les bases qu'il a lui-même déclarées en 2014.
Elle fait également valoir que la procédure américaine de règlement des successions par la voie du 'probate' est inconnue du droit des successions français et qu'elle n'a pas pour effet de suspendre, en France, l'application de la législation afférente à l'impôt de solidarité sur la fortune pour les biens transmis à titre gratuit par décès.
L'administration fiscale soutient qu'en application de l'article 885 E du code général des impôts, l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune englobe tous les biens, droits et valeurs sans limitation et que la libre disposition des sommes correspondant à la valeur patrimoniale de droits ne conditionne pas l'exigibilité de l'ISF sur ces droits.
L'administration fiscale soutient que, dans le cadre de la procédure de 'probate', l'héritier sait qu'il hérite dès la date du décès de son auteur, que les héritiers et les légataires ne sont pas dépossédés de tout droit sur la succession puisqu'ils peuvent être autorisés à percevoir des distributions et qu'au surplus, en l'espèce, les droits de M. [T] [S] dans la succession sont incontestables puisqu'il n'a fait état d'aucune contestation de la dévolution successorale ou de l'existence d'une condition posée par le défunt et qu'il ne discute ni sa qualité d'héritier ni le fait d'avoir perçu, in fine, les sommes déclarées dans l'actif imposable au titre de l'ISF de l'année 2014. Elle relève que M. [S] ne conteste pas la valeur qu'il a porté sur sa déclaration d'ISF qu'il avait exactement arrêté après prise en compte du passif successoral, ce que l'administration fiscale n'a pas mis en cause lors de la mise en recouvrement de l'imposition.
Par dernières conclusions signifiées le 6 décembre 2021, M. [T] [S] demande à la cour de :
'Vu l'article 885 E du code général des impôts dans sa version applicable au 1er janvier 2014, l'article R 207-1 du livre des procédures fiscales, les articles 699 et 700 du code de procédure civile,
- Confirmer dans son intégralité la décision déférée ;
- Condamner Monsieur le directeur régional d'[Localité 4] et du département de [Localité 5] à payer à Monsieur [T] [S], la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.'
M. [T] [S] fait valoir qu'en application de l'article 885 E du code général des impôts, l'impôt de solidarité sur la fortune ne s'applique qu'aux actifs appartenant au contribuable, à l'exclusion des biens sur lesquels il ne détient aucun droit de propriété.
Il expose que la loi applicable à la succession de son père, [F] [S], est la loi du domicile du défunt, soit en l'espèce la loi de l'Etat de New York, de sorte que la procédure du 'probate' régie par cette loi et qui est inconnue du droit français, doit être appréhendée par le juge de l'impôt en France comme un élément de fait lui permettant de qualifier l'opération étrangère au regard des critères d'imposition français. Il en déduit que ce n'est qu'au regard du droit civil américain que la nature de ses droits dans la succession de son père doit être appréciée.
M. [T] [S] soutient que l'appréciation in concreto du droit des successions américain exclut qu'il soit considéré qu'il disposait de droits réels ayant une valeur patrimoniale au 1er janvier 2014 dans la succession de son père.
Il fait valoir en effet que le décès de [F] [S] a généré de plein droit une procédure judiciaire de 'probate' devant la 'Surrogate court of the New York County' et a conduit dans ce cadre à l'ouverture d'un 'estate' composé de l'intégralité des biens du défunt, administré par un 'executor', doté d'une personnalité morale distincte et détenteur d'un patrimoine transitoire entre le patrimoine du défunt et celui de ses héritiers.
M. [T] [S] soutient que le transfert de propriété des biens figurant dans 'l'estate' au profit des héritiers n'intervient qu'à la date du partage judiciaire de 'l'estate' et qu'il n'opère pas rétroactivement au jour du décès. Il souligne qu'au 1er janvier 2014, la procédure de 'probate' était toujours en cours et qu'aucun partage de biens de 'l'estate' n'était intervenu, de sorte qu'il ne pouvait inclure dans sa base taxable à l'impôt de solidarité sur la fortune de l'année 2014, les biens encore inclus dans 'l'estate' de son père.
MOTIVATION
1.- Sur la demande de M. [T] [S] de restitution d'impôt de solidarité sur la fortune de l'année 2014
En application de l'article R*194-1 alinéa 2 du livre des procédures fiscales, le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction d'une imposition en démontrant son caractère exagéré lorsqu'elle a été établie d'après les bases indiquées dans la déclaration d'impôt qu'il a souscrite.
L'article 885 E alinéa 1er du code général des impôts pris dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier 2014, dispose que : 'L'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune est constituée par la valeur nette, au 1er janvier de l'année, de l'ensemble des biens, droits et valeurs imposables appartenant aux personnes visées à l'article 885 A [...].'
Ce texte, en raison de ses termes généraux, inclus tous les biens mobiliers et immobiliers, à l'exception de ceux expressément exonérés par une disposition fiscale spécifique. Les droits de créance font donc partie intégrante de la base imposable à l'impôt de solidarité sur la fortune.
L'indisponibilité d'une créance ne peut justifier un report d'imposition dès lors que le droit de créance est certain en son principe au premier janvier de l'année d'imposition à l'impôt de solidarité sur la fortune.
En l'espèce, il est constant que l'impôt de solidarité sur la fortune a été calculé et mis en recouvrement suivant les bases d'imposition déclarées par M. [T] [S] le 16 juin 2014, notamment par l'intégration dans les biens mobiliers imposables d'une créance successorale de 5 788 496 euros correspondant à un tiers du solde du compte bancaire de 'l'estate' de [F] R. [S] selon relevé de la fin de l'année 2013, déduction faite d'un tiers de la dette successorale totale.
Il incombe donc à M. [T] [S] d'apporter la preuve que la créance successorale qu'il a déclarée comme un élément d'actif de son patrimoine au 1er janvier 2014 ne présentait pas un caractère certain en son principe à cette date.
M. [S] soutient qu'il ne disposait d'aucun droit à cette date sur la somme qu'il a déclarée au motif que l'ensemble des biens du défunt était encore la propriété de 'l'estate' de [F] [S] ouvert lors de la mise en oeuvre de la procédure de 'probate' qui est d'ordre public dans l'Etat de New York.
Il n'a produit cependant aucune pièce relative à cette procédure de 'probate' et ne justifie pas de son état d'avancement au 1er janvier 2014. Il ne justifie pas que sa qualité d'héritier ait été contestée devant la 'Surrogate court of the New York County'. Il ne justifie pas davantage que ses droits successoraux étaient affectés d'une condition ou encore que la créance successorale qu'il a déclarée était une créance litigieuse. Il ne produit aucune pièce attestant que le passif successoral que la procédure de 'probate' avait pour objet d'arrêter était encore indéterminé dans son montant au 1er janvier 2014, alors qu'il avait spécifié dans la déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune qu'il a faite le 16 juin 2014 que la créance qu'il a mentionnée à l'actif de son patrimoine imposable tenait compte de la dette successorale à concurrence d'un tiers de son montant total.
M. [T] [S] verse aux débats un 'Memorandum of law' en date du 10 avril 2018 établi par M. P. [K] [U], 'Senior Counsel' du cabinet 'Davidson, Dawson & Clark LLP' afin de justifier de l'état de ses droits au cours de la procédure de 'probate' mise en oeuvre à la suite du décès de son père dans l'Etat de New York.
Sur la base de cette consultation, M. [T] [S] soutient que 'l'estate' ouvert dans le cadre de la procédure de 'probate' était composé de l'intégralité des biens de son père, qu'il était doté d'une personnalité morale distincte et qu'il était détenteur d'un patrimoine transitoire entre le patrimoine du défunt et celui de ses héritiers, dont la propriété n'était transférée, sans effet rétroactif au jour du décès, qu'à compter des distributions effectuées par l'exécuteur testamentaire de 'l'estate'.
Toutefois, si la consultation établie par M. P. [K] [U] indique que le transfert de propriété des actifs successoraux auxquels pouvait prétendre M. [T] [S] n'est intervenu que lorsque l'exécuteur de 'l'estate' a procédé à des distributions partielles ou finales en sa faveur, elle ne précise nullement que'l'estate' était titulaire d'un droit de propriété sur les biens du défunt jusqu'à ce qu'il soit procédé à des distributions et qu'il ne s'opérait, en droit américain, aucune attribution rétroactive du droit de propriété sur les biens successoraux dévolus aux héritiers à la date du décès de leur auteur, intervenu en l'espèce le [Date décès 2] 2013.
Au surplus, la consultation juridique versée aux débats précise que : 'The Estate was a separate legal entity during the now completed estate administration'. Il ne s'en déduit pas que 'l'estate' est doté de tous les attributs de la personnalité morale au sens du droit français et qu'il est dès lors titulaire d'un patrimoine propre.
Au contraire, dans le lettre de réclamation adressée à l'administration fiscale par le conseil de M. [T] [S] le 3 décembre 2015, il est expressément fait référence à l'article 5.5.2.11 de 'l'Internal Revenue Manual' américain dont les dispositions sont citées comme suit : 'A decedent's estate or trust is a separate legal entity for federal tax purposes'. Cette disposition a été incorrectement traduite par M. [S] comme suit : 'La succession d'un défunt est une personnalité juridique distincte en Droit fiscal fédéral'. Or, ce texte dispose en réalité que : 'L'estate ou le trust d'un défunt est une entité juridique distincte pour les besoins de la fiscalité fédérale.'.
Il en résulte qu'en droit américain, un 'estate' n'est considéré comme une entité juridique distincte que pour des considérations de taxation. Il n'en découle aucun transfert de propriété des biens du défunt à 'l'estate' à compter de la date du décès et jusqu'à la date des distributions totales ou partielles.
Par ailleurs, il résulte de la consultation juridique de M. P. [K] [U] du 10 avril 2018 que [F] [S] est décédé en [Date décès 2] 2013 en laissant des dispositions testamentaires ('Last Will and Testament') en date du 12 novembre 2008.
Ainsi, sauf l'hypothèse d'une contestation du testament qui n'est pas même invoquée par M. [S] en l'espèce, la finalité de la procédure de 'probate' était seulement de parvenir à la distribution des biens conformément à la disposition de ses biens et de ses droits à laquelle avait procédé [F] R. [S] dans son testament, sans altération des droits successoraux, acquis au jour du décès, des héritiers testamentaires.
Par suite, M. [T] [S] n'apporte pas la preuve qu'il ne disposait au 1er janvier 2014 d'aucun droit sur la créance successorale qu'il a faite figurer comme un élément d'actif de son patrimoine dans sa déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune de l'année 2014, le fait que cette créance était encore temporairement indisponible à cette date, indisponibilité qu'il ne caractérise au demeurant par aucune pièce, étant en tout état de cause sans effet sur l'exigibilité de l'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2014 en application de la loi fiscale française.
Par suite, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions. La décision contentieuse de rejet de l'administration fiscale du 22 février 2018 sera confirmée et la demande de restitution d'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2014 formée par M. [T] [S] sera rejetée.
2.- Sur les frais du procès
Partie perdante en cause d'appel, M. [T] [S] sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.
Pour ce motif, M. [T] [S] sera débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau :
Confirme la décision contentieuse de rejet de la Direction régionale des finances publiques d'[Localité 4] et du département de [Localité 5] du 22 février 2018,
Déboute M. [T] [S] de sa demande de restitution d'impôt de solidarité sur la fortune au titre de l'année 2014,
Condamne M. [T] [S] aux dépens de première instance,
Y ajoutant :
Condamne M. [T] [S] aux dépens d'appel,
Déboute M. [T] [S] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
La greffière, La Présidente,
S.JHALLI C.SIMON-ROSSENTHAL