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16/02/2023 | FRANCE | N°21/14832

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 16 février 2023, 21/14832


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 16 FEVRIER 2023



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14832

N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGX4



Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Janvier 2021 -TJ de PARIS - RG n° 18/01482



APPELANT



Monsieur [T] [K]

[Adresse 3]

[Localité 4]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 8] (ETATS-UNIS)>
Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Assisté par Me Delphine DES VILLETTES, avocat au barreau de PARIS



INTIMES



CAISSE PRIMAIR...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/14832

N° Portalis 35L7-V-B7F-CEGX4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 18 Janvier 2021 -TJ de PARIS - RG n° 18/01482

APPELANT

Monsieur [T] [K]

[Adresse 3]

[Localité 4]

né le [Date naissance 1] 1954 à [Localité 8] (ETATS-UNIS)

Représenté par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Assisté par Me Delphine DES VILLETTES, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 9]

[Adresse 2]

[Localité 5]

n'a pas constitué avocat

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction Des Affaires Juridiques

[Adresse 7]

[Localité 6]

Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

Assisté par Me Célia DUGUES, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Françoise Gilly-Escoffier, présidente de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRET :

- Réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Nina TOUATI, présidente de chambre pour la présidente empêchée et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 2 mars 1993 à [Localité 9], M. [T] [K] a été victime, en qualité de piéton, d'un accident de la circulation dans lequel était impliqué le véhicule conduit par M. [G] et appartenant à l'Etat.

M. [K] a fait l'objet d'une expertise amiable confiée au Docteur [X].

A la suite de la découverte d'une hépatite C, il a fait l'objet de trois expertises médicales.

M. [K] a saisi le juge des référés qui, par ordonnance du 25 novembre 2013, a prescrit un expertise médicale et a désigné pour y procéder, le Docteur [N], ultérieurement remplacé par le Docteur [E], ainsi que le Professeur [Y], et a condamné l'agent judiciaire de l'Etat (l'AJE) à lui verser une provision de 30 000 euros.

Les experts ont établi leur rapport le 31 décembre 2016.

Par exploit du 17 janvier 2018, M. [K] a fait assigner l'AJE ainsi que la caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 9] (la CPAM) devant le tribunal de grande instance de Paris en indemnisation des préjudices consécutifs à l'accident.

Par jugement du 18 janvier 2021, le tribunal judiciaire de Paris, a :

- dit que le droit à indemnisation de M. [K] à la suite de l'accident de la circulation survenu le 2 mars 1993 est entier,

- condamné l'AJE à payer à M. [K], à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittance, provisions non déduites, en réparation des préjudices suivants :

- frais de médecin conseil : 13 228,67 euros

- dépenses de santé futures (ostéopathe et psychologue) : 3 830 euros

- assistance par tierce personne temporaire : 5 680,88 euros

- incidence professionnelle : 80 000 euros

- déficit fonctionnel temporaire : 12 156,25 euros

- souffrances endurées : 10 000 euros

- préjudice esthétique temporaire : 2 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 45 000 euros

- préjudice esthétique permanent : 6 000 euros

- préjudice d'agrément : 4 500 euros

- préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C : 25 000 euros

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour,

- débouté M. [K] de ses demandes au titre des 'dépenses de santé restées à charge', des frais divers, de la tierce personne pérenne et des pertes de gains professionnels actuels et futurs,

- condamné l'AJE à payer à M. [K] les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 15 juin 2018, avant imputation de la créance des tiers payeurs et déduction des provisions versées, à compter du 31 mai 2017 et jusqu'au 15 juin 2018,

- dit que les intérêts échus des capitaux produiront intérêts dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil,

- déclaré le présent jugement commun à la CPAM,

- condamné l'AJE aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et à payer à M. [K] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les avocats en la cause en ayant fait la demande, pourront, chacun en ce qui le concerne, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont ils auraient fait l'avance sans avoir reçu provision en application de l'article 699 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement à concurrence des deux tiers de l'indemnité allouée et en totalité en ce qui concerne les frais irrépétibles et les dépens,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par acte du 20 août 2021, M. [K] a interjeté appel de ce jugement en ce que: l'AJE a été condamné à lui payer :

- 13 228,67 euros en réparation de son préjudice au titre des frais de médecin conseil

- 80 000 euros en réparation de l'incidence professionnelle

- 10 000 euros en réparation des souffrances endurées

- 45 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

- 6 000 euros au titre du préjudice esthétique permanent

- 4 500 euros au titre du préjudice d'agrément

- 25 000 euros au titre du préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C

- les intérêts au double du taux de l'intérêt légal sur le montant de l'offre effectuée le 15 juin 2018 à compter du 31 mai 2017 et jusqu'au 15 juin 2018 déboutant M. [K] du surplus de sa demande à ce titre soit la condamnation de l'Agent Judiciaire de l'Etat à payer le double des intérêts au taux légal sur les sommes allouées par le juge et pour la période allant du 31 mai 2017 jusqu'au jour de la décision devenue définitive,

il a été débouté du surplus de ses demandes et de ses demandes au titre des dépenses de santé restées à charge, des frais divers, de la tierce personne pérenne et des pertes de gains professionnels actuels et futurs.

Par ordonnance du 23 juin 2022, le conseiller de la mise en état :

- a constaté que M. [K] forme une demande de contre expertise,

- s'est déclaré incompétent pour statuer sur cette demande au profit de la cour d'appel statuant au fond,

- a rejeté la demande de l'AJE fondée sur l'article 700 du procédure civile,

- a condamné M. [K] aux dépens de l'incident.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les conclusions de M. [K], notifiées le 30 novembre 2022, aux termes desquelles il demande à la cour, de :

infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné l'AJE à payer à M. [K], à titre de réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non déduites, en réparation des préjudices suivants :

- frais de médecin conseil : 13 228,67 euros

- incidence professionnelle : 80 000 euros

- souffrances endurées : 10 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 45 000 euros

- préjudice esthétique permanent : 6 000 euros

- préjudice d'agrément : 4 500 euros

- préjudice spécifique de contamination par le virus de l'hépatite C : 25 000 euros

- débouté M. [K] du surplus de ses demandes,

- débouté M. [K] de ses demandes au titre des 'dépenses de santé restées à charge', des frais divers, de la tierce personne pérenne et des pertes de gains professionnels actuels et futurs,

Statuant à nouveau,

condamner l'AJE à payer à M. [K] les sommes suivantes :

- 7 598,84 euros au titre des frais divers,

- 109 305 euros, subsidiairement 106 898 euros au titre de la perte de gains avant consolidation

- 1 640 euros à parfaire au titre des dépenses de santé futures, en plus de la somme de 3 830 euros allouée en première instance,

- 661 989,30 euros au titre de l'assistance par tierce personne pérenne,

- 2 863,62 euros au titre des aides techniques,

- 18 373,67 euros au titre des frais de médecin-conseil,

- 1 180 051 euros, subsidiairement 1 154 034 euros, infiniment subsidiairement 615 587 euros, au titre de la perte de gains futurs,

- 160 000 euros au titre de l'incidence professionnelle

- 35 000 euros au titre des souffrances endurées

- 120 000 euros au titre du déficit fonctionnel permanent

- 8 000 euros au titre du préjudice esthétique définitif

- 30 000 euros au titre du préjudice sexuel

- 30 000 euros au titre du préjudice d'établissement

- 30 000 euros au titre du préjudice de contamination par le virus de l'hépatite C,

débouter l'AJE de son appel incident,

confirmer le jugement pour le surplus,

déclarer l'arrêt à intervenir commun à la CPAM,

Subsidiairement,

ordonner une contre-expertise judiciaire, avec la mission habituelle en la matière,

condamner l'AJE à payer à M. [K] la somme de 100 000 euros à titre de provision à valoir sur le besoin en tierce personne après consolidation,

En tout état de cause,

- condamner l'AJE à payer à M. [K] la somme globale de 7 000 euros au titre de l'article 700 de code de procédure civile, pour la procédure d'appel et celle de première instance,

- condamner l'AJE aux entiers dépens.

Vu les conclusions de l'AJE, notifiées le 15 novembre 2022, aux termes desquelles il demande à la cour de :

Vu les articles 548 et suivants du code de procédure civile,

- juger l'AJE recevable et bien fondé en ses conclusions et en son appel incident,

- confirmer le jugement rendu le 18 janvier 2021 par la 19ème chambre civile du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a condamné l'AJE à payer la somme de 80 000 euros à M. [K] au titre de l'incidence professionnelle,

En conséquence,

- débouter M. [K] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'AJE à payer la somme de 80 000 euros à M. [K] au titre de l'incidence professionnelle,

- juger que l'indemnité allouée au titre de l'incidence professionnelle est excessive,

- réduire l'indemnité allouée au titre de l'incidence professionnelle à la somme de 35 000 euros,

- ramener à de plus justes proportions sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La CPAM, à laquelle la déclaration d'appel a été signifiée par acte d'huissier de justice en date du 28 octobre 2021, délivré à personne habilitée, n'a pas constitué avocat.

En cours de délibéré, par la voie du RPVA, à la demande de la cour, M. [K] a produit ses échanges de mail avec la CPAM et deux courriers de cet organisme, l'un en date du 20 octobre 2017, indiquant le montant de ses débours définitifs de 38 919,38 euros au titre des frais médicaux, l'autre en date du 29 décembre 2022, apportant en réponse à la demande de M. [K] de confirmer qu'il n'avait été bénéficiaire ni d'une rente ni d'une pension d'invalidité au titre de l'accident du 2 mars 1993, qu'elle n'avait plus accès ni au logiciel ni au détail des prestations et que le dossier était clos depuis plus de cinq ans.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le préjudice corporel

Les experts, le Docteur [E] et le Professeur [Y], ont indiqué dans leur rapport, en date des 24 mai 2016 et 31 décembre 2016, après avis sapiteur des Docteurs [A], spécialisé en stomatologie, [M], spécialisé en oto-rhino-laryngologie et [U], spécialisé en psychiatrie, que M. [K] a présenté, à la suite de l'accident survenu le 2 mars 1993, un traumatisme crânio-facial avec perte de connaissance, fracture des os propres du nez, plaie de l'arcade sourcilière droite, plaie du cuir chevelu occipital, et bris d'une prothèse dentaire fixe supéro-latérale droite, un traumatisme basi-thoracique gauche sans lésion osseuse, une fracture fermée bifocale de la jambe gauche, une contusion à la jambe droite et un hématome de la région lombaire droite, et qu'il conserve comme séquelles, une obstruction nasale modérée avec déviation de la cloison nasale et une modification nasale esthétique limitée, la perte de cinq dents, des douleurs à type de lombalgie sans signe d'irritation radiculaire, une légère hypoesthésie de topographie S1 gauche, une amyotrophie conséquente du quadriceps gauche et un retentissement psychique.

Ils ont conclu ainsi qu'il suit :

- déficit fonctionnel temporaire total du 2 mars 1993 au 11 juin 1993, su 30 juin 1993 au 13 juillet 1993 et du 26 août 1994 au 7 octobre 1994

- déficit fonctionnel temporaire partiel au taux de 75 % du 12 juin 1193 au 29 juin 1993, de 50 % du 14 juillet 1993 au 1er janvier 1994 et de 25 % du 2 janvier 1994 au 13 août 1996

- assistance temporaire par tierce personne non médicalisée de 2 heures par jour durant la période de déficit fonctionnel temporaire partiel à 50 % et de 4 heures par semaine du 2 janvier 1994 au 25 août 1994

- consolidation au 13 août 1996

- soins futurs : nécessité de refaire la prothèse en résine pour un coût de 800 euros tenant compte de l'état antérieur

- activités professionnelles : On peut considérer que jusqu'à sa date de consolidation M. [K] ne pouvait pas reprendre son activité professionnelle. Il nous indique avoir été au moment des faits architecte d'intérieur (ce travail ne semble pas confirmé par le Docteur [U] 'Il a travaillé avec son père, mais jamais comme architecte. Il travaillait dans la décoration et il a eu quelques activités dans le domaine touristique'. Cette activité nécessitait des déplacements et des visites de chantiers. On peut considérer que dès le moment où il déambulait sous couvert d'une canne simple, la poursuite de son activité était possible sur le plan purement orthopédique. Dans les autres spécialités ce point n'est pas évoqué. Aucun aménagement n'était nécessaire au niveau de son lieu de vie.

- souffrances endurées de 3,5/7

- déficit fonctionnel permanent de 20 %, dont 12 % sur le plan orthopédique, 5 % sur le plan psychiatrique, 2,5 % sur le plan stomatologique et 2 % sur le plan ORL

- préjudice esthétique permanent de 3/7

- préjudice d'agrément : M. [K] indique qu'il pratiquait l'équitation de façon régulière et en compétition jusqu'au fait accidentel. Du fait des lombalgies d'évolution chronique, il n'a pu reprendre cette activité. Ce préjudice est certain.

- préjudice sexuel : M. [K] indique ne plus avoir de rapport sexuel depuis le fait accidentel. Il n'évoque pas de problèmes douloureux. Ce point particulier ne ressort pas de l'expertise de notre confrère psychiatre.

Les experts ont précisé que le 17 décembre 2002 a été mis en évidence une infection de M. [K] par le virus de l'hépatite C, dont l'origine est incertaine, et qui entraîne à partir de la date de mise en évidence un déficit fonctionnel temporaire situé entre 2 et 5 %.

Sur la demande de nouvelle expertise

A l'appui de sa demande de nouvelle expertise M. [K] explique que l'expertise judiciaire n'a pas envisagé de tierce personne après consolidation, alors qu'il résulte du rapport de Mme [Z], ergothérapeute, qu'il a consultée, qu'il a un besoin en aide humaine et en aides techniques, ces besoins étant rattachés à l'accident du 2 mars 1993, et que les conclusions de l'expertise du Docteur [E] et du Professeur [Y] divergent de celles d'une précédente expertise contradictoire sur l'appréciation des postes de souffrances endurées et de déficit fonctionnel permanent.

L'AJE répond que les experts [E] et [Y] ont établi leurs conclusions après avoir pris connaissance des précédentes expertises, que les divergences par rapport aux précédentes conclusions ont été expliquées au regard des éléments dont ils disposaient et que l'avis de Mme [Z] qui retient un besoin pérenne d'assistance par une tierce personne ne fait pas de lien entre celui-ci et l'accident de 1993.

Sur ce, les experts [E] et [Y] ont établi leur rapport après examen de M. [K], en présence de son médecin conseil, et consultation de son entier dossier médical et des divers rapports d'expertise établis avant leur intervention, dont les rapports du Docteur [R] en date du 8 septembre 2001, du Docteur [O] en date du 11 janvier 2001, du Docteur [V] en date du 13 septembre 2007 et du 7 mars 2011, du Docteur [I] en date du 15 novembre 2008,du Docteur [F] en date du 10 juillet 2010 et de divers certificats médicaux, dont ceux du Docteur [S], en date du 26 février 1996 et du Docteur [D], en date du 10 avril 1995.

Leurs conclusions, élaborées en connaissance du contenu des précédents rapports d'expertise, sont claires et précises et fondées sur des données techniques et des résultats d'examens, dont ils ont précisé la teneur ; en outre ces experts se sont prononcés après avis de plusieurs médecins exerçant dans des spécialités distinctes de la leur et ont répondu de façon argumentée aux dires des parties quant au niveau des souffrances endurées par M. [K] et au besoin d'assistance en tierce personne, après la date de la consolidation, qui était invoqué.

Ces experts n'ont pas estimé que les douleurs lombaires rendaient les positions assise ou debout prolongées pénibles.

Ils ont ainsi affirmé qu'aucun élément objectif ne permet de retenir un besoin d'assistance par tierce personne après la date du 25 août 1994, ce qui est en cohérence avec leurs constatations sur le plan orthopédique, notamment, en ce qu'ils ont relevé qu'au niveau du membre inférieur gauche, fracturé lors de l'accident, les mobilités au niveau du genou et de la cheville étaient libres et qu'il n'y avait pas de déficit moteur au niveau de ce membre et au niveau du plan fessier ; l'avis de Mme [Z], ergothérapeute, et des divers kinésithérapeutes et médecins traitants, s'étant prononcés après le dépôt du rapport d'expertise, ne permettent pas de remettre en cause la pertinence de ces conclusions.

En outre l'existence d'une divergence entre l'avis du Docteur [E] et du Professeur [Y] et celui d'experts intervenus précédemment, n'est pas en l'état de leurs constatations et conclusions argumentées, de nature à justifier une nouvelle mesure d'expertise.

Il résulte des motifs qui précèdent qu'une nouvelle expertise n'est pas nécessaire et que la demande formée en ce sens doit être rejetée.

Sur l'évaluation des divers postes du préjudice corporel de M. [K]

Le jugement est définitif sur les postes d'assistance temporaire par tierce personne, préjudice esthétique temporaire et déficit fonctionnel temporaire.

Le rapport du Docteur [E] et du Professeur [Y] constitue une base valable d'évaluation du préjudice corporel subi à déterminer au vu des diverses pièces justificatives produites, de l'âge de la victime née le [Date naissance 1] 1954, de la date de consolidation, afin d'assurer sa réparation intégrale et en tenant compte, conformément aux articles 29 et 31 de la loi du 5 juillet 1985, de ce que le recours subrogatoire des tiers payeurs s'exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu'ils ont pris en charge, à l'exclusion de ceux à caractère personnel sauf s'ils ont effectivement et préalablement versé à la victime une prestation indemnisant de manière incontestable un tel chef de dommage.

Par ailleurs, l'évaluation du dommage doit être faite au moment où la cour statue.

Préjudices patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Dépenses de santé actuelles

Ce poste de préjudice vise à indemniser l'ensemble des dépenses de santé, incluant les frais d'hospitalisation, médicaux et pharmaceutiques, exposés avant la date de la consolidation.

Les deux parties concluent à la confirmation du jugement qui a débouté M. [K] de cette demande.

Le jugement est confirmé.

- Frais divers temporaires

Ce poste comprend tous les frais susceptibles d'être exposés par la victime directe avant la date de consolidation de ses blessures et qui sont imputables à l'accident à l'origine du dommage corporel qu'elle a subi.

M. [K] sollicite à ce titre l'indemnisation d'une part, du forfait journalier acquitté lors de son séjour au centre hélio-marin de la Côte d'Azur, à hauteur de la somme de 998,84 euros, et, d'autre part, de la valeur de son véhicule automobile mis à la fourrière puis détruit, qu'il soutient n'avoir pu récupérer en raison de son hospitalisation, soit de la somme de 6 600 euros.

L'AJE conclut à la confirmation du jugement sans fournir de précision particulière.

Sur ce, M. [K] ne justifie pas du paiement du forfait journalier dont il sollicite l'indemnisation, la seule pièce produite étant une requête émanant de l'Institut Hélio-Marin auprès du président du tribunal de commerce de Toulon, dont il n'est pas plus démontré qu'elle a abouti.

Par ailleurs, aucun élément ne permet d'établir que la mise en fourrière du véhicule de M. [K] et sa destruction sont en lien direct et certain avec l'accident dont il a été victime le 2 mars 1993.

La demande d'indemnisation formée au titre des frais divers doit en conséquence être rejetée.

Le jugement est confirmé.

- Perte de gains professionnels actuels

Ce poste vise à compenser une incapacité temporaire spécifique concernant les répercussions du dommage sur la sphère professionnelle de la victime et doit être évalué au regard de la preuve d'une perte effective de revenus.

M. [K] soutient qu'il a exercé l'activité d'architecte d'intérieur jusqu'à ce que survienne l'accident, qu'il travaillait dans l'entreprise d'achat et de revente de biens immobiliers de son père et qu'il était chargé de rénover et décorer les biens et que parallèlement à cette activité indépendante il exerçait ponctuellement des activités salariées.

Il explique que les justificatifs de ses revenus ont été égarés mais qu'il verse aux débats des avis de cotisations URSSAF permettant de reconstituer son revenu, celles-ci comportant des cotisations d'allocations familiales d'un montant de 0,5 % dans la limite du plafond de la sécurité sociale de 148 230 francs par an soit 22 611,25 euros par an et de 4,9% sur l'intégralité des revenus professionnels et la CSG d'un montant de 2,4 % en 1993 ; il précise que ses revenus annuels à la date de l'accident peuvent ainsi être fixés à la somme de 189 467 euros ; il indique toutefois ne pas demander l'indemnisation de sa perte de revenus sur cette base, au motif qu'il ne peut justifier avoir acquitté les cotisations URSSAF, et demande en conséquence à la cour de l'indemniser de la perte de chance, consécutive à l'accident, de percevoir le revenu moyen des architectes d'intérieur, de 31 658 euros par an et plus subsidiairement, celle de percevoir le revenu moyen des travailleurs non salariés, soit 2 580 euros nets par mois.

L'AJE conclut à la confirmation du jugement qui a rejeté la demande de M. [K] au titre de ce poste de préjudice, sans développer de moyens particuliers.

Sur ce, les experts ont retenu que les blessures subies par M. [K] lors de l'accident l'ont empêché d'exercer une activité professionnelle jusqu'à la consolidation de son état fixée, au 13 août 1996.

Il ressort du relevé de carrière de M. [K] communiqué par l'AJE, que M. [K], né le [Date naissance 1] 1954, a exercé de 1982 jusqu'à la fin du premier trimestre 1991 des activités salariées au titre du régime général, alternées de périodes de chômage ; aucun élément n'a été produit aux débats pour démontrer qu'avant l'année 1991 il a également eu une activité professionnelle non salariée.

Ce relevé de carrière révèle, en outre, la reprise d'une activité salariée à compter du début de l'année 1995, avec de nouvelles périodes de chômage.

M. [K] a produit aux débats un extrait du répertoire Sirene au 14 juin 2016 faisant état d'une inscription depuis le 23 octobre 1991, pour une activité d' 'intermédiaires spécialisés dans le commerce d'autres produits spécifiques' et deux avis d'échéance, émanant de l'URSSAF, au titre de la cotisation personnelle d'allocations familiales des employeurs et travailleurs indépendants, et de la contribution sociale généralisée, pour les 2ème et 3ème trimestres 1993 ; ces documents démontrent que M. [K], était, lors de l'accident, travailleur indépendant, avec une activité réelle et productrice de gains, et ce depuis au moins le début de l'année 1993, ce qui est en cohérence avec les données de son relevé de carrière précitées.

En revanche, il ne ressort pas de ces documents, ni des autres pièces produites aux débats, qu'il a exercé le métier d'architecte d'intérieur, ainsi qu'il le prétend ; il n'a en outre communiqué ni ses avis d'imposition antérieurs à l'année 1998, ni des documents propres à établir la nature et le cadre dans lequel il exerçait son activité professionnelle, ni aucun document comptable.

Ceci étant, M. [K] ne sollicite pas l'indemnisation du montant de ses revenus reconstitués sur la base des cotisations URSSAF appelées au titre des 2ème et 3ème trimestres 1993 mais d'une 'perte de chance' de percevoir le revenu moyen d'un architecte d'intérieur et subsidiairement celui d'un travailleur indépendant, qu'il évalue néanmoins comme un préjudice entier, n'appliquant aucun taux de perte de chance, et pour justifier du montant de ses demandes, calcule, en amont, ses revenus reconstitués de 1993.

Il s'avère que l'accident a fait perdre à M. [K] les revenus issus de son activité professionnelle et non une simple perte de chance de percevoir des revenus, étant rappelé qu'il demande l'allocation d'une indemnité correspondant à un préjudice entier et non à une simple perte de chance.

Ainsi que M. [K] le fait observer, les revenus qu'il percevait lors de l'accident peuvent être reconstitués à partir des cotisations appelées par l'URSSAF.

En effet, en application de l'article L241-6 du code de la sécurité sociale, de l'article 7 IV de la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 et du décret n°91-91 du 23 janvier 1991 les taux de cotisations d'allocations familiales dues par les travailleurs indépendants étaient en 1993 de 0,5% dans la limite du plafond de la sécurité sociale et de 4,9% sur l'intégralité des revenus ; le décret n°92-1371 du 29 décembre 1992 avait fixé à compter du 1er janvier 1993 et du 1er juillet 1993, le plafond de la sécurité sociale à 37 080 francs par trimestre ; enfin le taux de la CSG était au jusqu'au 30 juin 1993 de 1,1 % et à compter du 1er juillet 1993 de 2,4 % du montant des revenus annuels.

Il sera tenu compte de la cotisation appelée au titre du 2ème trimestre 1993 d'un montant de 21 650 francs représentant sur l'année une somme de 86 600 francs correspondant à la somme de 20 340,65 euros ramenés à 13 944,20 euros pour rester dans les limites du calcul effectué par M. [K].

Cette somme comportait la cotisation d'allocation familiales de 0,5% dans la limite du plafond de la sécurité sociale et de 4,9 % sur l'intégralité des revenus et la CSG de 1,1 % des revenus.

Le plafond de la sécurité sociale était de 37 080 francs par trimestre soit 148 320 francs par an correspondant à 34 837,48 euros ramenés à 22 611,25 euros pour rester dans les limites du calcul effectué par M. [K].

Le montant des revenus annuels de M. [K] contemporains de l'accident peuvent être reconstitués ainsi qu'il suit :

- 13 944,20 euros = (0,5 % x 22 611,25 euros) + (4,9 % revenus professionnels) + (1,1 % revenus professionnels)

- 13 944,20 euros = 113,06 euros ramenés à 113,05 euros pour rester dans les limites de la demande + (4,9 % revenus professionnels) + 1,1 % revenus professionnels)

- (4,9 % revenus professionnels) + (1,1 % revenus professionnels) = 7 % des revenus professionnels

- 7 % des revenus professionnels = 13 944,20 euros - 113,06 euros = 13 831,14 euros

- revenus professionnels = 13 831,14 euros x 100 % / 7 % = 197 587,71 euros ramenés à 189 467 euros pour rester dans les limites du calcul fait par M. [K].

Il ressort de l'enquête de l'INSEE publiée en 2020 qui a été produite aux débats par M. [K], que le revenu d'activité moyen des non-salariés dans l'ensemble des secteurs était de 2 580 euros par mois, étant rappelé que M. [K] ne démontre pas qu'il exerçait, lorsque l'accident s'est produit, la profession d'architecte d'intérieur, pour laquelle il ne justifie pas même être diplômé.

Les experts ont retenu une période d'arrêt des activités professionnelles du jour de l'accident, soit le 2 mars 1993 au 13 août 1996, date de la consolidation soit durant 41,5 mois.

Il s'avère ainsi que, même en tenant compte, d'une part, de ce que le revenu reconstitué correspond à une projection et qu'une activité indépendante est sujette à fluctuation, et d'autre part, de ce que, selon les mentions de son relevé de carrière, il a perçus des salaires durant l'année 1995, à hauteur de la somme de 503,08 euros et du 1er janvier au 13 août 1996 à hauteur de la somme de 666,70 euros (941,22 euros x 8,5 mois/ 12 mois), il est certain que sans l'accident M. [K] aurait perçu au moins la somme de 106 898 euros qu'il sollicite ; sa demande est donc fondée à hauteur de ce montant.

Il ressort des lettres de la CPAM en date du 20 octobre 2017 et du 29 décembre 2022, qu'aucune indemnité journalière n'est à imputer sur ce poste de dommage.

L'indemnité de 106 898 euros revient en conséquence en intégralité à M. [K].

Le jugement est infirmé.

Préjudices patrimoniaux

permanents (après consolidation)

- Dépenses de santé futures

Ce poste vise les frais hospitaliers, médicaux, paramédicaux, pharmaceutiques et assimilés, même occasionnels mais médicalement prévisibles, rendus nécessaires par l'état pathologique de la victime après la consolidation et incluent les frais liés soit à l'installation de prothèses soit à la pose d'appareillages spécifiques nécessaires afin de suppléer le handicap physiologique.

M. [K] sollicite la confirmation du jugement qui lui a alloué la somme de 590 euros en indemnisation des frais d'ostéopathe échus au 18 mars 2018 et celle de 3 240 euros au titre des frais de psychologue. Il demande en outre à la cour une indemnité de 1640 euros à parfaire au titre des frais d'ostéopathe pour la période postérieure au 19 mars 2018.

L'AJE conclut à la confirmation du jugement sans explication particulière.

Sur ce, M. [K] ne justifie pas de la nécessité, après la date de la consolidation de son état, de poursuivre des soins d'ostéopathie et de bénéficier de séances auprès d'un psychologue, alors que les experts qui ont pris l'avis du docteur [U], psychiatre, n'ont retenu, comme dépenses de santé futures que la réfection de la prothèse en résine et que les éléments médicaux communiqués par M. [K], dont la quasi totalité a été examinée par les experts, ne sont pas de nature à remettre en cause la pertinence de ces conclusions et à établir les besoins allégués.

Le poste de dépenses de santé futures est ainsi limité à la somme de 3 830 euros allouée par le premier juge et admise par l'AJE.

Le jugement est confirmé.

- Frais divers futurs

M. [K] demande l'indemnisation des honoraires de médecin-conseil, admis par le tribunal à concurrence de 13 288,67 euros mais aussi de ceux du Docteur [C], neurologue, consulté afin d'éclairer les experts sur ses troubles neurologiques d'un montant de 1 200 euros et les frais de consultation de Mme [Z], ergothérapeute, s'étant élevés à la somme de 3 885 euros.

L'AJE conclut à la confirmation du jugement en avançant qu'il ne peut être tenu de payer les frais d'un rapport d'ergothérapeute non contradictoire, dont le lien avec l'accident n'est pas établi.

Sur ce, les honoraires des divers médecins conseils ne sont pas contestés par l'AJE sauf ceux du Docteur [C] qui a émis un avis en date du 29 septembre 2010 ; il ressort de la liste des pièces consultées par les experts, annexée au rapport d'expertise, que l'avis du Docteur [C] leur a été soumis, ce qui a contribué à leur permettre de déterminer les conséquences des blessures subies par M. [K] sur le plan neurologique, et d'estimer que ' les difficultés mnésiques et cognitives de M. [K] n'ont pas d'origine neurologique avérée, après notamment les différents examens complémentaires dont les IRM et que reste le problème des conséquences purement psychologiques du traumatisme'.

Le coût de ce rapport, qui a été nécessaire à l'évaluation du préjudice corporel de M. [K], soit la somme de 1 200 euros, selon la facture en date du 6 juin 2011, est donc indemnisable.

En revanche le prix de l'avis de Mme [Z] qui n'a pas été soumis aux experts et qui n'a pas été nécessaire à l'évaluation du préjudice de M. [K] ne peut être mis à la charge de l'AJE.

Les honoraires des autres médecins conseils n'étant pas discutés à hauteur de la somme de 13 288,67 euros, l'indemnité due à M. [K] au titre des frais divers post consolidation est de 14 488,67 euros.

Le jugement est infirmé.

- Assistance permanente par tierce personne

Le poste d'assistance permanente par tierce personne vise à indemniser, postérieurement à la consolidation, le coût pour la victime de la présence nécessaire, de manière définitive, d'une tierce personne à ses côtés pour l'assister dans les actes de la vie quotidienne, préserver sa sécurité, contribuer à restaurer sa dignité et suppléer sa perte d'autonomie.

M. [K] soutient que ce besoin a été indûment exclu par les experts alors que le Docteur [E] a relevé qu'il présentait lors de son hospitalisation du 26 août 1994 au 7 octobre 1994 des douleurs lombaires irradiant dans les membres inférieurs, une amyotrophie importante du membre inférieur gauche et des difficultés aux positions assise et debout prolongée ; il se fonde également sur l'expertise du Docteur [V] et sur divers documents médicaux postérieurs.

L'AJE conclut à la confirmation du jugement en relevant que les experts ont expressément écarté la nécessité pour M. [K] de bénéficier d'une aide par une tierce personne pérenne et que le rapport de Mme [Z] ne permet pas de rattacher les besoins qu'elle décrit à l'accident.

Sur ce, les experts ont analysé les divers rapports d'expertise et certificats médicaux dont M. [K] se prévaut et ont écarté expressément un besoin d'assistance par tierce personne post consolidation ; ils ont d'ailleurs relevé que si M. [K] souffrait de douleurs lombaires, il s'avérait, concernant le membre inférieur gauche, fracturé lors de l'accident, les mobilités au niveau du genou et de la cheville étaient libres et qu'il n'y avait de déficit moteur, ni au niveau de ce membre, ni au niveau du plan fessier ; les avis de Mme [Z], ergothérapeute, de M. [B] masseur kinésithérapeute et du Docteur [J], médecin généraliste, émis après le dépôt du rapport d'expertise, ne sont pas de nature à remettre en cause la pertinence des conclusions des experts, étant rappelé que le docteur [E] est spécialisé en médecine physique et de réadaptation.

La demande d'indemnisation formée par M. [K] n'est donc pas fondée.

Le jugement est confirmé.

- Aides techniques

Pour les mêmes motifs que ceux énoncés pour l'assistance permanente par tierce personne M. [K] ne rapporte pas la preuve d'un besoin en aides techniques et n'est donc pas fondé en sa demande indemnisation formée de ce chef.

Il y a lieu d'ajouter au jugement le rejet de cette demande.

- Perte de gains professionnels futurs

Ce poste est destiné à indemniser la victime de la perte ou de la diminution directe de ses revenus à compter de la date de consolidation, consécutive à l'invalidité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du fait dommageable.

M. [K] soutient qu'avant l'accident il avait déclaré des revenus ayant permis d'appeler des cotisations URSSAF, qu'ayant été dans l'impossibilité de travailler durant 3 ans et 5 mois après l'accident, il a perdu son entreprise et son domicile, ce qui l'a anéanti et qu'il lui a été très difficile, du fait de son âge, de son absence de diplôme et de ses séquelles, de se réinsérer professionnellement ; il demande ainsi à la cour de l'indemniser d'une perte de chance de percevoir le revenu moyen d'un architecte d'intérieur et ce jusqu'au 31 décembre 2020 et de son préjudice de retraite, subsidiairement de la perte de chance de percevoir le revenu moyen des travailleurs non salariés jusqu'au 31 décembre 2020, puis de son préjudice de retraite et encore plus subsidiairement, de la perte de chance de percevoir un revenu égal au montant du SMIC jusqu'au 31 décembre 2020, puis de son préjudice de retraite.

L'AJE conclut à la confirmation du jugement qui a débouté M. [K] de sa demande, sans plus de précision.

Sur ce, ainsi qu'il a été indiqué pour le poste de perte de gains professionnels actuels, par des motifs ici repris, s'il est prouvé que M. [K] exerçait une activité indépendante lors de l'accident, il ne démontre pas qu'il s'agissait d'une activité d'architecte d'intérieur.

En outre, il ne produit aucun élément justificatif permettant d'établir la nature et le cadre dans lequel il exerçait son activité indépendante ni les conditions dans lesquelles elle a cessé.

Surtout, il n'est aucunement établi par M. [K], qu'après la consolidation de ses blessures, les séquelles de l'accident, consistant en des douleurs lombaires, sans déficit moteur et sans séquelles neurologiques, dont les experts n'ont pas caractérisé qu'elles entraînaient une inaptitude professionnelle, ont exclu qu'il puisse reprendre une activité professionnelle indépendante, lui procurant des revenus de même montant que ceux qu'il percevait lors de l'accident.

Sa demande d'indemnisation d'une perte de gains professionnels futurs dont le lien avec l'accident n'est pas démontré, doit en conséquence être rejetée.

Le jugement est confirmé.

- Incidence professionnelle

Ce chef de dommage a pour objet d'indemniser non la perte de revenus liée à l'invalidité permanente de la victime mais les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle en raison, notamment, de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d'une chance professionnelle ou de l'augmentation de la pénibilité de l'emploi qu'elle occupe imputable au dommage, ou encore l'obligation de devoir abandonner la profession exercée au profit d'une autre en raison de la survenance de son handicap ; il inclut les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste, la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap et la dévalorisation sociale ressentie par la victime du fait de son exclusion définitive du monde du travail.

M. [K] qui estime que l'importance de es séquelles a été sous évaluée par les experts sollicite une indemnité de 160 000 euros en avançant que l'accident lui a fait perdre son activité antérieure d'architecte d'intérieur et toute autre activité professionnelle.

L'AJE estime que l'indemnité allouée par le premier juge est excessive et offre une indemnité de 35 000 euros, destinée à compenser la dévalorisation sur le marché du travail en relevant qu'avant l'accident, M. [K] connaissait une situation professionnelle précaire et était dépourvu de diplômes ; il estime que la désocialisation ne peut être indemnisée au titre de l'incidence professionnelle.

Sur ce, M. [K] n'invoque pas à l'appui de sa demande d'indemnisation de l'incidence professionnelle une pénibilité accrue ou une dévalorisation sur le marché du travail.

Il n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation de la perte de son activité professionnelle antérieure et de toute autre activité, dont le lien avec l'accident n'est pas établi.

En revanche il convient compte tenu de l'offre de l'AJE de lui allouer une indemnité de 35 000 euros au titre de ce poste de dommage.

Aucune prestation de nature à s'imputer sur l'indemnisation de l'incidence professionnelle, cette somme revient en intégralité à M. [K].

Le jugement est infirmé.

Préjudices extra-patrimoniaux

temporaires (avant consolidation)

- Souffrances endurées

Ce poste comprend l'indemnisation de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi

que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c'est-à dire du jour de l'accident jusqu'à celui de la consolidation

En l'espèce, il convient de prendre en considération les souffrances physiques et psychiques et les troubles associés supportés par la victime en raison du traumatisme initial, des hospitalisations, de la réalisation d'une ostéosynthèse, des examens et soins, de la longue rééducation ; évalué à 3,5/7 par les experts, ce chef de préjudice justifie l'octroi d'une indemnité de 10 000 euros.

Le jugement est confirmé.

Préjudices extra-patrimoniaux

permanents (après consolidation)

- Déficit fonctionnel permanent

Ce poste de dommage vise à indemniser la réduction définitive du potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel résultant de l'atteinte anatomo-physiologique à laquelle s'ajoutent les phénomènes douloureux et les répercussions psychologiques et notamment le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence (personnelles, familiale et sociales).

Il est caractérisé par une obstruction nasale modérée avec déviation de la cloison nasale, la perte de cinq dents, des douleurs à type de lombalgie sans signe d'irritation radiculaire, une légère hypoesthésie de topographie S1 gauche et un retentissement psychique, conduisant à un taux de 20 % et justifiant compte tenu des souffrances morales et des troubles induits dans les conditions d'existence une indemnité de 50 000 euros pour un homme âgé de 42 ans à la consolidation.

Le jugement est infirmé.

- Préjudice esthétique permanent

Ce poste de dommage cherche à réparer les atteintes physiques et plus généralement les éléments de nature à altérer l'apparence physique.

Coté 3/7 au titre d'une modification nasale esthétique limitée, de la perte de cinq dents, d'une amyotrophie conséquente du quadriceps gauche, il doit être indemnisé à hauteur de 8 000 euros.

Le jugement est infirmé.

- Préjudice d'agrément

Ce poste de dommage vise exclusivement l'impossibilité ou la difficulté pour la victime à poursuivre la pratique d'une activité spécifique sportive ou de loisir.

L'indemnité de 4 500 euros allouée par le premier juge est admise par les deux parties en cause d'appel.

Le jugement est confirmé.

- Préjudice sexuel

Ce poste concerne la réparation des préjudices touchant à la sphère sexuelle, soit le préjudice morphologique lié à l'atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires résultant du dommage subi, le préjudice lié à l'acte sexuel lui-même qui repose sur la perte du plaisir lié à l'accomplissement de l'acte sexuel (perte de l'envie ou de la libido, perte de la capacité physique de réaliser l'acte, perte de la capacité à accéder au plaisir) et le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté à procréer (ce préjudice pouvant notamment chez la femme se traduire sous diverses formes comme le préjudice obstétrical, etc.).

Les experts ont relevé que si M. [K] avait indiqué ne plus avoir de rapport sexuel depuis le fait accidentel, il n'évoquait pas de problèmes douloureux et que ce point particulier ne ressortait pas de l'expertise psychiatrique.

Il ressort de ces données, et de l'absence de toute autre pièce, de nature à en démontrer l'existence, que ce préjudice n'est pas établi.

Il doit être ajouté au jugement que M. [K] est débouté de cette demande.

- Préjudice d'établissement

Ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d'espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteinte la victime après sa consolidation. Il s'agit de la perte d'une chance de fonder une famille, d'élever des enfants et, plus généralement, des bouleversements dans les projets de vie de la victime qui la contraignent à certains renoncements sur le plan familial. Ce préjudice recouvre en cas de séparation ou de dissolution d'une précédente union, la perte de chance pour la victime handicapée de réaliser un nouveau projet de vie familiale.

Aucune preuve n'est apportée de ce que les séquelles de l'accident entraîneraient une perte de chance pour M. [K] de fonder une famille ou de nouer une relation affective durable.

Il doit être ajouté au jugement que M. [K] est débouté de cette demande.

- Sur le préjudice de contamination

L'origine de cette contamination étant incertaine, selon les experts, il convient, conformément aux conclusions de l'AJE, de confirmer le jugement qui a alloué à M. [K] une indemnité de 25 000 euros.

***

Récapitulatif :

- dépenses de santé actuelles : rejet (confirmation du jugement)

- frais divers temporaires : rejet (confirmation du jugement)

- assistance temporaire par tierce personne : jugement définitif (5 680,88 euros)

- perte de gains professionnels actuels : 106 898 euros (infirmation du jugement)

- dépenses de santé futures : 3 830 euros (confirmation du jugement)

- assistance permanente par tierce personne : rejet (confirmation du jugement)

- aides techniques : rejet (confirmation du jugement)

- frais divers futurs : 14 488,67 euros (infirmation du jugement)

- perte de gains professionnels futurs : rejet (confirmation du jugement)

- incidence professionnelle : 35 000 euros (infirmation du jugement)

- souffrances endurées : 10 000 euros (confirmation du jugement)

- déficit fonctionnel temporaire : jugement définitif (12 156,25 euros)

- préjudice esthétique temporaire : jugement définitif (2 000 euros)

- déficit fonctionnel permanent : 50 000 euros (infirmation du jugement)

- préjudice esthétique permanent : 8 000 euros (infirmation du jugement)

- préjudice d'agrément : 4 500 euros (confirmation du jugement)

- préjudice sexuel : rejet (ajout au jugement)

- préjudice d'établissement : rejet (ajout au jugement)

- préjudice de contamination : 25 000 euros (confirmation du jugement).

Sur la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal

La disposition du jugement relative à la sanction du doublement du taux de l'intérêt légal est admise par les deux parties.

Le jugement est confirmé.

Sur les demandes accessoires

Il n'y a pas lieu de déclarer l'arrêt opposable à la CPAM qui est en la cause.

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

L'AJE qui succombe partiellement dans ses prétentions et qui est tenu à indemnisation supportera la charge des dépens d'appel.

L'équité commande d'allouer à M. [K] une indemnité de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Et dans les limites de l'appel

- Confirme le jugement,

hormis sur la condamnation de l'agent judiciaire de l'Etat au titre des postes du préjudice corporel de M. [T] [K] relatifs à la perte de gains professionnels actuels, aux frais divers futurs, à l'incidence professionnelle, au déficit fonctionnel permanent et au préjudice esthétique permanent,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [T] [K] les indemnités suivantes, provisions et sommes versées en vertu de l'exécution provisoire du jugement non déduites, avec les intérêts au taux légal à compter du jugement à concurrence des sommes allouées par celui-ci et à compter du présent arrêt pour le surplus, au titre des postes ci-après de son préjudice corporel consécutif à l'accident du 2 mars 1993 :

- perte de gains professionnels actuels : 106 898 euros

- frais divers futurs : 14 488,67 euros

- incidence professionnelle : 35 000 euros

- déficit fonctionnel permanent : 50 000 euros

- préjudice esthétique permanent : 8 000 euros,

- Déboute M. [K] de ses demandes au titre des préjudice sexuel et d'établissement,

- Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [T] [K] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/14832
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;21.14832 ?
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