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16/02/2023 | FRANCE | N°21/04877

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 16 février 2023, 21/04877


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 16 FEVRIER 2023



(n°2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04877 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDY7F



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/00444





APPELANTE



Madame [G] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

née le 22 Juin 196

3 à [Localité 5] (102)



Assistée de Me Saliha HARIR, avocat au barreau de PARIS, toque : C1240



INTIMEE



S.A. FIGARO CLASSIFIEDS

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Nadia BOUZ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n°2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04877 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDY7F

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Mai 2021 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F20/00444

APPELANTE

Madame [G] [R]

[Adresse 2]

[Localité 4]

née le 22 Juin 1963 à [Localité 5] (102)

Assistée de Me Saliha HARIR, avocat au barreau de PARIS, toque : C1240

INTIMEE

S.A. FIGARO CLASSIFIEDS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Nadia BOUZIDI-FABRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0515

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Catherine BRUNET, présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Catherine BRUNET, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [G] [R] a été engagée par la société VIADEO par un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein du 5 mai 2008 en qualité de responsable support clients.

Par avenant du 12 avril 2016, elle a été nommée en qualité de 'member relations representative', statut cadre, position 2.1, coefficient 115.

Le 2 janvier 2017, le contrat de travail de Mme [R] a été transféré à la société Figaro Classifieds (ci-après la société) en vertu de l'article L.1224-1 du code du travail.

Conformément à l'avenant du 27 juin 2017, Mme [R] occupait en dernier lieu la fonction de chargée de relation clients BtoC au sein de la direction marketing de la société Figaro Classifieds.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils (dite SYNTEC) du 15 décembre 1987 et la société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Mme [R] a été convoquée par lettre remise en main propre le 14 janvier 2019 à un entretien préalable fixé au 21 janvier 2019.

Par lettre du 31 janvier 2019, elle a été licenciée pour cause réelle et sérieuse. Elle a été dispensée de l'exécution de son préavis.

Considérant que son licenciement est nul en raison d'une discrimination liée à son âge et subsidiairement dépourvu de cause réelle et sérieuse, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 12 mai 2021 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement des entiers dépens.

Mme [R] a régulièrement interjeté appel de ce jugement le 2 juin 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 15 juillet 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [R] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il est venu juger que son licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommages et intérêts au titre de son licenciement nul pour discrimination liée à son âge et à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse, de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement et de dommages et intérêts au titre du préjudice économique subi ;

Par conséquent,

- fixer la moyenne de ses salaires à la somme de 2 897,66 euros bruts ;

A titre principal,

- prononcer la nullité de son licenciement pour discrimination liée à son âge ;

En conséquence,

- condamner la société à lui verser la somme de 69 543,84 euros à titre de dommages et intérêts ;

A titre subsidiaire,

- déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

En conséquence,

- écarter les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail ;

- condamner la société à lui verser la somme de 69 543,84 euros à titre de dommages et intérêts ;

A titre infiniment subsidiaire

- condamner la société à lui verser la somme de 28 976,60 euros à titre de dommages et intérêts ;

En tout état de cause,

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 181,96 euros à titre de solde de l'indemnité de licenciement,

* 4 281,12 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice économique,

* 4 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société aux entiers dépens ;

- ordonner la remise des bulletins de salaire, certificat de travail et attestation Pôle emploi conformes aux condamnations sous astreinte de 50 euros par jour et par document à compter de la notification de la décision à intervenir ;

- assortir le montant des condamnations du taux d'intérêt légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes pour les sommes à caractère salarial, et à compter du prononcé de la décision à intervenir pour les sommes indemnitaires ;

- ordonner la capitalisation des intérêts ;

- juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues pas l'huissier instrumentaire en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001, portant modification du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 13 octobre 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [R] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée au paiement des entiers dépens ;

- débouter Mme [R] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner Mme [R] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 4 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur la discrimination

Mme [R] soutient qu'elle a été victime d'une discrimination liée à l'âge ce que la société conteste.

Il résulte des dispositions de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, qu'aucune personne ne peut être licenciée en raison de son âge.

Selon l'article L. 1132-4 du même code, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance des dispositions précitées est nul.

Aux termes de l'article L. 1134-1 du même code, lorsque survient un litige en raison de la méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie à l'article 1er de la loi n°2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

A l'appui de son allégation, la salariée invoque :

- une mise à l'écart progressive ;

- des remarques liées à l'âge ;

- des moqueries malgré ses plaintes ;

- l'exclusion d'une invitation le 18 octobre 2018 ;

- l'annulation de réunions marketing après ses réponses positives pour y participer ;

- une absence d'invitation à des déjeuners d'équipe ;

- un retrait d'attributions à compter du 26 avril 2018 ;

- une absence d'invitation à une sortie le 9 janvier 2019 ;

- l'attitude de son supérieur M. [H] à propos de la médaille du travail ;

- une volonté de rajeunissement de la part de la société.

Elle ne présente pas d'éléments quant à une mise à l'écart progressive, des remarques liées à l'âge, des moqueries malgré ses plaintes, une absence d'invitation à des déjeuners d'équipe, un retrait d'attributions à compter du 26 avril 2018 et une absence d'invitation à une sortie le 9 janvier 2019.

Concernant, l'exclusion d'une invitation le 18 octobre 2018, elle verse aux débats un courriel du 19 octobre 2019 de Mme [Z] lui transférant un courriel du 18 octobre. Ce message adressé à plusieurs personnes porte en objet 'pot de lancement Phoenix' et a pour but de déterminer une date pour organiser cet événement. Il est constant que Mme [R] ne fait pas partie des destinataires. Elle ajoute que Mme [A], proche d'elle, n'est pas non plus destinataire de ce courriel. Cependant, la cour relève que l'invitation émane de Mme [T] de la société Viadéo, cette société n'étant plus l'employeur de Mme [R] à cette date. Elle constate d'autre part, que la salariée ne produit aucun élément concernant ce projet Phoenix ainsi que sa participation éventuelle à celui-ci, les personnes invitées et leur service de sorte qu'il n'est pas établi qu'elle aurait dû être associée à cet événement.

S'agissant de l'annulation de réunions marketing après ses réponses positives pour y participer, Mme [R] produit aux débats une annulation par M. [H], son supérieur hiérarchique, d'une réunion fixée au 17 janvier 2019. Sur ce document (pièce n°9), est indiqué de manière manuscrite 'elle a eu lieu'. La cour relève que la salariée invoque des annulations de réunions, mais produit un élément relatif à une seule réunion et ne verse aucun élément quant au maintien de celle-ci. Ce seul élément n'établit pas que M. [H] annulait les réunions dès lors qu'elle les acceptait.

Concernant l'attitude de M. [H] à propos de la médaille du travail, Mme [R] produit un courriel de ce dernier lui adressant un lien vers un site dédié aux démarches administratives pour solliciter la médaille du travail. Elle en déduit que par cet acte selon elle réitéré, son supérieur hiérarchique avait 'pour dessein de la ridiculiser car l'ancienneté minimum afin d'y prétendre, est de 20 ans minimum alors qu('elle) n'avait que 10 ans d'ancienneté dans cet emploi.' La cour constate que Mme [R] ne produit qu'un courriel de sorte qu'il n'est pas établi que ce comportement ait été réitéré et qu'en tout état de cause, l'ancienneté à prendre en compte pour l'obtention de cette médaille n'est pas celle acquise dans l'entreprise de sorte qu'il n'est pas établi par ce seul message que M. [H] cherchait à la ridiculiser en faisant référence à son âge. La production des photographies d'un livre et d'une cafetière ne permet pas d'établir que M. [H] effectuait des cadeaux à la salariée car il se sentait coupable de son comportement à son encontre.

Enfin, Mme [R] invoque une volonté de rajeunissement de la part de la société et produit à ce titre un courriel de M. [S] indiquant que M. [C] vient de quitter FCMS après 12 années de collaboration ce qui marque selon lui 'la fin d'un cycle' et précisant l'existence d'un nouveau cycle. La cour relève que ces propos concernent la société dans son ensemble alors que la salariée doit produire des éléments la concernant.

Au terme de cette analyse des éléments de fait présentés par la salariée, la cour retient qu'ils ne laissent pas supposer l'existence d'une discrimination liée à l'âge.

Sur le licenciement

Sur la nullité du licenciement

En l'absence de discrimination liée à son âge, le licenciement de Mme [R] n'est pas nul.

Elle sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur le caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse du licenciement

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige est rédigée en ces termes :

' (...) Nous vous rappelons que vous avez été engagée le 05/05/2008 par la société VIADEO, et occupez actuellement le poste de Chargée RC BtoC.

Suite aux témoignages de plusieurs de vos collègues, tous corroborant, nous nous sommes vus contraints de vous exposer les griefs suivants, relatifs à votre comportement :

Plusieurs collaborateurs se sont plaints que vous leur adressiez des remarques d'ordre professionnel et/ou personnel, très régulièrement.

Selon la présence ou non sur l'open space de votre N+1, [X] [H], vous n'adoptez pas forcément la même attitude et vous vous permettez de faire des remarques intolérables :

Sur le plan professionnel, vous finissez par semer le doute dans l'esprit de vos collègues en critiquant leur travail. Vous semblez chercher à les manipuler, surtout lorsqu'il s'agit de jeunes diplômés, découvrant le monde du travail : « X se sent souvent rabaissée au point qu'elle en vient à douter de son propre travail ». Votre manager vous a repris plusieurs fois oralement ces derniers mois sur des remarques racistes, qui gênent les collaborateurs alors témoins de vos dires. Pour autant, vous réitérez régulièrement ce type de remarques, les qualifiant de généralités et que nous ne pouvons accepter.

Enfin, les managers se voient fréquemment critiqués aux yeux de leur équipe : 'c'est un hypocrite, il se croit supérieur à toi, il est trop strict, il ne faut pas le fréquenter'.

Sur le plan personnel, plusieurs collaborateurs se sont vus remis en cause sur leur pratiques alimentaires, leurs habitudes vestimentaires ou de beauté, et aussi sur leurs relations amicales. 'Elle devient très agressive si je parle aux autres'.

Vos remarques constantes et déplacées rendent l'atmosphère du plateau délétère et nous ne pouvons tolérer que vous puissiez harceler certains de vos collègues sans raison, mal à propos, faisant que leurs conditions de travail deviennent difficiles : 'elle agresse très souvent verbalement X notre collègue'. Certains se sentent humilier et se trouvent déstabiliser dans leur quotidien, l'exprimant ainsi 'ce qu'elle me fait subir tous les jours devient juste invivable au quotidien et cela touche à mon moral et à mon bien-être au travail. Je me suis refermée sur moi-même, ne prends plus de plaisir à venir travailler je suis stressée' ; 'j'en suis arrivée au point où je n'osais plus poser de questions pour ne pas qu'elle m'entende et me fasse un commentaire (en public, lors des pauses ou par messages)' ; 'elle a réussi à avoir une emprise sur X et moi'.

Vous avez réfuté nos griefs et avez avancé que vous vous sentiez vous-même mal considérée.

Cependant, les différents éléments énoncés nous amènent à vous licencier pour cause réelle et sérieuse. Votre préavis d'une durée de trois mois prend effet à la date d'envoi de la présente lettre. Cependant, nous vous dispensons d'exécuter la totalité de votre préavis. Il vous sera rémunéré aux échéances habituelles.(...)'.

Mme [R] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse car elle ne s'est pas rendue coupable de harcèlement moral et n'a pas tenu de propos racistes. Elle fait valoir que la lettre de licenciement est imprécise, les salariés s'étant plaints n'étant pas dénommés, et que la seule pièce produite à l'appui du grief portant sur ses propos émane de son supérieur hiérarchique, M. [H].

La société soutient que les faits reprochés à la salariée sont établis et justifiaient son licenciement.

Il résulte de l'article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

L'article L. 1235-1 du même code dispose qu'en cas de litige relatif au licenciement et à défaut d'accord entre les parties, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles et que si un doute subsiste, il profite au salarié.

Ainsi, l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis et matériellement vérifiables.

La cour constate que la lettre de licenciement énonce des motifs précis dans la mesure où elle décrit le comportement reproché à la salariée et cite des propos qui lui sont prêtés.

Contrairement à ce qu'invoque Mme [R], les témoignages produits par la société à l'appui de la mesure de licenciement ne sont pas anonymes dans la mesure où il s'agit de courriels portant en en-tête le nom de leur expéditeur.

Ainsi, la société produit un courriel de M. [U] [M] du 11 décembre 2018, deux courriels du 12 décembre de Mme [L] [I] et de Mme [E] [A]. Les propos cités en italiques dans la lettre de licenciement figurent dans les courriels de ces trois personnes. Cependant, la cour constate comme le souligne la salariée que les courriels de Mme [I], réalisant alors une alternance dans l'entreprise, et de Mme [A], salariée engagée par un contrat de travail à durée déterminée, font suite à une demande de M. [H], leur supérieur hiérarchique puisque le premier débute par ' suite à notre entretien' et le second par 'comme convenu'. M. [M] qui rapporte dans son courriel des propos tenus par Mme [I] et fait part de constatations quant au comportement de Mme [R] est également salarié de la société, placé sous un lien de subordination. Or, dans le cadre du présent litige, ces salariés n'ont pas établi d'attestations corroborant leurs dires et aucun élément objectif n'est produit par la société à l'appui de ces courriels alors qu'elle employait d'autres salariés travaillant selon les écrits des deux salariées dans un open space qui auraient pu attester. Enfin, la cour relève dans les courriels de Mme [I] et de Mme [A] une similitude rédactionnelle, chacune dénonçant des 'pics' adressés selon elles par Mme [R]. La société verse également aux débats deux courriels de M. [H] du 12 décembre 2018 et du 20 juillet 2020 ainsi qu'une attestation. Le second courriel a trait à la médaille du travail et est sans lien avec les faits reprochés à la salariée. Dans son attestation du 10 mars 2021, M. [H] expose les conditions dans lesquelles il a été avisé selon lui des faits reprochés à Mme [R] et il cite des propos prêtés à la salariée dont les propos indiqués dans son courriel du 12 décembre 2018. Cependant, la cour relève que cette attestation a été établie par le supérieur hiérarchique de Mme [R], lui-même placé sous un lien de subordination et qu'elle n'est pas conforme aux dispositions de l'article 202 du code de procédure civile en ce qu'elle ne porte pas mention de la connaissance par son auteur de sa production en justice et des risques encourus en cas de fausse attestation. En outre, elle n'est pas corroborée par des éléments objectifs. Ainsi, si M. [H] évoque une conversation avec Mme [N] et l'existence d'avertissements au cours de sa période d'emploi auprès de la société Viadeo, aucun élément n'est produit à ce titre. En conséquence, la cour retient que les éléments produits par la société à l'appui de la mesure de licenciement n'ont pas de valeur probante suffisante.

En outre, la salariée produit aux débats des messages échangés avec Mme [A] le 5 décembre 2018, soit immédiatement avant la rédaction du courriel de cette dernière, qui démontrent une proximité certaine entre ces deux salariées.

Dès lors, la cour retient que le licenciement de Mme [R] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur les conséquences du licenciement

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Mme [R] demande à la cour d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige en ce qu'il ne permet pas au juge de tenir compte de l'ensemble des éléments de situation du salarié qui alimentent ses préjudices financiers, professionnels et moraux en violation des dispositions de l'article 24 de la charte européenne des droits sociaux, des articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et du droit à un procès équitable dès lors que le pouvoir du juge se trouve selon elle drastiquement limité.

La société sollicite l'application de l'article L. 1235-3 du code du travail en invoquant l'avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article.

Selon l'article L. 1235-3-1 du même code, l'article 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues à son deuxième alinéa. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Enfin, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Aux termes de l'article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales.

La Charte réclame des Etats qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe. En outre, le contrôle du respect de cette charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux dont la saisine n'a pas de caractère juridictionnel et dont les décisions n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers de sorte que sa violation ne peut pas être valablement invoquée par Mme [R].

La cour relève que l'article 4 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) n'a pas trait à l'indemnisation du préjudice résultant d'un licenciement mais à sa justification et que la salariée n'est pas privée de la possibilité d'en contester judiciairement le motif.

Aux termes de l'article 10 de cette convention, si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Comme le soutient à juste titre Mme [R], ces stipulations sont d'effet direct en droit interne dès lors qu'elles créent des droits entre particuliers, qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire.

Le terme 'adéquat' signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et que le barème n'est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. En outre, le juge applique d'office les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Enfin, aux termes de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Il en résulte que cet article garantit une équité 'procédurale' et que l'évaluation d'un préjudice n'entre pas dans son champ d'application.

En conséquence, il n'y a pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention de l'OIT et il appartient à la cour d'apprécier la situation concrète de la salariée pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article fixés à 3 et 10 mois.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Mme [R] fixé à 2 873,50 euros sur la base de l'attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire produits, de son âge, 55 ans, de son ancienneté, dix ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, étant précisé que Mme [R] ne justifie pas de la perception de prestations Pôle emploi, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 23 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au paiement de laquelle la société sera condamnée.

La décision des premiers juges sera infirmée sur ce chef de demande.

Sur le complément d'indemnité de licenciement

Mme [R] sollicite un complément d'indemnité de licenciement sur le fondement de l'article 19 de la convention collective dite Syntec et d'un salaire fixé à 2 897,66 euros.

La société se fondant sur un salaire de 2 836,97 euros conclut au débouté de la salariée en indiquant qu'elle a été remplie de ses droits.

Aux termes de l'article 19 de la convention collective dite Syntec applicable, l'indemnité de licenciement se calcule en mois de rémunération sur les bases suivantes : après 2 ans d'ancienneté, 1/3 de mois par année de présence de l'ingénieur ou du cadre, sans pouvoir excéder un plafond de 12 mois.

Compte tenu du montant du salaire fixé par la cour et de ce texte, il est dû à Mme [R] qui a perçu une indemnité de licenciement de 10 428,50 euros, un complément d'indemnité de licenciement de 27,81 euros au paiement duquel la société sera condamnée.

La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

Sur le préjudice économique

Mme [R] soutient qu'elle a subi un préjudice économique caractérisé par la différence entre le salaire net qu'elle percevait et les allocations chômage.

La société fait valoir que le préjudice économique est pris en compte dans l'appréciation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la salariée ne justifie pas des montants qu'elle a perçus de la part de Pôle emploi.

Le préjudice économique a été précédemment pris en considération dans l'évaluation du préjudice subi par la salariée en raison du caractère dépourvu de cause réelle et sérieuse de son licenciement et au surplus, elle ne justifie pas comme exposé précédemment de sa situation postérieurement à son licenciement notamment par la production de relevés de prestations chômage.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande à ce titre et la décision des premiers juges sera confirmée sur ce chef de demande.

Sur le remboursement des indemnités de chômage à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner à la société Figaro Classifieds de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [G] [R] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 2 mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation soit le 23 janvier 2020 et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter de la décision qui les prononce, la capitalisation des intérêts étant ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du même code.

Sur la remise des documents

Il sera ordonné à la société Figaro Classifieds de remettre à Mme [G] [R] une attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes à la présente décision sans qu'il y ait lieu à prononcer une astreinte.

Compte tenu de l'issue du litige, il n'y a pas lieu d'ordonner la remise d'un certificat de travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Partie perdante, la société Figaro Classifieds sera condamnée au paiement des dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé en ce qu'il a mis les dépens à la charge de la salariée.

La société Figaro Classifieds sera condamnée à payer à Mme [G] [R] la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la décision des premiers juges étant infirmée à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [G] [R] de sa demande au titre de la nullité de son licenciement et de dommages et intérêts pour préjudice économique,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT le licenciement de Mme [G] [R] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Figaro Classifieds à verser à Mme [G] [R] les sommes suivantes :

- 23 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

CONDAMNE la société Figaro Classifieds à payer à Mme [G] [R] la somme de :

- 27,81 euros à titre de complément d'indemnité de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Figaro Classifieds de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes soit le 23 janvier 2020 et capitalisation de ceux-ci dès lors qu'ils seront dus pour une année entière,

ORDONNE à la société Figaro Classifieds de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [G] [R] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de 2 mois d'indemnités,

ORDONNE à la société Figaro Classifieds de remettre à Mme [G] [R] une attestation Pôle emploi et des bulletins de salaire conformes à la présente décision,

DIT n'y avoir lieu à astreinte,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Figaro Classifieds aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/04877
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;21.04877 ?
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