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16/02/2023 | FRANCE | N°20/08244

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 16 février 2023, 20/08244


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 16 FEVRIER 2023



(n° 2023/ , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08244 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYNE



Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 19/00084





APPELANTE



Madame [N] [J] épouse [F]

[Adre

sse 3]

[Localité 4]



Assistée de Me Olivier DELL'ASINO, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU



(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/047482 du 14/01/2021 acc...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n° 2023/ , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08244 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYNE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 24 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de FONTAINEBLEAU - RG n° 19/00084

APPELANTE

Madame [N] [J] épouse [F]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Assistée de Me Olivier DELL'ASINO, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/047482 du 14/01/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PARIS)

INTIMEE

S.E.L.A.R.L. DU DOCTEUR [I] [R]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Bertrand LOUBEYRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1930

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 1er décembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [N] [J] épouse [F], a été engagée comme femme de ménage par la Selarl du Docteur [I] [R] par contrat de travail verbal à effet au 1er mars 2012 moyennant une rémunération horaire de 12 euros net. La Selarl du Docteur [I] [R] occupait moins de onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles et appliquait la convention collective nationale du particulier employeur.

Mme [J] a été convoquée par lettre du 2 octobre 2017 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 12 octobre 2017 et s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier recommandé du 16 octobre 2017.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Fontainebleau afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et la rupture du contrat de travail. Par jugement du 24 novembre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes, section activités diverses, a :

- dit que Mme [J] est irrecevable en ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail, pour défaut de droit d'agir en raison de la prescription ;

- dit que Mme [J] est recevable en ses demandes au titre de l'exécution de son contrat de travail ;

- dit que Mme [J] est recevable en ses demandes au titre de rappel de salaire ;

- dit que la durée mensuelle contractuelle de travail de Mme [J] était de 34,66 heures ;

- dit que le salaire mensuel brut de Mme [J] était fixé à la somme de 544,97 euros ;

- condamné la selarl du docteur [I] [R] à payer à Mme [J] les sommes de':

* 3 057,51 euros nets au titre de rappel de salaire et la somme de 305,75 euros nets au titre des congés payés afférents ;

* 1 000 euros en réparation du dommage subi par l'exécution déloyale du contrat de travail ;

- débouté Mme [J] de sa demande de dommages et intérêts en raison de la résistance abusive du Dr [R] et de sa demande de juger la Convention collective nationale des cabinets dentaires applicable ;

- condamné la selarl du Docteur [I] [R] au paiement des entiers dépens y compris les frais éventuels d'exécution ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de plein droit ;

- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire de Mme [J] à la somme de 461,21 euros brut ;

- condamné la selarl du Docteur [I] [R] au paiement des intérêts au taux légal à compter du 21 mai 2019 pour l'ensemble des sommes à verser à Mme [J] ;

- condamné la selarl du Docteur [I] [R] à payer à Mme [J] la somme de 1 000 euros TTC sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamné M. [R] aux entiers dépens de l'instance.

Mme [J] a régulièrement relevé appel de ce jugement le 4 décembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA) le 1er mars 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [J] prie la cour de :

- 1 infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle est irrecevable en ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail pour défaut de droit d'agir en raison de la prescription, en ce qu'il a fixé à 1 000 euros le montant des dommages-intérêts pour l'exécution déloyale du contrat de travail, en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes de dommage et intérêt pour résistance abusive, et de juger la convention collective nationale des cabinets dentaires applicable et en ce qu'il a fixé à 1 000 euros le montant de l'indemnité due en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- 2 Statuer sur les demandes suivantes :

* a) fixer le salaire mensuel brut à la somme de 544,97 euros,

* b) juger que la convention collective nationale des cabinets dentaires est applicable,

* c) à titre principal, juger que la selarl du Docteur [I] [R] a rompu de fait le contrat de travail le 14 septembre 2017,

* d) à titre subsidiaire sur la demande n°2 c, juger que le licenciement notifié le 16 octobre 2017 (date de la lettre) est sans cause réelle et sérieuse,

*e) condamner la selarl du Docteur [I] [R] à lui payer la somme de 21 158,56 euros nets à titre d'indemnité adéquate sur le fondement de l'article 10 de la Convention OIT n°158 du 2 juin 1982,

*f) subsidiairement sur la demande n°2. E, condamner la SELARL du Docteur [I] [R] à lui payer la somme de 21 158,56 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement du second tableau de l'article L. I235-3 du code du travail,

* g) condamner la selarl du Docteur [I] [R] à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du dommage subi par l'exécution déloyale du contrat de travail,

* h) condamner la selarl du Docteur [I] [R] payer à Mme [J] la somme de 3 000 euros en réparation du dommage subi par sa résistance abusive,

* i) ordonner la capitalisation de l'intérêt légal sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

*j) condamner la selarl du Docteur [I] [R] à rembourser à Mme [J] la somme de 73,04 euros de frais de signification de la déclaration d'appel et la somme de 3,37 euros de frais de Kbis ;

* condamner la SELARL du Docteur [I] [R] à payer à Me [E] [K] les sommes de 3 596,66 euros T.T.C. (CPH) et 2 189,55 euros (CAP) sur le fondement des articles 700 du code de procédure civile et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises et notifiées par le RPVA le 17 avril 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la selarl du Dr [I] [R] prie la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que Mme [J] est recevable en ses demandes au titre de l'exécution du contrat de travail et en ses demandes au titre des rappels de salaires, et':

l'a condamnée à lui verser les sommes de :

* 3 057,51 euros au titre de rappel de salaire,

* 305,75 euros au titre de congés payés afférents,

* 1 000 euros en réparation du dommage subi pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande à hauteur de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- le confirmer pour le surplus ;

Et statuant à nouveau,

A titre principal,

- Juger prescrites l'ensemble des demandes formulées par Mme [J] ;

En conséquence,

- débouter Mme [J] de l'ensemble de ses demandes ;

- ordonner la restitution par Mme [J] de l'ensemble des sommes versées au titre de l'exécution provisoire ;

À titre subsidiaire, juger le licenciement de Mme [J] fondé sur une cause réelle et sérieuse, juger non fondées l'ensemble des demandes formulées par Mme [J], l'en débouter ;

A titre infiniment subsidiaire , juger prescrites les demandes au titre de rappel de salaires portant sur la période antérieure au 16 octobre 2014 ;

- Ordonner la restitution par Mme [J] de l'ensemble des sommes versées au titre de l'exécution provisoire ;

A titre incident,

Condamner Mme [J] à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 novembre 2022.

MOTIVATION':

Sur la prescription:

La selarl du Docteur [I] [R] soulève la prescription des demandes de Mme [J] sur le fondement de l'article L. 1471'1 du code du travail en soutenant que la prescription extinctive a été acquise au mois de mars 2019 de sorte que la saisine du conseil le 9 mai 2019 est tardive.

Mme [J] de son côté soutient que le délai de prescription n'est pas atteint dès lors qu'il convient de prendre en compte les délais d'instruction de sa demande d'aide juridictionnelle et conclut à l'infirmation du jugement de ce chef.

L'article L. 1471'1 du code du travail dispose que « toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit. Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par 12 mois à compter de la notification de la rupture [' ] ».

Au cas d'espèce, la rupture du contrat de travail est intervenue au plus tard le 16 octobre 2017. Cette date constitue donc le point de départ du délai de prescription des demandes portant sur la rupture du contrat travail. Aux termes de l'article 38 du décret 91'1266 du 19 décembre 1991 « lorsqu'une action en justice ou recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressé au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter :

a) de la notification de la décision d'admission provisoire ;

b) de la notification de la décision constatant la caducité de la demande

c) de la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande[']

d) ou en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné [']'»

Il est établi par les mentions non contestées du jugement que l'aide juridictionnelle a été accordée à Mme [J] par décision du 29 juin 2018 après avoir été sollicitée nécessairement dans le délai de prescription d'un an s'agissant de la demande de rupture du contrat de travail et de deux ans s'agissant des demandes portant sur l'exécution du contrat de travail laquelle s'est poursuivie jusqu'à la rupture, de sorte qu'à partir de cette date, étant observé que la date de notification de la décision n'est pas connue mais qu'elle est nécessairement intervenue postérieurement, un nouveau délai a couru, et que la saisine du conseil de prud'hommes intervenue le 10 mai 2019 n'est pas prescrite.

Le jugement est infirmé de ce chef.

Sur la rupture du contrat de travail':

Sur la date du licenciement :

Mme [J] soutient en premier lieu que la rupture est antérieure à l'envoi de la lettre de licenciement et qu'elle est intervenue le 14 septembre 2017 verbalement de sorte qu'elle est nécessairement abusive. Elle s'appuie sur des échanges de SMS intervenus entre elle-même et M. [R] à partir du 6 septembre 2017 dont il ressort que :

- le 6 septembre, Mme [J] demande à M. [R] s'il a décidé de la garder,

- le même jour, il réplique qu'il n'a pas encore tous les éléments pour répondre,

- le 14 septembre, M. [R] accuse réception d'un courrier et fait part de sa surprise à Mme [J] en lui disant qu'il n'acceptera pas l'augmentation qu'elle sollicitait et lui demande à quelles conditions elle souhaite reprendre son poste

- elle lui répond, le 14 septembre, en lui disant qu'elle demande tout simplement sa réintégration dans son poste et qu'elle attend sa réponse,

- il lui répond : « cela me paraît difficile car j'ai déjà pris un engagement ».

Contrairement à ce que soutient Mme [J], cette dernière réponse ne constitue pas la notification d'une rupture, l'employeur, invoquant certes une difficulté, mais n'ayant cependant pas mis un terme au contrat et la nature de l'engagement pris n'étant pas déterminée.

La cour ne retient donc pas que la rupture est intervenue oralement le 14 septembre 2017.

Sur le bien fondé du licenciement :

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est motivée dans les termes suivants :

[...] je vous notifie, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse à l'appui des motifs suivants.

Vous accomplissez au sein de notre cabinet de 2 salariés une activité d'entretien des locaux pour une rémunération horaire nette de 12 euros. Début Août 2017, notre cabinet a déménagé du [Adresse 2]. Sur un plan géographique, ce déménagement ne représente que quelques centaines de mètres. La configuration des locaux a changé puisque nous nous sommes installés dans une ancienne menuiserie entièrement rénovée pour l'exercice de notre activité.

Début septembre 2017 vous m'avez indiqué que :

" soit je suis augmentée de 2 ou 3 euros par heure soit j'arrête de faire le ménage ".

L'augmentation ainsi réclamée représentait tout de même une augmentation de 25% de votre salaire. Comme vous l'indiquez, je vous ai invité à formaliser vos revendications. Pour toute réponse, j'ai reçu deux courrier LRAR " mise en demeure " avec copie à l'inspection du travail.

Dans le cadre de ces courriers vous occultez totalement à dessein vos revendications salariales pour m'imputer les éléments suivants :

" vous me refusez d'effectuer le travail ".

Je ne partage pas votre vision des faits. Je n'ai jamais refusé que vous puissiez exercer votre activité. J'ai, au contraire, dû m'organiser pour pallier dans la précipitation à votre absence. La seule chose que je n'ai pas pu accepter est de vous augmenter de 25 % ce qui est bien différent.

Parfaitement consciente du fait que je ne pouvais pas accéder à vos revendications vous avez manifestement souhaité être licenciée puisque vous écrivez :

" si vous ne souhaitez pas que je réintègre mon poste vous devez engager la procédure de licenciement ".

Ou encore plus loin:

" dans l'attente de ma réintégration ou de mon licenciement... "

Votre façon de faire l'impasse sur vos revendications salariales dans nos échanges écrits n'est pas loyale. Cette attitude ne permet pas de pérenniser notre relation de travail dans un sens constructif pour tous. Votre mauvaise volonté évidente pour accomplir vos tâches (en dépit de vos déclarations de façade dans vos courriers destinés à alimenter votre dossier) est d'autant plus problématique que l'entretien des locaux requiert une réelle implication en raison également de leur configuration qui impose des contraintes réglementaires liées notamment à la hauteur des baies vitrées.

Je suis donc contraint de vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. [...] "

Mme [J] soutient que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse en invoquant l'absence de preuve de la réalité de ce qu'elle ait sollicité une augmentation de salaire et en faisant valoir que cette demande ne constitue pas une faute ni un obstacle à la poursuite de la relation de travail alors qu'elle se tenait à la disposition de l'employeur.

L'employeur de son côté soutient que le litige est né de son refus de l'augmentation de salaire sollicitée, de sorte que Mme [J] n'entendait pas reprendre son travail et qu'elle a construit un dossier judiciaire alors que lui-même était disposé à poursuivre la relation de travail avec elle ainsi qu'il lui écrivait dans un SMS du 1er septembre dans lequel il lui indique qu'il a besoin de ses services. Il soutient que le licenciement est motivé par la déloyauté de Mme [J] qui n'a pas été licenciée pour faute mais pour cause réelle et sérieuse, l'employeur lui reprochant en outre sa mauvaise volonté pour accomplir ses tâches malgré les courriers recommandés qu'elle a pris soin de lui adresser.

La cour relève qu'il ressort des SMS déjà cités que l'employeur a indiqué à Mme [J] qu'il n'entendait pas augmenter son salaire ce qui implique nécessairement qu'une discussion s'est engagée entre eux auparavant même si la teneur exacte n'en est pas justifiée par les parties. En revanche, aucun élément des débats n'établit que du fait de ce refus, Mme [J] a refusé de se présenter au travail dès lors qu'elle a adressé à l'employeur deux courriers recommandés en date des 11 et 17 septembre 2017 qu'elle communique et dont il ressort qu'elle se tenait à sa disposition, ne souhaitait pas démissionner et attendait ses instructions pour reprendre son travail. L'employeur ne peut valablement prétendre que ces courriers recommandés, étant purement artificiels, sont de nature à caractériser une exécution déloyale du contrat de travail puisqu'il ne s'agit que de solliciter de l'employeur son obligation essentielle de fournir du travail à la salariée.

La cour considère en conséquence que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse':

Mme [J] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 21'658,56 euros à titre d'indemnité adéquate pour licenciement injustifié en application de la convention OIT n° 158 applicable en droit français qui impose à l'employeur de verser une indemnité adéquate au salarié injustement licencié lorsque la réintégration ne peut pas être ordonnée par le juge. Au soutien de sa demande elle fait valoir que la Cour de cassation n'a pas tranché la question dès lors que le code du travail français limite le montant de la réparation du au salarié licencié, que la jurisprudence est très variable et que le comité des droits et organes de contrôle de la charte sociale révisée a jugé à plusieurs reprises que l'application d'un barème impératif était contraire à la charte sociale révisée.

La Selarl du docteur [R] de son côté soutient que les dispositions de l'article L. 1235'3 du code du travail doivent recevoir application et que la Cour de cassation n'a pas validé la position de l'appelante sur la non-conformité de ses dispositions légales.

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par le même article.

Selon l'article L. 1235-3-1 du même code, l'article 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues à son deuxième alinéa. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Enfin, selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l'article L. 1235-3, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Aux termes de l'article 24 de la Charte sociale européenne, en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

L'annexe de la Charte sociale européenne précise qu'il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales.

La Charte réclame des Etats qu'ils traduisent dans leurs textes nationaux les objectifs qu'elle leur fixe. En outre, le contrôle du respect de cette charte est confié au seul Comité européen des droits sociaux dont la saisine n'a pas de caractère juridictionnel et dont les décisions n'ont pas de caractère contraignant en droit français.

Sous réserve des cas où est en cause un traité international pour lequel la Cour de justice de l'Union européenne dispose d'une compétence exclusive pour déterminer s'il est d'effet direct, les stipulations d'un traité international, régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne conformément à l'article 55 de la Constitution, sont d'effet direct dès lors qu'elles créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir et que, eu égard à l'intention exprimée des parties et à l'économie générale du traité invoqué, ainsi qu'à son contenu et à ses termes, elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire des effets à l'égard des particuliers.

Il résulte dès lors de ce qui précède que l'article 24 de la Charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Aux termes de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Comme le soutient à juste titre Mme [J], ces stipulations sont d'effet direct en droit interne dès lors qu'elles créent des droits entre particuliers, qu'elles n'ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l'intervention d'aucun acte complémentaire.

Le terme 'adéquat' signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi.

Il résulte des dispositions du code du travail précitées, que le salarié dont le licenciement est injustifié bénéficie d'une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et que le barème n'est pas applicable lorsque le licenciement du salarié est nul ce qui permet raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. En outre, le juge applique d'office les dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail. Ainsi, le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré et les trois articles du code du travail précités sont de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT.

Il n'y a donc pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention de l'OIT et il appartient à la cour d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par cet article.

Eu égard à l'ancienneté de cinq années complètes de Mme [J], elle est fondée à percevoir une indemnisation comprise entre 1,5 et 6 mois de salaire mensuel brut. Eu égard à son âge au moment du licenciement (née en 1958), au montant de sa rémunération, (salaire horaire net de 12 euros pour une durée de travail hebdomadaire de huit heures), aux circonstances du licenciement, à ce qu'elle justifie de sa situation postérieure au licenciement (aucun élément), la cour condamne la Selarl du Docteur [I] [R] à payer à Mme [J] une somme de 3 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur les dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :

Mme [J] soutient que l'exécution déloyale du contrat de travail est démontrée par l'absence de paiement pendant les périodes de fermeture du cabinet dentaire, le non-paiement pendant le congé annuel d'été, le non paiement des heures contractuelles de travail et l'application de la convention collective nationale du particulier employeur au lieu de la convention collective nationale des cabinets dentaires.

La selarl du docteur [R] conclut au débouté et à l'infirmation du jugement en faisant valoir que la demande en réalité vise à contourner les effets de la prescription et que la perte d'une créance de salaire résultant de l'application d'une règle de prescription ne constitue pas un préjudice indemnisable.

La cour considère que la faute de l'employeur est établie par la soumission du contrat de travail à une convention collective qui n'était pas applicable à la relation de travail puisque Mme [J] ne travaillait pas pour le compte de M. [R], particulier employeur, mais pour le compte de la Selarl du Docteur [I] [R] dans le cadre de laquelle, il exerçait son activité professionnelle et il n'est pas contesté qu'elle n'exerçait ses prestations que dans ce cadre-là. Elle en a subi un préjudice en n' étant pas rémunérée pendant les périodes de fermeture du cabinet alors qu'elle bénéficiait d'un contrat de travail à durée indéterminée. La cour considère que c'est par une juste appréciation de ce préjudice que le conseil de prud'hommes a condamné la selarl du Docteur [I] [R] à verser à Mme [J] une somme de 1 000 euros de dommages-intérêts et le jugement est confirmé de ce chef.

Sur le rappel de salaire':

Aux termes de l'article L. 3245'1 du code du travail, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour où, lorsque le contrat de travail est rompu sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Le contrat de travail ayant été rompu le 16 octobre 2017, la demande présentée par Mme [J] peut remonter jusqu'au 16 octobre 2014 et seule la période antérieure à cette date est prescrite.

Elle sollicite un rappel de salaire à hauteur de la somme de 3 057,51 euros net outre les congés payés afférents en s'appuyant sur les bulletins de salaire et un tableau comparatif qu'elle a établi retraçant les heures payées et celles qu'elle estimait être dues sur la base de huit heures de travail hebdomadaire à compter du mois de septembre 2014.

La cour fait donc droit à la demande pour la période courant à compter du 16 octobre 2014 et condamne la selarl du Docteur [R] à verser à Mme [J] une somme de 2'998,56 euros net, outre 299,85 euros net au titre des congés payés afférents, le jugement est infirmé de ce chef.

Sur les dommages-intérêts pour résistance abusive':

Mme [J] fait valoir que le refus de la selarl du Docteur [I] [R] de payer les salaires relève de la résistance abusive et sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts. Elle ne justifie cependant pas d'un préjudice distinct de celui résultant du simple retard de paiement de sorte que la demande de dommages-intérêts est rejetée. Le jugement est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur les autres demandes':

La cour ordonne la capitalisation des intérêts au taux légal échus dus pour une année entière en application de l'article 1343'2 du code du civil.

Mme [J] fait valoir qu'elle a dû régler des frais de signification de la déclaration d'appel et d'édition d'un extrait du kbis de la société qui l'employait et sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 73,04 euros au titre des frais de signification outre 3,37 euros au titre du K bis. Elle est déboutée de cette demande spécifique dès lors que les frais de signification de la déclaration d'appel ont été exposés sur avis du greffe dans le cadre de l'article 202 du code de procédure civile et, en raison de leur caractère obligatoire font partie des dépens tels qu'énumérés à l'article 695 du code de procédure civile. Par ailleurs, elle ne justifie pas avoir réglé les frais d'édition du kbis de la selarl du docteur [I] [R], le justificatif du paiement communiqué étant émis au nom de son avocat.

Par ailleurs, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et 37 de la loi du 91'647 du 10 juillet 1991, le conseil de l'appelante sollicite la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 3 596,66 euros TTC pour les frais exposés devant le conseil de prud'hommes et 2 189,55 euros pour les frais exposés devant la cour. La cour condamne la Selarl du Docteur [I] [R], partie perdante condamnée aux dépens à verser à Me [E] [K] les sommes suivantes :

- 2 500 euros pour les frais exposés devant le conseil de prud'hommes

- 1 500 euros pour les frais exposés devant la cour.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a statué sur ce chef de demande.

PAR CES MOTIFS':

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement sauf sur le quantum des dommages-intérêts alloués à Mme [N] [J] épouse [F] pour exécution déloyale du contrat de travail et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

REJETTE la fin de non-recevoir tiré de la prescription soulevée par la selarl du Docteur [I] [R] sur les demandes présentées au titre de l'exécution et la rupture du contrat travail,

DÉCLARE prescrites les demandes présentées au titre du rappel de salaire pour la période antérieure au 16 octobre 2014,

DIT le licenciement notifié le 16 octobre 2017 sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la Selarl du Docteur [I] [R] à payer à Mme [N] [J] épouse [F] les sommes de :

- 3 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 2'998,56 euros net, à titre de rappel de salaire pour la période courant à compter du 16 octobre 2014 outre 299,85 euros au titre des congés payés afférents.

DÉBOUTE Mme [N] [J] épouse [F] du surplus de ses demandes,

CONDAMNE la selarl du Docteur [I] [R] aux dépens et àverser à Me [E] [K] les sommes de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais exposés en première instance et 1 500 euros sur le même fondement s'agissant des frais exposés devant la cour.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/08244
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;20.08244 ?
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