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16/02/2023 | FRANCE | N°20/02580

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 10, 16 février 2023, 20/02580


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10



ARRET DU 16 FEVRIER 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02580 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBYSP



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/06589





APPELANTE



S.A. LA POSTE prise en la personne de son r

eprésentant légal

[Adresse 4]

[Localité 2]



Représentée par Me Alexandre BARBOTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083







INTIMEE



Madame [O] [W]

[Adresse 1]

[...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 10

ARRET DU 16 FEVRIER 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/02580 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBYSP

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Septembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F18/06589

APPELANTE

S.A. LA POSTE prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Alexandre BARBOTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0083

INTIMEE

Madame [O] [W]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Nicolas TRUC, Président de la chambre

Madame Carine SONNOIS, Présidente de la chambre

Madame Véronique BOST, Vice Présidente placée faisant fonction de conseillère

Greffier : lors des débats : Mme Sonia BERKANE

ARRET :

- contradictoire

- mis à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Nicolas TRUC, Président et par Sonia BERKANE,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [W] a été embauchée par la société La Poste, par contrat à durée indéterminée du 31 janvier 2013, en qualité de factrice.

En décembre 2014, Mme [W] a été élue secrétaire au CHSCT.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 7 novembre 2017, la société La Poste a notifié à Mme [W] un blâme.

Contestant le bien-fondé du blâme, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris, le 5 septembre 2018.

Par jugement du 27 septembre 2019, notifié à la société La Poste le 19 février 2020, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- rejeté l'exception d'incompétence matérielle soulevée par La Poste

- annulé le blâme prononcé le 7 novembre 2017

- condamné La Poste à verser à Mme [W] les sommes suivantes :

* 1 540 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2019

* 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- débouté Mme [W] du surplus de ses demandes

- débouté la S.A. La Poste de sa demande et la condamne aux dépens.

La société La Poste a interjeté appel de ce jugement par déclaration déposée par voie électronique le 17 mars 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 10 novembre 2022, la société La Poste demande à la cour de :

A titre principal et in limine litis,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 27 septembre 2019 en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence matérielle soulevée par La Poste

- et statuant à nouveau du chef de la compétence, renvoyer l'affaire devant la cour administrative d'appel de Paris en application de l'article 90 du code de procédure civile

Subsidiairement au fond,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 27 septembre 2019 en ce qu'il a annulé le blâme prononcé le 7 novembre 2017 et condamné La Poste à verser à Mme [W] 1 540 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du 27 septembre 2019

- et statuant à nouveau de ces chefs, de débouter Mme [W] de toutes ses demandes

En tout état de cause,

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris le 27 septembre 2019 en ce qu'il a condamné La Poste à verser à Mme [W] 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, et débouté La Poste de sa propre demande d'indemnité de procédure

- et statuant à nouveau de ces chefs, condamner Mme [W] à verser à La Poste une indemnité de procédure de 800 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- le juge judiciaire est incompétent puisque l'objet du présent litige concerne le fait de savoir si Mme [W] a fait, ou non, un usage légitime de ses prérogatives syndicales, l'analyse relative au droit syndical ne pouvant être menée que par le juge administratif,

- le blâme du 7 novembre 2017 doit s'apprécier selon les dispositions du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique puisque La Poste n'est pas soumise aux dispositions du code du travail sur la représentation collective du personnel,

- le décret ne prévoit pas la possibilité de prises de parole syndicale en dehors des réunions mensuelles d'information, des réunions statutaires ou d'information à l'intérieur des bâtiments administratifs,

- l'absence d'entretien préalable est sans conséquence sur le blâme.

Par ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 septembre 2020, Mme [W] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris, les juridictions judiciaires étant compétentes

- annuler le blâme prononcé le 7 novembre 2017 à l'encontre de Mme [W]

- condamner La Poste à lui verser les sommes de :

* 2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour sanctions injustifiées

* 1 500 euros en cause d'appel sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner La Poste aux entiers dépens, comprenant les frais d'exécution éventuels de la décision.

Elle fait valoir que :

- les juridictions judiciaires sont compétentes concernant la décision de sanction d'une salariée de La Poste, qui, étant individuelle, ne participe pas à l'organisation du service public

- elle s'est vue notifiée un blâme sans avoir été au préalable entendue ni invitée à prendre connaissance de son dossier, en méconnaissance de l'article 26 du règlement intérieur de La Poste

- elle n'a commis ni abus dans l'exercice de son mandat syndical ni manquement à ses obligations professionnelles

- les faits litigieux ne caractérisent qu'une discussion privée sur un temps de pause et non une prise de parole publique par conséquent, le blâme porte atteinte à sa liberté individuelle d'expression

- la notification injustifiée d'un blâme lui a nécessairement causé un préjudice moral et psychologique

L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 novembre 2022.

SUR CE

Sur la compétence matérielle du juge judiciaire

Saisi par la Cour de cassation (Soc., 22 janvier 2020, pourvoi n°19-10.041), en application de l'article 35 du décret n° 2015-233 du 27 février 2015, le Tribunal des conflits a, par décision du 6 juillet 2020 (n° 4188), énoncé que, en l'état de la législation applicable, la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, qui demeurent régies par la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et le décret n° 82-447 du 28 mai 1982 relatif à l'exercice du droit syndical dans la fonction publique, relève de la compétence administrative, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990 modifiée.

Il en résulte que la contestation de la décision unilatérale par laquelle la société La Poste a abrogé, le 5 avril 2017, un accord cadre du 4 décembre 1998 et une instruction du 26 janvier 1999 relatifs à l'exercice du droit syndical au sein de la société, relève de la compétence de la juridiction administrative.

La Cour de cassation a jugé que si « la définition des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical à La Poste, hors le cas où elle ferait l'objet d'un accord conclu sur le fondement de l'article 31-2 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 modifiée, relève de la compétence administrative, le litige relatif à la mise en 'uvre des dispositions relatives à l'exercice du droit syndical à La Poste relève de la compétence judiciaire, quand bien même ces dispositions résultent d'un accord antérieur à l'entrée en vigueur de l'article 31-2 de la loi du 2 juillet 1990, issu de la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005. (...)

Il s'en déduit que toute question portant sur l'usage des droits et prérogatives syndicaux relève de la compétence judiciaire.

Ainsi, la contestation relative à l'usage, ou non, de prérogatives syndicales ayant conduit à la notification d'un blâme de La Poste à un de ses salariés, agent contractuel de droit privé employé sous le régime des conventions collectives, relève de la compétence judiciaire.

Cette contestation ne concerne pas la « définition » des conditions matérielles de l'exercice du droit syndical mais concerne une décision individuelle relative à la mise en 'uvre, ou non, des dispositions quant à l'exercice du droit syndical au sein de La Poste qui ne relève pas de l'organisation du service public.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point en ce qu'il a rejeté l'exception d'incompétence matérielle soulevée par La Poste.

Sur le blâme du 7 novembre 2017

Le courrier de notification du blâme litigieux était libellé dans les termes suivants :

« Madame,

Le 9 septembre 17, j'ai eu à regretter de votre part les agissements fautifs suivants :

Ce jour-là vous étiez affectée sur la tournée piétonne de [Localité 5].

Vous avez effectué une prise de parole pendant vos horaires de service et sans autorisation à l'intention du personnel dans le centre de courrier de [Localité 5].

Votre intervention a duré une dizaine de minutes portant sur la grève du 12 septembre, et vous avez poursuivi sur de longues explications et critiques de la loi travail donnant une couleur politique à votre intervention.

Ce n'est pas la première fois que vous effectuez une prise de parole sans autorisation dans le centre Courrier de [Localité 5].

Ces faits démontrent que vous n'avez pas tenu compte de l'avertissement qui vous a été notifié en date du 22 juin 2016, pour des faits similaires.

J'espérais que cet avertissement suffirait à faire cesser cette attitude qui, vous le savez, porte atteinte au bon fonctionnement de votre service.

Je me vois contraint de prononcer à votre encontre une sanction disciplinaire qui sera versée à votre dossier de personnel.

Aussi je décide de prononcer à votre encontre la sanction de blâme.

J'espère vivement que de tels incidents ne se reproduiront pas.

Si vous persistez dans votre comportement fautif, je pourrai être amené à prendre, à votre égard, une sanction plus grave. »

Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur l'application d'une sanction disciplinaire, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur doit fournir au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Enfin, l'article L. 1333-2 du code du travail précise que le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Pour infirmation du jugement déféré, La Poste oppose que Mme [W], de par sa prise de parole, a tenu une réunion syndicale sans avoir respecté la procédure d'information préalable en ne sollicitant pas l'organisation d'une réunion syndicale auprès de sa hiérarchie, conformément à l'article 7 du décret n°82-447 du 28 mai 1982. Elle ajoute que la réunion, en dehors des horaires de service, ne pouvait se dérouler sur le poste de travail de Mme [W], les réunions syndicales devant avoir lieu à l'intérieur des bâtiments administratifs en application de l'article 4 du décret. L'employeur souligne que le décret n°82-447 du 28 mai 1982 ne prévoit pas la possibilité de prises de parole syndicales en dehors des réunions susvisées et par conséquent, la prise de parole syndicale non autorisée est nécessairement fautive. La Poste ajoute que l'absence d'entretien préalable au blâme n'est pas de nature à priver la sanction de cause réelle et sérieuse.

Pour confirmation du jugement déféré, et contestation de la sanction prise, Mme [W] conteste avoir commis un manquement et avoir tenu une prise de parole syndicale. Elle affirme s'être adressée, dans le cadre d'une discussion privée, avec ses collègues, pendant son temps de pause, sur différents sujets dont la grève nationale du 12 septembre 2017 et de sport. Par ailleurs, l'intimée verse aux débats trois attestations de salariés présents au moment de la discussion litigieuse et soutient que l'employeur ne démontre pas le caractère public et la nature syndicale des propos tenus. Elle conteste une quelconque entrave au bon fonctionnement de son service. Elle ajoute que l'employeur n'a pas respecté l'article 26 du règlement intérieur de La Poste en n'organisant pas d'entretien afin que la salariée soit entendue sur les faits qui lui sont reprochés.

La société La Poste n'établit pas le caractère public des propos tenus par Mme [W] ni la nature syndicale des propos tenus.

Aucun abus du mandat de Mme [W] n'est établi.

Le blâme prononcé à l'encontre de Mme [W] a porté atteinte à sa liberté d'expression.

De l'ensemble de ces éléments, il ressort que la sanction disciplinaire infligée à Mme [W] doit être annulée, tout comme son inscription à son dossier personnel.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a annulé le blâme et son inscription au dossier de la salariée.

Sur les dommages et intérêts sollicités par Mme [W]

Mme [W] sollicite la somme de 2 500 euros suite à la notification injustifiée d'un blâme ayant entraîné un préjudice moral et psychologique.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a, à juste titre, condamnée la société La Poste au paiement de la somme de 1 540 euros de dommages et intérêts au titre de la notification injustifiée d'un blâme.

Sur les frais de procédure

La Poste succombant dans ses prétentions sera condamnée aux dépens, comprenant les frais d'exécution éventuels de la décision.

L'équité commande de la condamner à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des frais irrépétibles de la procédure d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamne la société La Poste à payer à Mme [W] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de la procédure d'appel.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 20/02580
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;20.02580 ?
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