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16/02/2023 | FRANCE | N°19/06407

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 10, 16 février 2023, 19/06407


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 10



ARRÊT DU 16 FÉVRIER 2023



(n° , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06407 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7SVS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Février 2019 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL RG n° 18/08280





APPELANTS



Madame [W] [X], agissant en son nom personnel et ès qualité de

représentante légal

e de son fils mineur Monsieur [L] [X]

[Adresse 13]

[Localité 8]



ET



Monsieur [E] [X]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentés par Me Lucie LACASSAGNE - PENA, avocat au b...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 10

ARRÊT DU 16 FÉVRIER 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/06407 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7SVS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Février 2019 -Tribunal de Grande Instance de CRETEIL RG n° 18/08280

APPELANTS

Madame [W] [X], agissant en son nom personnel et ès qualité de

représentante légale de son fils mineur Monsieur [L] [X]

[Adresse 13]

[Localité 8]

ET

Monsieur [E] [X]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentés par Me Lucie LACASSAGNE - PENA, avocat au barreau de FONTAINEBLEAU

Assistés à l'audience de de Me Charles-Henri COPPET de la SAS COPPET AVOCATS, avocat au barreau de GUADELOUPE/ST MARTIN/ST BART, toque : 14-17

INTIMÉS

INSTITUT DE CANCEROLOGIE [12], prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 2]

[Localité 7]

ET

SOCIÉTÉ HOSPITALIÈRE D'ASSURANCES MUTUELLES S.H.A.M, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentés par Me Bruno REGNIER de la SCP CHRISTINE LAMARCHE BEQUET- CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO R EGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

Assistés à l'audience de Me Soledad RICOUARD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0536

L'ONIAM (OFFICE NATIONAL D'INDEMNISATION DES ACCIDENTS MÉDIAUX), pris en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Adresse 10]

[Localité 6]

Représenté par Me Olivier BERNABE, avocat au barreau de PARIS, toque : B0753

Assisté à l'audience de Me Samuel m. FITOUSSI de la SELARL DE LA GRANGE ET FITOUSSI AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : R112

SÉCURITÉ SOCIALE DE LA MARTINIQUE, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 14]

[Adresse 14]

[Localité 9]

Défaillante, régulièrement avisée le 26 juin 2019 par procès-verbal de remise à personne habilitée

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été plaidée le 15 Décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Florence PAPIN, Présidente

Mme Valérie MORLET, Conseillère

M. Laurent NAJEM, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Florence PAPIN, Présidente dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Ekaterina RAZMAKHNINA

ARRÊT :

- réputé contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Florence PAPIN, Présidente et par Ekaterina RAZMAKHNINA, greffier, présent lors de la mise à disposition.

***

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 15 mai 2015, [O] [X] est décédé alors qu'âgé de 47 ans, il était hospitalisé au sein du service de réanimation de l'institut [12] (ci-après IGR), après avoir été traité depuis décembre 2012 pour une leucémie aiguë de type 2 et ses conséquences.

Mme [W] [X] avait saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) d'Ile de France, le 4 avril 2014, qui a organisé une mesure d'expertise confiée aux Docteurs [G], cancérologue, et [J], infectiologue.

Ces experts, qui ne tiennent pas compte du décès et se prononcent au regard de la seule atteinte fonctionnelle de sa cheville droite, ont déposé leur rapport le 14 juin 2015.

La CCI a rendu le 18 juin 2015 un avis d'incompétence concluant que l'évolution défavorable de l'état général de [O] [X] est imputable à l'évolution de sa leucémie et non à l'infection apparue au niveau de sa cheville.

Saisi par acte du 28 décembre 2015 par Mme [W] [X] et par M. [E] [X], le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil a, par ordonnance du 3 mai 2016, ordonné une mesure d'expertise confiée aux Docteurs [K] [M], oncologue, et [U], infectiologue, et a rejeté les demandes provisionnelles des consorts [X].

Ces experts ont déposé leur rapport le 24 janvier 2017.

A la suite de ce rapport, les consorts [X] ont saisi le tribunal de grande instance de Créteil.

Par jugement du 21 février 2019, le tribunal de grande instance de Créteil a :

- débouté les consorts [X] de toutes leurs demandes ;

- débouté la Caisse générale de la Sécurité Sociale de la Martinique de toutes ses demandes, le jugement lui étant déclaré commun ;

- condamné, in solidum, Mme [W] [X], agissant en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de son fils mineur [L] [X], et M. [E] [X] agissant à titre personnel et en qualité d'ayant droit de [O] [X] à payer à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) la somme de deux mille cinq cents euros sur le fondement de

l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné, in solidum, Mme [W] [X], agissant en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de son fils mineur [L] [X], et M. [E] [X] agissant à titre personnel et en qualité d'ayant droit de [O] [X] aux dépens, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- rejeté toutes prétentions plus amples ou contraires des parties.

Les consorts [X] ont interjeté appel de ce jugement le 21 mars 2019.

Par leurs conclusions n°3 notifiées par voie électronique (RPVA), le 11 février 2022, les consorts [X], appelants, demandent à la cour d'appel de Paris de :

A titre principal

Sur la cause du décès

- dire et juger que constitue un aveu extrajudiciaire, le résumé d'hospitalisation du 15 mai 2015 émanant de l'IGR, par lequel il est reconnu la décision de limitation de soins prise dès l'admission de la victime dans le service, soit le 11 mai 2015 ;

- dire et juger que constituent par ailleurs un aveu judiciaire, les déclarations formulées par l'IGR et la SHAM en leurs écritures de première instance, consistant pour l'IGR à reconnaître avoir limité les soins donnés à la victime lors de son hospitalisation, jusqu'à provoquer son décès ;

- dire et juger que la décision des services de l'IGR tendant à limiter les soins donnés à M. ([O]) [X] et ayant de ce fait entraîné son décès, est constitutive d'une faute grave en ce qu'elle est intervenue en

violation flagrante des dispositions du code de la santé publique, dès lors que M. [X] était hors d'état d'exprimer sa volonté, qu'il n'avait exprimé aucune directive anticipée et que n'a pas été recueilli préalablement à cette décision, le consentement de Mme veuve [X], personne de confiance désignée par la victime ;

En conséquence,

- dire et juger que la responsabilité de l'IGR est engagée et que l'IGR et la SHAM seront solidairement tenus de réparer l'ensemble des préjudices résultant du décès de M. [X] ;

Sur les infections nosocomiales

- dire et juger qu'est parfaitement établi le caractère nosocomial de l'infection contractée par M. [X] durant son hospitalisation de juin à juillet 2014, en considération du rapport des Experts de la CCI ;

- dire et juger qu'est parfaitement établi le caractère nosocomial de l'infection contractée par M. [X] au cours de son séjour à l'IGR, nonobstant les conclusions du rapport d'expertise judiciaire, qu'il conviendra d'écarter ;

- dire et juger en effet que constitue un aveu extrajudiciaire, le résumé d'hospitalisation du 15 mai 2015 émanant de l'IGR, par lequel il est reconnu la nature nosocomiale de l'infection contractée au cours de son séjour à l'IGR ;

- dire et juger au demeurant que l'infection survenue au sein de l'IGR est bien de nature nosocomiale, dès lors qu'il est établi que l'IGR a reconnu au titre de son résumé d'hospitalisation, qu'il s'agissait bien d'une infection nosocomiale ; et qu'il n'est par ailleurs pas contestable que les infections sont survenues en milieu hospitalier au cours de la prise en charge de la victime à l'IGR, que l'origine endogène ou exogène de ces infections est indifférente, peu important à cet égard, l'état immunitaire déprimé de la victime ;

- dire et juger que ces infections nosocomiales sont à l'origine avant le décès de M. [X], de nombreux préjudices qui commandent réparation ;

En conséquence,

- dire et juger que l'ONIAM, l'IGR et son assureur la SHAM, seront tenus solidairement de toutes les conséquences préjudiciables survenues en raison de ces infections nosocomiales, aussi bien s'agissant des préjudices subis par la victime directe avant son décès que s'agissant des préjudices subis par ses proches ;

- condamner l'IGR, la SHAM et l'ONIAM à verser aux consorts [X] en leur qualité d'ayants droit de M. [O] [X], la somme de : 230.225 euros en réparation des préjudices subis par ce dernier de son vivant ;

- allouer aux consorts [X], en leur nom personnel, les sommes suivantes :

- à chacun, en sa qualité de victime indirecte :

* au titre de son préjudice d'affection : 35.000 euros

* au titre de son préjudice d'accompagnement : 30.000 euros

- à Mme veuve [X], à titre personnel : 145.839,57 euros, en réparation de sa perte de revenus et des frais d'obsèques exposés ;

- à Mme veuve [X], ès qualités de représentante légale de [L] [X] :15.304,76 euros en réparation de sa perte de revenus ;

- à [E] [X] : 5.737,58 euros en réparation de sa perte de revenus ;

A titre subsidiaire,

- surseoir à statuer sur les préjudices des demandeurs ;

- ordonner une nouvelle expertise de M. [O] [X] sur la base de son dossier médical ;

- commettre pour y procéder, tel expert médical qu'il plaira, avec la mission détaillés dans les conclusions produites,

- dire que l'expert pourra s'adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d'en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises.

- dire que l'expert devra établir un pré-rapport et provoquer les dires des parties en leur impartissant un délai raisonnable pour la production de leurs dires écrits.

- dire que l'expert après avoir répondu aux dires des parties, devra transmettre au représentant de ces dernières et à la juridiction qui a procédé à sa désignation, son rapport définitif.

En tout état de cause,

- condamner solidairement l'IGR, la SHAM et l'ONIAM à verser aux consorts [X] la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire la décision commune et opposable à l'organisme social.

Les appelants font valoir, sur le fond, que le décès de [O] [X] résulte d'une faute de l'IGR en ce qu'une décision unilatérale de limitation de soins prise sans concertation avec la victime ou avec sa personne de confiance est directement à l'origine du décès.

Ils soutiennent que l'infection pulmonaire est survenue au cours et au décours de la prise en charge par l'IGR, qu'elle a été expressément reconnue par ses services comme ayant un caractère nosocomial, que le caractère endogène ou exogène d'une telle infection est indifférent à la reconnaissance de son caractère nosocomial, que le rapport des experts comporte des erreurs et que l'IGR ne fait état d'aucune cause étrangère exonératoire.

Dès lors, ils en déduisent que l'IGR, son assureur, et l'ONIAM doivent être condamnés solidairement à assumer toutes les conséquences préjudiciables subies par la victime et ses ayants droit survenues du fait de ces infections nosocomiales.

À titre subsidiaire, ils sollicitent une mesure de contre-expertise.

Par leurs conclusions n°3, notifiées par voie électronique (RPVA), le 9 mars 2022, l'IGR et la SHAM, intimés, demandent à la cour d'appel de Paris de :

Sous réserve de la régularité de la saisine de la Cour de céans, et de la caducité de l'appel,

- confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,

- rejeter les demandes des consorts [X],

- condamner les consorts [X] à verser à la SHAM la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner les consorts [X] aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Regnier Bequet Moisan, avocat au barreau de Paris, pour ceux dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.

L'IGR fait valoir qu'aucun manquement fautif de sa part en lien de causalité avec le décès du patient n'a été retenu par les experts, que la limitation des traitements a été réalisée conformément aux dispositions de l'article L.1110 ' 5 du code de la santé publique afin d'éviter une obstination déraisonnable et des traitements inutiles et disproportionnés qui n'auraient eu d'autre effet que le maintien artificiel de la vie du patient au prix de souffrances supplémentaires.

Il rajoute que le malade a subi plusieurs épisodes infectieux dont les experts ont écarté tout caractère nosocomial, qu'ils ne sont pas liés à un acte de soins mais à l'état antérieur du patient à savoir son

immunodépression majeure et que son décès n'est pas imputable aux épisodes infectieux mais à une insuffisance respiratoire restrictive majeure, à l'altération de son état général et à une GVH chronique cutanéomuqueuse.

Par ses conclusions notifiées par voie électronique (RPVA), le 28 août 2019, l'ONIAM, intimé, demande à la cour d'appel de Paris de :

- recevoir l'ONIAM en ses écritures, les dire bien fondées ;

- confirmer le jugement et constater que les infections invoquées ne sont pas de nature nosocomiale,

- confirmer le jugement et dire et juger que le décès de M. [X] n'est pas en lien de causalité avec les infections invoquées,

- confirmer le jugement et dire et juger que les consorts [X] n'ont pas vocation à être indemnisés par la solidarité nationale ;

En conséquence,

- confirmer le jugement et mettre l'ONIAM hors de cause ;

- confirmer le jugement et dire et juger que la demande de contre-expertise des consorts [X] est dépourvue d'utilité,

- confirmer le jugement et débouter les consorts [X] de l'ensemble de leurs demandes,

- condamner les consorts [X] au versement d'une somme de 2.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens, dont distraction au profit de Me Fitoussi, avocat au barreau de Paris, en application de l'article 699 du même code.

L'ONIAM se prévaut de l'arrêt de principe du conseil d'État du 23 mars 2018 et soutient que la présomption est renversée au regard d'une autre origine des infections contractées à savoir la leucémie aiguë liée myéloide dont était atteint le malade et qu'ainsi les infections n'ont pas été contractées au cours ou au décours d'une prise en charge, M. [X] étant porteur des bactéries et qu'il n'est pas possible de rattacher les épisodes infectieux à une hospitalisation ou à un acte de soins.

Il rajoute que la pathologie dont il était atteint était d'une telle gravité que les infections seraient intervenues en l'absence de séjour hospitalier au regard de son état immunitaire très altéré et que son décès n'est pas en lien avec les infections invoquées, celui-ci étant lié à une insuffisance respiratoire.

La caisse générale de Sécurité sociale de la Martinique a reçu signification des conclusions et pièces remises à personne morale habilitée.

La présente décision lui sera opposable et est réputée contradictoire.

MOTIFS

Sur la déclaration d'appel:

Les intimés évoquent l'irrégularité de la saisine de la cour d'appel par les appelants en ce que leur déclaration est intitulée déclaration de saisine.

Cependant d'une part aucun d'eux n'a saisi d'un incident avant la clôture le conseiller de la mise en état, seul compétent pour statuer sur ce point en application des dispositions de l'article 914 du code de procédure civile, ne s'agissant pas d'une cause de caducité survenue ou révélée postérieurement à son dessaisissement, d'autre part, les appelants ont bien précisé, dans leur déclaration, les dispositions de la décision déférée qu'ils critiquaient aux termes de leur « appel total ».

Dès lors, il ne saurait être déduit du seul emploi d'un formulaire erroné, la caducité de leur déclaration d'appel.

De même l'irrespect, soulevé par la SHAM et l'IGR, des dispositions de l'article 902 du code de procédure civile vis-à-vis de l'ONIAM et de la caisse de sécurité sociale de la Martinique, relève de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état qui n'a pas été saisi par conclusions d'incident. Il y a lieu de déclarer la cour incompétente.

Sur la nullité du jugement entrepris :

Les appelants soutiennent que le jugement serait nul pour défaut de réponse à conclusions sur les deux points suivants :

' dire et juger que la responsabilité de l'IGR est engagée en ce qu'elle reconnaît expressément avoir limité les soins donnés à la victime lors de son hospitalisation jusqu'à provoquer son décès en violation du code de déontologie médicale et du code de la santé publique dès lors que le malade n'avait exprimé aucune directive anticipée et que le consentement de sa veuve, personne de confiance désignée par la victime, n'a pas été recueilli préalablement,

' tirer toutes conséquences du résumé d'hospitalisation du 15 mai 2015 qui s'analyse comme un aveu extrajudiciaire dès lors que l'IGR reconnaît l'existence d'une infection nosocomiale à l'origine de la dégradation de l'état de santé de la victime jusqu'à son décès.

Il résulte de l'article 455 du code de procédure civile que le jugement doit être motivé.

Le tribunal a motivé sa décision de mise hors de cause de l'IGR en se fondant sur le rapport d'expertise judiciaire considérant les soins administrés justifiés et conformes aux données acquises de la science. Il s'est également prononcé sur le caractère nosocomial des infections subies ainsi que sur l'imputabilité du dommage aux infections prétendument nosocomiales, qui a été écartée.

Dès lors, il y a lieu de considérer que ladite décision était bien motivée au sens de l'article 455 du code de procédure civile précité et il n'y a pas lieu de l'annuler en application de l'article 458 du code de procédure civile.

Sur le fond :

Il résulte de l'expertise ordonnée par le juge des référés que [O] [X], pris en charge de décembre 2012 à mai 2015 pour une leucémie aiguë, a nécessité une allogreffe de moelle osseuse en mai 2013 puis a présenté une maladie du greffon contre l'hôte ou GVHD sévère.

Cette maladie d'origine immunologique qui consiste en une attaque des tissus du receveur par les lymphocytes du donneur nécessite un traitement faisant appel à des immunosuppresseurs qui augmentent le risque infectieux.

L'évolution de l'état de santé de [O] [X] a été marquée par de nombreux épisodes infectieux.

Les experts rajoutent que 'l'origine des bactéries est vraisemblablement endogène' ( bactéries dont il était porteur), et que 'l'hypothèse la plus probable est que les infections ont été favorisées par la GVHD qui a altéré de manière profonde la barrière cutanéo-muqueuse et le traitement de cette GVHD par de fortes doses de corticoïdes qui renforcent l'immunodépression' mais que 'ces traitements étaient cependant indispensables vu la gravité de la GVHD'.

Ils concluent que la cause du décès n'est pas une infection et que les infections l'ayant atteint ne sont pas d'origine nosocomiale.

Selon eux, les actes et soins ont été diligents et conformes aux données acquises de la science et 'aucun des épisodes infectieux n'est un accident médical ou une affection iatrogène ou n'est d'origine nosocomiale'.

Ils rappellent que 'l'itinéraire thérapeutique de [O] [X] a consisté en une succession de consultations, hospitalisations de jour, hospitalisations complètes, de séjours en service de suite, mais aussi de retours 'à domicile' en dehors de structures hospitalières' et qu''il n'est pas possible de rattacher l'ensemble de ces épisodes infectieux à des séjours hospitaliers'.

Ils précisent qu'au moment du décès toutes les surinfections pulmonaires qu'il présentait avaient été traitées et qu'elles 'n'étaient pas en cause dans la dégradation de son état respiratoire'.

Ils estiment que la cause du décès est 'une insuffisance respiratoire restrictive majeure liée à l'amyotrophie secondaire à la corticothérapie prescrite pour le traitement de la GVHD et d'un syndrome obstructif lié à une GVHD pulmonaire'.

* Vis à vis de l'IGR:

En application de l'article L.1142-1, I du code de la santé publique,' hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.

Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère'.

Le contrat médical met à la charge du médecin l'obligation de dispenser au patient des soins attentifs, consciencieux et conformes aux données acquises de la science à la date de son intervention. Cette obligation concerne tant le diagnostic que l'indication du traitement, sa réalisation et son suivi. En application de l'article L. 1142-I, alinéa 1er, du code de la santé publique, la faute du praticien ou de l'établissement de soins doit être prouvée par celui qui l'invoque.

En application de l'article L. 1142-1, II du code de la santé publique lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, (L. no 2004-806 du 9 août 2004, art. 114) «et, en cas de décès, de ses ayants droit» au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux (L. no 2009-526 du 12 mai 2009, art. 112) «d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire».

Lorsque les dommages résultant d'une infection nosocomiale ouvrent droit, en raison de leur gravité, à une indemnisation au titre de la solidarité nationale, l'application du régime de responsabilité de plein droit prévu à l'article L.1142-1, I, alinéa 2 du code de la santé publique est exclue ; que tant les victimes que les tiers payeurs ne gardent la possibilité d'agir à l'encontre de l'établissement où a été contractée l'infection ou du professionnel de santé qui a pris en charge la victime, conformément aux dispositions de l'article L.1142-1, I, alinéa 1 du même code, que sur le fondement des fautes qu'ils peuvent avoir commises et qui sont à l'origine du dommage, telles qu'un manquement caractérisé aux obligations posées par la réglementation en matière de lutte contre les infections nosocomiales.

La responsabilité de l'IGR ne peut être engagée qu'en cas de faute.

La faute qui lui est reprochée par les appelants est d'avoir pris une décision unilatérale de limitation de soins sans concertation avec la victime ou avec sa personne de confiance.

Selon l'article L.1110 ' 5 alinéa 1 et 2 du code de la santé publique applicable dans sa rédaction vigueur au moment des faits, toute personne a compte tenu de son état de santé, de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention d'investigation ou de soins ne doivent pas en l'état des connaissances médicales lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. Ces actes ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n'ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L.1110 ' 10 du même code.

Les dispositions applicables à l'époque des faits ne prévoient pas le recueil du consentement de la personne de confiance, ni la consultation des directives anticipées.

Ce n'est que, selon l'article L.1111 ' 4 du code de la santé publique dans sa rédaction applicable au moment des faits, lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté que la limitation ou l'arrêt de traitement ne peut être réalisé sans avoir respecté une procédure collégiale et sans que la personne de confiance ou la famille et le cas échéant les directives anticipées de la personne aient été consultés.

Or il résulte de la pièce 2 page 4 des appelants intitulée 'résumé d'hospitalisation', datée du 15 mai 2015 ( et portant sur la période du 11 au 15 mai) qui a été produite dans le cadre des opérations d'expertise, que [O] [X] était en état d'exprimer sa volonté de sorte qu'une discussion a pu être organisée avec lui concernant la question de la limitation des traitements et son rapatriement à [Localité 11] ( 'la situation mène à une discussion concernant l'intensité des soins après avoir pris l'avis du patient qui souhaite un retour de répit d'un mois à [Localité 11]') et que les dispositions de l'article L.1111 ' 4 du code de la santé publique ne s'appliquaient pas.

Ce résumé engage la responsabilité de son auteur et les appelants ne rapportent pas suffisamment la preuve de son caractère mensonger concernant le fait que [O] [X] ait pu exprimer sa volonté par l'attestation qu'ils versent en pièce 19 au regard notamment des voeux précis du malade qui y sont relatés.

De plus, il résulte de ce résumé d'hospitalisation et de la pièce 2 de l'ICR qui concordent que l'épouse (qui figure en tant que personne de confiance dans le résumé) et sa s'ur ont été informées de la réunion pluridisciplinaire et qu'il leur a été dit, 'en précisant la gravité de la situation', qu'il n'y aurait pas d'intubation oro-trachéale car une extubation serait possible.

Les appelants soutiennent que cette décision aurait été prise dès le 11 mai 2015 à l'admission au service de réanimation. Cela résulte effectivement de la page 5 de la pièce 2 sans qu'il en résulte pour autant un irrespect de la procédure prévue à l'article L.1110 ' 5 du code de la santé publique précité .

Les appelants font également valoir,mais sans en rapporter la preuve, que [O] [X] n'aurait pas bénéficié de soins palliatifs prévus à cet article.

Dès lors, la preuve qu'une faute a été commise par l'IGR n'est pas rapportée, la limitation des traitements ayant été réalisée conformément aux dispositions de l'article L.1110 ' 5 du code de la santé publique.

De plus, les appelants soutiennent que cette décision de limitation des soins aurait été à l'origine du décès.

Or il résulte de l'expertise que la cause du décès est liée à une insuffisance respiratoire résultant de l'amyotrophie secondaire à la corticothérapie prescrite pour le traitement de la GVHD et d'un syndrome obstructif également lié à la maladie du greffon.

Dès lors, d'une part la preuve d'une faute de l'ICR mais également du lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage dont il est demandé réparation n'est pas rapportée par les appelants.

* Vis à vis de L'ONIAM :

Le législateur a ainsi soumis l'indemnisation prévue par l'article L. 1142 -1, II du code de la santé publique à quatre conditions cumulatives :

' une absence de responsabilité d'un établissement ou d'un professionnel de santé, condition en l'espèce réunie,

' une imputabilité directe du dommage à un acte de prévention, de diagnostic ou de soins,

' la gravité du dommage, qui n'est pas discutée,

' l'anormalité du dommage au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celle-ci.

Il appartient au requérant de rapporter la preuve du caractère nosocomial de l'affection dont il entend obtenir l'indemnisation ainsi que du lien de causalité entre l'infection et le dommage qu'il invoque.

Il résulte de l'expertise réalisée à la demande de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, qui ne tient pas compte du décès et se prononce au regard de la seule atteinte fonctionnelle de sa cheville droite, que « l'origine de cette localisation infectieuse ostéo-articulaire constatée en novembre 2013 (sans bactériémie) récidivant en juin 2014( avec bactériémie mais sans preuve au niveau articulaire) est difficile à préciser. ».

« En termes de probabilités, il est possible d'établir un lien avec les sepsis du staphylococcus aureus sensibles à la méticilline, associés à des bactériémies survenues le 12 avril 2013 et le 31 mai 2013. (') Cependant le délai de six mois entre ce sepsis avec bactériémie du 31 mai 2013 et la localisation articulaire de novembre 2013 reste surprenant dans un contexte d'immunodépression importante. D'autres portes d'entrée pourraient être évoquées. Après l'allogreffe une GVH cutanéomuqueuse a été constatée. ».

« Toujours en termes de probabilités, les sepsis avec bactériémie le 12 avril 2013 et le 31 mai 2013 sont probablement associés un cathéter veineux central (CVC). Cependant les preuves d'une infection associée au CVC ne sont pas toutes réunies dans la mesure où la traçabilité avec la description clinique du site d'insertion des différents cathéters n'est pas disponible. ».

Il en résulte que les conclusions de cette expertise, limitée à l'infection de la cheville droite, ne sont pas affirmatives et émettent de nombreuses réserves.

Pour leur part, les experts judiciaires excluent concernant l'arthrite bilatérale de la cheville à staphylococcus aureus constatée en novembre 2013, page 17 de leur rapport, une infection du cathéter central de l'été porte d'entrée d'une bactériémie.

« La bactérie staphylococcus aureus est hautement pathogène et ne pourrait pas rester en quintessence pendant plusieurs mois. Une bactériémie à staphylococcus aureus non traitée aboutirait à un décès en quelques jours ou semaines. En outre les cathéters ont systématiquement été retirés, les infections traitées de manière adaptée, les recherches de foyer infectieux secondaire' ont toujours été négatives ».

Les experts précisent en effet, page 19 de leur rapport, la raison pour laquelle ils excluent le caractère nosocomial des infections au regard du résultat positif des traitements par antibiotiques qui ont été administrés :

« il est impossible dans ce contexte que les infections multiples à staphylococcus aureus viennent du même épisode initial. Les antibiotiques ont en effet été donnés à une posologie correcte et pendant une durée suffisante. Chaque épisode a donc été traité en totalité. Compte tenu de la très forte immunodépression de M. [X], il n'aurait pas été possible qu'une infection à staphylococcus aureus persiste, même a minima, sans symptômes, sauf concernant le deuxième épisode au niveau ostéo articulaire. Cependant il n'y a pour cet épisode, pas de preuve de présence de la bactérie dans l'articulation, celle-ci n'ayant été retrouvée que dans une hémoculture. L'origine de ces bactéries est vraisemblablement endogène. En effet elles présentent toujours un profil de sensibilité élevée aux antibiotiques, ce qui n'est pas le cas des staphylococcus aureus nosocomiaux, souvent résistants dans à plusieurs familles d'antibiotiques ».

Ils imputent l'origine de ces infections à la maladie du greffon contre l'hôte (GVHD) qui altérait de manière profonde la barrière cutanéomuqueuse et au traitement de cette maladie par de fortes doses de corticoïdes, pourtant indispensables vu la gravité de la maladie, qui ont renforcé l'immunodépression.

Ils précisent qu'il s'agit donc plus vraisemblablement des bactéries dont le malade était porteur et qui ont pu causer des infections sanguines à plusieurs reprises ce qui est également corroboré par le fait que les délais de positivité n'ont jamais été en faveur d'infections provenant des cathéters centraux.

Il résulte de ces conclusions claires, précises et circonstanciées que la preuve n'est pas rapportée que les infections ont été contractées au cours ou au décours d'une prise en charge hospitalière.

Les appelants ne produisent aucun élément médical qui viendrait contredire les conclusions de l'expertise judiciaire en vertu desquelles les multiples épisodes infectieux ne sont pas nosocomiaux.

La conclusion non étayée du docteur [I] qui écrit dans le résumé d'hospitalisation : infection nosocomiale 'oui, pas dans le service' ne peut suffire à contredire les conclusions des experts oncologue et infectiologue, les docteurs [K] et [U], désignés par le juge des référés qui ont examiné l'intégralité du dossier médical de l'intéressé, qui au cours de la période litigieuse, a séjourné dans plusieurs hôpitaux et à son domicile. Elle ne peut s'analyser en un aveu non judiciaire comme allégué par les appelants en ce qu'il n'émane pas d'une des parties.

De plus comme indiqué ci-dessus, il résulte de l'expertise que le décès de [O] [X] n'est pas lié aux infections qui sont survenues, 'les surinfections pulmonaires qu'il a présentées à partir de fin avril 2015 avaient toutes été traitées et n'étaient pas en cause dans la dégradation de son état respiratoire qui est la cause du décès ». Dès lors le lien de causalité avec le dommage fait également défaut.

Sur la demande subsidiaire d'expertise :

La demande d'expertise des consorts [X] avait déjà été formée en première instance et rejetée par le premier juge.

L'expertise n'est pas destinée à suppléer la carence de preuve d'une partie.

La cour étant suffisamment éclairée, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande subsidiaire d'expertise des consorts [X]. La décision déférée est confirmée de ce chef également.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

La décision déférée est confirmée en ce qui concerne les dépens qui seront recouvrés par les conseils des parties adverses conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile et l'article 700 du code de procédure civile.

A hauteur d'appel, les appelants sont condamnés aux dépens et à verser à chaque intimé la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS

Se déclare incompétente pour statuer sur la régularité de la déclaration d'appel,

Dit n'y avoir lieu à annuler le jugement du 21 février 2019 du tribunal de grande instance de Créteil,

Confirme la décision entreprise,

Y ajoutant,

Condamne Mme [W] [X] et M. [E] [X] à verser à l'ONIAM une indemnité de 1500 euros et à l'Institut de cancérologie [12] et à son assureur une indemnité totale de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [W] [X] et M. [E] [X] aux dépens de l'appel qui seront recouvrés par les conseils des parties adverses conformément aux dispositions de l 'article 699 du code de procédure civile,

Déclare la présente décision opposable à la caisse générale de Sécurité Sociale de la Martinique,

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 19/06407
Date de la décision : 16/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-16;19.06407 ?
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