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15/02/2023 | FRANCE | N°20/06967

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 15 février 2023, 20/06967


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 15 FEVRIER 2023



(n° 2023/76 , 10 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06967 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCQXQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 18/00955



APPELANT



Monsieur [S] [J]

[Adresse 1]

[Localité 3]r>
Représenté par Me Laurence SOLOVIEFF, avocat au barreau de PARIS, toque : A0007



INTIMEE



S.A.S. KUEHNE + NAGEL Agissant poursuites et diligences de ses représentants l...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 15 FEVRIER 2023

(n° 2023/76 , 10 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/06967 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCQXQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 30 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LONGJUMEAU - RG n° 18/00955

APPELANT

Monsieur [S] [J]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Laurence SOLOVIEFF, avocat au barreau de PARIS, toque : A0007

INTIMEE

S.A.S. KUEHNE + NAGEL Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Véronique MARTIN BOZZI, avocat au barreau de PARIS, toque : L0305

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre

Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par contrat de travail à durée indéterminée à effets au 1er octobre 2002, M. [S] [J] a été engagé par la SAS Kuehne+Nagel en qualité d'ouvrier préparateur avec reprise d'ancienneté au 1er mars précédent. En dernier lieu, il était chef d'équipe logistique.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport.

Le 31 janvier 2017, M. [J] a été victime d'un accident du travail en soulevant une palette vide et mouillée. Il a par la suite été régulièrement en arrêt de travail. Le 12 juin suivant, le médecin du travail a indiqué qu'il ne pouvait reprendre son poste en l'état et l'a renvoyé vers son médecin traitant. Le salarié a repris son poste le 17 juillet 2017.

Il a rencontré le médecin du travail le 24 octobre suivant et ce dernier l'a considéré comme apte à son poste avec aménagement consistant notamment à ne porter de charges supérieures à 10kg.

Par lettre du 29 décembre 2017, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 janvier 2018. Le 22 suivant, il a été licencié pour faute grave en raison d'une altercation avec un collaborateur qu'il aurait insulté en français et en arabe après lui avoir serré la main très fort, puis qu'il aurait suivi sur le parking, poussé et continué de provoquer après que ce dernier lui a donné un coup de poing.

A la demande du salarié, par courrier du 8 février suivant, l'employeur a précisé les griefs en indiquant que les faits avaient été commis sur les temps et lieu de travail et que le salarié avait manqué à l'exemplarité que requérait son statut de chef d'équipe en suivant un salarié pour régler ses comptes, en le poussant et en le retenant physiquement.

Le 29 octobre 2018, estimant que son licenciement était discriminatoire en raison de son état de santé, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Longjumeau.

Par jugement du 30 juillet 2020, le conseil a requalifié la faute grave en cause réelle et sérieuse et condamné l'employeur au paiement d'une indemnité conventionnelle de licenciement, d'une indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents et de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi pour non-respect de l'obligation d'organisation des visites de reprise et pour l'absence d'aménagement de poste, outre les frais irrépétibles et les dépens.

Le 16 octobre 2020, M. [J] a fait appel de cette décision notifiée le 17 septembre précédent.

Dans ses dernières conclusions, remises au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 12 juillet 2021, M. [J] demande à la cour de confirmer le jugement sur les condamnations au titre de l'indemnité de licenciement et de l'article 700 du code de procédure civile et sur le principe des condamnations au titre des indemnités de préavis, des congés payés afférents et des dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité mais de l'infirmer sur le quantum de ces condamnations ainsi qu'en ce qu'il rejette le surplus de ses prétentions et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- principalement, prononcer la nullité du licenciement et ordonner sa réintégration sous astreinte de 300 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ordonner à la société Kuehne+Nagel préalablement à sa réintégration de consulter la médecine du travail à ce titre et de mettre en place visites de pré reprise puis de reprise et selon l'avis prononcé, engager des recherches de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe auquel elle appartient, fixer le nouveau salaire mensuel correspondant à l'emploi occupé depuis le licenciement du 23 janvier 2018 à un montant minimum de 3 701,91 euros brut, augmenté selon l'évolution du SMIC, des minima et avantages de la convention collective nationale et accords d'entreprise et ce, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, condamner la société Kuehne+Nagel à lui payer 133 268 euros et 13 326 euros net correspondant au montant des revenus et indemnité de congés payés dont il a été privé du 22 janvier 2018 au 22 janvier 2021, sommes arrêtées provisoirement au 22 janvier 2021 et à parfaire selon la date du prononcé de l'arrêt à intervenir, condamner la société Kuehne+Nagel à lui délivrer des fiches de salaire depuis le 23 janvier 2018 conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et se réserver le pouvoir de liquider ladite astreinte, ordonner à la société Kuehne+Nagel et préalablement à sa reprise du travail une remise en état complet et satisfactoire du contrat de travail dont paiement de la totalité des condamnations y compris intérêts légaux et proposition d'un salaire, de primes et d'une position professionnelle (emploi, qualification, statut, coefficient), acceptée par le salarié et validée après un examen médical pratiqué par le médecin du travail permettant de vérifier l'aptitude du salarié à occuper son emploi, juger que le salarié pourra, s'il le désire et préalablement à la reprise de son travail, soit bénéficier de la totalité des congés payés qu'il n'a pas utilisés du fait de son éviction de l'entreprise soit obtenir le paiement de l'indemnité compensatrice correspondante et condamner la société Kuehne+Nagel au paiement de 35 000 euros net à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la discrimination dont il a fait l'objet ;

- subsidiairement, si la cour ne faisait pas droit à sa demande de réintégration, condamner la société Kuehne+Nagel à lui payer 66 634,38 euros net d'indemnité de licenciement nul, 11 105,73 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, 1 110,57 euros brut de congés payés sur préavis, 16 736,34 euros net d'indemnité légale de licenciement et 35 000 euros net de dommages et intérêts en raison de la discrimination dont il a fait l'objet ;

- très subsidiairement, si la cour jugeait le licenciement non discriminatoire, le juger sans cause réelle ni sérieuse et condamner la société Kuehne+Nagel à lui payer 49 975,78 euros net d'indemnité à ce titre, 11 105,73 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, 1 110,57 euros brut de congés payés sur préavis et 16 736,34 euros net d'indemnité légale de licenciement ;

- à titre infiniment subsidiaire, si la cour jugeait le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse, condamner la société Kuehne+Nagel à lui payer 11 105,73 euros brut d'indemnité compensatrice de préavis, 1 110,57 euros brut de congés payés sur préavis et 16 736,34 euros net d'indemnité légale de licenciement;

- en tout état de cause, condamner la société Kuehne+Nagel à lui payer 8 000 euros net de dommages et intérêts pour conditions vexatoires de la rupture et 25 000 euros net de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par la violation des obligations de sécurité et de formation, assortir les sommes précitées des intérêts de droit à compter du 29 octobre 2018, date de convocation des parties devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, et en ordonner la capitalisation, condamner la société Kuehne+Nagel à lui remettre les bulletins de paie, attestation Pôle emploi, certificat de travail conformes à l'arrêt à intervenir et ce, sous astreinte de 50 euros par document et par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de huit jours après la signification de l'arrêt à intervenir, débouter la société Kuehne+Nagel de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner la société Kuehne+Nagel à lui payer 4 000 euros à ce titre ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 11 octobre 2021, la société Kuehne+Nagel demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il écarte la discrimination, juge le licenciement causé et déboute M. [J] du surplus de ses demandes mais de l'infirmer pour le surplus et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- principalement, débouter le salarié de l'ensemble de ses prétentions ;

- subsidiairement, si la cour devait juger que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, fixer le salaire moyen mensuel à 3 442,64 euros, limiter l'indemnité légale de licenciement à 15 300,61 euros et l'indemnité compensatrice à 6 885,28 euros, outre 688,52 euros de congés payés afférents et débouter M. [J] de ses demandes au titre d'un licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse ;

- à titre infiniment subsidiaire, si le licenciement était jugé sans cause réelle et sérieuse, réduire le quantum des condamnations à ce titre ;

- en tout état de cause, rejeter la nullité pour discrimination, juger la procédure dilatoire, rejeter la demande de réintégration, l'ensemble des demandes au titre d'un licenciement nul, de paiement des revenus pour la période postérieure au licenciement, de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et manquement à l'obligation de sécurité ainsi qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamner M. [J] à lui payer 3000 euros à ce titre.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 décembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 : Sur le manquement à l'obligation de sécurité

En vertu de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur est tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé physique et mentale de ses préposés. Il doit mettre en oeuvre des mesures nécessaires pour garantir la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, à savoir tant des actions de prévention que l'organisation de moyens adaptés et l'amélioration des situations existantes. Il doit assurer l'effectivité des mesures tendant à identifier, prévenir et gérer les situations pouvant avoir un impact négatif sur la santé du salarié.

L'article L.4121-2 prévoit que l'employeur met en oeuvre ces mesures sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : éviter les risques, évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités, combattre les risques à la source, adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l'état d'évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142-2-1, rendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Par ailleurs, aux termes de l'article R.4624-31 du code du travail dans sa version applicable au litige, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail après un congé de maternité, une absence pour cause de maladie professionnelle et une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail, de maladie ou d'accident non professionnel.

Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.

Il est constant que l'employeur qui tarde pour demander l'organisation de la visite médicale de reprise manque à son obligation de sécurité.

Par ailleurs, lorsque le salarié fait valoir que l'employeur n'a pas adapté son poste de travail conformément aux recommandations du médecin du travail, il appartient à l'employeur de justifier qu'il a procédé à une telle adaptation. Le non-respect par l'employeur des recommandations du médecin du travail constitue un manquement à son obligation de sécurité.

Enfin, les articles R4541-4 et -5 du code du travail prévoient que, lorsque la nécessité d'une manutention manuelle de charges ne peut être évitée, notamment en raison de la configuration des lieux où cette manutention est réalisée, l'employeur prend les mesures d'organisation appropriées ou met à la disposition des travailleurs les moyens adaptés, si nécessaire en combinant leurs effets, de façon à limiter l'effort physique et à réduire le risque encouru lors de cette opération et qu'il évalue les risques que font encourir les opérations de manutention pour la santé et la sécurité des travailleurs et organise les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso-lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou, à défaut de pouvoir les mettre en 'uvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sûre et moins pénible. L'article R.4541-8 dispose également que l'employeur fait bénéficier les travailleurs dont l'activité comporte des manutentions manuelles d'une information sur les risques qu'ils encourent lorsque les activités ne sont pas exécutées d'une manière techniquement correcte, en tenant compte des facteurs individuels de risque et d'une formation adéquate à la sécurité relative à l'exécution de ces opérations. Au cours de cette formation, essentiellement à caractère pratique, les travailleurs sont informés sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles.

Au cas présent, le salarié a repris le travail le 17 juillet 2017 après un arrêt de plus de trente jours consécutif à un accident de travail. Il n'a été vu par le médecin du travail que le 24 octobre suivant soit plus de huit jours après sa reprise.

Par ailleurs, alors que l'avis d'aptitude délivré par ce médecin préconise une absence de port de charges de plus de 10kg et que le salarié fait valoir qu'il a été amené à porter des charges plus lourdes, l'employeur, qui se contente d'affirmer que les fonctions de chef d'équipe ne consistaient pas essentiellement en des tâches de manutention et que le poids moyen des charges était inférieur à 10kg, n'établit pas suffisamment ce faisant, alors qu'il en a la charge, qu'il a procédé à un aménagement du poste du salarié respectant les préconisations de la médecine du travail.

Ce dernier ne démontre en outre l'existence d'aucune mesure de prévention et de formation prise en application des articles R.4541-4 et -5 du code du travail.

Il ressort de ce qui précède que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité. Au regard du préjudice subi par le salarié, la décision du conseil sera confirmée de ce chef.

2 : Sur le licenciement

L'article L. 1132-1 du code du travail interdit toute discrimination fondée sur l'état de santé d'un salarié. Il résulte de l'article L.1132-4 du même code que le licenciement discriminatoire est nul.

En application de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige matière de discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires.

En l'espèce, au soutien de sa demande d'annulation, le salarié fait valoir que la procédure disciplinaire aux fins de licenciement a été engagée le 29 décembre 2017 alors qu'il avait été longtemps en arrêt de travail au cours de l'année écoulée et que le médecin du travail avait émis un avis d'aptitude avec aménagement de poste le 24 octobre précédent en préconisant une étude de poste et une nouvelle visite dans les deux mois.

Cette concomitance pour un salarié ayant plus de 15 années d'ancienneté sans antécédent disciplinaire fait présumer la discrimination.

Il incombe dès lors à l'employeur de justifier que le licenciement pour faute grave est motivé par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Or, il résulte des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.

En l'espèce, aux termes de la lettre de rupture du 29 décembre 2017, complétée par le courrier du 8 février, qui fixe les limites du litige, M. [J] a été licencié pour faute grave en raison d'une altercation, sur les lieu et temps de travail, avec un collaborateur qu'il aurait insulté en français et en arabe après lui avoir serré la main très fort, puis qu'il aurait suivi sur le parking, poussé et continué de provoquer et retenu physiquement après que ce dernier lui a donné un coup de poing.

Il convient à titre liminaire de souligner que si, dans le corps de ses conclusions, l'appelant émet des réserves sur la recevabilité de l'extrait de la vidéo surveillance produit par son contradicteur, il ne sollicite pas expressément de la cour que celle-ci écarte cette pièce des débats, demande qui ne figure d'ailleurs pas dans le dispositif de ses écritures et dont la cour n'est pas saisie.

Par ailleurs alors que le salarié conteste la matérialité des faits en niant toute participation active à cette scène et produit des attestations qui confirment sa version, force est de constater que l'employeur ne produit aucune pièce confirmant les insultes qui seraient intervenues en amont de la scène filmée par les caméras de vidéo surveillance et que le visionnage de l'extrait produit confirme que l'appelant n'a pas lui-même commis de violences se contentant de repousser son collaborateur alors que celui lui porte ensuite un coup de poing.

Les attestations concernant l'attitude antérieure du salarié, qui sont peu circonstanciées et ne sont corroborées par aucun élément de son dossier, sont par ailleurs inopérantes au regard des griefs tels que fixés par les courriers de rupture.

Or, le simple fait de participer à une altercation sans en être à l'origine, sans proférer d'insultes ou commettre personnellement des violences, repousser un collègue manifestement énervé ne pouvant s'analyser comme tel, n'est pas fautif.

Dès lors, l'employeur ne justifie pas la rupture par des faits objectifs étrangers à toute discrimination en sorte qu'il convient d'annuler le licenciement, le jugement devant être infirmé en ce qu'il rejette cette demande pour requalifier la faute grave en cause réelle et sérieuse.

3 : Sur les conséquences de la rupture

3.1 : Sur la réintégration

Dans l'hypothèse de la nullité du licenciement, le salarié dispose d'une option entre la réintégration, conséquence normale de la remise des parties en l'étant antérieur à la décision annulée, ou son indemnisation. Cette demande de réintégration ne peut être rejetée que si l'employeur apporte la preuve d'une impossibilité de réintégration notamment en cas disparition de l'entreprise ou lorsque le salarié s'est rendu coupable d'actes de concurrence déloyale après son licenciement.

Au cas présent, M. [J] sollicite sa réintégration qui n'est pas impossible. Il convient donc de l'ordonner. Les circonstances de l'espèce n'impose pas d'assortir cette mesure du prononcé d'une astreinte.

Il appartiendra par ailleurs à la société Kuehne+Nagel de réintégrer le salarié dans le respect des obligations légales et réglementaires lui incombant, sans qu'il soit nécessaire de lui ordonner ni la mise en place visites de pré reprise puis de reprise et, selon l'avis prononcé, l'engagement des recherches de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe ni la remise en état complet et satisfactoire du contrat de travail dont paiement de la totalité des condamnations y compris intérêts légaux et proposition d'un salaire, de primes et d'une position professionnelle (emploi, qualification, statut, coefficient), acceptée par le salarié et validée après un examen médical pratiqué par le médecin du travail. Les demandes à ce titre seront rejetées.

3.2 : Sur les conséquences financières de la réintégration

Le salarié qui demande sa réintégration a droit à une indemnité correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration.

Cependant, le caractère très tardif d'une demande de réintégration peut caractériser un abus du droit d'agir en justice justifiant que la période d'indemnisation soit limitée et que son point de départ soit fixé non pas à compter du jour de l'éviction mais à compter de celui de la demande.

Au cas présent, contrairement à ce que soutient l'employeur, la caractère tardif de la demande de réintégration n'est pas avéré et aucune manoeuvre dilatoire imputable au salarié n'est établie en sorte qu'aucun abus de droit n'est caractérisé. Il convient dès lors de condamner la société Kuehne + Nagel à payer à M. [J] le montant de ses salaires depuis le 23 janvier 2018 et jusqu'à sa réintégration effective.

Ce paiement se fera sur la base du salaire moyen sur les trois derniers mois ramené à hauteur de demande soit 3 701,91 euros brut, montant qui devra être augmenté selon l'évolution du SMIC, des minima et avantages de la convention collective et des accords d'entreprise mais ce, sans qu'il y ait lieu pour contraindre l'employeur à ce faire de prononcer une astreinte.

Par ailleurs, si le salarié qui demande sa réintégration a droit à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, cela implique que doivent être déduits les revenus qu'il a tirés d'une autre activité et le revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période, et ce sauf violation d'une liberté fondamentale constitutionnellement garantie, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

Dès lors, au cas présent, ces éventuels revenus ainsi que l'ensemble des indemnités de rupture, qui ne sont plus dues compte tenu du choix de la réintégration et non de l'indemnisation, devront être déduits des sommes allouées.

Il appartiendra à M. [J] de justifier de l'intégralité des salaires et revenus de remplacement perçus à compter du 23 janvier 2018 et jusqu'à sa réintégration et ce dans le mois suivant la signification du présent arrêt.

Enfin, sauf lorsque le salarié a occupé un autre emploi durant la période d'éviction comprise entre la date du licenciement nul et celle de la réintégration dans son emploi, il peut prétendre à ses droits à congés au titre de cette période en application des dispositions des articles L.3141-3 et L.3141-9 du code du travail.

Il n'y a pas lieu de prévoir que le salarié pourra choisir entre bénéficier de la totalité des congés payés qu'il n'a pas utilisés du fait de son éviction de l'entreprise et obtenir le paiement de l'indemnité compensatrice correspondante, cette option n'étant pas prévue par les dispositions susmentionnées.

Il convient dès lors de condamner la société Kuehne + Nagel à payer à M. [J] le montant de ses salaires depuis le 23 janvier 2018 et jusqu'à sa réintégration effective sur la base du salaire moyen de 3 701,91 euros brut par mois, montant qui devra être augmenté selon l'évolution du SMIC, des minima et avantages de la convention collective et des accords d'entreprise après déduction des revenus tirés d'une autre activité et de remplacement servis pendant cette période, outre les congés payés afférents qui ne seront pas dus pour les périodes travaillés pour le compte d'un autre employeur. Le jugement sera complété en ce sens et infirmé en ce qu'il condamne l'employeur au paiement d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité de préavis et des congés payés afférents.

Il appartiendra aux parties de faire les comptes entre elles sur la base de ces principes et ce dans les deux mois suivant la signification de la présente décision.

4 : Sur les dommages et intérêts pour discrimination

En l'absence de preuve d'un préjudice spécifique et non compensé par ailleurs causé par le caractère discriminatoire du licenciement, la demande à ce titre sera rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

5 : Sur les dommages et intérêts pour les conditions brutales et vexatoires du licenciement

Aux termes de l'article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Il résulte de ces dispositions que l'octroi de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant des circonstances brutales et vexatoires du licenciement nécessite, d'une part, la caractérisation d'une faute dans les circonstances de la rupture du contrat de travail qui doit être différente de celle tenant au seul caractère abusif du licenciement, ainsi que, d'autre part, la démonstration d'un préjudice distinct de celui d'ores et déjà réparé par l'indemnisation allouée.

En l'espèce, M. [J] soutient que le caractère brutal et vexatoire de son licenciement s'évince du fait qu'il a été convoqué à un entretien au cours duquel lui ont été assénés des griefs qui ne lui étaient pas imputables, griefs qui, par leur caractère diffamatoire et brutal, l'ont particulièrement choqué.

Cependant, ces faits ne caractérisent pas de faute de l'employeur. Le salarié ne démontre pas non plus avoir subi un préjudice du fait des agissements dénoncés.

Ainsi, le salarié sera débouté de sa demande et la décision du conseil sera confirmée de ce chef.

6 : Sur la remise des documents de fin de contrat

Il convient d'ordonner la remise des bulletins de paie, attestation Pôle emploi, certificat de travail conformes à l'arrêt à intervenir dans les quinze jours de sa signification, celle-ci étant de droit.

Il n'y a pas lieu d'assortir cette condamnation d'une astreinte. La demande à ce titre sera rejetée.

7 : Sur les intérêts

Conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales échues antérieurement à la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes à compter de celle-ci, de leur date d'exigibilité pour les créances salariales non échues à cette date, du jugement sur les créances indemnitaires confirmées et du présent arrêt pour le surplus.

Les intérêts dus pour une année seront capitalisés en application de l'article 1343-2 du code civil.

8 : Sur les autres demandes

La décision sera confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.

Partie perdante en cause d'appel, la société Kuehne + Nagel supportera les éventuels dépens de cette instance outre 3.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour :

- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Longjumeau du 30 juillet 2020 sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité du licenciement et les demandes subséquentes de réintégration et d'indemnité d'éviction, qu'il juge le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et condamne SAS Kuehne+Nagel au paiement d'une indemnité de licenciement, d'une indemnité de préavis et des congés payés afférents ;

- L'infirme de ces chefs ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Annule le licenciement de M. [S] [J] du 22 janvier 2018 par la SAS Kuehne+Nagel;

- Ordonne la réintégration de M. [S] [J] au poste précédemment occupé ou à un poste équivalent ;

- Rejette la demande d'astreinte ;

- Rejette les demandes tendant à voir ordonner à la SAS Kuehne+Nagel la mise en place de visites de pré reprise puis de reprise et, selon l'avis prononcé, l'engagement des recherches de reclassement au sein de l'entreprise et du groupe et la remise en état complet et satisfactoire du contrat de travail dont paiement de la totalité des condamnations y compris intérêts légaux et proposition d'un salaire, de primes et d'une position professionnelle (emploi, qualification, statut, coefficient), acceptée par le salarié et validée après un examen médical pratiqué par le médecin du travail ;

- Ordonne à M. [S] [J] de justifier de l'intégralité des salaires et revenus de remplacement perçus à compter du 23 janvier 2018 et jusqu'à sa réintégration et ce dans le mois suivant la signification du présent arrêt ;

- Condamne la SAS Kuehne+Nagel à payer à M. [S] [J] le montant de ses salaires depuis le 23 janvier 2018 et jusqu'à sa réintégration effective, après déduction des revenus tirés d'une autre activité et de remplacement servis pendant cette période, sur la base d'un salaire de 3 701,91 euros brut par mois, montant qui devra être augmenté selon l'évolution du SMIC, des minima et avantages de la convention collective et des accords d'entreprise, outre les congés payés afférents qui ne seront pas dus pour les périodes travaillés pour le compte d'un autre employeur ;

- Rejette les demandes d'astreinte et tendant à permettre à M. [S] [J] de choisir entre le fait de bénéficier de la totalité des congés payés qu'il n'a pas utilisés et le paiement de l'indemnité compensatrice correspondante ;

- Dit qu'il appartiendra aux parties de faire les comptes entre elles sur la base de ces principes et ce dans les deux mois suivant la signification de la présente décision ;

- Rappelle que les intérêts au taux légal courent sur les créances salariales échues à la date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes à compter de celle-ci, de leur date d'exigibilité pour les créances salariales non échues à cette date, du jugement sur les créances indemnitaires confirmées et du présent arrêt pour le surplus ;

- Ordonne la capitalisation des intérêts ;

- Ordonne à la SAS Kuehne+Nagel de remettre à M. [S] [J] une attestation Pôle emploi rectifiée, un certificat de travail et des bulletins de paie conformes à la présente décision dans les quinze jours de sa signification ;

- Rejette la demande d'astreinte ;

- Condamne la SAS Kuehne+Nagel à payer à M. [S] [J] la somme de 3.000 euros au titre de ses frais irrépétibles en cause d'appel ;

- Condamne la SAS Kuehne+Nagel aux dépens

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/06967
Date de la décision : 15/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-15;20.06967 ?
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