Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 4
ARRET DU 15 FEVRIER 2023
(n° 2023/67 , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/08126 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B57C4
Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Avril 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 17/06408
APPELANT
Monsieur [R] [K] [I]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Richard WETZEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1970
INTIMEE
Me [G] [Y] (SELARL [G] MJ) - Mandataire liquidateur de Société NAF NAF
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représenté par Me Bertrand MERVILLE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487
Me [J] [C] (SELARL MJA) - Mandataire Iiquidateur de Société NAF NAF
[Adresse 2]
[Localité 7]
Représenté par Me Bertrand MERVILLE de la SCP LA GARANDERIE AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0487
PARTIE INTERVENANTE :
Association CGEA IDF EST Représentée par sa Directrice nationale Madame [S] [V]
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentée par Me Florence ROBERT DU GARDIER de la SELARL DUPUY Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0061
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 12 décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre
Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère
Madame Florence MARQUES, conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Rappel des faits, procédure et prétentions des parties
Par contrat de travail à durée indéterminée à effets au 21 novembre 2016,
M. [R] [K] [I], né en 1980, a été engagé en qualité de responsable de magasin adjoint à temps complet par la SAS Naf naf.
Par lettre du 29 mars 2017, M. [I] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 20 avril 2017, avec mise à pied conservatoire.
Le 17 mai suivant, il été licencié pour faute grave au motif qu'il aurait adopté un comportement 'intolérable' envers son équipe en 'dénigrant ses membres' et en instaurant un 'climat de mal-être', qu'il n'aurait pas respecté les plannings affichés en boutique, le 'zoning établi' en magasin et la règle de procédure mise en place par la responsable sur l'encaissement des ventes.
Le 2 août 2017, contestant son licenciement et réclamant diverses indemnités et rappels de salaire, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, par jugement du 5 avril 2018, a rejeté l'ensemble de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
Le 27 juin 2018, M. [I] a fait appel de cette décision qui lui avait été notifiée le 19.
Par jugements des 15 mai et 19 juin 2020, le tribunal de commerce de Bobigny a placé la société Naf naf en redressement puis en liquidation judiciaires, les sociétés SELARL [G] MJ, en la personne de Me [Y] [G], et SELAFA MJA, en la personne de Me [C] [J], étant désignées en qualité de liquidateurs judiciaires.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 1er décembre 2020, M. [I] demande à la cour d'infirmer le jugement, et statuant à nouveau et y ajoutant, de :
- juger que son licenciement est abusif ;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 13 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement abusif ;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 2 295,12 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 229,51 euros de congés payés afférents ;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 2 991, 41 euros de rappel de salaire au titre de la mise à pied à titre conservatoire, outre 299,14 euros de congés payés afférents;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 672,75 euros au titre de la perte de chance sur la rémunération variable, outre 67,27 euros de congés payés afférents ;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 500 euros de dommages et intérêts pour remise erronée de l'attestation Pôle emploi ;
- fixer au passif de la liquidation judiciaire la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner à la SELARL [G] MJ, prise en la personne de Me [Y] [G], ainsi qu'à la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [C] [J], ès qualité de liquidateurs judiciaires de la remise d'une attestation Pôle emploi régularisée faisant mention de la date du dernier jour travaillé au 28 mars 2017 et reprenant les derniers salaires antérieurs complets, les bulletins de salaire ainsi que documents de fin de contrat conformes à la décision à venir et procéder à la régularisation auprès des caisses de retraite, de l'organisme de prévoyance et organismes de sécurité sociale le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard à de la notification du jugement ;
- se réserver le droit de liquider l'astreinte ;
- condamner la SELARL [G] MJ, prise en la personne de Me [Y] [G] ainsi que la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [C] [J], ès qualité de liquidateurs judiciaires aux entiers dépens ;
- dire que ces sommes seront opposables à l'AGS-CGEA Ile-de-France.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 8 mars 2021, la société Naf naf, représentée par ses liquidateurs judiciaires, demande à la cour de confirmer le jugement sauf en ce qu'il rejette sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, débouter M. [I] de l'ensemble de ses prétentions et, statuant à nouveau et y ajoutant, de condamner M. [I] au paiement de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 16 février 2021, l'AGS demande à la cour de confirmer le jugement et de débouter M. [I] de toutes ses demandes et, subsidiairement, de juger que, s'il y a lieu à fixation, sa garantie ne pourra intervenir que dans les limites légales, qu'elle ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat au sens de l'article L.3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en oeuvre la responsabilité de droit commun de l'employeur ou l'article 700 du code de procédure civile étant ainsi exclus et qu'elle ne pourra excéder, toutes créances avancées pour le compte du salarié confondues, l'un des trois plafonds des cotisations maximum du régime d'assurance chômage conformément aux dispositions des articles L.3253-17 et D.3253-5 du code du travail et, enfin, de statuer ce que de droit quant aux frais d'instance dont les dépens sans qu'ils puissent être mis à sa charge.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 12 décembre 2022.
Pour l'exposé des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1 : Sur la faute grave
L'article L.1231-1 du code du travail dispose que le contrat à durée indéterminée peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié. Aux termes de l'article L.1232-1 du même code, le licenciement par l'employeur pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Il résulte par ailleurs des dispositions combinées des articles L 1232-1, L 1232-6, L 1234-1 et L 1235-1 du code du travail que devant le juge, saisi d'un litige dont la lettre de licenciement fixe les limites, il incombe à l'employeur qui a licencié un salarié pour faute grave, d'une part d'établir l'exactitude des faits imputés à celui-ci dans la lettre, d'autre part de démontrer que ces faits constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien de ce salarié dans l'entreprise.
En l'espèce, la lettre de rupture du 17 mai 2017 fixe les limites du litige.
Il est ainsi fait grief au salarié, en premier lieu, d'avoir adopté un comportement intolérable envers son équipe, dénigré ses membres et instauré un climat de mal-être au sein de la boutique. Il lui est reproché d'avoir été menaçant et violent par ses gestes et faits et notamment d'avoir dit à des collègues 'arrête de me regarder comme ça sinon je t'arrache les yeux ' ou 'tu vas voir', d'avoir suivi une collaboratrice en cabine en criant et en pointant le doigt vers elle, de s'être interposé entre un vendeur et un client en disant « je procède à l'encaissement ». Il était précisé que ses propos ainsi que le ton employé avaient provoqué un sentiment de crainte voire des pleurs chez les salariés concernés.
En second lieu, il est reproché à M. [I] de ne pas respecter les plannings et le zoning établis par son responsable en se trouvant en caisse au lieu d'être sur la zone de vente. Plus précisément, des erreurs de pointage lui sont imputées consistant à fermer la boutique à 21h avec des salariés qui avaient pourtant dépointé à 20h30.
En troisième lieu, l'employeur soutient que M. [I] n'a pas respecté la règle de procédure mise en place par la responsable de magasin consistant à encaisser les ventes sous le code du membre de l'équipe ayant réalisé la vente pour un suivi individuel de progression du chiffre d'affaires ce qui a provoqué un sentiment d'iniquité et de démotivation de la part de l'équipe.
Ces différents griefs s'ils ne sont pas datés sont suffisamment précis et sont matériellement vérifiables en sorte que le licenciement ne saurait être considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse de ce seul fait. En outre, il ressort de la liste des ventes de mars, des plannings de ce mois, des zonings pour la période, du courrier du 23 mars 2017 et des attestations communiquées qu'ils ne sont pas prescrits.
Concernant, la matérialité des faits, M. [I] valoir que les attestations rapportant son comportement menaçant sont peu précises, qu'elles ont été rédigées pour les seuls besoins de la cause, qu'elles présentent des incohérences et émanent de salariés en situation de subordination. Il souligne qu'un des salariés dont le témoignage est produit par l'employeur a attesté par la suite qu'il ne faisait pas état de faits qu'il avait lui-même constatés. Il fait par ailleurs valoir que son rôle de responsable adjoint l'amenait nécessairement à se déplacer en magasin et qu'il n'avait aucun intérêt à ne pas respecter une procédure d'encaissement, d'ailleurs non clairement établie, sa rémunération variable étant calculée sur le chiffre d'affaires global. Il ajoute que son licenciement, consécutif des difficultés du groupe et non suivi immédiatement de son remplacement, est en réalité fondé sur un motif économique.
Cependant, alors que le premier écrit rapportant un comportement menaçant de M. [I] est spontané et antérieur à l'engagement de la procédure disciplinaire, les attestations nombreuses et concordantes sur son attitude inappropriée vis-à-vis de ses collaboratrices suffisent à établir le premier grief.
Le non-respect des plannings et du zoning est également suffisamment prouvé par les zonings et les différents écrits des collègues de M. [I] qui se plaignent d'avoir été contraints par lui de fermer le magasin à 21h alors que leurs emplois du temps mentionnaient une fin de journée à 20h30 et du fait que M. [I] était toujours en caisse.
Enfin, il est également établi par ces écrits, l'attestation de la responsable du magasin et la liste des ventes que la procédure d'encaissement n'était pas respectée puisque seul le numéro d'identification de M. [I] apparaît sur ce document pour mars 2017 alors que d'autres vendeurs ont nécessairement réalisé des transactions pendant cette période d'un mois.
Il ressort de ce qui précède que les faits reprochés à M. [I] sont établis. Compte tenu de son statut de responsable adjoint de magasin, de la pluralité des griefs, des conséquences sur les autres salariés qui font valoir qu'ils ont été choqués et de la faible ancienneté du salarié, ils rendaient impossible son maintien dans l'entreprise.
La faute grave est donc caractérisée, rien ne permettant d'affirmer que le véritable motif de la rupture serait économique.
Le jugement sera confirmé sur ce point ainsi qu'en ce qu'il rejette l'ensemble des demandes subséquentes du salarié.
Concernant la demande de dommages et intérêts pour remise d'une attestation destinée à Pôle emploi erronée, en l'absence de preuve d'un préjudice résultant de la mention inexacte du dernier jour travaillé, la demande ne pourra qu'être rejetée et le jugement confirmé.
Il convient en revanche d'ordonner à la SELARL [G] MJ, prise en la personne de Me [Y] [G] et à la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [C] [J], ès qualité de liquidateurs judiciaires de la société Naf naf de remettre au salarié une attestation Pôle emploi régularisée faisant mention de la date du dernier jour travaillé au 28 mars 2017. Cette remise devra intervenir sous quinzaine de la signification du présent arrêt sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte. Le jugement sera complété en ce sens.
La décision sera également confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.
En cause d'appel, les dépens seront supportés par l'appelant.
L'équité commande en revanche de rejeter la demande au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour :
- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Paris du 5 avril 2018 en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant :
- Ordonne à la SELARL [G] MJ, prise en la personne de Me [Y] [G] et à la SELAFA MJA, prise en la personne de Me [C] [J], ès qualité de liquidateurs judiciaires de remettre à M. [R] [K] [I] une attestation Pôle emploi régularisée faisant mention du 28 mars 2017 comme date du dernier jour travaillé sous quinzaine de la signification du présent arrêt ;
- Rejette la demande d'astreinte ;
- Rejette la demande au titre des frais irrépétibles ;
- Condamne M. [R] [K] [I] aux dépens de l'appel.
La greffière Le président