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10/02/2023 | FRANCE | N°19/07121

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 12, 10 février 2023, 19/07121


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 10 Février 2023



(n° , 5 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/07121 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAGDV



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Juin 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 18/03736



APPELANTE

SAS [4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Gabriel RIGAL, avo

cat au barreau de LYON, toque : 1406 substitué par Me Amaria BELGACEM, avocat au barreau de PARIS



INTIMEE

CPAM 83 - VAR

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Camille MAC...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12

ARRÊT DU 10 Février 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/07121 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAGDV

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 03 Juin 2019 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS RG n° 18/03736

APPELANTE

SAS [4]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée par Me Gabriel RIGAL, avocat au barreau de LYON, toque : 1406 substitué par Me Amaria BELGACEM, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

CPAM 83 - VAR

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Localité 3]

représentée par Me Camille MACHELE, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Décembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Pascal PEDRON, Président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Pascal PEDRON, Président de chambre

Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre

M. Gilles REVELLES, Conseiller

Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats

ARRET :

- CONTRADICTOIRE

- prononcé

par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre pour M. Pascal PEDRON, Président de chambre, légitiment empêché et par Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l'appel interjeté par la société [4] (la société) d'un jugement rendu le 03 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à caisse primaire d'assurance maladie du Var (la caisse).

FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La société a le 19 décembre 2017 complété une déclaration d'accident du travail concernant M. [P], son salarié en qualité d'employé de service comptable et d'approvisionnement logistique, victime le même jour d'un malaise.

La caisse a, après instruction, pris en charge le 05 avril 2018 l'accident déclaré au titre de la législation professionnelle ; après avoir contesté en vain cette prise en charge devant la commission de recours amiable, la société a porté le litige le 17 août 2018 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris.

Par jugement du 03 juin 2019, le tribunal de grande instance de Paris, auquel le dossier avait été transféré, a déclaré la société recevable mais mal fondée en son recours, l'en a débouté, et a laissé les dépens à sa charge.

La caisse a interjeté appel le 10 juillet 2019 de ce jugement qui lui avait été notifié le 12 juin 2019.

Par ses conclusions écrites déposées à l'audience par son avocat qui les a oralement développées, la société demande à la cour, par voie d'infirmation du jugement déféré et au visa des articles L. 411-1, R. 441-11 et suivants, R. 142-16 du code de la sécurité sociale, de :

-la déclarer recevable et bien fondée en toutes ses demandes,

-à titre principal, lui déclarer inopposable la décision du 05 avril 2018 de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, du malaise cardiaque présenté par M. [P], de même que toutes les conséquences financières y afférentes,

-à titre subsidiaire, ordonner aux frais avancés de la CNAM, une expertise judiciaire sur pièces à l'effet essentiel de déterminer si le malaise, les soins et arrêts sont en lien avec un événement professionnel survenu le 19 décembre 2017, ou résultent d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec le travail, auquel se rattacheraient exclusivement le malaise ainsi que les soins et arrêts de travail postérieurs ; dans l'affirmative, préciser quels sont les lésions, soins et arrêts résultant d'un état pathologique préexistant,

faisant valoir pour l'essentiel que:

-elle ne conteste pas le malaise mais les causes de celui-ci,

-la caisse ne rapporte pas la preuve du caractère professionnel du malaise cardiaque dont a été victime M. [P] le 19 décembre 2017,

-si la caisse a estimé nécessaire de mener une instruction sur les circonstances de l'accident et sur son imputabilité au travail, c'est qu'elle estimait qu'il existait un doute sur le caractère professionnel de l'accident et que les premiers éléments dont elle disposait étaient insuffisants pour trancher et établir la matérialité de l'accident,

-par ailleurs, la charte des AT/MP impose à la caisse en cas de malaise de réaliser une enquête approfondie comprenant obligatoirement l'avis du service médical. Or la caisse en l'espèce n'a pas interrogé son médecin-conseil, et a mené une instruction insuffisante, totalement creuse et de pure forme, ne cherchant pas à identifier, et n'identifiant pas, les causes de la crise cardiaque de M. [P] dont la caisse a constaté que les conditions de travail étaient normales, sans stress ni surcharge.

-il ne peut pas être admis que le constat d'un malaise vaudrait tout à la fois constat d'un fait accidentel et d'une lésion apparue au temps et au lieu du travail, comme se borne à la faire la caisse .

-alors qu'elle est dans l'impossibilité d'obtenir des éléments de nature à prouver ses prétentions, il existe en tout état de cause un différend d'ordre médical quant à la détermination de l'origine des lésions présentées par le salarié, ce qui justifie la mise en oeuvre d'une expertise en présence d'une instruction superficielle menée par une caisse dont les éléments sont détenus par son service médical.

Par ses conclusions écrites déposées à l'audience par son avocat qui les a oralement développées, la caisse demande à la cour de confirmer le jugement déféré et de débouter la société de ses demandes, notamment d'expertise, faisant valoir en substance que:

-l'accident est survenu alors que le salarié soulevait un colis pendant son travail, la matérialité de l'accident et la présomption d'imputabilité du fait accidentel au travail étant établies.

-le renversement de la présomption d'imputabilité incombe à l'employeur qui doit rapporter l'existence d'une cause totalement étrangère au travail ; or, en l'espèce, la société n'apporte aucun élément probant à cet effet.

-une mesure d'expertise n'a pas pour fonction de suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour renvoie à leurs conclusions visées par le greffe le 09 décembre 2022 qu'elles ont oralement développées.

SUR CE, LA COUR

Il résulte de l'article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale que constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle.

Il appartient à la Caisse substituée dans les droits de la victime dans ses rapports avec l'employeur, d'établir le caractère professionnel de l'accident par des éléments objectifs, autres que les seules déclarations du salarié. Il lui appartient donc de rapporter la preuve de la survenance d'une lésion en conséquence d'un événement survenu au temps et au lieu du travail, ou à l'occasion du travail. S'agissant de la preuve d'un fait juridique, cette preuve est libre et peut donc être rapportée par tous moyens, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes, au sens de l'article 1382 du code civil.

Par ailleurs, il résulte de la combinaison des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l'opportunité d'ordonner les mesures d'instruction demandées; que le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d'ordonner une mesure d'instruction demandée par une partie, sans qu'il ne soit contraint d'y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable, tels qu'issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, pas plus qu'une violation du principe d'égalité des armes.

En l'espèce, la déclaration d'accident du travail établie par l'employeur le 19 décembre 2017 (pièce n°1 de la société) mentionne un accident du « 19/12/2017 à 09h45 » pour un horaire de travail de « 07h30 à 12h00 » puis de « 13h00 à 16h45 » lors de son « activité habituelle » « personne prise de malaise,de douleurs thoraciques » « accident constaté le 17/12/2017 à 10h20 par l'employeur» « inscrit au registre d'accident du travail bénin ».

Le certificat médical initial (pièces n°3 de la société)) établi le 19 décembre 2017 par le Dr [R], cardiologue au centre hospitalier vers lequel la victime avait été évacuée par le SMUR constate un"SCA (syndrome coronarien aigu) avec sus décalage en inférieur " et prescrit un arrêt de travail jusqu'au 15 janvier 2018.

Le salarié a précisé en réponse au questionnaire de la caisse (pièce n°3 de la caisse) : « Je soulevais des cartons sur une palette » « dans des conditions habituelles et normales », « quand j'ai ressenti une douleur intense au niveau du thorax. Je me suis assis pour récupérer, la douleur devenait de plus en plus intense (') les pompiers et le samu m'ont évacué vers l'hôpital » ; l'employeur corrobore (sa pièce n°4) la survenance d' « un malaise et de douleurs thoraciques » au moment où le salarié « soulève un colis ».

La caisse établit ainsi par des éléments objectifs que M. [P] a été victime le 19 décembre 2017 à 09h45, au temps et au lieu du travail, d'une attaque cardiaque datée et circonstanciée à l'occasion de l'accomplissement de ses fonctions , dont il est résulté une lésion corporelle ("douleurs thoraciques et malaise") médicalement constatés après son évacuation sanitaire de son lieu d'emploi à l'hôpital.

Dans ces conditions, la caisse établit la matérialité aux temps et lieu du travail de l'accident déclaré, emportant présomption d'imputabilité notamment entre la lésion médicalement constatée et l'attaque cardiaque génératrice.

Cette présomption d'imputabilité trouve à s'appliquer quand bien même :

-la caisse a recouru en l'espèce d'elle-même à une mesure d'instruction par voie de questionnaire dès lors que la mise en 'uvre d'une telle mesure, à laquelle la caisse est libre de recourir, et ce dans les limites qu'elle juge nécessaires, n'implique nullement que la présomption ne puisse plus trouver à s'appliquer ou que la caisse ait renoncé au bénéfice de celle-ci ;

-les conditions de travail aient été "normales, sans stress, ni surcharge" dès lors que le syndrome cardiaque est survenu à l'occasion de la réalisation du travail, en soulevant en l'espèce un colis, étant rappelé que la brusque survenance comme en l'espèce d'un trouble physique dont témoigne l'apparition soudaine d'une douleur fait présumer la survenance d'un accident comme l'a rappelé la Cour de cassation (Civ.2: 13 février 2020, n°18-25.179);

-M. [P] ait pu éventuellement présenter un possible état pathologique antérieur, dès lors que constitue un accident du travail la dolorisation ou l'aggravation d'un tel état survenue à l'occasion du travail.

Par ailleurs, si l'employeur estime que l'instruction a été "superficielle, insuffisante, totalement creuse et de pure forme", la seule conséquence qui pourrait en résulter tiendrait au fait que la caisse pourrait, de façon plus générale, ne pas alors établir la matérialité de l'accident. Or en l'espèce, la caisse établit la survenance du fait lésionnel daté et circonstancié au temps et lieu de travail, emportant alors par elle-même présomption d'imputabilité du fait lésionnel au travail au bénéfice de la caisse, laquelle n'avait dès lors pas à établir plus d'éléments, ni à recueillir l'avis du médecin conseil, peu important sur ce dernier point que la charte des AT/MP puisse préconiser en cas de malaise "complexe" le recueil de l'avis du service médical, dès lors que ce document d'ordre pratique, émanant simplement de la CNAM et destine seulement a l'ensemble des gestionnaires des caisses, prévoit d'une part uniquement des recommandations, d'autre part ne créer aucun droit opposable au bénéfice des employeurs.

La présomption d'imputabilité du fait lésionnel au travail trouvant à s'appliquer n'est pas en l'espèce renversée par l'employeur qui n'établit nullement par ses productions (et notamment par sa pièce n°8) que l'accident est totalement étranger au travail. De la même manière, cette présomption qui s'applique également aux lésions apparues à la suite d'un accident du travail, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d'accident du travail est assorti d'un arrêt de travail comme en l'espèce, s'étend pendant toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime, et il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir celle que les soins et arrêts de travail sont totalement étrangers au travail. Là encore, l'employeur n'établit pas par ses productions que tout ou partie des soins et arrêts prescrits au titre de l'accident du travail est totalement étrangère au travail.

De plus, il n'apporte au soutien de sa demande d'expertise aucun élément de nature à accréditer l'existence d'une cause propre à renverser la présomption d'imputabilité au travail du fait lésionnel, de la lésion initiale, de ses suites et de ses éventuelles complications ultérieures.

Il convient en conséquence de débouter l'employeur de sa demande subsidiaire d'expertise médicale et de lui déclarer, par voie de confirmation du jugement déféré, opposables la prise en charge de l'accident du travail et des prestations qui y sont relatives.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

DECLARE l'appel recevable.

CONFIRME le jugement déféré.

JUGE opposables à l'égard de la société [4] la prise en charge au titre de la législation professionnelle de l'accident du travail dont M. [P] a été victime le 19 décembre 2017 ainsi que celle des prestations qui y sont relatives.

DEBOUTE la société [4] de ses demandes.

CONDAMNE la société [4] aux dépens d'appel.

La greffière Pour le président empêché


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 12
Numéro d'arrêt : 19/07121
Date de la décision : 10/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-10;19.07121 ?
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