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08/02/2023 | FRANCE | N°19/05244

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 08 février 2023, 19/05244


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 08 FEVRIER 2023



(n° 2023/57 , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05244 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B72X5



Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Mars 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 17/00195



APPELANTE



SAS LA SOCIÉTÉ COLIS PRIVE SAS, Représentée par ses représen

tants légaux domiciliés ès-qualités audit siège

Ayant siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 08 FEVRIER 2023

(n° 2023/57 , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/05244 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B72X5

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Mars 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX - RG n° 17/00195

APPELANTE

SAS LA SOCIÉTÉ COLIS PRIVE SAS, Représentée par ses représentants légaux domiciliés ès-qualités audit siège

Ayant siège social [Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jérôme WATRELOT, avocat au barreau de PARIS, toque : K0100

INTIME

Monsieur [S] [W]

[Adresse 4] chez Mme [V] [T]

[Localité 3]

Représenté par Me Anne LEVEILLARD, avocat au barreau de MEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 05 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Monsieur Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre

Madame Anne-Ga'l BLANC, conseillère

Madame Florence MARQUES, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, président de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

M. [S] [W] a été engagé à compter du 8 septembre 2014 par contrat à durée indéterminée, par la SAS la société Colis privé, en qualité de responsable de développement réseau, statut cadre.

La société a pour activité la livraison de petits colis à domicile auprès des particuliers.

Elle emploie environ 400 salariés.

Il a été élu délégué du personnel le 24 novembre 2015 pour 4 ans.

Il était affecté à l'agence de [Localité 5] Est.

Les relations de travail étaient régies par la convention collective nationale du transport routier de marchandises.

Le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Meaux le 13 mars 2017 en résiliation du contrat de travail.

Il a été placé en arrêt maladie le 7 juillet 2017. Celui-ci a été prolongé jusqu'au 28 juillet suivant.

Le 28 juillet 2017 il a pris acte de la rupture.

Dans le dernier état de ses demandes de première instance, il sollicitait du conseil qu'il dise que la prise d'acte produise les effets d'un licenciement nul et condamne la société à lui verser les sommes suivantes :

- 11 972 euros de rappel de salaire variable et 1 197,20 euros d'indemnité de congés payés afférents ;

- 8 000 euros d'indemnité pour violation du principe "à travail égal, salaire égal", discrimination et préjudice de carrière ;

- 20 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

- 9 514,83 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 915,48 euros d'indemnité de congés payés afférents ;

- 1 902,96 euros d'indemnité de licenciement ;

- 50 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

- 95 148,30 euros d'indemnité pour violation du statut protecteur ;

- 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- avec mise des dépens à la charge de la défenderesse et remise des documents de fin de contrat conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 20 euros par jour de retard et par document.

La SAS La Société colis privé s'est opposée à ces prétentions et a sollicité la condamnation de la demanderesse à lui verser les sommes suivantes :

- 9 514,83 euros de dommages et intérêts pour défaut fautif d'exécution du préavis ;

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 21 mars 2019, le conseil de prud'hommes de Meaux a dit que la demande de prise d'acte de rupture produirait les effets d'un licenciement nul et a condamné l'employeur à payer à M. [S] [W] les sommes suivantes avec intérêts au taux légal :

*11 972 euros de rappel de salaire variable et 1.197,20 euros d'indemnité de congés payés afférents ;

* 9 514,83 euros d'indemnité compensatrice de préavis et 915,48 euros au titre des congés payés afférents ;

*1 902,96 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

*18 969,66 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

*95 148,30 euros d'indemnité pour violation du statut protecteur soit 30 mois de salaire ;

*1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La décision ordonnait la remise par la société des documents de fin de contrat conformes sous astreinte de 20 euros par jours de retard et par document et la condamnait aux dépens y compris les éventuels frais d'exécution du jugement par voie d'huissier de justice.

Le demandeur était débouté du surplus de ses demandes et la SAS La société colis privé des siennes.

Appel a été interjeté par celle-ci le 16 avril 2019.

Par conclusions déposées par réseau privé virtuel des avocats, le 23 septembre 2021, M. [S] [W] sollicite de la cour la confirmation du jugement sauf en ce qu'il l'a débouté et limité les indemnités attribuées, et reformule ses demandes de première instance.

Par conclusions déposées par réseau privé virtuel des avocats, le 4 octobre 2021, la SAS Colis privé sollicite de la cour l'infirmation du jugement, sauf en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes et reprend ses demandes de première instance.

MOTIFS

1- Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L1152-1 du Code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il convient donc d'examiner la matérialité des faits invoqués, de déterminer si pris isolément ou dans leur ensemble ils font présumer un harcèlement moral et si l'employeur justifie les agissements invoqués par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

L'absence d'invocation du harcèlement moral lors de la saisine du conseil des prud'hommes et l'apparition de cette notion dans le cadre de la prise d'acte postérieure ne saurait s'analyser, ainsi que le laisse entendre la société Colis privé, comme la reconnaissance de l'absence de faits contribuant au harcèlement moral antérieurement, voire de l'absence de harcèlement moral antérieurement à la requête déposée au greffe de la juridiction.

1.1 : Sur la matérialité des faits

1.1.1 : Sur les attributions

M. [S] [W] soutient que l'employeur a procédé à une modification de son contrat de travail ou à tout le moins un changement de ses conditions de travail malgré son statut de salarié protégé en lui imposant un travail d'agent de maîtrise, à savoir la formation des conducteurs aux outils et processus de livraison de la société.

La société Colis privé répond que la mission en cause est celle d'audit conducteurs qu'il a occupée à compter de février 2017 et qui entrait dans ses fonctions.

Une modification du contrat de travail consiste à attribuer au salarié une tâche qui ne correspond pas à sa qualification ou qui diminue ses responsabilités ou s'analyse en un déclassement.

La qualification à prendre en considération n'est pas celle correspondant aux diplômes ou titres effectivement détenus par le salarié mais celle correspondant à l'emploi précédemment occupé, à la qualification prévue par la convention collective ou contractuellement convenue. Elle doit par ailleurs s'apprécier au regard des fonctions réellement exercées par le salarié et non à partir des seules mentions du contrat de travail.

L'employeur peut en principe imposer au salarié une évolution de ses attributions sur un élément non essentiel de son contrat de travail dans l'exercice de son pouvoir de direction. Il s'agit d'un simple changement de ses conditions de travail.

Aucune modification du contrat de travail, aucun changement des conditions de travail ne peuvent être imposés à un salarié protégé.

En l'espèce, les courriels et imprimés versés aux débats établissent que la formation théorique de chauffeurs qui ne sont au demeurant pas salariés de l'entreprise, a été imposée à tous les responsables développement réseau à partir de la fin de l'année 2016.

Le responsable développement réseau a pour mission selon la liste non exhaustive de ses tâches stipulée au contrat de travail l'atteinte du taux de distribution cible des agences de son périmètre, le maintien de la qualité de la distribution, le travail avec les responsables suivi réseau pour optimiser la gestion des flux, le rôle d'interface auprès des directeurs d'agence sous l'autorité et les responsabilités desquels il se trouve.

La formation des chauffeurs concourait aux objectifs qui leur étaient fixés. Elle n'avait pas pour effet, nonobstant le niveau d'agent de maîtrise et non de cadre qu'elle requérait selon l'offre d'emploi d'un auditeur national versé aux débats, un déclassement eu égard à son caractère accessoire.

Il ne s'agissait donc pas d'un changement du contrat de travail, mais d'une modification accessoire des conditions de travail, qui ne pouvait pas pour autant être imposée au salarié.

1.1.2 : Sur la périodicité du règlement de ses salaires

Le salarié se plaint du retard mis par l'employeur pour verser son salaire, ce qui aurait perturbé sa gestion financière et lui aurait occasionné des frais bancaires.

La société Colis privé objecte que le décalage dans le paiement n'était que d'un ou deux jours et qu'il n'en est pas résulté de préjudice. Elle souligne que les retards en cause sont anciens comme remontant à 2015 et 2016 pour l'essentiel.

Sur ce

Il ressort des documents bancaires de M. [S] [W], d'échanges de courriels et de réunions de délégués du personnel depuis le 1er janvier 2014 : que les salaires normalement versés selon les bulletins de paie le dernier jour du mois l'ont été par douze fois avec un ou deux jours de retard dans la quasi-intégralité des cas concernés ; que le retard ne s'est produit qu'une fois la dernière année en 2017 ; que ce dysfonctionnement était imputable à des problèmes de trésorerie qui devaient être résolus par l'achat par Amazon de la société Colis privé ; et que l'intéressé a versé à sa banque pour 82,15 euros d'agios en 2015 et 97,23 euros en 2016, sans que cela ne soit nécessairement imputable aux retards litigieux.

1.1.3: La gestion des congés payés et la récupération

Le salarié soutient que l'employeur a commis une faute en manipulant les comptes de congés payés pour qu'il récupère trois jours qui lui avaient été décomptés à tort.

La société répond qu'il s'agit d'une simple erreur remontant à janvier 2016 expliquée en son temps aux différents salariés qui en avaient été victime.

Des échanges de courriels établissent en effet, une erreur de trois jours de congés décomptés en trop qui a été réparée par l'attribution de jours de récupération. Le salarié n'a subi aucun préjudice.

1.1.4 : Le calcul de la rémunération variable

M. [S] [W] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser la somme de 11 972,20 euros correspondant au salaire variable qu'il estime lui être dû intégralement dans la mesure où l'employeur n'a pas respecté la garantie de paiement de la totalité de la prime les trois premiers mois, quelle que soient l'atteinte des objectifs, que par la suite les objectifs ne lui étaient pas communiqués en début de période, qu'ils n'étaient pas fixés d'un commun accord et qu'ils étaient de surcroît modifiés en cours de période.

La société Colis privé soulève la prescription triennale et souligne que les modifications des objectifs intervenus en cours de période l'étaient dans un sens favorable au salarié, que seule la période écoulée de mai à décembre 2016 n'a pas été acceptée par l'intéressée alors qu'il a néanmoins perçu la somme de 3 519 euros pour un montant dû à objectif atteint de 10 200 euros.

Sur ce

Aux termes de l'art L 3245-1 du Code du travail l'action en paiement ou en répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.

Dès lors que les demandes de rappel de salaire variable portent sur des salaires échus à compter du 30 septembre 2014, qu'elles ont été formées dés la saisine du conseil des prud'hommes le 8 mars 2017 et qu'en outre elles concernent des salaires échus au cours de trois années précédant la prise d'acte du 28 août 2017, aucune prescription n'est encourue.

Aux termes du contrat de travail liant les parties, M. [S] [W] devait percevoir une rémunération composée d'un fixe mensuel de 2 450 euros par mois, auquel s'ajoutait une part variable constituée d'une prime sur réalisation d'objectifs pouvant représenter un montant annuel de 10 200 euros à 100 % d'atteinte des objectifs, la base et les modalités de calcul et montant de ces primes étant définies en annexe.

Ainsi les objectifs devaient être définis par l'employeur, et leur communication au salarié au-delà de la formule stéréotypée figurant au-dessus de sa signature ne valant qu'accusé de réception.

Ainsi point n'était besoin que l'intéressé signât la fiche d'objectifs de mai 2016, dès lors qu'il est constant qu'il les a reçus et en a pris connaissance.

Au-delà des adaptations fréquentes des objectifs et de l'irrégularité des durées pour lesquels ils étaient fixés, le salarié n'a de raison de s'en plaindre au vu de ses écritures que dans la mesure où cela lui a fait perdre une part de son salaire variable. Il convient donc d'examiner ses demandes de rappel de salaire sur ces points.

Dès lors que la rémunération variable était garantie sur les trois premiers mois, comme l'indique le salarié sans être contredit il peut prétendre à un manque à gagner de 1 285 euros.

Les objectifs de janvier et février 2016 n'ont été porté à sa connaissance que le 17 février, ce qui est trop tard et ouvre droit pour M. [S] [W] au salaire à objectifs atteints, et à un manque à gagner de 1 363 euros.

S'agissant des objectifs de mai à décembre 2016, les objectifs communiquées en tout début de période le 2 mai ont subi une modification accessoire le 30 mai en raison d'informations dont ne disposaient pas la société en début de période et dont le salarié n'avance pas que cela ait modifié sa manière de travailler pour atteindre une rémunération variable maximale.

M. [S] [W] n'explique pas que ces objectifs n'étaient pas atteignables.

Dés lors, il ne peut prétendre utilement à un complément de rémunération variable au titre de cette période.

Ainsi il sera accordé un rappel de rémunération variable de 2 812 euros pour toute la période d'exécution du contrat outre 281,20 euros d'indemnité de congés payés y afférents.

1.1.5 : Sur la discrimination et la violation du principe "A travail égal, salaire égal"

M. [S] [W] soutient qu'il fait l'objet d'une discrimination à raison de son statut d'élu, en ce qu'il est moins bien payé que d'autres salariés à hauteur de 37,50 euros ou 277,50 euros par mois et que ses objectifs ont été fixés sans tenir compte de ses heures de délégation. A tout le moins, il estime que c'est une violation du principe "A travail égal, salaire égal". L'intéressé demande l'allocation de la somme de 8 000 euros en réparation.

La société Colis Privé répond que la différence s'explique sur le salaire de base par l'ancienneté à hauteur de 37,50 euros. Quant aux heures de délégation, elles correspondraient à 9,8 % du total de ses heures de travail et la réduction des objectifs du salarié à due proportion n'aurait pas eu d'effet sur la rémunération de l'intéressé.

Sur ce

Aux termes de l'article L 1132-1 du Code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucune salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualiste, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

L'article L.2141-5 du code du travail interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.

Selon l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, au vu desquels, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

La différence de salaire entre l'intéressé et les collègues auxquels il se compare a trait pour l'un l'un d'entre eux qui a obtenu un salaire supérieur au sien de 37,50 euros par mois à ancienneté égale, ce qui n'est pas significatif, dans la mesure où cela n'a duré que quatre mois, c'est-à-dire jusqu'à la prise d'acte de rupture de M. [S] [W]. Les autres différences de salaire invoquées s'expliquent par la différence d'ancienneté.

Il est cependant vrai qu'en ne tenant pas compte des heures de délégations dans la fixation des objectifs des salariés, l'employeur handicape le délégué du personnel. Toutefois, il n'est pas justifié en l'espèce que cela a eu un effet sur la rémunération de M. [S] [W].

Cette perte de chance de gain qui s'évalue à l'aune du temps de travail que représente ces heures, doit 9,8% du temps de travail, justifie l'allocation en réparation de la somme de 500 euros.

S'agissant du principe "A travail égal, salaire égal", Il résulte du principe "à travail égal, salaire égal", dont s'inspirent les articles'L.1242-14, L.1242-15, L.2261-22.9 , L.2271-1.8° et L.3221-2 du code du travail, que tout employeur est tenu d'assurer, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre tous ses salariés placés dans une situation identique et effectuant un même travail ou un travail de valeur égale.

Sont considérés comme ayant une valeur égale par l'article L.3221-4 du code du travail les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse.

En application de l'article'1315 du code civil, s'il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

Il a été relevé que le salarié ne fournit pas d'élément susceptible de caractériser une inégalité de traitement

1.1.6 : Sur la signature de contrat prétendument irrégulier

M. [S] [W] soutient que l'employeur lui imposait de signer avec les fournisseurs des contrats fixant des délais de paiement par la société Colis privé trop court et impossibles à tenir, ce qui le plaçait dans une situation de grave tension.

La société conteste avoir demandé à stipuler des délais trop courts et ajoute que le salarié n'avait pas de rôle de négociation sur ce point et n'avait même pas obligation de signer de tels contrats.

Sur ce

Il ressort des nombreux échanges de courriels, en dehors de la sanction administrative subie par société Colis privé en 2016 dont on ne connaît pas la portée, que l'employeur avait des difficultés avec ses sous-traitants qu'il payait avec grand retard. Il apparaît aussi que ces contrats faisaient renoncer leurs cocontractants à leur droit de rétention.

Toutefois, ces messages ne font que peu apparaître le salarié et quand tel est le cas, c'est souvent par l'intermédiaire de son service et non en son nom. Il n'est pas établi qu'il a joué un rôle tel qu'il ait été soumis à des pressions qui étaient de nature à lui nuire notamment à travers son travail et sa santé.

1.1.7 : Sur la mise à l'écart

Il est établi par un courriel et non contesté que le bureau du salarié a été déplacé pendant ses congés. Il n'apparaît cependant pas que ce fût pour être moins bien placé dans les locaux de l'entreprise, la société rappelant qu'il se trouvait ainsi à proximité du dirigeant, peu important qu'il fût proche des toilettes, comme le souligne le salarié.

Une attestation démontre que lors de sa venue, le directeur général de la société Colis Privé à reçu tous les cadres et agents de maîtrise, mais rien ne permet de retenir que ce fût une situation délibérément organisée par la direction.

Alors que M. [S] [W], en sa qualité de délégué du personnel, s'étonnait de la présence d'une arme défensive dans les locaux de l'entreprise, la direction a répondu par courriel du 24 avril 2017 renvoyant l'évocation de la question à une prochaine réunion dans la semaine.

Les éléments ainsi analysés ne permettent pas de caractériser une mise à l'écart.

1.1.8 : Sur l'état de santé de M. [S] [W]

La prolongation de l'arrêt de M. [S] [W] du 18 juillet 2017 fait certes état de "stress ++", mais ne justifie pas à travers cette formule vague d'un lien entre une alerte de santé qui serait grave et découlant du prétendu harcèlement moral.

1.2 : Sur la prétendue présomption de harcèlement moral

Ainsi, les seuls éléments notables ayant quelque conséquence retenus ci-dessus, sont le non-paiement complet des primes dues et la méconnaissance de l'obligation de recueillir l'accord de M. [S] [W] en sa qualité de représentant du personnel pour modifier ses conditions de travail en lui affectant une tâche supplémentaire, même s'il n'apparaît pas que cela ait eu de grandes conséquences sur la nature et l'ampleur du travail de l'intéressé.

Il s'ensuit que les faits tels qu'admis par la cour dans leur ensemble comme séparément ne sont pas de nature à faire présumer le harcèlement moral et que M. [S] [W] sera débouté de sa demande de dommages-intérêts ce chef.

2 - Sur la prise d'acte

2.1 - Sur la qualification de la prise d'acte

Le salarié fonde sa demande de prise d'acte que les griefs qu'il invoque par ailleurs au titre du harcèlement moral.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou nul si les faits invoqués la justifient, soit dans le cas contraire d'une démission. Il incombe au salarié, qui les invoque, de caractériser des manquements suffisamment graves de l'employeur pour empêcher la poursuite du contrat de travail et donc pour justifier la rupture du contrat de travail. Le juge n'est pas tenu par les motifs invoqués dans le courrier valant prise d'acte mais doit apprécier l'intégralité des manquements invoqués par le salarié.

Dés lors que la société ne respectait pas ses obligations s'agissant du paiement des primes et méconnaissait le statut de salarié protégé, il commettait des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Parmi les faits retenus ayant concouru à la prise d'acte figure la discrimination.

De plus, la prise d'acte est intervenue, alors que l'intéressé était salarié protégé, ce qui requérait pour son licenciement une autorisation de l'inspection du travail.

Par suite, la prise d'acte produira les effets d'un licenciement nul.

2.2 - Sur les conséquences financières de la prise d'acte

2.2.1 - Sur les dommages-intérêts pour licenciement nul

Les dommages-intérêts pour licenciement nul sont équivalents à 6 mois de salaire au minimum.

M. [S] [W] sollicite l'allocation de la somme de 50 000 euros de dommages-intérêts en soulignant qu'il a été demandeur d'emploi jusqu'en 2018, qu'il a créé une micro entreprise pour être mandataire indépendant qui ne lui a procuré qu'un revenu annuel de 13 959 euros en 2019 et 19 479 euros en 2020.

La société Colis Privé oppose qu'il a une entreprise de vente immobilière haut de gamme et qu'il ne justifie d'aucune démarche de recherche d'emploi.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. [S] [W], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il ya lieu de lui allouer, en application de l'article L 1235-3 du Code du travail une somme de 20 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul.

Aux termes de l'article L1124-5 du code du travail, le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail.

Cette autorisation est également requise durant les six premiers mois suivant l'expiration du mandat de délégué du personnel ou de la disparition de l'institution.

Le délégué du personnel dont la prise d'acte produit les effets d'un licenciement nul lorsque les faits invoqués la justifiaient, a droit à une indemnité pour violation du statut protecteur égale à la rémunération qu'il aurait perçue depuis son éviction jusqu'à l'expiration de la période de protection, dans la limite de deux ans, durée minimale légale de son mandat, augmentée de six mois, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Dés lors que la prise d'acte est intervenue le 28 juillet 2017, avant l'expiration du mandat soit avant le 24 novembre 2017, il est lui est dû une indemnité forfaitaire égale 3 mois et 24 jours, soit 12 475 euros [3 171,61 x (28/30 + 3)].

2.2.2 - Sur l'indemnité de préavis et l'indemnité de licenciement

Reprenant les calculs précis et non critiqués du salarié, la cour fera droit aux demandes d'indemnité de licenciement, de préavis et d'indemnité de congés payés y afférents formées par M. [S] [W].

En revanche, la société Colis privé sera déboutée de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour inexécution du préavis, puisque la prise d'acte n'est pas requalifiée en démission.

2.2.3 - Sur la délivrance des documents de fin de contrat

Au vu des motifs qui précèdent, il sera ordonné la délivrance des documents de fin de contrat sollicités dans les conditions prévues au dispositif, sans qu'il soit nécessaire de fixer une astreinte.

3 - Sur les intérêts, l'application de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

S'agissant des sommes perçues en trop par le salarié, le présent arrêt vaut titre exécutoire permettant à la société Colis privé d'en poursuivre le remboursement.

Les sommes allouées de nature contractuelle, porteront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de jugement du conseil des prud'hommes, soit du 15 novembre 2017. Les autres sommes de nature indemnitaire porteront intérêts à compter de la décision qui les a prononcées. Il sera ordonné la capitalisation des intérêts courus pour une année entière ainsi qu'il l'est demandé, dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Il est équitable au regard de l'article 700 du Code de procédure civile de condamner l'employeur qui succombe à verser à M. [S] [W] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et le même montant au titre des frais irrépétibles d'appel.

Pour le même motif, la société Colis privé sera déboutée de ses prétentions de ces chefs et condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS,

Statuant contradictoirement, par mise à disposition au greffe et en dernier ressort ;

Infirme le jugement sauf sur les demandes en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, d'une indemnité de préavis, de l'indemnité de congés payés y afférents et de l'indemnité de licenciement ;

Statuant à nouveau ;

Condamne la société Colis privé à verser à M. [S] [W] les sommes suivantes:

- 2 812 euros de rappel de salaire variable ;

- 281,20 euros d'indemnité de congés payés y afférents ;

- avec intérêts au taux légal à compter du 15 novembre 2017 ;

Et

- 500 euros de dommages-intérêts pour discrimination ;

- 20 000 euros de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- 12 475 euros d'indemnité pour violation du statut protecteur ;

- 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que les intérêts produiront eux-mêmes intérêts lorsqu'ils auront couru pour une année entière en application de l'article 1343-2 du Code civil ;

Y ajoutant ;

Condamne la société Colis privé à verser à M. [S] [W] la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Rejette la demande de la société Colis privé au titre des frais irrépétibles d'appel ;

Constate que le présent arrêt infirmatif vaut titre exécutoire pour le remboursement des sommes perçues en trop par le salarié.

Condamne la société Colis privé aux dépens d'appel ;

La greffière Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 19/05244
Date de la décision : 08/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-08;19.05244 ?
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