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02/02/2023 | FRANCE | N°20/08232

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 02 février 2023, 20/08232


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 02 FEVRIER 2023



(n° 2023/ , 12 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08232 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYJS



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 20/00088





APPELANTE



Madame [M] [F]

[Adresse 2]
>[Localité 3]



Assistée de Me Sara CLAVIER, avocat au barreau de MELUN



INTIMEE



S.A.R.L. TENDANCES EDITIONS

[Adresse 4]

[Localité 1]



Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat a...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 02 FEVRIER 2023

(n° 2023/ , 12 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08232 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCYJS

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MELUN - RG n° 20/00088

APPELANTE

Madame [M] [F]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Assistée de Me Sara CLAVIER, avocat au barreau de MELUN

INTIMEE

S.A.R.L. TENDANCES EDITIONS

[Adresse 4]

[Localité 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Catherine BRUNET, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée en date du 18 mars 2013, la société Tendances Editions (ci-après la société) a embauché Mme [M] [F] en qualité d'attachée commerciale, niveau IV, échelon I, moyennant une rémunération brute mensuelle fixe de 1 400 euros pour 151,67 heures de travail effectif, outre une rémunération variable de 7% sur l'ensemble des ventes carteries hors taxes, nettes d'avoirs, facturées et menées à bon encaissement, un commissionnement de 4% pour les magasins en centralisation et une prime semestrielle selon objectifs à des conditions précisées au contrat.

Mme [F] s'est, par ailleurs, engagée à réaliser un chiffre d'affaires minimum annuel au moins égal à 300 000 euros hors taxes.

Enfin, le contrat de travail stipulait que Mme [F] était affectée sur le secteur de [Localité 5] (départements 75, 77, 78, 91, 93, 94 et 95) et que ce secteur géographique pourrait être modifié, tout ou partie au début ou en cours de chaque année.

Par avenant au contrat en date des 29 janvier et 13 février 2014, les parties ont prévu un nouveau mode de rémunération à compter du 1er avril 2014 : une rémunération fixe mensuelle de 1 650 euros, une rémunération variable selon le barème prévu et une prime trimestrielle qualitative d'un montant maximal de 750 euros aux conditions stipulées. Mme [F] s'est engagée à réaliser désormais un chiffre d'affaires minimum annuel au moins égal à 350 000 euros.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale du commerce de gros et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de la relation de travail.

Mme [F] a présenté un arrêt de travail du 15 octobre 2019 au 19 janvier 2020.

Par lettre recommandée datée du 27 novembre 2019, Mme [F] a mis en demeure la société de lui régler un rappel de commissions.

Par lettre recommandée datée du 10 décembre 2019, Mme [F] a pris acte de la rupture de son contrat de travail et a saisi le conseil de prud'hommes de Melun le 6 février 2020.

Par jugement du 26 octobre 2020 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Melun a :

- requalifié la prise d'acte de Mme [F] en une démission ;

- condamné la société au paiement des sommes suivantes :

* 14 786,43 euros à titre de rappel de rémunération variable, calculé par l'expert-comptable de Mme [F] ;

* 1 478,64 euros au titre des congés payés afférents ;

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonné à la société la remise sans astreinte à Mme [F] de la fiche de paie récapitulative et de l'attestation Pôle emploi conformes au présent jugement ;

- débouté Mme [F] du surplus de ses demandes ;

- condamné Mme [F] au paiement des sommes suivantes :

* 4 178,21 euros au titre du préavis non réalisé,

* 12 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 1 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en dehors de celle qui est de droit en application de l'article R. 1454-28 du code du travail ;

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Par déclaration du 5 décembre 2020, Mme [F] a interjeté appel du jugement qui lui avait été notifié le 19 novembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 20 mai 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [F] demande à la cour de :

- infirmer le jugement ;

- condamner la société au paiement des sommes suivantes :

* 18 590,83 euros à titre de rappel de rémunération variable entre janvier 2017 et décembre 2019,

* 1 859,01 euros au titre des congés payés afférents,

* 13 532,06 euros au titre des heures supplémentaires réalisées en 2017, 2018 et 2019,

* 1 353,21 euros au titre des congés payés afférents,

* 7 500 euros au titre des primes trimestrielles contractuelles de 2017 à 2019,

- dire que sa prise d'acte de la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en conséquence, condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 8 356,42 au titre de l'indemnité compensatrice de préavis de deux mois,

* 835,64 euros au titre des congés payés afférents,

* 7 224,46 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

* 29 247,47 euros à titre de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 440 euros au titre du remboursement des frais de comptable,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à la société la remise sous astreinte de 50 euros par jour et par document du certificat de travail et de l'attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir, à compter de la notification de la décision à intervenir et ce jusqu'à parfaite délivrance.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 juillet 2022 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

confirmer le jugement en ce qu'il a :

- requalifié la prise d'acte de Mme [F] en une démission ;

- débouté Mme [F] du surplus de ses demandes ;

- condamné Mme [F] au paiement des sommes suivantes :

* 4 178,21 euros au titre du préavis non réalisé,

* 12 000 euros à titre de dommages et intérêts,

* 1 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire en dehors de celle qui est de droit en application de l'article R. 1454-28 du code du travail ;

infirmer le jugement en ce qu'il a :

- condamné la société au paiement des sommes suivantes :

* 14 786,43 euros à titre de rappel de rémunération variable, calculé par l'expert-comptable de Mme [F],

* 1 478,64 euros au titre des congés payés afférents,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société la remise sous astreinte à Mme [F] de la fiche de paie récapitulative et de l'attestation Pôle emploi conformes au présent jugement ;

statuant de nouveau :

- déclarer recevables ses prétentions ;

- déclarer Mme [F] irrecevable dans ses demandes ;

- la débouter de toutes ses demandes ;

en tout état de cause :

- requalifier la rupture du contrat de travail de prise d'acte de Mme [F] en démission, et ainsi lui en attribuer les conséquences ;

- condamner Mme [F] à lui verser les sommes suivantes :

* 15 000 euros au titre de l'exécution imparfaite de son obligation contractuelle,

* 4 873,47 euros au titre du préavis de démission,

* 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2022.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur le rappel de rémunération variable

Mme [F] soutient qu'elle n'a pas perçu l'intégralité de la rémunération variable qui lui était contractuellement due et dénonce les anomalies suivantes dans le calcul de cette rémunération :

- la base de calcul du chiffre d'affaires mensuel est erronée ;

- des décotes non prévues contractuellement ont été appliquées ;

- des décotes concédées par l'employeur ont été imputées sur son chiffre d'affaires.

Sur la première anomalie, Mme [F] fait valoir que la société n'a pas réintégré le chiffre d'affaires des produits saisonniers vendus (« voeux ou printemps ») à son chiffre d'affaires mensuel global, ce qui a eu une incidence sur le taux de commission appliqué.

Elle fait valoir que l'employeur a appliqué un barème de rémunération spécifique et moins avantageux sans son accord et contrairement aux stipulations contractuelles ; qu'elle n'a donc été rémunérée que sur la base du chiffre d'affaires réalisé sur les produits permanents.

Elle fait encore valoir que le commissionnement de 4% pour les magasins Cultura n'a jamais été réglé et que le mode de calcul des commissions sur produits saisonniers n'étaient jamais identiques.

Sur la deuxième anomalie, Mme [F] fait valoir qu'en juin et juillet 2019, la société a imposé unilatéralement des objectifs complémentaires et appliqué une décote non prévue contractuellement en cas de non-réalisation de ces objectifs. C'est donc à tort, selon elle, que l'employeur a déduit les sommes de 144,21 euros et 146,74 euros respectivement sur ses salaires de juin et juillet 2019.

Sur la troisième anomalie, Mme [F] fait valoir que son contrat de travail ne prévoyait des décotes sur le taux des commissions que pour les remises concédées par la salariée à l'exclusion de celles accordées par l'employeur lui-même à des centrales ; que, pourtant, l'employeur a imputé des décotes sur son chiffre d'affaires à raison de remises accordées par lui. Mme [F] en veut pour preuve ses bulletins de salaire de mai 2017, mai 2018 et juin 2019 faisant respectivement mention de la retenue de 221,17 euros, 237,75 euros et 226,48 euros correspondant à des décotes à RFA Centrakor.

Mme [F] explique que c'est dans ce contexte qu'elle a fait appel à un expert-comptable en novembre 2019 pour recalculer ses salaires sur les trois dernières années au regard de son contrat de travail, de l'avenant, de ses bulletins de salaire et des fiches de calcul établies par l'employeur. Elle explique encore qu'elle s'appuie sur ce rapport pour solliciter la somme de 18 590,83 euros, outre les congés payés afférents.

Ce à quoi la société réplique que le mode de calcul des commissions sur les produits saisonniers (notamment les cartes de v'ux) est particulier et établi depuis plusieurs années en raison de l'obligation de reprise des invendus et invoque un usage de l'entreprise accepté par l'équipe de commerciaux. La société souligne que Mme [F] avait toujours accepté ce mode de rémunération, sans jamais le remettre en cause. La société explique que tout autre mode de calcul conduit à rémunérer doublement les commerciaux pour une même vente.

L'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable avant le 1er octobre 2016, eu égard à la date du contrat de travail, dispose :

Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.

Elles doivent être exécutées de bonne foi.

Suivant l'article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.

La société reconnaît appliquer un mode de rémunération pour les produits saisonniers qui n'était pas prévu dans le contrat de travail et l'avenant.

Or, l'employeur ne peut pas modifier unilatéralement la rémunération du salarié sans l'accord de celui-ci.

Les calculs de l'expert-comptable mandaté par Mme [F] apparaissent fondés, eu égard aux stipulations contractuelles, aux bulletins de salaire et aux fiches de calcul. Au surplus, la société ne formule aucune critique à l'encontre de ces calculs.

La société sera donc condamnée à payer à Mme [F] la somme de 18 590,83 euros à titre de rappel de rémunération variable et la somme de 1 859 euros au titre des congés payés afférents. La décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur le rappel de primes trimestrielles contractuelles

Mme [F] soutient qu'elle a été privée de la prime trimestrielle de 750 euros brut sur les trois dernières années alors que les conditions prévues contractuellement étaient réunies. Ainsi fait-elle valoir qu'elle a transmis de manière hebdomadaire des rapports d'activité et de prospection et rempli les objectifs en matière d'ouverture de nouveaux comptes clients et d'installation de présentoirs.

Ce à quoi la société réplique que Mme [F] ne réalisait pas à 100% ses objectifs et ne rendait pas régulièrement ses rapports d'activité et de prospection dans les conditions fixées par l'employeur de sorte qu'elle n'était pas éligible au paiement de cette prime trimestrielle.

L'avenant au contrat de travail stipule au titre de la « prime trimestrielle qualitative » :

« Une prime trimestrielle sera allouée par la direction, suite à un entretien, pour un montant maximum de 750 euros brut si les conditions suivantes sont respectées :

Rapport d'activité hebdomadaire dûment renseigné et envoyé dans les délais,

Rapport de prospection respectant les conditions de forme,

Implantation de 50 présentoirs minimum au trimestre,

Développement de clients nouveaux satisfaisant et conforme aux objectifs. 

Rapport d'activité-prospection :

Il est convenu que le salarié s'engage à remplir et envoyer par fax ou par mail le rapport de prospection hebdomadaire chaque fin de semaine. Tout manquement à cette obligation entraînera une décote de 20% de la prime.

(')

Les objectifs seront fixés trimestriellement par un avenant signé par les deux parties. »

Quatre conditions cumulatives sont stipulées dans l'avenant.

La société soutient que, pour 2017, il manque les rapports de vingt-quatre semaines; que, pour 2018, il manque huit semaines et qu'en 2019, il manque dix semaines. A chaque fois, elle précise le numéro de la semaine manquante.

Or, Mme [F] qui produit des courriels de 2017, 2018 et 2019 et des rapports ne rapporte pas la preuve de l'envoi à son employeur de ces rapports ' la mention d'une pièce jointe avec un numéro de semaine n'étant pas suffisant pour établir qu'elle avait rempli son obligation hebdomadaire dans le délai prescrit par l'avenant.

La cour observe que Mme [F], à qui incombe la charge de prouver qu'elle avait rempli les conditions stipulées dans l'avenant, verse pêle-mêle des courriels sans répertorier méthodiquement et par trimestre les pièces censées démontrées qu'elle avait effectivement communiqué à son employeur les rapports d'activité pour les semaines où l'employeur estime, lui, ne pas avoir été destinataire d'un rapport à la fin de la semaine considérée.

La cour observe néanmoins qu'aux termes de l'avenant, le non-respect de cette condition n'est sanctionné que par une décote de 20% de la prime.

Ensuite, la société soutient que, pour 2017, il manque le rapport de prospection de la semaine 1 et que, pour 2018, il manque le rapport de prospection des semaines 30 et 35.

Sans préciser si elle parle des rapports d'activité ou des rapports de prospection, Mme [F] rétorque qu'en 2018, elle n'a pas envoyé de rapports pour les semaines 19 et 30 car elle était en congés et pour la semaine 34 car elle était en séminaire. Toutefois, hormis la semaine 30 pour le rapport de prospection, ces semaines-là de l'année 2018 ne font pas partie de la liste des semaines pour lesquelles l'employeur soutient ne pas avoir été destinataire de rapports. Mme [F] ne justifie pas qu'elle était en congés la semaine 30 en 2018.

Mme [F] rétorque également qu'en 2019, elle n'a pas envoyé de rapports pour la semaine 41 car il s'agissait de celle qui avait précédé son arrêt de travail. Toutefois, cette semaine-là ne figure pas dans la liste des semaines pour lesquelles l'employeur soutient ne pas avoir été destinataire de rapports.

La cour observe néanmoins, une nouvelle fois, qu'aux termes de l'avenant, le non-respect de la condition relative aux rapports de prospection n'est sanctionné que par une décote de 20% de la prime.

S'agissant des implantations de présentoirs, Mme [F] verse aux débats un tableau à en-tête de Tendance Editions dont il ressort qu'elle a fait installer 578 présentoirs sur l'année 2017. Toutefois, elle ne précise pas la répartition par trimestre de sorte que la cour n'est pas en mesure de vérifier que Mme [F] avait fait installer au moins 50 présentoirs au cours de chaque trimestre de l'année 2017.

Pour l'année 2018, le tableau produit par Mme [F] présente les implantations de présentoirs par région. Il en ressort qu'en région parisienne, il y a eu 397 installations sur l'année 2018. Quand bien même, l'ensemble de ces installations sont le résultat de l'activité de Mme [F], celle-ci ne justifie pas de la répartition de ces implantations par trimestre de sorte que la cour n'est pas en mesure de vérifier que la salariée a fait installer au moins 50 présentoirs au cours de chaque trimestre de l'année 2018.

Pour l'année 2019, Mme [F] verse aux débats un tableau à en-tête de Tendances Editions dont il ressort qu'elle a fait installer 269 présentoirs entre le 1er janvier et le 31 juillet 2019. Toutefois, ce tableau ne permet pas de connaître la répartition des nouveaux présentoirs par trimestre si bien que la cour n'est pas en mesure de vérifier que Mme [F] avait fait installer au moins 50 présentoirs au cours des deux premiers trimestres de l'année 2019.

Mme [F] échoue donc à démontrer que cette condition était réunie au terme de chaque trimestre des années 2017, 2018 et 2019. Partant, elle n'est pas fondée à réclamer le paiement des primes trimestrielles correspondantes. La décision des premiers juges sera confirmée à ce titre.

* sur le rappel d'heures supplémentaires

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail dans leur version applicable à l'espèce qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [F] soutient qu'elle a effectué des heures supplémentaires au-delà des 35 heures de travail par semaine au cours de la période allant de la semaine 49 en 2016 à la semaine 41 en 2019. Elle fait valoir qu'en raison de son obligation de rendre compte de manière hebdomadaire de son activité quotidienne, elle a reporté chaque jour son activité sur un répertoire lui permettant de reconstituer ses heures de travail.

La société réplique que la durée légale du travail fixée à 35 heures par semaine ne s'applique pas aux « VRP », agents et attachés commerciaux et que Mme [F] ne peut donc pas demander le règlement d'heures supplémentaires.

Ce à quoi Mme [F] rétorque que les textes relatifs à la durée du travail lui sont applicables, bien que « VRP », dès lors qu'elle était soumise à un horaire de travail déterminé.

La société réplique encore que Mme [F] ne fournit aucun relevé d'heures vérifiable par elle.

Or, en l'espèce, la cour relève que le contrat de travail et l'avenant rappellent que la rémunération fixe mensuelle de la salariée est fixée pour 151,67 heures de travail effectif ' ce qui ressort également de la lecture des bulletins de paie de Mme [F].

L'avenant stipule aussi que « il est expressément convenu que la répartition hebdomadaire ou quotidienne de la durée du travail du salarié pourra être modifiée en fonction des nécessités liées au bon fonctionnement de l'entreprise.

Le salarié s'engage à effectuer toutes les heures supplémentaires qui lui seraient demandées par sa Direction et ce, dans le respect des dispositions légales et conventionnelles en vigueur. »

Il ressort de ces stipulations que la société échoue à démontrer que Mme [F] n'était pas soumise à la durée légale du travail et au régime des heures supplémentaires.

A l'appui de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, Mme [F] verse aux débats un relevé de ses heures de travail de la semaine 49 de 2016 à la semaine 42 de 2019, qui se trouve dans les annexes du rapport établi par l'expert-comptable. Ce relevé, qui mentionne les dates correspondant au numéro de la semaine, fait apparaître dans une colonne le nombre d'heures effectuées au cours de chaque semaine et ressortir dans une autre colonne le nombre d'heures supplémentaires accomplies.

Ce relevé est suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Or, force est de constater que la société ne verse aux débats aucun élément sur le contrôle des heures de travail effectuées par Mme [F] au cours de la période considérée.

Partant, la cour retient l'existence d'heures supplémentaires, mais dans une proportion moindre que celle avancée par Mme [F], et fixe les créances salariales de Mme [F] aux sommes suivantes :

* 10 000 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires ;

* 1 000 euros au titre des congés payés afférents.

La décision des premiers juges sera donc infirmée.

Sur la rupture du contrat de travail

* sur la prise d'acte de rupture du contrat de travail

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite du contrat.

Sauf dans les cas où le régime probatoire est inversé à raison du manquement allégué, il appartient au salarié de rapporter la preuve du ou des manquement(s) suffisamment grave(s) allégué(s) empêchant la poursuite du contrat de travail.

A l'appui de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail, Mme [F] invoque :

- le non-paiement de l'intégralité de sa rémunération variable, de ses primes trimestrielles et des heures supplémentaires ;

- la modification unilatérale de son secteur géographique ayant pour incidence une diminution de sa rémunération.

La société réplique que Mme [F] ne lui a laissé que dix jours pour répondre aux griefs contenus dans la mise en demeure alors qu'il est admis qu'un délai d'au moins trente jours doit être laissé à l'employeur lorsqu'il n'y a pas eu de relance préalable. La société considère que, pour cette raison, la prise d'acte doit produire les effets d'une démission. Elle estime encore que des doutes subsistent sur le bien-fondé de la demande de Mme [F] et que ces doutes doivent lui profiter.

La cour a accueilli les demandes de Mme [F] au titre de la rémunération variable et des heures supplémentaires.

S'agissant de la modification unilatérale du secteur géographique de Mme [F], le contrat de travail prévoit expressément la possibilité de le modifier en tout ou partie, en début ou en cours d'année.

A cet égard, il ressort du courriel de M. [G] [Y] en date du 18 septembre 2019 que la réorganisation du secteur de Mme [F] à partir 1er octobre 2019 avait été décidée et lui avait été notifiée. Aux termes de cette modification, Mme [F] gardait les départements 75, 77, 92, 93, 94 et 95 ' les départements 78 et 91 étant affectés à M. [O] [S]. Ce que confirme M. [S] dans une attestation datée du 15 avril 2020.

Il ressort néanmoins de ce courriel que M. [Y] estimait qu'en diversifiant sa clientèle et en réduisant ses temps de transport, Mme [F] pouvait augmenter le chiffre d'affaires global de sa nouvelle zone et indiquait qu'elle serait accompagnée pour ne pas subir de perte de rémunération. Mme [F] n'a, par ailleurs, pas exercé son activité dans le secteur géographique resserré et ne fournit aucun élément de nature à étayer l'allégation selon laquelle le retrait des deux départements allait nécessairement se traduire par une diminution de sa rémunération variable de sorte que ce manquement n'est pas caractérisé.

Contrairement à ce que soutient la société, la prise d'acte n'a pas à être précédée d'une mise en demeure de sorte que la circonstance qu'il ne s'est écoulé que dix jours entre la lettre de mise en demeure de lui payer un rappel de commissions et la notification de la prise d'acte est sans incidence.

Le montant du rappel de rémunération variable et des heures supplémentaires est suffisamment important pour conclure que ces deux manquements sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat.

La prise d'acte de la rupture du contrat de travail produira donc les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

* sur l'indemnité compensatrice de préavis

En application de l'article L. 1234-1 du code du travail et de l'article 35 de la convention collective, eu égard à l'ancienneté de Mme [F] qui est supérieure à deux ans, en l'espèce plus de six ans, il lui sera alloué une indemnité de préavis de 8 356,42 euros - correspondant à la somme qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé le temps du préavis - et la somme de 835,64 euros au titre des congés payés afférents. La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

La cour relève que l'employeur estimait, dans l'hypothèse d'une démission, que l'indemnité compensatrice de préavis réclamée par lui devait s'élever à 4 873,47 euros.

La somme allouée à Mme [F] l'est donc dans la limite du quantum de sa demande.

Corollairement, la société sera déboutée de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis puisque la prise d'acte ne produit pas les effets d'une démission.

La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité de licenciement

En application des articles L. 1234-9, R. 1234-1 et R. 1234-2 du code du travail et de l'article 4 de l'avenant II à la convention collective, Mme [F] est fondée à obtenir une indemnité de licenciement calculée sur la base d'une ancienneté de six ans et dix mois et de la moyenne de rémunération des douze derniers mois, plus favorable que celle des trois derniers, avec la prise en compte d'heures supplémentaires régulièrement effectuées par Mme [F].

Partant, il sera alloué à Mme [F] la somme de 7 224,46 euros dans la limite du quantum de sa demande et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau soit en l'espèce entre trois et sept mois de salaire.

Sur sa situation actuelle, Mme [F] verse aux débats le contrat de travail à durée indéterminée à temps plein en date du 20 janvier 2020 aux termes duquel la société Cart'Images l'a embauchée en qualité d'attachée commerciale, statut technicien, niveau V, échelon 3, moyennant une rémunération fixe de 2 000 euros brut et une rémunération variable ' son secteur géographique portant sur les départements 28, 51, 60, 77, 91, 93 et 94.

Compte tenu de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge - 37 ans - de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle ainsi que des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il sera alloué à Mme [F], en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, une somme de 15 000 euros, suffisant à réparer son entier préjudice. La décision des premiers juges sera donc infirmée à ce titre.

* sur la remise des documents

La société devra remettre à Mme [F] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision.

Sur les autres demandes

* sur le remboursement des honoraires de l'expert-comptable

Les honoraires de l'expert-comptable seront intégrés dans l'indemnité allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La décision des premiers juges en ce qu'elle a débouté Mme [F] du remboursement de ces honoraires sera infirmée.

* sur les dommages-intérêts pour manquement à l'exécution du contrat de bonne foi

La société soutient qu'elle s'est toujours montrée patiente et bienveillante à l'égard de Mme [F] mais que celle-ci a fait preuve d'une particulière mauvaise foi dans l'exécution de son contrat et après son départ de l'entreprise. La société fait valoir que Mme [F] s'est mise en arrêt de travail par crainte d'une perte de rémunération à la mi-octobre 2019 ; que le 27 novembre suivant, elle l'a mise en demeure de lui régler des sommes prétendument impayées et que le 10 décembre 2019, elle a pris acte de la rupture du contrat de travail. La société fait également valoir que Mme [F] a habilement préparé son départ et n'a pas hésité à démarcher la concurrence et qu'elle a été embauchée en février 2020 par une société concurrente qui avait déjà opéré des actes de concurrence déloyale. La société fait encore valoir que la mauvaise foi de Mme [F] résulte de ses mauvais résultats sur l'année 2019 avec un chiffre d'affaires en forte baisse par rapport aux années antérieures, reflet d'une implication décroissante de la salariée ainsi qu'en témoigne, par ailleurs, les plaintes de plusieurs clients. La société fait enfin valoir que de nombreux salariés ont attesté que l'entreprise était agréable et à taille humaine et que l'employeur était juste, compréhensif et à l'écoute ; qu'aucun n'a relevé de violation du droit du travail à l'égard de Mme [F] qui ne s'était jamais plainte de sa rémunération avant le mois de novembre 2019.

Ce à quoi Mme [F] réplique qu'elle n'a pas été en arrêt de travail par complaisance de son médecin ainsi que cela résulte du message du médecin du travail ; qu'elle avait déjà fait une réclamation en mai et juin 2019 sur le règlement des cartes de printemps ; que l'employeur a levé la clause de non-concurrence le 20 décembre 2019 pour ne pas avoir à lui régler d'indemnité et qu'elle était donc libre ensuite de rechercher un emploi dans le petit milieu de la carterie ; que l'employeur l'accuse gratuitement d'un détournement de clientèle.

La société est défaillante à rapporter la preuve de ses allégations de mauvaise foi. A cet égard, si la société établit une baisse du chiffre d'affaires réalisé par Mme [F] en 2019, cette baisse ne caractérise pas en soi la mauvaise foi de la salariée. De plus, la société ne démontre pas que l'arrêt de travail était de pure complaisance ; que Mme [F] avait établi des contacts avec un concurrent à son détriment ni que Mme [F] s'était peu à peu désinvestie dans son travail.

La circonstance que la salariée a mis en demeure pour la première fois son employeur en novembre 2019 de lui régler des rappels de rémunération n'est pas en soi constitutive d'une mauvaise foi dans l'exécution du contrat de travail dès lors que la prescription n'était pas acquise.

Partant, la société sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts et la décision des premiers juges sera infirmée à ce titre.

* sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

* sur le remboursement à Pôle emploi

Conformément aux dispositions de l'article. L.1235-4 du code du travail, la cour ordonne à la société de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [F] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de deux mois d'indemnités, sans qu'il n'y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. La décision des premiers juges sur les dépens sera donc infirmée.

La société sera également condamnée à payer à Mme [F] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la décision des premiers juges en ce qu'elle allouait une somme de 1 000 euros à la société au titre des frais irrépétibles sera infirmée.

Enfin, la société sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [F] de sa demande au titre des primes trimestrielles ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Tendances Editions à payer à Mme [M] [F] les sommes suivantes :

* 18 590,83 euros au titre du rappel de sa rémunération variable ;

* 1 859 euros au titre des congés payés afférents ;

* 10 000 euros au titre du rappel d'heures supplémentaires ;

* 1 000 euros au titre des congés payés afférents ;

DIT que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Tendances Editions à payer à Mme [M] [F] les sommes suivantes :

* 8 356,42 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

* 835,64 euros au titre des congés payés afférents ;

* 7 224,26 euros au titre de l'indemnité de licenciement ;

* 15 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

ORDONNE à la société Tendances Editions de remettre à Mme [M] [F] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision ;

RAPPELLE que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et ceux portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

ORDONNE à la société Tendances Editions de rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [F] du jour du licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de deux mois d'indemnités ;

CONDAMNE la société Tendances Editions à payer à Mme [M] [F] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Tendances Editions aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/08232
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;20.08232 ?
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