La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/02/2023 | FRANCE | N°20/07987

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 02 février 2023, 20/07987


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 02 FEVRIER 2023



(n° 2023/ , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07987 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWYQ



Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01520





APPELANTE



Madame [I] [L]

[Adresse 1]

[Localité 4]



Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090



INTIMEE



S.A.S. FERRAGAMO FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représentée par Me Jean...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 02 FEVRIER 2023

(n° 2023/ , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07987 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWYQ

Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01520

APPELANTE

Madame [I] [L]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

INTIMEE

S.A.S. FERRAGAMO FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Jean-louis ANDREAU, avocat au barreau de PARIS, toque : D1252

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 18 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [I] [L] a été engagée par la société Ferragamo France par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 12 décembre 2002 en qualité de responsable de boutique, catégorie cadre. Depuis le 1er juillet 2006, elle occupait le poste de directrice de boutique et en dernier lieu, percevait une rémunération fixe de 3 419 euros brut pour une durée mensuelle de travail de 151,67 heures.

Par courrier du 8 octobre 2018, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable à une " mesure disciplinaire " fixé au 18 octobre 2018 puis s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier du 7 novembre 2018 avec dispense de l'exécution de son préavis.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris le 21 février 2019 afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et la rupture du contrat de travail. Par jugement du 12 octobre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, section encadrement, a débouté Mme [L] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux entiers dépens, déboutant la société Ferragamo France de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [L] a régulièrement relevé appel le 24 novembre 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 octobre 2022 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [L] prie la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens ;

- dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Ferragamo France à lui payer les sommes de :

* 71 483 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, subsidiairement 5 498,72 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement ;

* 2 714,44 euros à titre de complément d'indemnité légale de licenciement ;

* 17 077,04 euros au titre des heures supplémentaires pour la période du 1er février 2016 au 30 septembre 2018, outre celle de 1 707,70 euros au titre des congés payés afférents ;

- fixer son salaire de référence à la somme de 5 498,72 euros ;

- condamner la société Ferragamo France à lui payer les sommes suivantes :

* 1 159,22 euros à titre d'indemnité pour repos compensateur lié aux heures accomplies au-delà de la 41ème heure,

* 5 961,82 euros à titre d'indemnité compensatrice de contrepartie obligatoire en repos ;

* 31 057,56 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;

* 6 209,31 euros au titre de la prime d'ancienneté, outre celle de 620,93 euros correspondant aux congés payés afférents ;

- assortir les condamnations prononcées de l'intérêt au taux légal, à compter de l'acte introductif d'instance (21 février 2019) pour celles ayant le caractère de salaire, et de l'arrêt à intervenir pour les autres ;

- ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

- donner injonction à la société Ferragamo France de lui remettre les bulletins de paie de février 2016 à février 2019 et une attestation Pôle Emploi conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard et se réserver la faculté de liquider ladite astreinte ;

- débouter la société Ferragamo France de toutes ses demandes ;

- condamner la société Ferragamo France à lui verser la somme de 3 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même code.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée notifiées par voie électronique le 30 mars 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Ferragamo France prie la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- débouter Mme [L] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [L] à la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 novembre 2022.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur les heures supplémentaires :

Il résulte des articles L. 3171-2, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail dans leur version applicable à l'espèce qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Mme [L] soutient qu'elle a accompli des heures supplémentaires pour la période courant du 1er février 2016 au 30 septembre 2018 sur la base d'un horaire théorique de 35 heures avec une heure de pause déjeuner. Elle verse aux débats un tableau détaillant semaine par semaine les heures qu'elle soutient avoir effectuées au-delà de l'horaire hebdomadaire ainsi que les relevés informatiques mensuels de badges permettant le contrôle et le suivi du temps de travail de l'ensemble du personnel, y compris le sien, par l'employeur ainsi que la copie de quelques plannings validés par l'employeur.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre en produisant ses propres éléments.

La société Ferragamo France fait valoir que Mme [L] n'établit pas qu'elle devait rester à sa disposition, se conformer à ses directives et qu'elle était dans l'impossibilité de pouvoir vaquer librement à ses obligations personnelles pendant les heures dont elle sollicite la rémunération alors qu'à aucun moment l'employeur n'a sollicité de sa salariée l'exécution d'heures supplémentaires. Elle critique la base du calcul retenue par Mme [L] en faisant valoir que celle-ci reflète l'amplitude de la journée de travail et non le travail effectif et que rien ne permet de s'assurer de la durée effective de la pause ni que la charge de travail exigeait l'accomplissement d'heures supplémentaires.

La cour rappelle que l'employeur étant en charge du contrôle du temps de travail du salarié c'est à lui d'établir que la pause était bien respectée et observe qu'étant informé des horaires de Mme [L] par la communication des relevés de badges et des plannings, il sollicitait implicitement mais nécessairement l'accomplissement des heures supplémentaires, peu important que Mme [L] n'en ait jamais réclamé le paiement pendant la durée de la relation contractuelle.

Dès lors, la cour fait droit à la demande de Mme [L] dans les termes de celle-ci et condamne la société Ferragamo France à lui verser la somme de 17 077,04 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires pour la période du 1er février 2016 au 30 septembre 2018 outre 1 707,70 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente. Le jugement est infirmé en ce qu'il a débouté la salariée de ce chef de demande.

Sur la demande au titre des repos compensateurs :

Mme [L] fait valoir que le repos compensateur afférent aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la 41ème heure à l'intérieur du contingent demeure applicable s'il est prévu par une convention collective de branche ou une convention d'entreprise. L'avenant n°42 du 5 juillet 2001 dans son point 4 -V prévoit un tel repos égal à 50 % du temps de travail accompli en heures supplémentaires au-delà de 41 heures. Elle soutient que n'ayant pas bénéficié de ses repos compensateurs, elle est en droit d'obtenir paiement d'une indemnité compensatrice à ce titre et sollicite en conséquence une indemnité pour les années 2016 à 2018 de 1 159,22 euros.

La société Ferragamo France conclut au débouté en faisant valoir que Mme [L] n'a pas accompli d'heures supplémentaires.

L'article L. 3121-24 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que : " une convention ou un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut une convention ou un accord de branche peut prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations prévues à l'article L. 3121-22 repos compensateur équivalent. ['] ".

L'avenant numéro 42 du 5 juillet 2001 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail prévoit dans son point 4 intitulé heures supplémentaire, paragraphe V intitulé repos compensateur précise que : " dans les entreprises de plus de 10 salariés, en plus du paiement des heures supplémentaires, l'article L. 212-5-1 du code du travail institue un repos compensateur pour les heures supplémentaires accomplies au-delà de 41 heures. Cet article précise que la durée de ce repos est égale à 50 % du temps de travail accompli en heures supplémentaires au-delà de 41 heures. Le repos est obligatoire et doit être pris par journée ou demi-journées dans les plus brefs délais et au plus tard dans les six mois suivant l'acquisition de ce droit par le salarié. ['] ".

Eu égard à la solution du litige et au vu des décomptes communiqués par la salariée détaillant pour chaque semaine le nombre d'heures supplémentaires accomplies au-delà de la 41ème et non critiqué utilement par l'employeur, la cour condamne la société Ferragamo France à payer à Mme [L] la somme de 1 159,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la demande présentée au titre de la contrepartie obligatoire en repos :

Mme [L] fait valoir qu'elle n'a pas bénéficié de contrepartie obligatoire en repos pour les heures qu'elle a effectuées au-delà du contingent annuel de 130 heures prévues par la convention collective et sollicite en conséquence la condamnation de l'employeur à lui payer une somme de 5 961,82 euros à ce titre pour les années 2016 et 2017.

La société Ferragamo France conclut au débouté en faisant valoir que la demande de Mme [L] au titre des heures supplémentaires n'est pas fondée.

Aux termes de l'article L. 3121-30 du code du travail " des heures supplémentaires peuvent être accomplies dans la limite d'un contingent annuel. Les heures effectuées au-delà de ce contingent annuel ouvrent droit à une contrepartie obligatoire sous forme de repos. Les heures prises en compte pour le calcul du contingent annuel d'heures supplémentaires sont celles accomplies au-delà de la durée légale. Les heures supplémentaires ouvrant droit au repos compensateur équivalent mentionné à l'article L. 3121-28 et celles accomplies dans les cas de travaux urgents énumérés à l'article L. 3132-4 ne s'applique pas sur le contingent annuel d'heures supplémentaires. ".

Aux termes du point 4 paragraphe IV de l'avenant numéro 42 du 5 juin 2001 relatif à l'aménagement et à la réduction du temps de travail, le contingent annuel d'heures supplémentaires est fixé à 130.

Eu égard à la solution du litige et au vu des décomptes communiqués par Mme [L] faisant apparaître que des heures ont été effectuées au-delà du contingent annuel que l'employeur ne contredit pas valablement, la cour condamne la société Ferragamo France à lui payer la somme de 5 961,82 euros à titre d'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur le travail dissimulé :

Mme [L] soutient que l'employeur ne pouvait ignorer ses dépassements réguliers d'horaire et son obligation de paiement des heures supplémentaires ainsi effectuées dès lors qu'il était destinataire des relevés informatiques de pointage et que l'inspection du travail l'avait avisé par un courrier du 9 février 2009 qu'elle était en tant que salariée " dans l'obligation de respecter les horaires de la société à savoir 35 heures par semaine auxquelles il y a lieu d'ajouter les horaires supplémentaires éventuels', attirant son attention sur l'ambiguïté de la rédaction du contrat sur le caractère forfaitaire de sa rémunération.

La société Ferragamo France conclut au débouté en faisant valoir que la demande présentée au titre des heures supplémentaires n'est pas fondée.

Eu égard à la solution du litige, la cour considère que l'employeur dûment avisé de la nécessité du paiement des heures supplémentaires par l'inspection du travail et informé régulièrement des heures supplémentaires effectuées par la salariée a intentionnellement omis de la rémunérer de ces heures de sorte que la volonté de dissimulation est établie. La cour condamne en conséquence la société Ferragamo France à verser à Mme [L] la somme de 31 057,56 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé en application de l'article L. 8223-1 du code du travail. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la prime d'ancienneté :

Mme [L] fait valoir qu'une prime conventionnelle d'ancienneté est incluse forfaitairement dans la rémunération ce qui doit être mentionné dans les bulletins de paie, alors que les siens ne font pas mention d'une telle prime laquelle n'a pas été incluse dans sa rémunération de sorte qu'une somme de 6 209,31 euros lui est due outre les congés payés afférents.

L'employeur conclut au débouté en faisant valoir que Mme [L] opère une confusion entre la notion de salaire minimum conventionnel et le salaire de base retenu par l'entreprise, la prime d'ancienneté conventionnelle ne pouvant qu'être additionnée avec le salaire minimum conventionnel de sorte que Mme [L] qui perçoit une rémunération égale à 2,3 fois le minimum conventionnel ne relève pas du dispositif dont elle réclame l'application.

Aux termes de l'article 31 de la convention collective, " les salariés bénéficient d'une prime d'ancienneté. Cette prime est exprimée en valeur absolue par catégorie d'emploi pour 3,6, 9,12, 15,20 ans de présence. Elle s'ajoute au salaire réel de l'intéressé et doit figurer à part sur le bulletin de paie. Elle augmente de 60 % du pourcentage d'évolution des barèmes de salaires minimaux "

L'article 11 de l'avenant cadre de la convention collective prévoit que : " la prime d'ancienneté prévue à l'article 31 de la convention collective nationale est incluse forfaitairement dans la rémunération qui est versée aux cadres dès l'instant que cette rémunération est supérieure au minimum garanti de la catégorie, augmenté de la prime d'ancienneté et éventuellement des dépassements d'horaires régulièrement effectués dans l'entreprise. Le bulletin de paie devra mentionner que la prime d'ancienneté est incluse dans la rémunération'.

Contrairement à ce que soutient l'employeur, il ne ressort pas de ces textes que la prime d'ancienneté ne doit pas être incluse forfaitairement dans la rémunération dès l'instant que celle-ci est supérieure au minimum garanti de la catégorie augmentée de la prime d'ancienneté. Par ailleurs, la cour relève que les bulletins de salaire de Mme [L] communiqués de janvier 2016 à octobre 2018, alors qu'elle bénéficie de plus de trois ans d'ancienneté ne font aucunement apparaître le paiement de cette prime.

Dès lors, la cour fait droit à la demande calculée sur la base de la rémunération d'un cadre catégorie A 1 dont relève Mme [L] selon les mentions de ses bulletins de salaire et condamne la société Ferragamo France à lui payer la somme de 6 209,31 euros au titre du rappel de prime d'ancienneté outre 620,93 euros au titre de l'indemnité de congés payée afférente pour la période courant de février 2016 à février 2019. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la rupture du contrat de travail :

Sur le bien fondé du licenciement :

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée dans les termes suivants :

" Madame,

Nous faisons suite à l'entretien préalable qui s'est tenu le jeudi 18 octobre 2018, entretien auquel vous vous êtes présentée assistée de Madame [P] [C] et au cours duquel nous vous avons exposé les motifs de la mesure envisagée. Par la présente nous vous notifions votre licenciement pour cause réelle et sérieuse, eu égard notamment aux événements survenus le mardi 25 septembre 2018 dans la Boutique Ferragamo située [Adresse 5].

En effet, ce jour, alors que vous vous trouviez dans l'escalier menant des stocks situés au sous-sol au rez-de-chaussée de la Boutique, vous avez commencé à chantonner la chanson de [S] [T] " Noir c'est noir " au moment précis où vous avez croisé une collaboratrice, insistant à son passage sur la partie " Noir c'est noir, il n'y a plus d'espoir "'

Or cette collaboratrice étant d'origine africaine et ayant la peau noire, elle s'est sentie attaquée personnellement par ces paroles et a décidé de nous en faire part au travers d'un message adressé au Comité Ethique de notre Société.

En tant que directrice de boutique, vous ne pouvez ignorer que vous vous devez d'adopter en tout temps un comportement exemplaire et irréprochable, qui passe évidemment par une communication appropriée, d'autant plus lorsqu'il s'agit de sujets pouvant porter atteinte à l'intégrité d'une personne.

Lors de notre entretien vous avez nié avoir prononcé ces mots et avez remis en cause la parole de cette collaboratrice.

Or il ressort des éléments que nous avons pu réunir qu'un autre collaborateur vous également entendu chantonner cette chanson.

D'autre part il s'est avéré que le même jour, mardi 25 septembre 2018, toujours pendant votre présence sur la Boutique de l'[Adresse 5], vous avez cru utile de dénigrer un ancien membre de votre équipe auprès du stockiste présent.

Nous avons été alertés sur le fait que pour appuyer vos propos, vous lui avez montré une vidéo extraite des vidéos de caméras de surveillance installées dans la Boutique de [Localité 6] dont vous êtes la directrice. Sur ces images on pouvait distinguer Monsieur [B] [E], ainsi que d'autres salariés de l'entreprise.

De tels agissements démontrent non seulement un manque total de respect envers les collaborateurs, mais enfreint également le règlement de la société relatif à protection des données individuelles. En effet, vous n'êtes pas sans savoir qu'en aucun cas les vidéos de surveillance des boutiques ne doivent circuler en dehors du point de vente, et être utilisées à des fins personnelles.

Lors de notre entretien, sur ce point, vous avez reconnu avoir émis des réserves concernant Monsieur [E] en présence d'un autre collaborateur, mais nié avoir partagé les images des caméras de la Boutique de [Localité 6].

Or, à nouveau, les éléments que nous avons pu réunir sont en contradiction avec vos explications.

De tels comportements ne sont pas acceptables de la part d'une directrice de boutique : qu'il s'agisse de tenir des propos inappropriés concernant une personne de couleur, ou de dénigrer auprès de ses pairs un membre du personnel de la société, ancien membre de votre équipe.

Ces agissements vont à l'encontre des valeurs que prône la Société, ces dernières étant d'ailleurs clairement exprimées dans notre Code Ethique qui définit les règles de conduite applicables au sein de la Société. La partie " Principes et Valeurs " stipule clairement dans son article 6 ; " ['] La Société accepte et respecte les principes de dignité et d'égalité, et ne fait pas de discrimination basée sur l'âge, la race, l'origine, la nationalité, les opinions politiques et commerciales, les croyances religieuses, l'orientation sexuelle, l'identité de genre, les handicaps physiques ou mentaux, ni tout autre facteur non lié au mérite pour l'ensemble de ses employés et de tiers.['] ".

Ce n'est malheureusement pas la première fois que nous sommes confrontés à des plaintes émanant de collaborateurs à votre égard, et nous vous avons fait part de ces difficultés à plusieurs reprises par le passé.

La dernière alerte en date remonte au mois d'août dernier, lorsque nous avions dû à nouveau vous sensibiliser sur ces mêmes problématiques de comportement managérial inadapté.

Force est de constater que nos alertes sont restées sans effet.

Compte tenu de ces éléments, du poste que vous occupez, de votre niveau de responsabilité managériale, de l'éthique que nous sommes en droit d'attendre d'une personne ayant les fonctions qui sont les vôtres, nous sommes contraints de vous retirer irrémédiablement la fonction que nous avions placée en vous.

Nous vous notifions donc par le présente votre licenciement pour causes réelles et sérieuses ".

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles'et que si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs imputables au salarié et matériellement vérifiables.

Au cas d'espèce, il est reproché à Mme [L] un comportement inapproprié pour avoir :

- le 25 septembre 2018 chanté la chanson de [S] [T] " noir c'est noir " au moment précis où elle croisait une collaboratrice ayant la peau noire,

- le 25 septembre 2018 dénigré un de ses collaborateurs auprès d'un salarié en lui montrant une vidéo de surveillance de la boutique qu'elle dirige,

et ce alors que l'employeur avait déjà été confronté à des plaintes de collaborateurs sur son comportement.

L'employeur soutient que les faits sont caractérisés et sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

De son côté, Mme [L] conteste les faits qui lui sont reprochés en faisant valoir, s'agissant du premier grief qu'ils ne sont pas établis et que même s'ils l'étaient, les paroles de la chanson n'ont aucun sous-entendu raciste et, s'agissant du second grief, en invoquant l'atteinte à sa liberté d'expression et son droit d'exprimer des réserves sur le comportement de l'un de ses collaborateurs, étant observé que ses propos ne sont aucunement rapportés et en contestant avoir montré à quiconque une vidéo extraite du système de télésurveillance de la boutique.

Sur le premier grief :

Il ressort des mails communiquées par l'employeur que la salariée ayant croisé Mme [L] dans les escaliers le 25 septembre 2018 a prévenu le comité d'éthique de la société Ferragamo par un mail du 3 octobre 2018 que celui-ci a retransmis à l'employeur en la personne de Mme [N] [F] le 12 octobre 2018. La salariée en question, Mme [G] [H] a attesté des faits de façon circonstanciée en affirmant que Mme [L] a entonné les paroles de la chanson en la croisant et qu'elle a vécu cette situation comme empreinte de racisme, étant noire et seule présente, précisant qu'elle est allée rapporter les faits à un collègue. Un autre salarié qui se trouvait dans le stock au moment des faits atteste avoir entendu la chanson mais précise qu'il n'a pas vu la scène puisqu'il n'était pas dans l'escalier.

De son côté, Mme [L] communique une attestation d'une cliente, d'une salariée et d'une ancienne collaboratrice (en 2005) qui indiquent ne jamais avoir entendu des propos racistes ou " ségrégationnistes ou apparentés " tenus par Mme [L].

La cour observe que lors de son entretien préalable, Mme [L] a contesté avoir entonné la chanson, allant jusqu'à dire que cela ne lui viendrait pas à l'esprit de chanter ce genre de choses et que " c'est peut-être elle qui a pensé cela. Je suis choquée ", alors qu'un tiers présent dans le stock affirme avoir entendu la chanson et que seules les deux femmes étaient présentes dans l'escalier.

La cour considère au vu de l'ensemble de ces éléments que les faits sont matériellement établis.

S'agissant du second grief :

L'employeur verse aux débats l'attestation de M. [W] [D], stockiste dont il ressort que Mme [L] lui a fait des commentaires sur l'un de ses collaborateurs et lui a montré une vidéo prise par les caméras de sécurité de la boutique dont elle est la directrice. Mme [L] de son côté reconnaît qu'elle a parlé de son collaborateur avec M. [D]. Aucun des éléments communiqués ne permet d'établir la teneur des propos échangés à cette occasion. Par ailleurs, il n'est communiqué aucun élément sur la vidéo qui aurait été montrée à M. [D], les autres salariés en faisant état n'indiquant pas l'avoir visionnée et Mme [L] ayant simplement indiqué avoir montré des photos du display de son stock lors de son entretien préalable. La cour considère en conséquence que les faits ne sont pas matériellement établis.

En troisième lieu, la lettre de licenciement fait état du comportement passé de Mme [L] ayant conduit à une enquête du CHSCT dont le rapport final communiqué par l'employeur a été établi le 11 septembre 2017 et au cours de laquelle plusieurs personnes dont elle-même ont été entendues sans qu'il soit justifié d'une suite quelconque. Par ailleurs, il apparait qu'une mise en garde orale portant à la fois sur les conditions de sécurité, l'accès au coffre aux clés du coffre, l'organisation et l'archivage des cartes CRM et sur un " rappel problématiques management " sur la gestion du stock, l'encadrement, la gestion de l'absence de manager etc. et une problématique qui s'est présentée en l'absence de Mme [L] pour maladie a été faite à Mme [L] ainsi que cela ressort du compte rendu de l'entretien du 3 août 2018 remis en main propre à Mme [L] le 9 août 2018. Ces éléments ne font pas apparaître un comportement éthique problématique qui aurait été reproché à la salariée même si une des personnes interrogées au cours de l'enquête du CHSCT a rapporté des propos de nature raciste (Mme [O]) et une continuité ou une persistance d'un tel comportement de la part de Mme [L].

En définitive, la cour retient donc que Mme [L] en croisant une collaboratrice noire dans les escaliers a entonné la chanson " noir c'est noir " dont elle n'ignorait pas que celle-ci la ressentirait, au regard de la couleur de sa peau, comme une provocation de nature raciste, peu important le contexte réel de la chanson, et considère que ces faits suffisent à caractériser une cause réelle et sérieuse de licenciement pour un collaborateur investi comme elle de fonctions humaines d'encadrement.

Le licenciement est donc fondé sur une cause réelle et sérieuse et Mme [L] est déboutée en conséquence de la demande qu'elle présentait au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse le jugement étant confirmé de ce chef.

Sur la demande présentée au titre du complément d'indemnité légale de licenciement :

Mme [L] soutient que son salaire de référence doit englober la rémunération des heures supplémentaires qu'elle a effectuées de sorte qu'il s'établit à 5 498,72 euros et que l'indemnité légale de licenciement s'élève à 25 018,94 euros compte tenu de son ancienneté de 16 ans et 2 mois. Ayant perçu la somme de 22 304,50 euros à ce titre, elle réclame la différence soit une somme de 2 714,44 euros.

La société Ferragamo France conclut au débouté en raison de l'absence d'heures supplémentaires.

Eu égard à la solution du litige, la cour ayant fait droit dans son intégralité à la demande présentée par Mme [L] au titre des heures supplémentaires, évalue le salaire de référence à la somme de 5 498,72 euros brut et condamne la société Ferragamo France à lui payer la somme de 2 714,44 euros à titre de complément de l'indemnité légale de licenciement sur la base d'un salaire de référence de 5 498,72 euros brut. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur la demande présentée au titre de l'irrégularité de la procédure de licenciement :

Il est constant que l'article R. 1232-2 du code du travail, renvoyant à l'article L. 1232-2 du même code n'a pas été respecté comme le soutient Mme [L] puisque la lettre de convocation à l'entretien préalable ne précisait pas que la mesure envisagée pouvait aller jusqu'au licenciement.

Mme [L] fait valoir qu'elle a subi un préjudice dès lors qu'étant habituée à ce genre de procédure pour avoir été convoquée à deux reprises sans suite grave, elle a été très choquée de découvrir que la rupture de son contrat était envisagée. La société Ferragamo France conclut au débouté en faisant valoir qu'elle ne justifie pas de la réalité de son préjudice.

Mme [L] qui a été assistée au cours de cet entretien et ne justifie pas du préjudice subi est déboutée de sa demande de dommages-intérêts. Le jugement est confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur les autres demandes :

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation soit le 7 mars 2019 et les condamnations à caractère indemnitaire portent intérêt au taux légal à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts échus dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

La société Ferragamo France devra remettre à Mme [L] des bulletins de paie et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte, la demande en ce sens est rejetée.

La société Ferragamo France, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel, la cour faisant application de l'article 699 du code de procédure civile au profit de Me [A] [X] s'agissant de la procédure devant la cour et doit indemniser Mme [L] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 2 500 euros, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [I] [L] de ses demandes d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de dommages-intérêts pour irrégularité de la procédure de licenciement,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Ferragamo France à verser à Mme [I] [L] les sommes de :

- 17 077,04 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires pour la période du 1er février 2016 au 30 septembre 2018 outre 1 707,70 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente

- 1 159,22 euros à titre d'indemnité compensatrice de repos compensateur,

- 5 961,82 euros à titre d'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos,

- 31 057,56 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

- 6 209,31 euros au titre du rappel de prime d'ancienneté outre 620,93 euros au titre de l'indemnité de congés payés afférente

- 2 714,44 euros à titre de complément de l'indemnité légale de licenciement,

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter du 7 mars 2019 et ceux portant sur les condamnations à caractère indemnitaire, à compter de la présente décision,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière,

ORDONNE à la société Ferragamo France de remettre à Mme [I] [L] des bulletins de paie et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision,

DÉBOUTE Mme [I] [L] du surplus de ses demandes,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société Ferragamo France,

CONDAMNE la société Ferragamo France aux dépens de première instance et d'appel et à verser à Mme [I] [L] la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

AUTORISE Me [A] [X], à recouvrer contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle a fait l'avance devant la cour d'appel sans avoir reçu provision.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/07987
Date de la décision : 02/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-02;20.07987 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award