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31/01/2023 | FRANCE | N°20/08058

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 31 janvier 2023, 20/08058


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13



ARRET DU 31 JANVIER 2023



(n°44 , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08058 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5ZC



Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris - RG n° 19/09908



APPELANTS



Monsieur [T] [U]

Intervenant à titre personnel et en qualit

é d'ayant droit de Madame [C] [U]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Denis HUBERT de l'AARPI KADRAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0154

Ayan...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

ARRET DU 31 JANVIER 2023

(n°44 , 8 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08058 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5ZC

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2020 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de Paris - RG n° 19/09908

APPELANTS

Monsieur [T] [U]

Intervenant à titre personnel et en qualité d'ayant droit de Madame [C] [U]

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représenté par Me Denis HUBERT de l'AARPI KADRAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0154

Ayant pour avocat plaidant Me CARON, avocat au barreau de PARIS

Madame [R] [D] [S],

En son nom personnel et en qualité d'ayant droit de Monsieur [J] [U], intervenant lui-même à titre personnel et en qualité d'ayant droit de Madame [C] [U]

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentée par Me Denis HUBERT de l'AARPI KADRAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0154

Ayant pour avocat plaidant Me CARON, avocat au barreau de PARIS

Madame [O], [C], [Y] [U]

En qualité d'ayant droit de Monsieur [J] [U], intervenant lui-même à titre personnel et en qualité d'ayant droit de Madame [C] [U]

[Adresse 1],

[Localité 5]

Représentée par Me Denis HUBERT de l'AARPI KADRAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0154

Ayant pour avocat plaidant Me CARON, avocat au barreau de PARIS

Monsieur [I], [P], [H] [U]

Intervenant en qualité d'ayant droit de Monsieur [J] [U], intervenant lui-même à titre personnel et en qualité d'ayant droit de Madame [C] [U]

[Adresse 2]

CERGY (95000)

Représentée par Me Denis HUBERT de l'AARPI KADRAN AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0154

Ayant pour avocat plaidant Me CARON, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ

AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Ministère de l'Economie et des Finances

Direction Des Affaires Juridiques - Sous-Direction du Droit Privé

[Adresse 9]

[Adresse 4]

[Localité 6]

Représentée par Me Fabienne DELECROIX de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : R229

Ayant pour avocat plaidant Me Celia DUGUES de la SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 29 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, chargée du rapport et devant Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, présidente de chambre.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries devant la Cour composée de :

Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre

Mme Marie-Françoise d'ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

Mme Estelle MOREAU, conseillère

Greffier, lors des débats : Mme Florence GREGORI

MINISTERE PUBLIC : Auquel l'affaire a été communiquée le 2 avril 2022 et ayant rendu son avis le 14 octobre 2022.

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 31 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Justine FOURNIER, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

***

De l'union de [C] [N] et [L] [U] sont nés plusieurs enfants dont [T] et [J] [U].

Le 18 novembre 1992, [L] [U] est décédé à Sao Paulo au Brésil. Son décès a été transcrit par le consulat général de France à Sao Paulo le 15 février 1993.

Tenus dans l'ignorance de ce décès, Mme [N], divorcée depuis le 19 janvier 1976, et ses enfants ont entamé une procédure d'absence. Le 13 décembre 2005, la présomption d'absence a été constatée par jugement du tribunal d'instance de Montmorency, la déclaration d'absence intervenant par jugement du tribunal de grande instance de Pontoise du 7 octobre 2016.

A l'occasion de la demande de transcription de ce jugement, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Pontoise a transmis, par courrier du 14 décembre 2016, à la famille [U] l'acte de décès de [L] [U].

Par courrier du 10 avril 2017, le service central de l'état civil a confirmé que, par une erreur

d'origine indéterminée, la mention du décès n'avait pas été apposée sur l'acte de naissance de [L] [U].

[C] [U] est décédée le 18 janvier 2019.

C'est dans ces conditions que, par acte du 10 juillet 2019, MM. [T] et [J] [U], en leurs noms personnels et en qualité d'ayants droits de [C] [U], ont fait assigner en responsabilité l'agent judiciaire de l'Etat devant le tribunal de grande instance de Paris, qui par jugement du 25 mai 2020, rectifié le 7 septembre 2020, a :

- condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à MM. [T] et [J] [U], en leur nom personnel, chacun, la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice moral,

- condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à MM. [T] et [J] [U], ès qualités d'ayants droits de [C] [N] veuve [U], la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi par cette dernière,

- dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter du jugement et seront capitalisables selon les modalités prévues par l'article 1343-2 du code civil,

- condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à MM. [T] et [J] [U], en leurs noms personnels et ès qualités, la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens,

- ordonné l'exécution par provision,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration du 26 juin 2020, MM. [T] et [J] [U] ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions déposées et notifiées par RPVA le 10 novembre 2022, M. [T] [U], en son nom personnel et en qualité d'ayant droit de Mme [C] [U], Mme [R] [S], veuve de [J] [U], Mme [O] [U], M. [I] [U], en leur qualité d'ayants droits de [J] [U], demandent à la cour de :

- admettre l'intervention des ayants droits de [J] [U],

- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [C] [U] née [N] du surplus de ses demandes, notamment de sa demande en réparation au titre de la pension de réversion,

- condamner l'État à payer à M. [T] [U] et à Mme [R] [S] veuve [U], Mme [O] [U] et M. [I] [U], en leur qualité d'héritiers de [J] [U], en qualité d'ayants droits de Mme [C] [N] épouse [U] la somme de 219 761,68 euros en réparation des préjudices subis,

- assortir ces condamnations des intérêts au taux légal à compter du 16 janvier 2019, date de la demande préalable,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'agent judiciaire de l'Etat à payer à Mme [C] [N] épouse [U], à MM. [T] et [J] [U], en leur nom personnel, la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation des intérêts,

- confirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à Mme [C] [N] épouse [U], à MM. [T] et [J] [U], en leur nom personnel, la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'Etat à payer à M. [T] [U] et Mme [R] [S] veuve [U], Mme [O] [U] et M. [I] [U], en leur qualité d'héritiers de M. [J] [U], en qualité d'ayants droits de Mme [C] [N] épouse [U], à MM. [T] et [J] [U], pris isolément, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner l'État aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 16 avril 2021, l'agent judiciaire de l'Etat, intimé et appelant incident, demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [U] de leurs demandes indemnitaires au titre de leurs préjudices matériels,

- infirmer le jugement quant au quantum de l'indemnisation accordée au titre du préjudice moral et le ramener à de justes proportions,

- débouter les consorts [U] de toutes leurs demandes plus amples ou contraires,

- condamner in solidum les consorts [U] à lui verser la somme de 1 400 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Selon avis notifié par RPVA le 14 octobre 2022, le procureur général près la cour d'appel de Paris demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté les consorts [U] de leurs demandes indemnitaires au titre de leurs préjudices matériels,

- infirmer le jugement s'agissant du quantum de l'indemnisation accordée au titre du préjudice moral.

La procédure a été clôturée selon ordonnance rendue le 29 novembre 2022.

Sur ce,

[J] [U] étant décédé le 1er octobre 2021, ses ayants droits, Mme [R] [S], son épouse, Mme [O] [U], sa fille, et M. [I] [U], son fils, dont la qualité d'héritiers est attestée par un acte de notoriété en date du 16 décembre 2021, ont qualité et intérêt à poursuivre l'instance. Leur intervention est donc recevable.

Sur la responsabilité de l'Etat

Le tribunal a estimé que la responsabilité de l'Etat était engagée en retenant que bien qu'informé du décès de [L] [U] dès lors que le consulat général de France à Sao Paulo avait procédé à sa transcription le 15 février 1993, les services de l'état civil français avaient commis une faute lourde en n'apposant la mention de ce décès sur l'acte de naissance qu'en 2017, peu important de savoir si le consulat général avait omis de transmettre cette information à la mairie du lieu de naissance du défunt ou si cette dernière s'était abstenue de le transcrire.

Les appelants soutiennent que la responsabilité de l'administration pour une faute même simple peut être engagée en cas de carence dans l'exercice de ses fonctions et qu'en l'espèce la faute est évidente puisque les autorités publiques ont omis de transcrire le décès de M. [L] [U] sur son acte de naissance mais également de mettre à jour son livret de famille, de le radier des listes électorales, de s'assurer de la transcription de l'acte de décès sur les registres de l'état civil de la commune du domicile du défunt si celle-ci est distincte du lieu du décès, d'informer le greffier du tribunal d'instance ou le notaire qui a enregistré la convention initiale de Pacs et de faire toutes diligences pour informer la famille, et que de ce fait aucune cérémonie n'a été organisée, ce dernier ayant finalement été enterré dans le carré public puis vraisemblablement transféré dans la fosse commune et ses biens brésiliens dilapidés. Ils contestent en outre toute faute de leur part en expliquant avoir multiplié les démarches afin de retrouver leur proche et formé une requête en présomption d'absence en 2004, soulignant qu'en cas de saisine d'une autorité administrative incompétente, il appartenait à celle-ci de transmettre la demande à l'administration compétente en application de l'article L.114-2 du code des relations entre le public et l'administration, ce qui n'a pas été fait.

L'agent judiciaire de l'Etat répond qu'il n'est pas contestable que la responsabilité de l'Etat est engagée pour l'apposition tardive de la mention du décès mais relève toutefois que si les proches du défunt s'étaient adressés au service central d'état civil de [Localité 10] pour demander un acte de décès, ils auraient pu avoir connaissance du décès dès 1994 et que le consulat n'avait aucun moyen de prévenir la famille faute de connaître son existence ou leurs coordonnées, rappelant que la seule information en possession du consulat était l'acte de décès brésilien qui lui avait été transmis par la compagne du défunt dont il n'avait aucune raison de penser qu'elle n'avait pas fait le nécessaire pour l'enterrer dignement et prévenir le reste de la famille.

Le ministère public considère que l'apposition de la mention du décès de [L] [U] sur son acte de naissance a été effectuée en 2017 alors qu'il est décédé en 1992, de sorte qu'une faute lourde est caractérisée.

Les actes accomplis pour le fonctionnement du service public de l'état civil le sont au nom et pour le compte de l'Etat ; ils sont placés sous le contrôle de l'autorité judiciaire et la responsabilité de l'Etat peut être engagée sur le fondement de l'article L.141-1 du code de l'organisation judiciaire, lequel prévoit que l'Etat est tenu de réparer le dommage causé par le dysfonctionnement défectueux du service public de la justice. Cette responsabilité n'est engagée que par faute lourde ou par un déni de justice.

Selon l'article 79 du code civil, il doit être fait mention du décès en marge de l'acte de naissance de la personne décédée.

L'article 80, alinéa 1, du même code précise que lorsqu'un décès se sera produit ailleurs que dans la commune où le défunt était domicilié, l'officier de l'état civil qui aura dressé l'acte de décès enverra, dans le plus bref délai, à l'officier de l'état civil du dernier domicile du défunt, une expédition de cet acte, laquelle sera immédiatement transcrite sur les registres.

Il est justifié par les pièces produites que le décès de [L] [U] survenu le 18 novembre 1992 a été transcrit par le consulat général de France à Sao Paulo le 15 février 1993, en sorte qu'il a été porté à la connaissance des services de l'état civil français.

Or ce n'est que le 1er juin 2017 que cette mention a été apposée sur l'acte de naissance du défunt.

Cette carence, dont la cause n'a pas pu être identifiée, n'est pas contestée par l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public. Elle est constitutive d'une faute lourde.

La responsabilité de l'Etat est donc engagée sans qu'il puisse être reproché aux appelants de ne pas s'être adressés au service central d'état civil de [Localité 10], ceux-ci justifiant avoir entrepris en vain plusieurs démarches pour tenter de retrouver leur parent et le ministère public ne s'étant pas plus adressé à ce service dans le cadre de la procédure d'absence. A cet effet,il est constant que la famille de [L] [U] a pris attache avec le consulat général de France au Brésil en mars et juin 1992, avec le conseil supérieur des français de l'etranger en 1999, lequel a consulté le consulat de Rio, avec le ministère de l'intérieur en 2004 puis a saisi la justice aux fins de constatation puis de déclaration d'absence. Ainsi et nonobstant le caractére non pertinent de certaines démarches, il ne peut pas leur être opposé une inertie fautive de nature à limiter la responsabilité de l'Etat.

Sur les préjudices

Le tribunal a estimé que MM. [U] étaient fondés tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droit à obtenir l'indemnisation des dommages subis en lien avec la faute de l'Etat, retenant à ce titre l'existence d'un préjudice moral résultant de l'ignorance du décès, évalué à 15 000 euros chacun. Il a en revanche rejeté le préjudice matériel au titre des droits relatifs à la pension de réversion de [C] [U] dont il a considéré qu'ils n'étaient pas en lien causal suffisant avec la faute de l'Etat dès lors qu'il n'est pas justifié que cette dernière a tenté d'obtenir ces droits rétroactivement compte tenu de l'ignorance légitime du décès dans lequel elle s'est trouvée et des différentes impositions qui auraient amené à une diminution de la somme réclamée. Il a également rejeté tout préjudice résultant de la dissipation d'un patrimoine brésilien de [L] [U] sans qu'aucune succession ne soit organisée considérant que la preuve de son existence n'était pas rapportée.

Les appelants s'estiment recevables et bien fondés à obtenir réparation des préjudices matériels et moral subis. S'agissant du préjudice matériel lié au non paiement de la pension de reversion, ils soutiennent que [C] [N] était en droit de percevoir cette pension à compter du décès de son ex-époux, de sorte que ce droit est entré dans son patrimoine avant son décès et a été transmis à ses héritiers. Ils font grief aux premiers juges de ne pas avoir respecté le principe de la contradiction en ce qu'ils ont reproché aux demandeurs de ne pas avoir justifié que [C] [N] avait demandé le droit de bénéficier de manière rétroactive des pensions auxquelles elle pouvait prétendre, sans recueillir les observations des parties alors que ce point ne faisait pas l'objet d'un débat et que [C] [N] a au contraire bénéficié d'une telle rétroactivité comme cela ressort des éléments soumis au tribunal. Ils estiment que si l'administration n'avait pas commis de faute elle aurait déposé sa demande de pension dès le décès de son ex-époux et ainsi touché les pensions de réversion pendant vingt-quatre ans, de sorte qu'elle est en droit de prétendre au versement de la somme de 179 731,68 euros. Ils considèrent qu'aucune faute ne peut leur être reprochée dès lors qu'ils démontrent avoir effectué les démarches nécessaires dès la connaissance du décès. S'agissant de la succession de [L] [U], ils affirment que celui-ci ayant travaillé toute sa vie disposait d'un patrimoine certain qui n'a jamais pu être évalué et légué en raison de la faute de l'administration, les biens ayant été réattribués en l'absence de revendication des héritiers. Ils évaluent leur préjudice à ce titre à la somme de 30 000 euros. Enfin, s'agissant des préjudices immatériels pour lesquels ils sollicitent la confirmation, ils font état de l'incertitude inhérente à la situation, l'impossibilité de savoir si l'absence totale de nouvelles était liée à un choix définitif de la part de [L] [U] ou à des circonstances indépendantes de sa volonté, l'impossibilité d'être présent à sesfunérailles, l'impossibilité de lui offrir une sépulture décente auprès de laquelle sa famille pourrait se recueillir outre les troubles dans les conditions d'existence de cette dernière.

L'agent judiciaire de l'Etat réplique pour l'essentiel que les consorts [U] ne justifient d'aucun préjudice matériel né de cette apposition tardive et qu'ils sont, du fait de leur inertie à agir et des démarches réalisées auprès de personnes incompétentes, en partie responsables de cet état de fait, ce qui vient réduire leur préjudice. Il estime, s'agissant des demandes au titre de la pension de reversion, de nature personnelle et alimentaire, que seule [C] [N] aujourd'hui décédée, avait qualité pour formuler une telle demande et que ses ayants droits ne peuvent plus le faire. Il ajoute que ces sommes étant juridiquement des revenus auraient été dépensées au quotidien et auraient donné lieu au paiement de différentes taxes et impôts, de sorte que l'indemnisation de ce préjudice ne peut pas être l'addition mathématique des sommes telles que liquidées à partir de 2016. S'agissant du préjudice moral,il explique que celui-ci ne doit pas être confondu avec la peine de perdre un père ou un ex-époux et doit donc être diminué, soulignant que les requérants étaient sans nouvelle de [L] [U] pendant quatre ans avant son décès, que ce n'est pas son ex-épouse qui a entrepris les démarches et que seuls deux des quatre enfants sollicitent l'indemnisation d'un tel préjudice ce qui améne à s'interroger sur son existence même.

Le ministère public est d'avis que le dommage résulte de l'incertitude dans laquelle la famille a été plongée pendant vingt-quatre ans. A propos du préjudice matériel, il fait valoir que la demande de pension de réversion est une demande personnelle puisque faisant partie de la retraite de sorte que seule [C] [U] était en mesure de la formuler et que MM. [U] ne peuvent pas le faire à sa place. Il ajoute que dans la mesure où le patrimoine de [L] [U] n'a jamais été estimé, aucun préjudice matériel ne peut être retenu à ce titre puisqu'il n'est pas certain. Evoquant ensuite les consultations utiles qu'ils auraient dû entreprendre au regard de la lenteur et de l'absence de pertinence des démarches réalisées, il conclut à une inaction fautive empêchant d'accueillir leurs demandes. Sur le préjudice moral, au regard de l'absence de liens entre les consorts [U] et [L] [U], il estime que si l'Etat est certes responsable du préjudice moral résultant de l'apposition tardive de la mention du décès, sa responsabilité doit être largement atténuée.

Les consorts [U] sont fondés, tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droits, à obtenir l'indemnisation des préjudices certains en lien avec la faute de l'Etat.

- Le préjudice matériel

Il ne résulte pas des mentions du jugement que figurait dans le débat le moyen retenu par le tribunal selon lequel les demandeurs ne justifiaient pas que [C] [N] avait tenté d'obtenir ses droits rétroactivement. Cependant, le tribunal a pu, sans recueillir au prélalable les observations des parties, fonder sa décision au vu des pièces produites parmi lesquelles il n'est pas contesté que figurait la lettre de l'Agirc-Arrco du 3 mai 2018, une mauvaise lecture de celle-ci ne pouvant être assimilée à un défaut de respect du principe de la contradiction.

Le droit de [C] [N] à percevoir une pension de réversion est né du fait du décès de son ex-mari. Il est entré dans son patrimoine avant son propre décès survenu le 18 janvier 2019. M. [T] [U] et les ayants droits de [J] [U], ses héritiers, sont donc fondés à présenter une demande à ce titre.

Les appelants démontrent que le 10 novembre 2017, soit dès qu'elle a été informée du décès de son ex-mari, [C] [N], représentée par son fils, qui remplisssait les conditions d'âge et de ressources, a déposé auprès des caisses Agirc-Arrco une demande de pension de reversion de retraite complémentaire à laquelle il a été fait droit à compter du 1er novembre 2016, soit le premier jour du mois suivant le jugement du 7 octobre 2016 déclarant [L] [U] absent, par application de l'article R.353-7 du code de la sécurité sociale.

Il est certain qu'informée dès 1993, soit après la transcription du décès de son ex-époux, [C] [N], alors âgée de 63 ans et elle-même à la retraite à compter du 1er avril1993, moyennant des revenus de 4 170 francs, aurait demandé à bénficier de la pension de reversion à laquelle elle avait droit.

Ce préjudice est donc en lien direct avec la faute de l'Etat.

Il sera réparé par l'allocation de la somme réclamée et non contestée de 219 761,68 euros dès lors qu'il n'y a pas à en déduire des taxes ou impôts dont l'existence n'est pas établie puisqu'il est justifié par l'avis d'impôt 2019 qu'en 2018 [C] [W] n'était pas imposable.

Il convient d'assortir cette somme des intérêts aux taux légal à compter de la présente décision en application de l'article 1231-7 du code civil et d'ordonner la capitalisationdes intérêts échus depuis une année conformément à l'article 1343-2 du code civil.

En revanche, les appelants ne rapportent pas la preuve de ce que [L] [U] disposait au moment de son décés de biens dont ils auraient pu hériter, en sorte que leur demande à ce titre sera rejetée.

- Le préjudice moral

Le tribunal a considéré à juste titre que l'ignorance dans laquelle l'ex-épouse et les enfants de [L] [U] se sont trouvés pendant de nombreuses années avait nécessairement entraîné un préjudice moral, lequel a été justement évalué à la somme de 15 000 euros chacun, le montant de celle-ci, qui est sans commune mesure avec celles habituellement allouées en cas de décès d'un parent proche, témoignant de ce qu'il a été tenu compte de l'éloignement de [L] [U] de sa famille.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Déclare recevable l'intervention de Mme [R] [S], Mme [O] [U] et M. [I] [U] en leur qualité d'ayants droits de [J] [U] ;

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté MM. [T] et [J] [U] de leur demande au titre de la pension de reversion de [C] [N] ;

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à M. [T] [U], en sa qualité d'ayant droit de [C] [N], et à Mme [R] [S], Mme [O] [U] et M. [I] [U] en leur qualité d'ayants droits de [J] [U], lui-même ayant droit de [C] [N], la somme de 219 761,68 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts échus depuis une année conformément à l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat aux dépens de la procédure d'appel ;

Condamne l'agent judiciaire de l'Etat à payer à l'ensemble des appelants, M. [T] [U], tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de [C] [N], et à Mme [R] [S], Mme [O] [U] et M. [I] [U] en leur qualité d'ayants droits de [J] [U], lui-même tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'ayant droit de [C] [N], la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/08058
Date de la décision : 31/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-31;20.08058 ?
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