RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 30 JANVIER 2023
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/15689
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du Premier Président, assistée de Mme Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats et assistée de Mme Camille LEPAGE, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 03 Novembre 2020 par :
M. [Z] [O] [S]
né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 3] (.), demeurant [Adresse 2] ;
non comparant, représenté par Me Cloé SCIALOM, avocate au barreau de PARIS, substituant Me Hector BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, toque : A072
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 Décembre 2022 ;
Entendus :
- Me Cloé SCIALOM, avocate au barreau de PARIS, substituant Me Hector BERNARDINI, avocat au barreau de PARIS, toque : A072, représentant M. [Z] [O] [S],
- Me Colin MAURICE - SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1844 représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
- Madame Anne BOUCHET, Substitute générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [Z] [O] [S], de nationalité colombienne, a été mis en examen du chef de viol et incarcéré à la maison d'arrêt de [Localité 5] du 21 janvier 2015 au 2 juillet 2015.
Il a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu rendue le 2 novembre 2018, confirmée par un arrêt de la chambre de l'instruction du 24 octobre 2019, devenu définitif selon certificat de non-pourvoi du 5 avril 2022.
Le 3 novembre 2020, M. [S] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris, en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans sa requête et ses conclusions notifiées par RPVA le 8 décembre 2022, soutenues oralement, les sommes suivantes :
- 15 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 55 227,14 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures déposées et notifiées par RPVA le 7 décembre 2022, reprises à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de rejeter les demandes au titre du préjudice matériel, d'allouer à M. [S] la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et de ramener à de plus justes proportions le montant sollicité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, dans ses conclusions remises le 24 octobre 2022, conclut également, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête et à titre subsidiaire à l'indemnisation du préjudice moral pour une détention provisoire de cinq mois et douze jours mais au rejet de la demande formée au titre du préjudice matériel.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
En l'espèce, il ne résulte ni de l'arrêt du 24 octobre 2019 ni de sa signification faite le 6 novembre suivant à l'étude de l'huissier de justice que M. [S] ait été informé de ce délai, lequel n'a donc pas commencé à courir.
La requête de M. [S], qui est signée par son avocat, est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 21 janvier 2015 au 2 juillet 2015 pour une durée de cinq mois et douze jours.
Sur l'indemnisation
- Le préjudice moral
M. [S], qui rappelle n'avoir jamais été confronté à la justice avant son incarcération, fait état d'un véritable épisode traumatique, aggravé par les conditions de détention dans un établissement vétuste et surpeuplé, par la nature des faits reprochés qui lui ont fait craindre pour sa personne au point de refuser toute activité ou promenade et par
la peine encourue de nature criminelle source d'angoisses importantes Il allègue également d'une atteinte à son honneur et à sa réputation, d'un éloignement familial et de la privation de fêtes familiales et religieuses alors qu'il appartient à une communauté de fervents croyants.
L'agent judiciaire de l'Etat soutient pour l'essentiel que l'atteinte à l'honneur et à la réputation qui sont liées à la mise en accusation échappe au contrôle du premier président.
Le procureur général ne conteste pas l'existence d'un préjudice moral tenant compte de l'âge du requérant, du choc carcéral et de la durée de la détention mais écarte en l'absence de lien de causalité l'atteinte alléguée à l'honneur et à la réputation et faute d'éléments les facteurs d'aggravation qui auraient résulté des conditions de détention et du fait d'avoir manqué certaines festivités avec sa famille.
Célibataire sans enfant, âgé de 36 ans lors de son placement en détention, confronté pour la première fois au monde carcéral, M. [S] a subi un choc psychologique certain et son préjudice a été aggravé par le fait qu'il a été éloigné de sa famille vivant en Colombie, l'enquête de personnalité mentionnant toutefois que ce dernier avait indiqué ne pas posséder leurs coordonnées téléphoniques ou postales 'ayant peu de contacts avec eux à ce jour, avoir de prompts liens avec son frère et aucun avec sa belle-soeur' pas plus qu'avec sa soeur ou ses demi-frères. Cette détention d'une durée de cinq mois et douze jours a en outre été subie dans un établissement vétuste dans lequel les conditions de vie étaient difficiles comme cela a été dénoncé notamment dans le rapport du 18 novembre 2016 du contrôleur général des lieux de privation de liberté.
Si la nature criminelle de l'infraction reprochée ne peut être retenue comme un facteur d'aggravation du préjudice moral, la souffrance psychologique engendrée par une mise en cause pour viol constitue également un facteur d'aggravation du préjudice moral.
Enfin, il n'est justifié d'aucun élément démontrant une atteinte à la réputation de M. [S] ou de sa participation antérieure àdesfestivités religieuses en famille, en sorte qu'il lui sera alloué en réparation de son préjudice moral une somme de 14 000 euros.
- Le préjudice matériel
* Les frais d'avocat
S'agissant des honoraires d'avocat, seule la part des frais dont il est prouvé qu'ils sont en rapport direct avec la détention peut donner lieu à réparation
A l'appui de sa demande, M. [S] produit une convention d'honoraires régularisée avec maître [U] prévoyant un honoraire forfaitaire de 4 500 euros pour le suivi de l'instruction et un taux horaire150 euros ainsi qu'un relevé de diligences manuscrit non daté et non signé mentionnant pour l'essentiel un travail de consultation et d'analyse du dossier, une visite, la préparation et l'assistance à une confrontation devant le juge d'instruction. Ces diligences n'étant pas en lien exclusif avec le contentieux de la détention, la demande à ce titre ne peut qu'être rejetée.
* La perte de revenus
M. [S] prétend qu'au moment de son incarcération il était employé par la société [6] en qualité d'électricien moyennant un salaire brut mensuel de base de 2 180,23 euros et qu'il a perdu ce salaire durant son incarcération puis pendant les huit mois qui lui ont été nécessaires pour retrouver un emploi, le 8 février 2016, peu important qu'il ait été ou non déclaré par son employeur et réclame à ce titre une somme de 24 727,14 euros.
L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public s'opposent à cette demande au motif que la perte de revenus non déclarés ne peut donner lieu à indemnisation.
Outre que M. [S] ne produit aucun bulletin de salaire antérieur à son incarcération, il ressort de ses propres déclarations aux services de police et à l'enquêteur de personnalité que lors de son placement en détention il travaillait sans être déclaré par son employeur tout en percevant des indemnités de chômage pour avoir fait l'objet d'un licenciement économique.
La perte de revenus ou d'un emploi non déclarés ne pouvant pas donner lieu à indemnisation, la demande à ce titre sera rejetée.
* Le préjudice de carrière
M. [S] prétend d'une part que sa progression dans la société [6] a été stoppée du fait de son incarcération, qu'il a perdu son ancienneté et toute possibilité de promotion interne et, d'autre part, qu'à la suite de son embauche par la société [4], son salaire n'était plus que de 1 600 euros bruts mensuels, soit une baisse de revenus de 5 000 euros environ depuis sa libération. Il allègue en outre d'une perte de son titre de séjour du fait de son absence à un rendez-vous fixé le 26 janvier 2015 à la préfecture aux fins de renouvellement de son titre de séjour.
L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public s'opposent également à cette demande en l'absence d'emploi déclaré avant l'incarcération.
M. [S] ayant été licencié par la société [6], placée en liquidation judiciaire en mars 2014, ne peut prétendre que son incarcération postérieure a mis un frein à sa carrière. Par ailleurs, il ne justifie pas de la période durant laquelle il aurait perdu son titre de séjour du fait de l'incarcération, en sorte que sa demande à ce titre sera également rejetée.
Il convient, en conséquence, de débouter le requérant de sa demande en réparation de son préjudice matériel.
PAR CES MOTIFS
Déclarons la requête de M. [Z] [O] [S] recevable ;
Allouons à M. [Z] [O] [S] les sommes suivantes :
- 14 000 euros au titre du préjudice moral ;
- 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboutons M. [Z] [O] [S] de sa demande au titre du préjudice matériel,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 30 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ