RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 30 Janvier 2023
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/15658 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCSM5
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Mme Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats, et assistée de Mme Camille LEPAGE greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 03 Septembre 2020 par :
M. [O] [G]
né le [Date naissance 2] 1993 à [Localité 5],
Demeurant [Adresse 1] ;
non comparant, représenté par Me Gustave CHARVET, avocat au barreau de PARIS
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 Décembre 2022 ;
Entendus :
Me Gustave CHARVET représentant M. [O] [G],
Me Claire FORNACCIARI, avocate au barreau de PARIS, toque : P0141 substituant Me Xavier NORMAND BODARD - SCP NORMAND & ASSOCIES représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [O] [G] a été mis en examen du chef de complicité de vol par ruse dans un lieu utilisé ou destiné à l'entrepôt de fonds.
Il a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 3] du 20 octobre 2016 au 19 février 2017.
Le 24 février 2020, il a bénéficié d'une ordonnance de non-lieu. Cette décision est devenue définitive selon certificat de non appel en date du 29 mai 2020.
Le 3 septembre 2020, M. [G] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris, en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans sa requête, soutenue oralement, les sommes suivantes :
- 19 704,37 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 61 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures déposées le 20 mai 2022, reprises à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de ramener à de plus justes proportions les demandes formulées à la fois au titre du préjudice matériel qui ne saurait excéder la somme de 14 446 euros, qu'au titre du préjudice moral qui ne saurait excéder 8 000 euros. Enfin, il s'en rapporte sur les frais irrépétibles.
Le procureur général, dans ses conclusions du 24 octobre 2022, développées oralement, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de quatre mois, à l'indemnisation du préjudice moral prenant en considération l'âge du requérant, sa précédente incarcération, la situation à la maison d'arrêt de [Localité 3] et à l'indemnisation de son préjudice matériel tenant compte de sa demande d'indemnisation au titre des frais d'avocat.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.
A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [G] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 3 septembre 2020, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive. Cette requête est signée par son avocat et la décision n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
La demande de M. [G] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 20 octobre 2016 au 19 février 2017 soit pour une durée de quatre mois.
Sur l'indemnisation
- Le préjudice moral
Pour solliciter une indemnisation à hauteur de 500 euros par jour, M. [G] invoque un préjudice important en raison de son âge, de la durée de la détention, du fait qu'il venait d'être embauché en contrat à durée indéterminée et de conditions de détention ayant eu des conséquences morales et familiales du fait des violences subies en détention et des conditions de détention dans un établissement vétuste et surpeuplé.
L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public ne contestent pas l'existence d'un préjudice moral mais exposent qu'il convient de prendre en considération le passé judiciaire du requérant et notamment une précédente incarcération de nature à le diminuer. Ils ajoutent que les violences alléguées ne sont pas étayées.
Agé de 23 ans au moment de son incarcération, M. [G], qui était célibataire et sans enfant, a subi un choc carcéral certain qui a toutefois été amoindri par une précédente incarcération effectuée entre le 25 mai 2012 et le 18 février 2013.
Si la preuve des violences dont il fait état n'est rapportée par aucun élément probant, la seule attestation de son père étant insuffisante à cet égard, l'état de vétusté et de surpopulation chronique de la maison d'arrêt de [Localité 3], parfaitement notoire et régulièrement dénoncé par divers rapports, notamment celui du contrôleur général des lieux de privation de liberté de mars 2017 faisant suite à une visite effectuée en septembre 2016, doit être retenu comme un facteur aggravant le préjudice né des conditions de la détention en ce qu'il a nécessairement eu un impact sur le quotidien de M. [G].
Il lui sera alloué une somme de 11 000 euros à ce titre.
- Le préjudice matériel
M. [G], qui explique qu'au jour de son incarcération, il était employé dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée moyennant une rémunération brute mensuelle de 2 431,27 euros, invoque en premier lieu une perte de salaires durant quatre mois et neuf jours puisqu'il n'a pu reprendre son activité professionnelle que le 1er mars 2017,soit une somme de 10 454,46 euros (4 x 2 431,27 + 2 431,27/30 x 9). Il ajoute en deuxième lieu qu'à sa sortie le poste d'assistant boulanger n'était plus disponible et qu'il a été engagé en qualité d'employé polyvalent au salaire mensuel de 1480,30 euros, ce qui lui a fait perdre une chance d'être mieux rémunéré pendant six mois, soit 5 705,82 euros (950,97 x 6 mois). En troisième lieu, il fait état du non-paiement des indemnités de congés payés afférents aux quatre mois de salaire perdus, soit 944,03 euros. Il explique la contradiction entre ses déclarations par la peur de perdre son nouvel emploi. Enfin, il demande l'indemnisation de ses frais de défense engagés pour obtenir sa mise en liberté, soit 2 600 euros.
Le ministère public et l'agent judiciaire de l'Etat concluent au rejet des demandes formées au titre de la perte de salaire, des congés payés et de la perte de chance de percevoir des revenus supérieurs relevant qu'au cours de la procédure, M. [G] avait déclaré aux enquêteurs et au juge des libertés et de la détention ne pas travailler et devoir signer un contrat avec la société Drive car. A titre subsidiaire, l'agent judiciaire de l'Etat précise que l'indemnisation ne peut être calculée que sur le salaire net.
Concernant les frais d'avocat, le ministère public est d'avis d'accueillir la demande tandis que l'agent judiciaire de l'Etat estime que seule la seconde facture peut donner droit à indemnisation, la première ne comportant aucun détail et faisant état de diligences classiques non exclusivement en lien avec le contentieux de la détention provisoire.
Bien qu'il ait déclaré au cours de la procédure être sans emploi, M. [G], à qui il ne peut être fait grief d'avoir menti, produit :
- un contrat à durée indéterminée, en date du 10 octobre 2016, régularisé entre lui-même et la SARL [4], prévoyant son embauche à compter du 2 octobre 2016 en qualité d'employé boulanger moyennant un salaire brut mensuel de 2 431,27 euros,
- une attestation du gérant de la SARL [4], datée du 10 août 2020, certifiant avoir signé ce contrat mais avoir dû y mettre fin en raison de l'incarcération de M. [G],
- des bulletins de salaire émis par la SARL [4] pour la période du 1er mars 2017 au 31 août 2017 en qualité d'employé qualifié moyennant un salaire brut mensuel de 1 480,30 euros, soit 1136,23 net.
Ces éléments suffisent à établir la réalité de l'emploi et donc les pertes de salaire et de congés payés et la perte de chance de percevoir des revenus supérieurs, lesquelles doivent toutefois être calculées, comme justement relevé par l'agent judiciaire de l'Etat, sur le salaire net.
Il sera pas conséquent fait droit à la demande de ces chefs à hauteur de 13 346,10 euros conformément aux calculs repris en page 6 des conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat.
Concernant les frais d'avocat, M. [G] produit deux factures d'honoraires datées des 9 décembre 2016 et 4 février 2017 visant des diligences en lien avec la privation de liberté dès lors que l'interrogatoire de première comparution suivi d'un débat devant le juge des libertés et de la détention, mentionnés sur la première facture, sont en lien avec la détention provisoire.
Il sera donc fait droit à cette demande à hauteur de 2 600 euros.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons la requête de M. [G] recevable ;
Allouons à M. [G] sommes suivantes :
- 11 000 euros au titre du préjudice moral ;
- 15 946,10 euros au titre du préjudice matériel ;
- 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons des dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 30 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ