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30/01/2023 | FRANCE | N°20/09253

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 30 janvier 2023, 20/09253


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 13



RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES



DÉCISION DU 30 JANVIER 2023



(n° , pages)



N°de répertoire général : N° RG 20/09253



Décision contradictoire en premier ressort ;



Nous, Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Mme Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats

, et assistée de Mme Camille LEPAGE, greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :



Statuant sur la requête déposée le 02 juin 2020 par :



M. ...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 13

RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES

DÉCISION DU 30 JANVIER 2023

(n° , pages)

N°de répertoire général : N° RG 20/09253

Décision contradictoire en premier ressort ;

Nous, Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Mme Nora BENDERRADJ, Greffière, lors des débats, et assistée de Mme Camille LEPAGE, greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :

Statuant sur la requête déposée le 02 juin 2020 par :

M. [J] [X]

né le [Date naissance 2] 1959 à [Localité 5] (CHINE), demeurant [Adresse 1] ;

non comparant, représenté par Me Dogou KOUASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : E2352 substituant Me Jing QIAO, avocat au barreau de PARIS, toque : B0805

Vu les pièces jointes à cette requête ;

Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;

Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 12 Décembre 2022 ;

Entendus :

Me Dogou KOUASSI, avocat au barreau de PARIS, toque : E2352 substituant Me Jing QIAO, représentant M. [J] [X],

Me Célia DUGUES, avocate au barreau de PARIS substituant Me Fabienne DELECROIX- SELARL DELECROIX-GUBLIN, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,

Madame Anne BOUCHET, Substitute générale,

Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;

Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;

* * *

M. [J] [X], de nationalité chinoise, a été mis en examen des chefs d'escroquerie en bande organisée et placé en détention provisoire du 12 mai 2011 au 11 septembre 2011, date à laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire par le juge des libertés et de la détention.

Il a été relaxé par jugement rendu le 6 décembre 2019 par le tribunal correctionnel de Paris. Il n'est pas contesté que cette décision est devenue définitive à son égard.

Le 2 juin 2020, M. [X] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris, en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.

Il sollicite dans sa requête et ses dernières écritures déposées le 8 juin 2022, soutenues oralement, les sommes suivantes :

- 80 000 euros pour perte du prix de droit d'entrée au restaurant [X] [X] Osaka sushi,

- 82 615 euros pour la perte de bénéfices de la société [3],

- 64 165 euros pour les travaux de la société [3],

- 117 615 euros pour la perte de bénéfices de la société [X] [X] Europe style en 2011,

- 158 394 euros au titre de sa perte de revenus depuis 10 ans,

- 15 000 euros au titre de son préjudice moral,

- 50 000 euros pour les endurances physiques et invalidité qu'il a subies du fait de sa détention,

- 30 840 euros au titre de ses frais d'avocat,

- 111 463 euros pour perte de revenu familial liée à l'absence de son épouse au travail,

- 100 000 euros pour la disparition de son fils et l'interruption des études scolaires de sa fille,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par écritures déposées le 15 avril 2022, reprises à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de juger la requête de M. [X] recevable et lui allouer 7 000 euros au titre de son préjudice moral, de le débouter de ses demandes au titre de son préjudice matériel et de ramener à de plus justes proportions la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Le procureur général, dans ses conclusions déposées le 24 octobre 2022, développées oralement, conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de 119 jours, à la réparation du préjudice moral proportionnée à la durée de la détention subie, au fait qu'il s'agit d'une première incarcération et à sa situation familiale mais tenant compte de l'absence de lien de causalité concernant le préjudice corporel et familial invoqué. En outre, il conclut au rejet du préjudice matériel.

Le requérant a eu la parole en dernier.

SUR CE,

Sur la recevabilité

Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention.

A cette fin, il lui appartient de saisir, dans les six mois de cette décision, le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.

Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée, et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.

M. [X] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 2 juin 2020, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive. Cette requête est signée par son avocat et la décision n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.

La demande de M. [X] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 12 mai 2011 au 11 septembre 2011, soit pour une durée de trois mois et vingt-neuf jours.

Sur l'indemnisation

- Le préjudice matériel

M. [X] prétend :

- qu'il a créé la SARL [X] [X] Osaka sushi, qui exploite un restaurant, en 2009 par l'acquisition d'un droit d'entrée de 80 000 euros et qu'en suite de son placement en détention le restaurant dont il était le cuisinier en chef a fermé et qu'il a donc perdu 80 000 euros et une perte de chance,

- que le chiffre d'affaires de la SARL [3] qu'il gérait a chuté de 713 524 euros en 2010 à 451 254 euros en 2011, soit une perte de 262 270 euros et de bénéfices de 82 615 euros en suite de sa détention,

- que la SARL [3] a été cédée au prix de 5 980 euros alors que des travaux de rénovation effectués en avril 2010 lui avaient couté 70 415 euros soit une perte subie de 64 165 euros,

- que sa détention a également fait chuter le chiffre d'affaires de la SARL [X] [X] Europe style qu'il gérait de 689 447 euros en 2010 à 316 063 euros en 2011, soit une perte de bénéfices de 117 615 euros,

- que sa santé s'est dégradée en prison de sorte que depuis sa sortie il n'est plus en capacité de travailler et a ainsi perdu neuf ans de rémunération sur la base du Smic soit 158 394 euros,

- que ses frais de défense se sont élevés à 30 840 euros.

L'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public contestent tous les chefs de préjudice allégués pour conclure au rejet des demandes formulées à ce titre.

Il est établi tant par le bail commercial régularisé entre la SCI [4] et Mme [F] [X] que par la fiche de la société [X] [X] Osaka sushi extraite du site Société.com que cette société était dirigée en droit par Mme [F] [X] et non par son père.

Faute pour celui-ci de démontrer l'existence du paiement de 80 000 euros dont il allègue la perte et les raisons de la dissolution de celle-ci en janvier 2012, aucune perte de revenus ou de chance ne peut être indemnisée de ce chef.

Il résulte des liasses fiscales produites que la SARL [3], qui était gérée par M. [X] [X], a vu son chiffre d'affaires passer de 711 868 euros pour l'exercice 2010 à 284 363 euros en 2011 et son résultat de 5 928 euros à 2 283 euros. Il est également justifié de la reprise d'un bail en mai 2013 pour une somme de 5 980 euros.

Toutefois, outre que les difficultés rencontrées par la société sont distinctes du préjudice personnel de son dirigeant, il n'est pas démontré que la détention de M. [X] [X] a constitué la cause première et déterminante de cette cessation d'activité, à la supposer établie, et la preuve du coût des travaux que M. [X] [X] aurait supporté n'est pas plus rapportée.

Ses demandes à ce titre seront donc rejetées.

Il en est de même de la diminution du chiffre d'affaires et du bénéfice de la société [X] [X] Europestyle laquelle ne peut se confondre avec le préjudice personnellement souffert par son dirigeant, qui n'est pas démontré, étant en outre observé que le dégât des eaux dont il est fait état est intervenu le 11 avril 2012 soit postérieurement à la libération du requérant.

Ce dernier, qui ne justifie ni de sa qualification professionnelle ni des revenus qu'il percevait avant son incarcération ni des revenus tirés par la suite de la gérance de la société [X] [X] Europestyle ni d'aucune démarche pour éventuellement retrouver un emploi n'établit pas que la détention subie en 2011 l'aurait privé de la possibilité d'exercer un emploi postérieurement à son élargissement et donc d'une perte de chance de percevoir des revenus.

Sa demande à ce titre sera donc également rejetée.

S'agissant des frais de défense, le requérant produit tout d'abord une facture récapitulative d'honoraires de 9392 euros, reprenant six factures datées du 16 mai 2011 au 18 mai 2012, au nom de maître de Boissieu qui mentionne au titre des missions 'libération provisoire du mis en détention à la maison d'arrêt de La Santé, visites à la maison d'arrêt, dépôt de demande de mise en liberté, lecture du dossier'. Cette facture qui ne détaille pas et ne permet pas d'individualiser les prestations en lien exclusif avec le contentieux de la liberté ne peut pas être retenue.

En revanche, les quatre factures au nom de maître Qiao, bien que non numérotées, visent, hors les visites en maison d'arrêt non justifiées, des diligences en lien avec la détention provisoire à hauteur de 10 900 euros hors taxes. Il convient par conséquent d'allouer à M. [X] une somme de 13 080 euros à ce titre.

- Le préjudice moral

M. [X] allègue d'un choc carcéral important en raison de son âge, de la séparation familiale, du fait qu'il dirigeait plusieurs sociétés en bon fonctionnement et en raison de l'état de la maison d'arrêt ayant un taux d'occupation élevé. Il invoque également un préjudice familial, soulignant qu'il n'a pas pu se rendre aux obsèques de son père et de sa tante, que son fils en dépression a usé de drogues et a été hospitalisé en 2016 dans un centre de désintoxication avant de disparaitre, que sa fille a interrompu ses études et suivi un traitement psychologique, que son épouse a dû abandonner son travail pour prendre soin de lui soit une perte de salaire, sur la base du Smic en 2016, de 111 463 euros (1 466,62 x 76 mois).

Si l'agent judiciaire de l'Etat et le ministère public reconnaissent l'existence d'un préjudice moral, ils rappellent toutefois que seul le préjudice personnellement subi et en lien direct avec la détention peut être réparé et critiquent les différents chefs de préjudice.

Agé de 52 ans au moment de son incarcération d'une durée de trois mois et vingt-neuf jours, M. [X], qui bien que déjà condamné à plusieurs reprises, n'avait jamais connu l'univers carcéral, a subi un choc certain, aggravé par la séparation d'avec son épouse et ses deux enfants.

Cependant, aucune preuve d'un lien de causalité direct entre la dépression de Mlle [X] [F] débutée fin 2011, la rupture de son contrat d'apprentissage en février 2012, les soins apportés à son frère courant juin et juillet 2016 et la disparition de celui-ci d'une part, et la détention de leur père d'autre part, n'est rapportée, la seule attestation de Mlle [X] [F] étant insuffisante à cet égard.

M. [X] ne justifie pas de l'existence d'obsèques auxquelles il n'aurait pas pu assister du fait de sa détention. Il ne démontre pas plus que la détention serait à l'origine d'une dégradation de sa santé alors qu'il a été suivi lors de celle-ci puisqu'il indique avoir vu un médecin quotidiennement et qu'il a été hospitalisé. Au demeurant, les comptes-rendus des 21 octobre 2016 et 21 août 2016 mentionnent l'existence d'un diabète de type 2 connu depuis 1997 et d'une insuffisance rénale chronique connue au moins depuis 2015, soit postérieurement à son élargissement.

La perte de salaire de l'épouse de Mme [X], à la supposer établie, les bulletins de salaire antérieurs à la détention de son époux montrant déjà un travail à temps partiel, n'est pas un préjudice personnel du requérant et ne peut donc pas être indemnisé.

Enfin, le requérant dénonce les conditions de sa détention à la maison d'arrêt de La Santé, notamment la surpopulation ; néanmoins il ne démontre pas avoir subi personnellement des conditions de détention particulièrement difficiles.

Il convient, dans ces conditions de lui allouer la somme de 13 000 euros en réparation de son préjudice moral mais de le débouter de ses demandes au titre de la perte de revenu familial, de la disparition de son fils et de l'interruption des études scolaires de sa fille.

- Le préjudice physique

M. [X] invoque un préjudice physique du fait de la dégradation de son état de santé précisant avoir vu un médecin tous les jours durant son hospitalisation, avoir été hospitalisé et subi une crise de diabète ayant entrainé la cécité totale de son oeil droit outre une insuffisance rénale importante.

L'agent judiciaire de l'Etat soutient qu'aucun élément n'est produit sur l'existence d'une cécité totale d'un oeil et qu'aucun lien de causalité n'est établi entre la détention et cette atteinte physique pas plus qu'avec l'insuffisance rénale dont il est atteint depuis 2015 et l'invalidité reconnue depuis 2020.

S'il est établi que M. [X] a du diabéte depuis 1997 et qu'il a dû être hospitalisé durant son incarcération, sans précision sur les raisons et la durée de celle-ci, celui-ci affirme mais ne démontre pas qu'une crise de diabète en prison aurait causé la cécité totale de son oeil droit et que ses fonctions reinales étaient 'totalement détruites' au jour de sa mise en liberté. En effet les différents documents médicaux produits ne font aucun lien entre la détention et l'insuffisance rénale connue depuis 2015, étant en outre relevé que la carte d'invalidité lui a été délivrée en mars 2020, soit de nombreuses années après sa libération.

La demande au titre d'un préjudice physique sera par conséquent également rejetée.

PAR CES MOTIFS

Déclarons la requête de M. [J] [X] recevable ;

Allouons à M. [X] les sommes suivantes :

- 13 000 euros au titre du préjudice moral ;

- 13 080 euros au titre du préjudice matériel ;

- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboutons M. [J] [X] du surplus de ses demandes,

Laissons des dépens à la charge de l'Etat.

Décision rendue le 30 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 13
Numéro d'arrêt : 20/09253
Date de la décision : 30/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-30;20.09253 ?
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