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26/01/2023 | FRANCE | N°22/12482

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 2, 26 janvier 2023, 22/12482


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 26 JANVIER 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12482 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGC4F



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Juin 2022 -Président du TJ de [Localité 6] - RG n° 21/54522





APPELANTE



E.A.R.L. ABLEIGES, RCS de [Localité 7] n°804 509 206, prise en

la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège



[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Marie SOYER de la SCP LACHAUD MANDEVILLE CO...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2

ARRET DU 26 JANVIER 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12482 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGC4F

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 20 Juin 2022 -Président du TJ de [Localité 6] - RG n° 21/54522

APPELANTE

E.A.R.L. ABLEIGES, RCS de [Localité 7] n°804 509 206, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Marie SOYER de la SCP LACHAUD MANDEVILLE COUTADEUR & Associés - DROUOT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : W06

Assistée à l'audience par Me Ophélie MONNIER, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. [Localité 9] SUCRE, RCS de [Localité 6] n°602 056 749, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Benjamin MOISAN de la SELARL BAECHLIN MOISAN Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : L34

Assistée à l'audience par Maîtres Valentine VITERBO et Elise GOBEL, avocats au barreau de PARIS, toque : J021

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 14 Décembre 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par Mme Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre conformément aux articles 804, 805 et 905 du CPC, les avocats ne s'y étant pas opposés.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller

Michèle CHOPIN, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE

La société [Localité 9] Sucre est spécialisée dans le traitement des betteraves sucrières en vue de la fabrication de sucre.

La société Ableiges cultive des betteraves sucrières qu'elle vend à la sucrerie d'[Localité 5] (27) de la société [Localité 9] Sucre.

Les relations entre la société [Localité 9] Sucre et les planteurs de betteraves, dont la société Ableiges, sont régies par des contrats de livraison de betteraves, aux termes desquels les planteurs s'engagent à livrer à la sucrerie une certaine quantité de betteraves à 16° (teneur en sucre de 16% minimum).

Pour la campagne 2019/2020, la société Ableiges s'était engagée à livrer 480 tonnes de betteraves à 16° à la société [Localité 9] Sucre.

Suivant bon de réception en date du 16 janvier 2020, la société [Localité 9] Sucre a pesé et facturé une quantité de 356,665 tonnes de betteraves livrées par la société Ableiges.

Contestant le différentiel entre la quantité de betteraves produites et mises en silos aux fins d'enlèvement par la société [Localité 9] Sucre et la quantité facturée par cette dernière, la société Ableiges a assigné sa cocontractante par acte du 18 mai 2021 devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris, aux fins de voir ordonner une expertise au visa de l'article 145 du code de procédure civile.

Par ordonnance contradictoire du 20 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris a rejeté la demande d'expertise, dit n'y avoir lieu à condamnation au titre des frais irrépétibles et mis à la charge de chaque partie les dépens par elles exposés.

Par déclaration du 4 juillet 2022, la société Ableiges a relevé appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 6 décembre 2022, elle demande à la cour d'infirmer l'ordonnance entreprise et statuant à nouveau, de :

- désigner tel expert agricole avec pour mission de :

1. Prendre connaissance du dossier, se faire remettre les pièces et documents utiles, entendre, recueillir les dires et observations des parties ;

2. Se faire remettre notamment les parcours géolocalisés des camions ayant approché les silos de betteraves de la SCEA pour les récoltes 2019 et 2017 les jours d'enlèvement desdits silos, et tous documents et pièces qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission, notamment les carnets métrologiques des appareils de pesée, de tare de déchets ;

3. Examiner lesdits parcours des camions ayant effectué le transport et la livraison des betteraves :

a. au cours de la nuit du 14 au 15 janvier 2020, depuis les silos 72230351 et 72230350 appartenant à la société EARL Ableiges situés sur le territoire de la commune d'Ableiges, jusqu'à l'usine de [Localité 8] ou l'usine d'[Localité 5], en ayant accès aux données de géolocalisation de ceux-ci ;

b. au cours de la nuit du 1er au 2 novembre 2017, depuis le silo n°69900950 appartenant la société EARL Ableiges situés sur le territoire de la commune d'Ableiges, jusqu'à l'usine de [Localité 8] ou l'usine d'[Localité 5], en ayant accès aux données de géolocalisation de ceux-ci;

4. Identifier tous les camions ayant transités à proximité du silo lors de la nuit du 1er au 2 novembre 2017 et les camions ayant transités à proximité des silos n°72230351 et n°72230350 lors la nuit du 14 au 15 janvier 2020 ;

5. Examiner les parcours desdits camions, les éventuels arrêts auprès de silos de la SCEA Ableiges, le temps passé ainsi que le temps passé à attendre près d'éventuels silos tiers, leurs tonnages, la teneur en sucre des betteraves et le prix payé par la société Saint-Louis Sucre pour ces chargements ainsi que le numéro de silo et l'exploitation agricole auxquels ils ont été affectés;

6. estimer le tonnage de betteraves effectivement livrées par la société EARL Ableiges en 2017 et 2019, estimer le tonnage de betteraves livrées par l'EARL Ableiges mais non enregistré par [Localité 9] sucre en 2017 et 2019 et déterminer le préjudice financier subi par la société EARL Ableiges à raison de ces défauts d'enregistrement ;

7. donner son avis sur les causes du défaut d'enregistrement de l'intégralité de la production de betteraves de la société EARL Ableiges pour les années 2017 et 2019 ;

8. donner un avis sur les responsabilités encourues et leur proportion en cas de pluralité de responsabilités ;

9. fournir tous éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie au fond d'évaluer les préjudices subis par la société requérante, et de se prononcer sur les responsabilités et obligations des parties ;

10. s'expliquer sur les dires et observations des parties qu'il aura recueillis après le dépôt de son pré-rapport et le cas échéant, compléter ses investigations ;

- fixer la provision à consigner au greffe à titre d'avance sur les honoraires de l'expert dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir ;

- condamner la société [Localité 9] Sucre à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- réserver les dépens en l'état.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 2 décembre 2022 la société [Localité 9] Sucre demande à la cour de :

A titre principal,

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise formulée par la société EARL Ableiges sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et débouté celle-ci de l'intégralité de ses demandes ;

- débouter la société EARL Ableiges de l'intégralité de ses demandes.

A titre subsidiaire,

- nommer l'expert qu'il plaira à la cour et qui aura pour mission de :

1. Recueillir les dires et observations des parties ;

2. Déterminer s'il est possible d'estimer de manière fiable la quantité de betteraves à 16° chargée par les camions ayant, dans la nuit du 14 au 15 janvier 2020, effectué le transport et la livraison des betteraves contenues dans les silos de la société EARL Ableiges par une méthode autre que celle utilisée par la société [Localité 9] Sucre ;

3. Dans la positive, déterminer s'il existe une différence importante, à la hausse ou à la baisse, entre la quantité de betteraves à 16° chargée par les camions depuis lesdits silos et celle effectivement retenue par la société [Localité 9] Sucre ;

4. Fournir tous les éléments techniques et de fait de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie au fond de se prononcer sur les responsabilités et obligations des parties ;

- dire que les frais d'expertise seront intégralement avancés et à la charge de la société EARL Ableiges.

En tout état de cause,

- condamner la société EARL Ableiges à lui payer 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société EARL Ableiges aux entiers dépens de l'instance.

Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 145 suppose l'existence d'un motif légitime c'est à dire un fait crédible et plausible, ne relevant pas de la simple hypothèse, qui présente un lien utile avec un litige potentiel futur dont l'objet et le fondement juridique sont suffisamment déterminés et dont la solution peut dépendre de la mesure d'instruction sollicitée, à condition que cette mesure ne porte pas une atteinte illégitime aux droits d'autrui. Elle doit être pertinente et utile.

Ainsi, si le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est justement destinée à les établir, il doit néanmoins justifier d'éléments rendant crédibles ses suppositions et justifier que le litige potentiel n'est pas manifestement voué à l'échec et que la mesure est de nature à améliorer la situation probatoire du demandeur.

En l'espèce, la société Ableiges fonde ses soupçons d'une erreur ou d'une omission par la société [Localité 9] Sucre dans le tonnage qu'elle a retenu au titre de la livraison de la campagne 2019/2020 sur les éléments suivants :

- elle s'est engagée contractuellement à lui livrer 480 tonnes de betteraves, or la quantité enregistrée par [Localité 9] Sucre se limite à 356,665 tonnes, soit un rendement bien inférieur à celui prévu au contrat et qui apparaît faible eu égard aux rendements réalisés dans la région sur la même période ;

- les transporteurs de [Localité 9] Sucre venus charger les betteraves entreposées dans deux silos ont prévu vingt camions, l'un des transporteurs présents au moment de l'enlèvement des betteraves ayant indiqué au gérant de la société Ableiges avoir vingt camions sur son listing informatique ;

- or, les deux bons de réception de la sucrerie [Localité 9] n'ont retenu que quatorze camions en provenance des deux silos de la société Ableiges, soit onze camions pour l'un et trois camions pour l'autres.

Ces éléments apparaissent toutefois insuffisants à rendre crédible l'hypothèse d'une erreur ou d'une omission dans la pesée des betteraves extraites par [Localité 9]-Sucre des silos de la société Ableiges alors que :

- l'engagement contractuel de la société Ableiges de livrer 480 tonnes de betteraves n'a pas nécessairement été respecté pour la campagne en cause 2019/2020,

- que le rapport d'un expert foncier agricole (M. [Y] [N]), que la société Ableiges a missionné pour "rechercher et mettre en évidence les éléments qui pourraient justifier une mauvaise gestion de la livraison de betteraves sucrières par [Localité 9] Sucre", ne met pas en évidence de tels éléments, l'expert relevant que les rendements betteraviers de la société Ableiges depuis 2015 se situent toujours en-deçà de la moyenne départementale, y compris pour les meilleures années 2017 et 2018, la cour observant, à la lecture des tableaux contenus dans ce rapport, que la production de l'année 2019 est équivalente à celles des années 2015 et 2016 ;

- que la production retenue par la société [Localité 9] Sucre au titre de la campagne 2019/2020 n'apparaît donc pas anormalement basse par rapport à celle des autres années ;

- que la société [Localité 9] Sucre justifie d'ailleurs de ce que le rendement de la campagne suivante a été inférieur à celui de la campagne 2019/2020 (30,37 tonnes contre 51 tonnes/ha) ;

- que le fait que quatorze camions seulement sur les vingt camions qui avaient été prévus aient été réceptionnées par l'usine [Localité 9] Sucre, en provenance des deux silos de la société Ableiges, n'apparaît pas suspecte alors que :

dans son message de réclamation adressé à la société [Localité 9] Sucre, le gérant de la société Ableiges se borne à indiquer "J'ai parlé cette nuit vers 4 h 15 à un camionneur de [Localité 9] stationné à [Localité 4] (je rentrais chez moi), qui m'a confirmé alors avoir enregistré 6+14 = 20 camions" ;

ce camionneur indique avoir enregistré vingt camions, et non avoir utilisé vingt camions pour décharger les deux silos de la société Ableiges ;

la société [Localité 9] Sucre a expliqué et justifié à la société Ableiges, en fournissant les plannings de grue établis le 4 janvier 2020 quelques jours avant l'enlèvement, que vingt camions avaient en effet été prévus, sur la base d'une simple estimation visuelle, le contrôleur ayant mentionné sur ce planning une présence de cailloux "élevée" pour le silo n° 72230350 et "très élevée" pour le silo 72230351, ce qui explique qu'une fois déterré, le poids livré en betteraves se soit avéré moindre que la quantité estimée à première vue ;

par ailleurs, la société [Localité 9] Sucre a confirmé par mail du 18 janvier 2020 au gérant de la société Ableiges que l'enlèvement de ses betteraves a nécessité quatorze camions, et lui a adressé les tickets de grue et les bons de réception de betteraves attestant de ce que quatorze camions ont été réceptionnés par l'usine de [Localité 9] Sucre en provenance des silos de la société Ableiges.

La réalité d'un écart entre la quantité de betteraves produites par la société Ableiges et celle qui a été pesée et facturée par la société [Localité 9] Sucre n'apparaît donc pas suffisamment crédible et plausible comme l'a relevé le premier juge, en sorte que la société Ableiges ne justifie pas d'un motif légitime au sens de l'article145 du code de procédure civile.

L'ordonnance entreprise sera confinée en ce qu'elle a rejeté la demande d'expertise.

Partie perdante, la société Ableiges devra supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, l'ordonnance étant infirmée en ce qu'elle a partagé les dépens.

L'équité commande toutefois de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile, tant en première instance qu'en appel, l'ordonnance étant confirmée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

Confirme l'ordonnance entreprise, sauf en ce qu'elle a partagé les dépens,

Statuant à nouveau de ce chef,

Condamne la société Ableiges aux dépens de première instance,

Y ajoutant,

Condamne la société Ableiges aux dépens de l'instance d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 2
Numéro d'arrêt : 22/12482
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;22.12482 ?
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