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26/01/2023 | FRANCE | N°21/00165

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 26 janvier 2023, 21/00165


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 26 JANVIER 2023



(n° 2023/ , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00165 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC4SN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 13/07151





APPELANTE



Madame [I] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

née le 03 M

ai 1971 à



Représentée par Me Pierre-françois ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026



INTIMEE



S.A.S. L'YSER

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Véronique VIOT, a...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 26 JANVIER 2023

(n° 2023/ , 16 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00165 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CC4SN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Novembre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 13/07151

APPELANTE

Madame [I] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

née le 03 Mai 1971 à

Représentée par Me Pierre-françois ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : P0026

INTIMEE

S.A.S. L'YSER

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Véronique VIOT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0219

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 27 octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre,

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Marie-José BOU, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier : Madame Cécile IMBAR, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

- signé par Madame Marie-José BOU, Présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [I] [Y] épouse [V] a été engagée par la société L'Yser, ci-après la société, par contrat de travail à durée indéterminée du 7 novembre 1995 en qualité d'agent d'entretien. A compter du 1er janvier 1999, Mme [Y] a occupé le poste de responsable de résidence. Par avenant du 21 novembre 2001 à effet du 1er janvier 2002, Mme [Y] s'est vue confier le poste d'adjointe au responsable de résidence.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d'immeubles.

La société occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

A partir de fin mai 2011, Mme [Y] a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail pour état dépressif. Par lettre du 29 août 2011, elle a exercé son droit d'alerte et demandé la réalisation d'une enquête sur sa souffrance au travail depuis de nombreuses années. Le rapport d'enquête a été établi le 28 novembre 2011.

Le 4 avril 2012, le médecin du travail a rendu un avis d'inaptitude à tous les postes dans l'entreprise et le groupe, indiquant qu'il s'agissait d'une procédure en une seule consultation pour danger immédiat. Par lettre du 12 avril 2012, la société a proposé à Mme [Y] plusieurs postes de responsable ajointe de résidences situées en province, offres déclinées par l'intéressée.

Mme [Y] a été convoquée par lettre du 27 avril 2012 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 11 mai suivant.

Le 30 mai 2012, la société a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de procéder au licenciement pour inaptitude de Mme [Y], en sa qualité de déléguée du personnel et de membre du comité d'entreprise, après avis favorable donné le 24 mai 2012 par le comité d'entreprise à la mesure envisagée.

Le 1er août 2012, l'inspecteur du travail a autorisé le licenciement.

Par lettre du 10 août 2012, Mme [Y] a été licenciée pour inaptitude.

Saisi d'un recours hiérarchique, le ministre a, le 28 juillet 2013, annulé la décision de l'inspecteur du travail mais a accordé lui-même l'autorisation de licenciement. Mme [Y] a saisi le tribunal administratif de Paris d'une requête en annulation de l'autorisation de licenciement rendue par l'inspection du travail et de la décision du ministre. Par décision du 8 avril 2014, cette juridiction a dit n'y avoir lieu à statuer sur la décision de l'inspecteur du travail et rejeté le surplus de la requête, décision confirmée par arrêt du 24 mars 2016 de la cour administrative d'appel de Paris.

Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris qui, en sa formation de départage et par jugement du 20 novembre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a :

- condamné la société à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

* 9 189,95 euros à titre de rappel de salaire, outre 918,99 euros au titre des congés payés afférents,

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- rappelé que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la décision ;

- ordonné l'exécution provisoire de la décision ;

- débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes ;

- condamné la société aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration transmise le 16 décembre 2020 par voie électronique, Mme [Y] a relevé appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 août 2021 auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [Y] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à payer à Mme [Y] :

* 9 189,95 euros à titre de rappel de salaire, outre 918,99 euros au titre des congés payés afférents,

* 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- l'infirmer pour le surplus ;

En conséquence :

à titre principal,

- condamner la société à payer à Mme [Y] la somme de 16 774,89 euros nets à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement ;

à titre subsidiaire,

- condamner la société à payer à Mme [Y] la somme de 4 231,02 euros nets à titre de rappel d'indemnité spéciale de licenciement ;

en tout état de cause,

- condamner la société à payer à Mme [Y] les sommes suivantes :

* 30 000 euros nets à titre d'indemnité pour non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat,

* 4 674,74 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 467,47 euros bruts au titre des congés payés afférents à l'indemnité compensatrice de préavis,

* 110 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 170 500 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique résultant de la discrimination,

* 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral résultant de la discrimination,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 juin 2021, portant appel incident, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de :

- juger recevable et mal fondée Mme [Y] en son appel ;

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- déclarer recevable et bien fondée la société en son appel incident ;

y faisant droit :

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné la société à payer à Mme [Y] les sommes de 9 189,95 euros à titre de rappel de salaire, 918,99 euros au titre des congés payés afférents et 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

statuant à nouveau :

- débouter Mme [Y] de ses demandes de paiement présentées au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité spéciale de licenciement ainsi que de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité de résultat, de ses demandes de dommages et intérêts formulées en réparation du préjudice économique et moral résultant de la discrimination, de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents ;

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus ;

- déclarer irrecevables et mal fondées toutes autres demandes plus amples ou contraires ;

- condamner Mme [Y] à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Mme [Y] aux entiers dépens, en ce compris les frais éventuellement exposés pour l'exécution de l'arrêt à intervenir.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l'exécution du contrat de travail

Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Mme [Y] reproche à l'employeur une violation de son obligation de sécurité . Elle invoque avoir subi une surcharge de travail, des événements traumatisants (meurtre dans l'ascenseur de la résidence, suicides de locataires, présence de personnes 'louches' squattant dans la résidence) sans suivi psychologique, l'absence d'aménagement de son poste après un accident du travail et de prise en compte de son statut de travailleurs handicapé, des pressions exercées par sa hiérarchie et l'inaction de la société. Elle soutient que les manquements de l'employeur sont confirmés par l'étude de poste réalisée par le médecin du travail, le rapport d'enquête de la société et l'inspection du travail. Elle fait ainsi grief à la société, consciente du risque psychologique encouru par elle en restant à ce poste malgré plusieurs tentatives de suicide et arrêts maladie, de l'avoir laissé se réaliser, faute de prendre les mesures de précaution et de prévention qui s'imposaient, jusqu'à ce qu'elle soit atteinte d'un état dépressif et d'une anxiété généralisée. Elle réclame la somme de 30 000 euros à titre d'indemnisation de son préjudice.

La société conteste tout manquement. Elle fait valoir que la demande de Mme [Y] n'est pas étayée et qu'elle ne se prévaut d'aucune alerte avant 2011. Concernant la charge de travail, elle avance en substance que les attestations produites sont imprécises, que les quelques heures accomplies au delà des horaires ont fait l'objet de contreparties et qu'il n'appartenait pas à Mme [Y] de gérer l'alarme incendie, ni d'être disponible en dehors de ses heures de service. Elle affirme que les tentatives de suicide de la salariée sont des événements de sa vie privée sans lien avec son travail, que les décès de résidents sont des impondérables pour lesquels elle a invité Mme [Y] à consulter son médecin traitant et que la victime du meurtre n'a pas été découverte par elle, ni n'est décédée sous ses yeux. Elle soutient n'avoir été saisie d'aucune demande après la reconnaissance du statut de travailleur handicapé. Elle nie les pressions alléguées. Elle observe que le médecin du travail et l'inspecteur du travail se sont exclusivement basés sur les dires de Mme [Y]. Elle conteste son inaction, disant avoir respecté les préconisations du médecin du travail à la suite de l'accident du travail, avoir immédiatement réagi après l'alerte et avoir veillé à sécuriser les lieux.

Il résulte de l'ancien article L. 230-2 et de l'article L. 4121-1 du code du travail dans ses versions applicables au litige que l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, ces mesures comprenant des actions de prévention des risques professionnels, des actions d'information et de formation, la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés et l'employeur veillant à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

Il résulte de l'ancien article L. 230-2 et de l'article L. 4121-2 du code du travail dans sa version applicable que l'employeur met en oeuvre les mesures prévues sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

L'employeur, tenu d'une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise, doit en assurer l' effectivité. Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail .

- sur la surcharge de travail :

Au soutien de l'allégation selon laquelle elle était sollicitée en dehors de ses horaires de travail et a effectué de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, Mme [Y] produit :

- un mail du 18 décembre 2002 de son supérieur évoquant de toute évidence une résidente et indiquant qu'il lui confirmerait qu'elle ne devait pas déranger Mme [Y] à son domicile et en dehors des heures de travail ;

- une attestation de M. et Mme [U] précisant que le 4 février 2011, Mme [Y] leur a fait visiter à une heure tardive, après 19 heures, un studio et a traité leur dossier jusqu'à 20h30, rien ne permettant de mettre en cause la sincérité de ce témoignage, alors que ses horaires de travail se terminaient avant ;

- des attestations de Mme [H], de Mme [S], de M. [K] et de Mme [D] mais qui ne sont pas probantes, faute de contenir de précision quant aux jours où Mme [Y] aurait travaillé en dehors et/ou au delà de ses horaires ;

- une attestation de Mme [R] mais qui n'est pas probante non plus en ce que notamment, elle est dactylographiée, non datée et porte une signature différente de la pièce d'identité jointe ainsi que le relève la société ;

- un bulletin d'intervention incendie du 10 février 2011 mais qui ne fait pas état de la présence ou de l'intervention de Mme [Y] ;

- un mail de Mme [Y] concernant le déclenchement de l'alarme la nuit mais qui révèle que cette dernière était alors absente.

La société ne conteste pas que Mme [Y] était chargée du ménage et des états des lieux mais fait valoir à juste titre que cela était conforme à l'avenant à son contrat de travail qui mentionnait qu'elle devait assumer pour moitié de son temps les tâches relatives à l'entretien des parties communes et privatives ainsi que le suivi technique de la résidence et pour l'autre, celles liées à l'administration et à la commercialisation locative de la résidence.

Le premier mail concernant une intrusion dans la résidence ne révèle aucune intervention de Mme [Y] et le deuxième adressé à Mme [X] démontre qu'elle est intervenue mais cela est également conforme au contenu de sa mission.

Mme [Y] justifie par des mails s'être occupée des relances et recouvrement de loyers, du suivi budgétaire de la résidence, de la vente de lots au sein de la résidence ou d'autres résidences du groupe, de la gestion d'équipements de la résidence comme de l'alarme incendie et du recrutement des stagiaires et intérimaires. Or, ces tâches apparaissent par leur nombre et leur caractère non isolé excéder celles d'une responsable adjointe de résidence.

Il résulte de ces éléments que Mme [Y], dont il convient de souligner qu'elle logeait sur place, travaillait parfois au delà de ses horaires, ce que la société admet d'ailleurs, et exécutait un ensemble de tâches dont certaines excédaient ses attributions. Au demeurant, les déclarations de Mme [X], sa responsable, figurant dans le rapport d'enquête cité par la société confirment l'importance du travail sur la résidence et la fréquence des dérangements 'à toute heure du jour et de la nuit', soit bien au delà de la plage horaire prévue.

Il importe peu que Mme [Y] n'ait jamais adressé une réclamation à son employeur pour des heures supplémentaires et que la société justifie qu'à deux reprises, une fois en 2003 et une fois en 2011, la salariée lui a adressé ses horaires de travail dès lors que l'employeur est en charge du contrôle du temps de travail du salarié et qu'il lui appartient de justifier avoir mis en place de manière habituelle un tel dispositif de contrôle, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence. La société, qui n'ignorait pas que sa salariée dépassait parfois ses horaires de travail, ne justifie pas qu'elle lui avait donné pour instructions de refuser les sollicitations diverses en dehors de son temps de travail, l'indication de Mme [X], supérieure de Mme [Y], lors de l'enquête selon laquelle 'il faut apprendre à se faire respecter des locataires pour préserver sa vie privée' étant à l'évidence insuffisante. Quant au mail ponctuel de l'ancien responsable de la résidence du 29 mars 2004, il est tout aussi insuffisant à établir que l'employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour compenser les heures supplémentaires accomplies par sa salariée. Par ailleurs, les allégations de la société selon lesquelles les tâches excédant celles d'une responsable adjointe étaient réalisées en l'absence du responsable ou pendant des périodes de moindre activité ne sont pas corroborées par des éléments permettant à la cour de les vérifier, alors qu'il a déjà été relevé qu'il ne s'agissait pas de tâches isolées.

- sur les événements traumatisants :

Mme [Y] justifie :

- qu'elle a fait une tentative de suicide le 14 mai 2002 à son domicile de fonction ;

- que le 9 mars 2004, un homicide volontaire a été commis au sein de la résidence, qu'elle a été réveillée par un témoin qui l'a conduite à l'ascenseur où la victime gisait et qu'elle a assisté aux investigations des services de police durant les heures qui ont suivi, Mme [Y] ayant aussi été entendue par eux ;

- qu'en 2003 puis quelques années plus tard, des troubles et nuisances ont été commis au sein de la résidence par des individus squattant dans les parties communes ;

- qu'à l'occasion de son entretien annuel de 2007, sa hiérarchie a noté qu'elle ressentait une absence de reconnaissance, avait parfois de gros doutes, se sentait mal à l'aise puis que le moral remontait ;

- qu'au début de l'année 2009, elle a été hospitalisée près d'un mois à la suite d'une nouvelle tentative de suicide commise à son domicile de fonction.

La société reconnaît en outre que des résidents sont décédés pendant les fonctions de Mme [Y], dont un par suicide.

La première tentative de suicide de Mme [Y] n'est intervenue que quelques mois après sa prise de fonction comme responsable adjointe et, au vu du rapport d'enquête, est antérieure à l'arrivée du responsable auquel elle impute des pressions. Aucun élément n'établit le lien entre cette tentative et les conditions de travail de la salariée, ni que l'employeur ait été alerté d'une quelconque façon sur la situation de sa salariée et sur la nécessité d'un suivi de sa salariée.

En revanche, la commission d'un meurtre au sein de la résidence, auquel Mme [Y] a été directement confrontée par la vue de la victime et sa participation aux investigations des services de police, constituait à l'évidence un événement traumatisant pour elle. L'intrusion dans la résidence de squatters et les troubles ainsi que nuisances commis par eux (déjections, menace d'un incendie par un individu muni d'un briquet et d'un bidon d'essence, usage de stupéfiants) étaient des événements inquiétants, de même que les décès de résidents étaient de nature à bouleverser Mme [Y], les pièces versées aux débats démontrant que cette dernière a 'craqué' à l'occasion du suicide de l'un d'entre eux survenu début 2011, en connaissance de sa supérieure hiérarchique.

L'entretien de 2007 témoigne de la perception par l'employeur d'un certain malaise au travail de Mme [Y].

Mais il n'est pas établi par des éléments objectifs que la seconde tentative de suicide de Mme [Y] soit intervenue, comme elle le soutient, la veille d'une fête professionnelle à laquelle elle ne souhaitait pas se rendre en dépit de l'insistance de sa responsable.

Il reste que la société ne justifie pas de la moindre mesure prise pour prévenir les éventuelles séquelles psychologiques pour Mme [Y] de l'homicide volontaire de mars 2004, la circonstance qu'aucun arrêt de travail n'ait alors été prescrit à la salariée ne l'exonérant pas de sa responsabilité. Elle ne justifie pas davantage avoir pris, dans le contexte de ces faits et des intrusions ci-dessus évoquées, toutes les mesures nécessaires pour sécuriser la résidence et protéger ainsi la santé des salariés y travaillant, la cour notant que la société ne fait état d'aucun élément précis et étayé par elle sur ce point. Enfin, aucune mesure particulière n'apparaît non plus avoir été prise à la suite de l'entretien de 2007 pour s'assurer de la santé de la salariée et le conseil donné par sa responsable de consulter son médecin traitant à la suite du suicide d'un résident en 2011 sans mettre en place le moindre suivi n'apparaît pas suffisant au regard des antécédents de Mme [Y], de sa réaction lors des faits et du fait qu'elle soit restée en poste.

- sur l'absence d'aménagement de poste après l'accident du travail :

Il résulte des pièces versées aux débats qu'à la suite d'un accident du travail, Mme [Y] a été vue à l'occasion d'une visite de reprise du 13 novembre 2006 par le médecin du travail qui l'a déclarée apte avec limitation des déplacements à pied pendant un mois. Si la société affirme avoir respecté cette prescription, elle ne justifie d'aucune mesure à cet effet.

- sur l'absence de prise en compte du statut de travailleur handicapé :

Mme [Y] justifie que sa qualité de travailleur handicapé a été reconnue pour la période du 17 décembre 2009 au 16 décembre 2014 et en avoir avisé son employeur le 14 janvier 2010. S'il n'est pas établi que Mme [Y] ait sollicité un aménagement de poste, ni indiqué à la société les pathologies à l'origine de son handicap, il appartenait à l'employeur de veiller à ce que le poste de travail de Mme [Y] soit adapté à son handicap et fasse l'objet d'aménagements si nécessaire. Or, la société ne justifie pas avoir pris la moindre mesure pour s'en assurer.

- sur les pressions exercées par ses supérieurs hiérarchiques :

Mme [Y] s'appuie à cet effet sur des échanges de mails avec M. [G]. Toutefois, ceux-ci ne montrent aucune pression de ce dernier concernant le port de charges lourdes ou le ménage, ce dernier ayant d'ailleurs ponctuellement proposé à Mme [Y] de faire appel à une société de nettoyage en cas d'impossibilité pour elle de faire tout le travail demandé. Concernant les autres tâches, les mails produits ne justifient pas qu'elles aient été sollicitées par M. [G].

Les allégations de Mme [Y] portant sur les pressions exercées ensuite par Mme [X] ne sont étayées par aucun élément probant. Le premier bilan professionnel invoqué (pièce n° 17 de l'appelante) ne fait état d'aucune difficulté avec cette dernière et l'attestation de Mme [S] dont l'appelante se prévaut n'est pas circonstanciée. Quant au second bilan professionnel allégué, celui du 23 décembre 2010, il fait état d'une volonté de Mme [Y] de changement de poste sans évoquer de pression de Mme [X].

Les pressions des supérieurs hiérarchiques directs ne sont pas établies.

- sur l'inaction de la société à partir de 2011 :

La cour note néanmoins que ce bilan de fin décembre 2010 mentionne à titre de commentaire de la hiérarchie, à la suite du souhait exprimé par Mme [Y] d'un changement de poste, que si le travail sur le site de [Localité 3] est générateur d'un stress quotidien, elle ne s'oppose pas au changement sollicité, ce qui justifie que la société a été alertée du stress ressenti par Mme [Y] à l'occasion de ses fonctions.

Il est constant que la société, en la personne de M. [L], a reçu Mme [Y] le 3 mars 2011 pour évoquer son souhait. Si le compte rendu d'entretien du 3 mars 2011 produit par l'appelante ne peut être retenu comme probant, ce document n'étant pas signé, et si la société n'était pas tenue de créer un poste inexistant en son sein dans le cadre de son obligation de sécurité ainsi que l'a relevé le jugement, il n'en demeure pas moins qu'elle ne justifie pas d'une autre mesure prise jusqu'à l'arrêt de travail de Mme [Y] fin mai 2011 alors qu'elle a été avisée du stress ressenti par cette dernière.

En revanche, Mme [Y] ne prouve pas avoir avisé la société de sa saisine de l'inspection du travail effectuée par mail du 8 juillet 2011 de sorte que la société ne peut être accusée d'un défaut de réaction à ce titre.

Il est par ailleurs établi que la société a réagi sans délai à la suite du droit d'alerte exercé par Mme [Y] le 29 août 2011puisqu'elle a saisi le 31 août suivant le médecin du travail, comme indiqué dans l'étude de poste réalisée par ce dernier. Elle a en outre organisé dans les premiers jours du mois de septembre suivant une enquête de la délégation du personnel et de la direction des ressources humaines dont le rapport, établi le 28 novembre 2011, a pour l'essentiel conclu à l'existence d'une souffrance ressentie par Mme [Y] en s'interrogeant sur son origine, professionnelle ou personnelle, au regard notamment de sa sensibilité aux souffrances du monde en général. Les prétendues pressions exercées par la direction durant l'enquête ne sont enfin pas établies, ne reposant que sur les seules déclarations de Mme [Y] dans une main courante.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société a manqué à son obligation de sécurité par la surcharge de travail de Mme [Y] et faute de justifier avoir pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé psychologique de sa salariée face aux événements tragiques survenus dans la résidence, pour assurer sa sécurité au regard des intrusions survenues, pour respecter les prescriptions du médecin du travail à la suite de l'accident du travail, pour veiller à l'adaptation du poste de travail de Mme [Y] à son handicap et pour lutter contre le stress évoqué lors du dernier bilan professionnel de Mme [Y]. Au regard des avis d'arrêts de travail, du certificat médical et de l'ordonnance produits, cette dernière justifie avoir subi un préjudice s'agissant de sa santé qui sera justement réparé par l'allocation d'une somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts, le jugement étant infirmé de ce chef.

Sur la discrimination

L'appelante se plaint d'avoir été victime d'une discrimination de la part de son employeur se traduisant par une stagnation de sa carrière en raison de sa situation familiale, de ses activités syndicales et de son état de santé. Elle fait valoir qu'en 1999, elle a été promue responsable de la résidence quand son mari est devenu responsable régional au sein de la société et qu'en 2001, à la suite de la procédure de divorce débutée, elle a été rétrogradée au poste de responsable adjointe. Elle souligne que Mme [X] a repris en 2005 la direction de la résidence puis celle de plusieurs résidences du groupe alors qu'elles ont la même ancienneté, qu'elle n'a connu aucune évolution de carrière et que sa rémunération a même diminué entre 2002 et 2012, l'évolution de sa rémunération ayant été plus faible que l'inflation et ses primes qualitatives ayant été divisées par deux à partir de 2010. Elle prétend que sa discrimination est également liée à ses activités syndicales, ayant été régulièrement élue comme membre du comité d'entreprise et déléguée du personnel depuis 2004, et à son état de santé. Elle soutient que la société ne justifie pas d'éléments objectifs expliquant la différence d'évolution et de rémunération. Elle sollicite la somme de 170 500 euros en réparation de son préjudice financier et celle de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral.

La société conclut à l'absence de discrimination. Elle note que les juridictions administratives ont exclu tout lien entre les mandats de la salariée, l'exécution du contrat de travail et la rupture du contrat. Elle soutient que le passage au poste de responsable adjointe par avenant du 21 novembre 2001, accepté par Mme [Y], ne constitue pas une mesure de rétorsion de son ancien époux mais résulte de sa nouvelle politique en termes d'organisation des résidences. Elle prétend que Mme [Y] n'a jamais présenté de candidature à un autre poste disponible au sein du groupe et nie avoir reproché à la salariée son état de santé. Elle affirme par ailleurs avoir maintenu la rémunération de responsable de résidence de Mme [Y] lors de sa mutation sur le poste d'adjointe. Elle fait valoir que la seule comparaison utile est celle faite avec Mme [F] dont le niveau de rémunération est inférieur à celui de Mme [Y]. Elle avance que la situation de l'appelante ne peut être comparée à celle de Mme [X] qui a été recrutée à une classification d'un niveau supérieur impliquant un salaire minimum conventionnel plus élevé, qui a présenté sa candidature à différents postes de responsable de résidence, qui s'est vue confier la responsabilité de trois résidences en 2006 et qui a le statut de cadre. Elle argue enfin des lacunes de Mme [Y] dans son poste.

Il résulte de l'ancien article L. 122-45 et de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige qu'aucun salarié ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation en raison de sa situation de famille, de ses activités syndicales ou de son état de santé ou de son handicap.

En application de l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige en la matière, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en tant que de besoin, toutes les meures d'instruction qu'il estime utiles.

Au cas d'espèce, Mme [Y] présente les éléments suivants :

- elle a été embauchée en 1995 avec son époux de l'époque, M. [B], et en 1999, ce dernier est devenu responsable régional tandis qu'elle-même a été promue responsable de résidence, éléments qui sont acquis aux débats. Par avenant du 21 novembre 2001, elle s'est vue confier un poste de responsable adjointe de responsable, ce qui constitue incontestablement une rétrogradation alors qu'il résulte du rapport d'enquête qu'elle a divorcé de M. [B] au début des années 2000 ;

- sa carrière a stagné puisque de janvier 2002 à août 2012, pendant plus de 10 ans, elle est restée au même poste en effectuant les mêmes tâches, ce qui est avéré par les pièces versées aux débats ;

- à l'inverse la carrière de Mme [X] a évolué, Mme [Y] se fondant sur le rapport d'enquête dont il résulte que Mme [X] a été engagée en 1995, la même année que Mme [Y], en tant qu'employée puis est passée agent de maîtrise, a été promue en 2005 responsable de résidences dont celle de [Localité 3] où travaillait Mme [Y] et est devenue cadre en 2007 ;

- sa rémunération n'a évolué que de 13,59% entre 2002 et 2010 alors que celle de Mme [X] a progressé de 112,57% entre 2002 et 2011, ce qui est justifié par les bulletins de paie et les tableaux d'évolution produits aux débats par l'appelante ;

- ses primes qualitatives ont été divisées environ par deux entre mars 2009 d'une part, 2010 ainsi que 2011 d'autre part, ce qui est justifié par les pièces versées aux débats ;

- elle a été régulièrement élue représentante du personnel depuis 2004, ce qui est acquis aux débats ;

- elle a également connu des problèmes de santé, notamment par la commission de deux tentatives de suicide (l'une en 2002 et l'autre en 2009), et a eu le statut de travailleur handicapé à partir de la fin de l'année 2009, ce qui est également justifié au vu des pièces versées aux débats ;

- son compte rendu d'entretien annuel de 2009 mentionne qu'elle a eu quelques problèmes de santé, ce qui est exact.

Il en résulte que Mme [Y] présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination en raison de sa situation de famille, de ses activités syndicales et de son état de santé .

Au vu de ces éléments, la société fait valoir :

- que le premier mari de Mme [Y], M. [B], a quitté la société en janvier 2001, ce qui est corroboré par le rapport d'enquête, soit environ une année avant le passage de Mme [Y] au poste de responsable adjoint effectif au 1er janvier 2002 ; qu'en outre Mme [Y] a accepté ce changement de poste puisqu'elle a signé un avenant en ce sens le 21 novembre 2001, la cour observant que cette dernière n'invoque pas avoir été d'une quelconque façon soumise à des pressions ou contraintes en vue de le signer ;

- que Mme [X] a été engagée en 1995 en qualité d'agent d'exploitation catégorie B alors que Mme [Y] a été engagée la même année comme agent d'entretien de catégorie A, informations confirmées par les contrats de travail versés aux débats, de sorte que les classifications initiales ne sont pas les mêmes ;

- que Mme [X] a présenté sa candidature à différents postes de responsables de résidences qui se sont libérés, ce que Mme [Y] ne contredit nullement, alors que cette dernière n'a jamais présenté sa candidature à un poste disponible de responsable de résidence, ce qui n'est pas non plus contredit par Mme [Y] ni dans ses conclusions, ni par ses pièces. La cour souligne que si l'appelante prétend avoir systématiquement fait part de ses souhaits d'évolution géographique et fonctionnelle à sa supérieure en 2007, 2009 et 2010, le compte rendu de 2007 produit aux débats ne fait pas état d'un tel souhait, que celui de 2009 mentionne un intérêt de Mme [Y] pour une mobilité dans la même région mais avec un commentaire de sa part indiquant que certaines formations lui étaient nécessaires et que ce n'est qu'à l'occasion de l'entretien du 23 décembre 2010 que Mme [Y] a indiqué clairement vouloir un changement de carrière ainsi qu'une évolution professionnelle. En toute hypothèse, ni ces documents, ni le compte rendu d'entretien du 3 mars 2011 n'évoquent de candidature de Mme [Y] à un poste de responsable de résidence, ce dernier entretien révélant que cette dernière souhaitait une création de poste à laquelle la société n'était pas tenue ;

- que la rémunération de Mme [Y] n'a pas été diminuée lorsqu'elle devenue adjointe au responsable de résidence, ce qui est exact au vu de l'avenant du 21 novembre 2001, et que la comparaison avec l'évolution de la rémunération de Mme [X] n'est pas pertinente au regard non seulement de l'écart de classification initial mais aussi de l'évolution de carrière de cette dernière qui ainsi qu'en justifie la société, était déjà responsable de résidence en janvier 2002, est devenue responsable de résidences soumise à une autre convention collective (HCR) en 2005 et exerce selon son avenant du 1er septembre 2009 des fonctions de responsable de 6 résidences au statut cadre ;

- que si le compte rendu d'entretien annuel de 2009 de Mme [Y] mentionne qu'elle a eu quelques problèmes de santé, cela a été noté pour indiquer qu'elle n'a pas pu être évaluée au titre des objectifs, ce qui est exact au vu de la présentation du compte rendu de l'entretien, sans nuire à Mme [Y] qui a obtenu une prime qualitative de 1 291,18 euros, ce qui est également avéré par le bulletin de paie, la cour notant que Mme [Y] ne se plaint pas du montant de cette prime qu'elle prend au contraire comme référence pour la comparer à celle des années suivantes.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'existe pas de discrimination en termes d'évolution de carrière et du niveau de rémunération global de Mme [Y].

La cour considère toutefois que la décision de l'employeur de réduire les primes qualitatives de Mme [Y] qui sont passées de 1 291,18 euros en mars 2009 à 604,84 euros en mars 2010 et 674,71 euros n'est pas justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. En effet, la société se borne à invoquer que les résultats de la grille d'évaluation établie alors sont moins favorables et en veut pour preuve la grille d'évaluation 2010 produite par l'appelante. Or, outre que cette seule grille ne permet pas à la cour de vérifier l'évolution par rapport à l'année précédente, la société ne se prévaut surtout d'aucun élément concret et objectif de nature étayer ses dires concernant l'absence de progression relative au rangement de la résidence alors que la diminution suit notamment les problèmes de santé connus par Mme [Y] en 2009 et de quelques semaines l'information donnée par elle de la reconnaissance de sa qualité de travailleur handicapé.

En conséquence, la cour condamne la société à payer à Mme [Y] la somme de 1 305,81 euros à titre de dommages et intérêts suffisant à réparer son préjudice économique et celle de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice moral également subi par Mme [Y] du fait de la discrimination, le jugement étant infirmé en ce sens.

Sur le rappel de salaire

Mme [Y] soutient qu'entre avril 2008 et août 2012, elle a perçu un salaire conventionnel inférieur au minimum fixé par la convention collective et un salaire supplémentaire contractuel d'environ 400 euros. Elle sollicite la confirmation du jugement lui ayant alloué la somme de 9 189,95 euros à titre de rappel de salaires sur cette période outre 918,99 euros au titre des congés payés afférents.

La société réplique qu'aucun rappel de salaire n'est dû dès lors que Mme [Y] a toujours perçu une rémunération supérieure au minimum garanti dont le respect est contrôlé en additionnant le salaire conventionnel et le salaire complémentaire.

Il résulte de l'article 22 de la convention collective nationale de travail des gardiens, concierges et employés d'immeubles du 11 décembre 1979 applicable jusqu'à l'entrée en vigueur de ladite convention telle que réécrite par l'avenant n° 74 du 27 avril 2009) que l'annexe II à la convention fixe le barème des appointements minimaux garantis pour un emploi à temps complet (catégorie A) ou à service complet (catégorie B) tel que défini à l'article 18, 1er alinéa des paragraphes A et B. et que les appointements minimaux garantis (rémunération mensuelle conventionnelle) sont constitués par l'addition des 2 éléments de rémunération suivants :

a) Salaire de base = valeur de point x coefficient hiérarchique ;

b) Salaire complémentaire = complément non hiérarchisé.

L'article 22 de la convention collective réécrite par l'avenant n°74 du 27 avril 2009 énonce :

'1. L'annexe II à la présente convention fixe le salaire minimum brut mensuel conventionnel, pour chacun des niveaux de la grille des classifications, pour un emploi à temps complet (catégorie A) ou à service complet (catégorie B) tel que défini à l'article 18, 1er alinéa des paragraphes A et B.

Cette rémunération inclut, s'ils existent, la valeur du salaire en nature correspondant à l'attribution d'un logement de fonction et le salaire en nature complémentaire, évalués dans les conditions prévues à l'article 23 ci-après.

Le salaire minimum brut mensuel conventionnel pour chacun des niveaux est révisé en commission mixte réunie dès lors qu'au moins 2 des organisations signataires ou adhérentes en feront la demande et dans le mois qui suivra la réception de cette demande. En tout état de cause, une réunion devra se tenir, au minimum chaque année.

Des avenants régionaux ou des accords d'entreprise peuvent prévoir un salaire minimum brut mensuel anticipant la révision des salaires minimaux bruts mensuels fixés par la convention nationale.

2. Le salaire global brut mensuel contractuel (salaire en nature, logement, et salaire en nature complémentaire éventuel inclus) d'un salarié est constitué par l'addition :

a) Du salaire minimum brut mensuel conventionnel défini au paragraphe 1 ci-avant multiplié par le taux d'emploi suivant :

- catégorie A : nombre d'heures divisé par 151, 67 ;

- catégorie B : nombre d'UV divisé par 10 000.

b) Et éventuellement de la prime d'ancienneté, calculée par application du barème fixé par l'article 24 de la convention sur le salaire minimum brut mensuel.

c) D'un éventuel salaire supplémentaire contractuel (augmenté de tous éléments qualitatifs de rémunération convenus au contrat de travail et incluant notamment l'indemnité différentielle acquise en application d'une clause d'avantages acquis, ou le maintien du salaire conforme à l'article 12 de la convention collective nationale des gardiens, concierges et employés d'immeubles), multiplié par le taux d'emploi.

3. Le salaire est payé au plus tard le dernier jour du mois. Toutefois, si des modifications sont intervenues en cours de mois, un acompte proche de la rémunération réellement due est versé à la même date et la régularisation s'effectue le mois suivant.

Tout salarié doit recevoir chaque mois un bulletin de paie établi dans les conditions prévues aux articles R. 3243-1 à R. 3243-5 du code du travail dont les paragraphes suivants sont complétés comme suit :

Le bulletin de paie doit, en plus des mentions légales des articles R. 3243-1 à R. 3243-5 du code du travail, mentionner les dispositions suivantes :

1° L'emploi (cf. art. 21, 3e alinéa), le niveau et le coefficient hiérarchique fixés par l'article 21 ;

2° La période d'emploi et le nombre d'heures (pour le personnel de catégorie A, soit 151, 67 heures pour un emploi à temps complet pendant le mois concerné) ou d'unités de valeur (pour le personnel de catégorie B, soit 10 000 UV pour un emploi à service complet pendant le mois concerné).

Le calcul du salaire contractuel dû en détaillant (et au prorata s'il y a mois incomplet) les 3 rubriques « Salaire minimum brut mensuel conventionnel », « Salaire supplémentaire contractuel » et « Prime d'ancienneté » visées au paragraphe 2 ci-avant ;

3° La rémunération forfaitaire mensuelle des tâches exceptionnelles (astreinte de nuit visée à l'article 18. 5), la rémunération forfaitaire à l'unité des tâches occasionnelles (permanence des dimanches et jours fériés visée à l'article 19. 4, heures supplémentaires) et les primes (par exemple le tri sélectif) ou gratifications ;

4° Eventuellement le salaire en nature, logement, et le salaire en nature complémentaire, déduits du salaire net en application de l'article 23 de la convention, et s'il y a lieu la nature et le montant des autres déductions effectuées sur la rémunération' .

Il ressort de l'analyse des bulletins de paie de Mme [Y], relevant de la catégorie A niveau IV indice 340, que d'avril 2008 jusqu'à mai 2010, elle a perçu un 'salaire conventionnel' outre un 'salaire complémentaire' et qu'à partir du mois de juin 2010, ces deux lignes ont été supprimées et remplacées par la mention unique d'un 'salaire contractuel'.

Si la société affirme que jusqu'en avril 2009, il convient de retenir les deux premières lignes figurant sur les bulletins de paie pour vérifier le respect du minimum conventionnel, cette analyse ne peut être retenue en l'absence de mention d'un salaire de base et faute pour la société de justifier que la mention 'salaire conventionnel' constitue le salaire de base au sens des dispositions conventionnelles.

Pour la période ultérieure, en application du nouveau texte conventionnel, le salaire minimum brut mensuel conventionnel doit correspondre à la somme en euros prévue par la grille conventionnelle en fonction du niveau de classification du salarié multiplié par le taux d'emploi.

Or, les bulletins de salaire démontrent que jusqu'en mai 2010 le 'salaire conventionnel' était inférieur au minimum garanti. A partir de juin 2010, à défaut de tout détail du salaire contractuel, il n'est pas justifié du respect de la rémunération minimale.

Par suite, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à Mme [Y] le rappel de salaire réclamé dont le décompte apparaît exact au vu des modalités de calcul détaillées par l'appelante dans ses conclusions et l'indemnité compensatrice des congés payés afférents.

Sur le licenciement

Sur le bien fondé du licenciement

Mme [Y] soutient que la société est responsable de son état dépressif, de son anxiété généralisée et de ses crises de tétanie et, par voie de conséquence, de son inaptitude en ayant manqué à son obligation de sécurité. Elle en déduit que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse.

La société, qui conteste son manquement à l'obligation de sécurité, s'oppose à la demande.

Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude physique, il appartient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude. Il est de principe que, ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

Au cas présent, la cour a retenu que la société avait manqué à son obligation de sécurité notamment à raison de la charge de travail de Mme [Y], résultant en particulier du fait qu'elle était dérangée en dehors de ses horaires de travail, de l'absence ou du manque de mesures prises pour veiller à la santé de la salariée à la suite d'événements traumatisants tels qu'un suicide d'un résident survenu début 2011 et de l'absence de mesures prises pour s'assurer de l'adaptation de son poste à sa qualité de travailleur handicapé dont elle a avisé l'employeur au début de l'année 2010. Ces manquements se sont poursuivis ou ont été commis dans les mois ayant précédé les arrêts de travail pour état dépressif, anxiété généralisée, crises de tétanie de Mme [Y] à l'issue desquels elle a été déclarée inapte. La cour souligne que le médecin du travail l'a déclarée inapte à tous les postes dans l'entreprise et le groupe selon une procédure en une seule consultation pour danger immédiat et qu'à l'occasion de son étude de poste réalisée à la suite de l'alerte pour souffrance au travail, le médecin du travail a relevé la forte charge mentale inhérente à la fonction et que les salariés témoins ou en relation avec des personnes qui se sont suicidées ou ont fait des tentatives de suicide dans la résidence doivent lui être adressés pour prise en charge.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la cour considère qu'un lien est établi entre l'inaptitude de Mme [Y] et les manquements de la société à son obligation de sécurité de sorte que l'inaptitude est consécutive à ces derniers, ce qui prive le licenciement de cause réelle et sérieuse, le jugement étant infirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

- sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Travaillant depuis plus de deux ans dans une entreprise employant au moins onze salariés, Mme [Y] doit être indemnisée au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à hauteur d'une somme qui ne peut être inférieure à ses salaires des six derniers mois en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur du 1er mai 2008 au 24 septembre 2017 applicable au litige. Eu égard à sa grande ancienneté dans l'entreprise, son âge au moment du licenciement (née en 1971), au montant de sa rémunération des six derniers mois précédant son arrêt de travail, aux circonstances de la rupture, à l'absence de document justifiant de sa situation après son licenciement, la cour condamne la société à payer à Mme [Y] la somme de 37 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

- sur l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité compensatrice des congés payés afférents :

Mme [Y] est en droit de prétendre à une indemnité compensatrice du préavis qui est d'une durée de deux mois, que la société ne conteste pas à titre subsidiaire. En revanche, les parties s'opposent sur le montant du salaire à prendre en compte, Mme [Y] invoquant un salaire de 2 337,37 euros au vu de ses bulletins de paie de janvier 2008 à août 2012 tandis que la société se prévaut d'un salaire de 2 096,73 euros. La somme due à Mme [Y] doit être calculée sur la base du salaire mensuel qu'elle aurait perçue si elle avait travaillé pendant le temps du préavis, soit 2 096,73 euros. La société sera donc condamnée à lui payer la somme de 4 193,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et celle de 419,35 euros au titre des congés payés afférents, le jugement étant infirmé en ce sens.

- sur l'indemnité spéciale de licenciement :

Mme [Y] réclame au visa de l'article L. 1226-14 du code du travail et de l'article 16 de la convention collective applicable un rappel d'indemnité spéciale de licenciement de 16 774,89 euros après déduction de l'indemnité de licenciement perçue. A titre subsidiaire, si la cour estime que cette indemnité spéciale ne peut correspondre au double de l'indemnité conventionnelle, elle sollicite la somme de 4 231,02 euros.

La société réplique que Mme [Y] ne peut prétendre au doublement de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Il résulte de l'article L. 1226-14 du code du travail que la rupture du contrat de travail dans les cas prévus au deuxième alinéa de l'article L. 1226-12 ouvre droit, pour le salarié, à une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l'indemnité prévue par l'article L. 1234-9.

L'indemnité conventionnelle n'est doublée que si la convention collective le prévoit, ce qui n'est pas le cas en l'occurrence de la convention collective applicable.

L'article R. 1234-2 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que l'indemnité de licenciement ne peut être inférieure à un cinquième de mois de salaire par année d'ancienneté, auquel s'ajoutent deux quinzièmes de mois par année au-delà de dix ans d'ancienneté.

La rémunération à prendre en compte est selon la formule la plus avantageuse celle des 12 ou 3 derniers mois précédant l'envoi de la lettre de licenciement ou l'arrêt de travail s'agissant d'un salarié licencié à l'issue d'un arrêt maladie.

En l'occurrence, la formule la plus avantageuse aboutit à un salaire de référence de 2 318,78 euros et compte tenu de l'ancienneté de Mme [Y] de 16 ans et 9 mois à prendre en compte, il lui est dû une indemnité spéciale de licenciement de 13 448,92 euros dont il convient de déduire la somme de 9 325,71 versée en août 2012. La société doit être condamnée à payer un solde de 4 123,21 euros, le jugement étant infirmé en ce sens.

- sur l'application d'office de l'article L. 1235-4 du code du travail :

Il est fait d'office application de l'article L. 1235-4 du code du travail et la société doit rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [Y] depuis son licenciement dans la limite de six mois.

La société qui succombe doit être condamnée aux dépens d'appel, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, le jugement étant confirmé sur les dépens et frais irrépétibles de première instance.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en celles relatives au rappel de salaire, aux congés payés afférents, à l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens ;

Statuant à nouveau dans la limite des chefs infirmés et ajoutant :

CONDAMNE la société L'Yser à payer à Mme [I] [Y] les sommes de :

- 6 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité ;

- 1 305,81 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique lié à la discrimination ;

- 1 500 euros à titre de dommages et intérêts réparant le préjudice moral lié à la discrimination ;

- 37 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 4 193,46 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

- 419,35 euros au titre des congés payés afférents ;

- 4 123,21 euros à titre de rappel de l'indemnité spéciale de licenciement ;

- 2 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

RAPPELLE que les créances salariales produisent intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation, et les créances indemnitaires produisent intérêt au taux légal à compter du présent arrêt ;

DÉBOUTE les parties de toute autre demande ;

CONDAMNE la société L'Yser aux dépens d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 21/00165
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;21.00165 ?
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