La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/01/2023 | FRANCE | N°20/03907

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 26 janvier 2023, 20/03907


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 26 JANVIER 2023

(n°2023/ , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03907 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB62D



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/07064





APPELANTE



Madame [A] [R] [N] épouse [C]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Rep

résentée par Me Vanessa COULOUMY, avocat au barreau de PARIS, toque : E0197



INTIMEE



S.A.S. ELRES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 9]

[Localité 3]



Représentée ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 26 JANVIER 2023

(n°2023/ , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/03907 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB62D

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2020 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 18/07064

APPELANTE

Madame [A] [R] [N] épouse [C]

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Vanessa COULOUMY, avocat au barreau de PARIS, toque : E0197

INTIMEE

S.A.S. ELRES

prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 9]

[Localité 3]

Représentée par Me Chloé BOUCHEZ, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 6 octobre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Figen HOKE, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 23 janvier 2014, Mme [A] [R] [N] épouse [C], ci-après Mme [R] [N], a été engagée par la société Elres en qualité d'employée de restauration, classifiée I, niveau I, moyennant une rémunération de 1 424,74 euros pour une durée de travail mensuelle de 149,50 heures. Mme [R] [N] était affectée sur le site ELIOR, [Adresse 6] à [Localité 5]. Le contrat de travail comprenait une clause de mobilité prévoyant l'affectation de la salariée "dans les différents établissements situés dans la zone géographique de l'agglomération de l'établissement et dans un rayon géographique d'environ 50 km de l'établissement."

Par courrier recommandé adressé le 14 septembre 2016, la société Elres a notifié à Mme [R] [N] sa mutation à titre disciplinaire sur le site du centre hospitalier des quatre villes à [Localité 7] en lui reprochant d'avoir laissé ouverte la porte d'un congélateur de sorte que toute la marchandise qui s'y trouvait a été perdue, son comportement inadapté envers sa supérieure hiérarchique et son attitude désobligeante ou injures à l'égard des clients, du responsable hiérarchique, des collègues ou collaborateurs.

Mme [R] [N] a constesté cette sanction par courrier recommandé adressé le 21 septembre 2016.

Le 26 septembre 2016, elle a été victime d'un accident de travail et a présenté des arrêts de travail jusqu'au 11 janvier 2017.

Le 9 décembre 2016, la CPAM de Seine et Marne lui a notifié que son état était consolidé au 31 décembre 2016. Le 6 février 2017, le médecin du travail a examiné Mme [R] [N] dans le cadre d'une visite de reprise et a indiqué que son état de santé "ne lui permet pas de reprendre son activité professionnelle ce jour. Je l'oriente en secteur de soins pour un arrêt de travail. A revoir à la reprise." Mme [R] [N] a présenté un nouvel arrêt de travail du 7 au 19 février 2017. Le 15 février 2017, elle a de nouveau été vue par le médecin du travail qui a mentionné " vu " sur la fiche de suivi.

Par courrier recommandé du 21 février 2017 lui notifiant sa mise à pied à titre conservatoire, Mme [R] [N] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 3 mars 2017 et s'est vu notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse par courrier adressé sous la même forme le 11 mars 2017, l'employeur lui reprochant en substance de ne pas avoir intégré son nouveau poste de travail et d'avoir perturbé l'organisation du travail en se présentant à plusieurs reprises sur le site de travail initial.

La société Elres employait au moins onze salariés lors du licenciement et applique la convention collective nationale de la restauration collective.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [R] [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Paris en nullité de son licenciement et de la mesure de mutation disciplinaire et afin d'obtenir notamment sa réintégration au sein de l'entreprise. Par jugement du 27 mai 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Paris, section commerce a débouté Mme [R] [N] de l'ensemble de ses demandes et l'a condamnée aux dépens, déboutant la société Elres de sa demande présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Mme [R] [N] a régulièrement relevé appel du jugement le 2 juillet 2020.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er octobre 2020 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [R] [N] prie la cour de :

- infirmer le jugement,

- prononcer l'annulation de la mutation disciplinaire pour discrimination syndicale,

- prononcer l'annulation du licenciement,

- ordonner sa réintégration dans son emploi d'origine sur le site de la Clinique [4] [Localité 8] à [Localité 5] aux mêmes conditions de travail et de rémunération sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- condamner la société Elres à lui payer :

* l'indemnité compensatrice de perte de salaire correspondant aux salaires bruts qu'elle aurait dû percevoir depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration,

* 20 000 euros de dommages-intérêts pour discrimination,

Subsidiairement,

- condamner la société Elres à lui verser la somme de 20 400 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

- condamner la société Elres à lui payer la somme de 1 587,80 euros à titre de rappel de salaire outre celle de 158,78 euros au titre des congés payés afférents soit :

* 833,25 euros pour la période du 11 au 31 janvier 2017,

* 277,75 euros pour la période du 1er au 5 février 2017,

* 69,43 euros pour la journée du 20 février 2017,

* 407,36 euros pour la mise à pied du 21 au 28 février 2017,

- dire que ces sommes seront assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- débouter la société Elres de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Elres à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 décembre 2020 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société Elres prie la cour de confirmer le jugement, débouter Mme [R] [N] de l'ensemble de ses demandes, la condamner aux dépens et à lui verser la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 21 septembre 2022.

MOTIVATION :

Sur la demande de nullité de la sanction disciplinaire :

Aux termes de l'article L. 1333-1 du code du travail, en cas de litige sur une sanction disciplinaire, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

L'article L. 1333-2 du code du travail précise que le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme, ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

Madame [R] [N] sollicite l'annulation de la sanction disciplinaire qui lui a été notifiée le 13 septembre 2016 au motif qu'elle est discriminatoire, injustifiée, disproportionnée et avait pour seul but de l'éloigner du site de la clinique de [4] [Localité 8] afin d'éviter sa candidature aux élections professionnelles avril 2017.

La société Elres s'oppose à la demande en faisant valoir que la mutation est justifiée et proportionnée à la faute reprochée à la salariée et qu'elle n'a aucun caractère abusif ayant été prononcée dans le strict respect de la clause de mobilité prévue au contrat de travail de la salariée.

Sur le bien fondé de la sanction :

Le courrier de notification de la mutation disciplinaire du 13 septembre 2016 est rédigé dans les termes suivants :

" ['] les faits reprochés sont les suivants :

1 - perte de marchandise

Le 4 juillet 2016, Madame [T] [G] a trouvé la porte du congélateur ouverte, et ce malgré la demande de vérification faite sur le " mémo de rappel " communiqué sur le site. Nous avons perdu toute la marchandise se trouvant dans celui-ci. Lorsque vous quittez le site, il est de votre responsabilité de faire cette vérification avant votre départ. [']

2- comportement inadapté envers votre supérieur hiérarchique

le 4 juillet toujours, vous avez manqué de respect envers votre supérieur hiérarchique, Madame [G] [T]. En effet, vous avez fait irruption dans son bureau et avez eu des propos et gestes agressifs envers elle. Vous avez utilisé les termes " d'esclavagiste " et de " tortionnaire " envers votre supérieure. Étaient présents lors de l'incident Messiers. [X] [P] et [X] [K], délégué syndicaux CGT ainsi que Madame [V] [F].

Vous n'avez pas souhaité répondre lors de l'entretien. Nous attirons votre attention sur le fait que vous devez entretenir des rapports cordiaux et surtout professionnels et respectueux avec les personnes que vous côtoyez dans votre environnement professionnel, notamment votre responsable hiérarchique et ce, même en cas de désaccord votre attitude est inacceptable et perturbe l'ambiance de travail sur le site en laissant planer un climat de stress et d'insécurité. ['] ".

L'employeur soutient que la sanction était justifiée par la commission des faits et qu'une seconde salariée Mme [D] [V] était également convoquée mais que la procédure a été abandonnée à son égard, l'enquête établissant que ce soir-là, seule Mme [R] [N] était en charge de la fermeture des portes du congélateur. Par ailleurs, Mme [R] [N] avait déjà adopté un comportement agressif à légal de sa supérieure hiérarchique ainsi que cela ressort, selon lui, de plusieurs attestations qu'il communique aux débats. De son côté, Mme [R] [N] soutient qu'à son départ le congélateur était fermé, que Mme [V] avait été la dernière à quitter le site puisqu'elle-même l'avait quitté à 18 heures. Elle conteste tout comportement verbal agressif vis-à-vis de Mme [T] et fait valoir qu'une pétition a recueilli de nombreux signatures pour protester contre cette situation.

La cour constate que l'employeur ne justifie ni de la réalité des horaires de Mme [R] [N] ni de Mme [V] ce jour-là et que les propos agressifs qui auraient été tenus à l'encontre de Mme [T] le 4 juillet 2016 ne sont confirmés par aucun élément objectif, aucune attestation, alors que pourtant plusieurs autres salariés étaient présents sur place ainsi que cela ressort du courrier de notification. Par ailleurs, les allégations de Mme [R] [N] s'agissant de ses horaires sont confirmés par sa fiche de poste . La cour considère dans ces conditions que la matérialité des faits n'est pas établie, pas plus que leur imputabilité à Mme [R] [N] de sorte que la sanction disciplinaire est annulée.

Sur le licenciement :

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties, au besoin après toutes mesures d'instruction qu'il estime utiles'et que si un doute subsiste, il profite au salarié. Ainsi, l'administration de la preuve du caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties, l'employeur devant toutefois fonder le licenciement sur des faits précis, objectifs imputables au salarié et matériellement vérifiables.

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée dans les termes suivants :

" Vous êtes à ce jour affectée en qualité d'employée polyvalente de restauration, sur le centre hospitalier des 4 villes à [Localité 7]. Lors de votre entretien préalable en date du 3 mars 2017 auquel vous vous êtes présentés accompagnée de M. [X] [P] délégué syndical, Mme [J] [M], DRH régionale IDF santé, vous a exposé les faits qui nous ont amenés à envisager une éventuelle mesure de licenciement à votre encontre.

En date du 21 février 2017, pour la seconde fois, vous vous êtes présentée illégitimement sur la clinique [4] [Localité 8] à [Localité 5] vers 7 H vous installant dans la salle de restaurant en indiquant que vous souhaitiez reprendre votre poste et que vous ne partiriez pas sans avoir de réponse. Or, depuis le 1er octobre 2016, comme cela vous avait été notifié par courrier recommandé en date du 13 septembre 2016 dans le cadre d'une mutation disciplinaire, vous êtes affectée sur le site du Centre Hospitalier des 4 villes à [Localité 7]. Depuis cette notification, vous avez refusé de prendre votre poste sur ce site et avez transmis un arrêt de travail. Par ailleurs, la matinée du 21 novembre 2016, vous vous étiez déjà présentée une première fois sur la clinique [4] [Localité 8] en présence d'une délégation CGT afin de demander votre réintégration sur ce site et contestant à nouveau votre mutation disciplinaire. Par ce comportement vous aviez déjà fortement perturbé l'organisation de travail toute une matinée en occupant la salle de restaurant illégitimement. Ayant refusé de quitter l'établissement comme vous l'avez demandé la direction, je me suis moi-même présenter sur le site afin de vous rencontrer. À mon arrivée, en début d'après-midi, vous veniez de quitter l'établissement vous prolongeant en arrêt de travail.

Depuis la notification de votre mutation disciplinaire, nous avons échangé à plusieurs reprises, notamment en présence de délégués syndicaux CGT, et nous vous avons confirmé votre obligation de vous présenter au sein du site du centre hospitalier des 4 villes à [Localité 7], votre affectation depuis le 1er octobre 2016. Nous vous l'avons également rappelé par courriers recommandés en date du 23 septembre 2016, 11 janvier 2017 et 1er février 2017 vous précisant votre obligation contractuelle de mobilité sur le périmètre Île-de-France. En effet, nous vous reprécisons que votre lieu initial d'affectation constitue une simple condition de travail de votre contrat de travail et que nous nous réservons le droit de vous muter dans les différents établissements Elior restauration enseignement et santé sur la zone géographique d'embauche [Localité 5] Île-de-France (départements 75, 77, 78, 91, 92, 93, 94, 95). La modification du lieu de travail relève d'une décision de l'employeur dans l'exercice de son pouvoir de direction et le refus du salarié de changer de lieu de travail dans un même secteur géographique est constitutif d'une cause réelle et sérieuse de licenciement. Nous considérons donc que votre comportement constitue une violation de vos obligations professionnelles et contractuelles. Aussi, par ces motifs, nous prenons la décision de vous licencier pour cause réelle et sérieuse. ['] "

La cour observe que le refus de respecter la mutation disciplinaire est le motif principal et déterminant du licenciement et dès lors que la mutation disciplinaire a été annulée, le licenciement de Mme [R] [N] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse.

Sur la discrimination syndicale :

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.'

En application de l'article L.1134-1 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application de l'article L.1132-1 précité, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte et il incombe à la partie défenderesse au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, le juge formant sa conviction après avoir ordonné en tant que de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Il en résulte que lorsque le salarié présente des éléments de faits constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs qui y sont étrangers.

Mme [R] [N] soutient qu'elle a été victime de discrimination en raison de son engagement syndical et présente les éléments de faits suivants :

- dès que l'employeur a eu connaissance de son engagement syndical et de ses velléités électorales sous la bannière CGT, l'employeur a changé d'attitude à son endroit en modifiant ses horaires et portant une atteinte excessive au respect de sa vie personnelle et familiale,

- l'employeur a mis en place une surveillance de ses faits et gestes,

- l'employeur lui a notifié une mutation disciplinaire à [Localité 7] injustifiée et abusive,

- l'employeur lui a notifié son licenciement pour refus de changement d'affectation.

La société Elres se défend de toute discrimination syndicale en faisant valoir qu'elle ignorait l'activité syndicale de la salariée.

Pour démontrer que l'employeur avait connaissance de son engagement syndical, Mme [R] [N] fait valoir qu'elle est adhérente CGT et que sa candidature a été présentée à l'employeur à deux reprises par son syndicat, aux élections professionnelles, une première fois en février 2014, une seconde fois en janvier 2015, de sorte qu'il ne pouvait ignorer ses activités syndicales étant précisé au surplus qu'elle a toujours reçu le soutien de ce syndicat.

De son côté, la société Elres rappelle que l'appartenance syndicale relève de la vie personnelle du salarié et ne peut être divulguée sans son accord, que Mme [R] [N] n'est titulaire d'aucun mandat, que ses velléités de candidature aux élections professionnelles sous une étiquette ne présument pas de son appartenance syndicale, d'autant qu'elle n'a jamais été effectivement candidate aux élections puisqu'elle n'a pas été candidate aux dernières élections en 2013, qu'en 2014, elle n'a pu être candidate car elle ne remplissait pas les conditions d'ancienneté, et que dans l'année 2015 aucune élection partielle n'a été organisée. Enfin, la société Elres fait valoir que le soutien apporté à Mme [R] [N] par le syndicat CGT dans ses différentes démarches ne présume pas de l'engagement syndical de la salariée, un syndicat ne réservant pas son soutien à ses seuls adhérents et ce d'autant que dans sa déclaration de main courante du 21 février 2017, Mme [R] [N] a précisé qu'elle appartenait à la CFDT.

La cour considère que dès lors que Mme [R] [N] avait fait part à l'employeur de son intention de se porter candidate à des élections professionnelles à deux reprises en 2014 et 2015, que l'inspecteur du travail avait par courrier du 25 septembre 2014 sollicité des explications auprès de l'employeur sur le fait qu'elle n'avait pas été retenue sur la liste déposée par le syndicat CGT, que les délégués du personnel le 5 février 2015 avaient demandé à l'employeur de s'expliquer sur les motifs de refus de prendre en compte la candidature de la salariée dans le cadre d'une élection partielle, tous éléments sur lesquels l'employeur s'est justifié, il importe peu que Mme [R] [N] soit ou non adhérente d'un syndicat et qu'elle ne soit pas titulaire d'un mandat syndical ou représentatif puisqu'elle avait concrétisé publiquement ses activités syndicales en manifestant son intention de se porter candidate à deux reprises sur les listes CGT. L'employeur avait donc connaissance des activités syndicales de Mme [R] [N] au sens de l'article L. 1132-1 du code du travail.

Sur la modification des horaires :

Mme [R] [N] explique qu'elle a toujours travaillé à huit heures le matin jusqu'à ce que la direction modifie ses horaires en avançant sa prise de service à sept heures ce qui lui causait de grandes difficultés au regard de sa situation familiale puisqu'elle doit emmener ses enfants en nourrice et qu'elle n'a pas de bus avant 6h20 le matin. Elle verse aux débats le courrier de l'inspecteur du travail adressé à l'employeur le 25 septembre 2014 ainsi que les remarques du CHSCT en date du 21 septembre 2016 faisant état de cette modification des horaires alors que celle-ci n'était pas utile et la demande des délégués du personnel du 14 mai 2015 relative à l'intransigeance de la direction pour imposer les horaires de planning et de la salariée alors que cela ne sert à rien.

Sur la mise en place d'une surveillance de ces faits et gestes :

Mme [R] [N] soutient que l'employeur a mis en place un système illicite de surveillance de ses faits et gestes qui a été relevé par le CHSCT le 21 juillet 2016 indiquant avoir découvert un système " de flicage scandaleux mis en place par [G] [T] dans un cahier par une salarié lambda dans ce n'était pas le rôle mais qui a accepté de notifier horaires, travail' ". Elle verse aux débats la note de du CHSCT du 21 septembre 2016 indiquant qu'en juillet 2016 le système a été découvert. La cour considère cependant que cette note ne suffit pas à établir la matérialité des faits et l'existence du cahier, lequel n'est pas communiqué pas plus que ne sont produites les attestations des délégués du personnel ayant découvert les faits. Les faits présentés ne sont donc pas matériellement établis.

Sur l'existence de la sanction disciplinaire et du licenciement :

Il est constant que Mme [R] [N] s'est vu notifier une sanction disciplinaire et son licenciement.

La cour considère en conséquence de ce qui précède que Mme [R] [N] présente des faits laissant supposer une discrimination pour motif syndical et il appartient en conséquence à l'employeur de démontrer que les faits sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Sur la modification des horaires :

La société Elres soutient que les horaires de Mme [R] [N] n'ont pas été modifiés dans la mesure où dès l'origine elle devait commencer son travail à sept heures, que sa directrice sur site Mme [U], qui en atteste, avait accepté provisoirement qu'elle commence une heure plus tard mais qu'elle était revenue sur cette autorisation rapidement pour des motifs d'organisation et de justice vis-à-vis des autres salariés, que Mme [R] [N] n'en avait cependant tenu aucun compte malgré un rappel de ses horaires le 5 mai 2014 puis un rappel à l'ordre le 12 septembre 2014 qu'elle communique. La cour considère en conséquence que l'attestation produite et le rappel à l'ordre communiqués suffisent à justifier que l'employeur se contentait d'appliquer à Mme [R] [N] l'horaire collectif en vigueur de sorte qu'il démontre que le changement d'horaire allégué était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Sur la sanction disciplinaire :

Comme il a été vu ci-dessus la cour a annulé la sanction disciplinaire en considérant que les faits reprochés n'étaient ni établis ni imputables à Mme [R] [N] de sorte que l'employeur échoue à démontrer que la sanction disciplinaire était justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

Sur le licenciement :

Comme il a été vu ci-dessus, la cour a considéré que le licenciement n'était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse en raison de l'annulation de la mutation disciplinaire de sorte que l'employeur échoue, là encore, à démontrer que le licenciement est justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En conséquence de ce qui précède, l'employeur ayant échoué à démontrer que les éléments qui laissent supposer une discrimination syndicale sont en réalité justifiés par des éléments objectifs qui y sont étrangers, la cour retient que Mme [R] [N] a été victime d'agissements discriminatoires en raison de ses activités syndicales.

Sur les demandes au titre de la nullité du licenciement :

La cour ayant retenu que le licenciement ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse et résultait d'une pratique discriminatoire, prononce l'annulation du licenciement en application de l'article L. 1132-4 du code du travail.

Sur la demande de réintégration :

Mme [R] [N] sollicite sa réintégration sur le site de la clinique [4] [Localité 8] sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

La cour rappelle qu'en raison de la nullité du licenciement, la réintégration de la salariée qui le demande est de droit lorsqu'elle ne s'avère pas matériellement impossible. Il n'appartient cependant pas à la cour de se substituer à l'employeur pour déterminer dans quel site la salariée qui a signé une clause contractuelle de mobilité doit être réintégrée. La demande de Mme [R] [N] sur ce point précis est donc rejetée. Il n'y a pas lieu d'assortir la réintégration d'une astreinte.

Sur la demande d'indemnité correspondant à la perte de salaire :

Le salarié dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'il aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration sans déduction des éventuels salaires ou revenus de remplacement perçus.

La cour condamne en conséquence la société Elres à verser à Mme [R] [N] une indemnité calculée sur la base du salaire mensuel brut de 1 527,62 euros qu'elle percevait avant son licenciement, à compter du 10 mai 2017 jusqu'à sa réintégration effective dans l'entreprise.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la discrimination syndicale :

Mme [R] [N] sollicite la condamnation de l'employeur à lui verser une somme de 20 000 euros de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi en raison de la discrimination syndicale dont elle a été victime. La cour considère que sanctionnée injustement et mutée contre son gré, elle justifie d'un préjudice distinct de celui résultant de la nullité du licenciement et condamne la société Elres à lui verser une somme de 5 000 euros suffisant à réparer son entier préjudice. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur les demandes de rappel de salaire :

Mme [R] [N] soutient que son arrêt de travail se terminait le 11 janvier 2017 et qu'il appartenait donc à l'employeur d'organiser une visite de reprise à compter de cette date ; qu'il ne l'a organisée que le 18 janvier 2017 auprès d'un centre de santé au travail qui n'était pas compétent et a donc refusé de procéder à l'examen de sorte que elle n'a été vue par un médecin du travail que le 6 février 2017 dans le cadre d'une visite qui n'était pas une visite de reprise. Elle soutient qu'elle était donc à disposition de son employeur et sollicite en conséquence un rappel de salaire pour la période courant du 11 janvier 2017 à la fin de sa mise à pied à titre conservatoire soit le 28 février 2017.

La société Elres s'oppose à la demande en faisant valoir que contrairement à ce que soutient Mme [R] [N] la visite du 6 février 2017 constituait bien une visite de reprise peu important que le médecin du travail ne se soit pas prononcé sur son aptitude. Par ailleurs, elle explique qu'à compter du 7 février 2017 et jusqu'au 19 février 2017 Mme [R] [N] a de nouveau présenté un arrêt de travail. Enfin, l'employeur soutient que pour la période courant du 12 janvier 2017 au 27 janvier 2017, Mme [R] [N] ne se tenait pas à sa disposition contrairement à ce qu'elle prétend puisque la visite de reprise qui avait été programmée pour le 18 janvier 2017 a été repoussée à sa demande.

La cour considère que la visite médicale qui s'est tenue auprès du médecin du travail le 6 février 2017 constituait bien la visite de reprise mettant fin à la période de suspension du contrat de travail ainsi que le médecin du travail l'a d'ailleurs indiqué même s'il ne s'est pas prononcé sur l'aptitude de la salariée à son emploi dans la mesure où cette visite a été organisée, comme l'employeur en avait l'obligation à l'issue de l'arrêt de travail de Mme [R] [N], après que l'assurance-maladie lui a indiqué qu'elle était consolidée et qu'elle ne serait plus indemnisée.

Il en résulte que jusqu'à cette date, le contrat de travail de Mme [R] [N] était suspendu de sorte que sa demande de paiement des salaires est rejetée.

À compter du 7 février Mme [R] [N] a de nouveau présenté des arrêts de travail jusqu'au 19 février de sorte que le contrat de travail étant à nouveau suspendu, la demande de paiement des salaires est rejetée.

Pour la période postérieure, l'employeur prétend que la mise à pied à titre conservatoire en réalité a été payée en faisant référence aux mentions 'absence autorisée payée' figurant sur le bulletin de salaire du mois de mars 2017. La cour considère toutefois que cette mention du bulletin de salaire ne suffit pas à établir d'une part qu'il s'agissait de la mise à pied à titre conservatoire et d'autre part que les sommes ont effectivement été payées de sorte qu'il est fait droit à la demande présentée par Mme [R] [N] à hauteur de la somme totale de 407,36 euros outre 69,43 euros au titre de la journée du 20 février 2017 soit une somme totale de 476,79 euros outre 47,67 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement est infirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur les autres demandes :

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision.

La capitalisation des intérêts échus, dus pour une année entière est ordonnée en application de l'article 1343-2 du code civil.

La société Elres, partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel et doit indemniser Mme [R] [N] des frais exposés par elle et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, sa propre demande sur ce même fondement étant rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,

PRONONCE la nullité de la sanction disciplinaire notifiée le 13 septembre 2016,

PRONONCE la nullité du licenciement,

ORDONNE la réintégration de Mme [A] [R] [N] épouse [C] au sein de l'entreprise Elres,

CONDAMNE la société Elres à verser à Mme [A] [R] [N] épouse [C] une indemnité correspondant aux salaires qu'elle aurait dû percevoir depuis le 10 mai 2017 jusqu'à sa réintégration sur la base d'un salaire mensuel brut de 1 527,62 euros outre les primes et application des augmentations collectives,

CONDAMNE la société Elres à verser à Mme [A] [R] [N] épouse [C] la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts en réparation de son préjudice pour discrimination syndicale

CONDAMNE la société Elres à payer à Mme [A] [R] [N] épouse [C] une somme de 476,79 euros à titre de rappel de salaire pour la période courant du 20 février 2017 au 28 février 2017 outre 47,67 euros au titre des congés payés afférents, se décomposant de la façon suivante : 69,43 euros pour la journée du 20 février 2017 et 407,36 euros pour la mise à pied du 21 au 28 février 2017,

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale sont dus à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation et que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la présente décision,

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière,

DÉBOUTE Mme [A] [R] [N] épouse [C] du surplus de ses demandes,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de la société Elres,

CONDAMNE la société Elres aux dépens et à verser à Mme [A] [R] [N] épouse [C] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/03907
Date de la décision : 26/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-26;20.03907 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award