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25/01/2023 | FRANCE | N°18/11261

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 25 janvier 2023, 18/11261


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 25 JANVIER 2023



(n° , 11 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/11261 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QOY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRÉTEIL - RG n° 17/00433



APPELANT



Monsieur [H] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

né le 29 Avril 1962 à

[Localité 5]

Représenté par Me Judith BOUHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0656



INTIMEE



SAS VEOLIA WATER INFORMATION SYSTEMS

[Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 414 984 9...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 25 JANVIER 2023

(n° , 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 18/11261 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6QOY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2018 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRÉTEIL - RG n° 17/00433

APPELANT

Monsieur [H] [I]

[Adresse 2]

[Localité 3]

né le 29 Avril 1962 à [Localité 5]

Représenté par Me Judith BOUHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0656

INTIMEE

SAS VEOLIA WATER INFORMATION SYSTEMS

[Adresse 1]

[Localité 4]

N° SIRET : 414 984 963

Représentée par Me Blandine ALLIX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0461

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 08 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne-Gaël BLANC dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par contrat de travail à durée indéterminée à effets au 21 mai 2007, M. [H] [I], né le 29 avril 1962, a été engagé par la société Gieau aux droits de laquelle vient désormais la SAS Veolia Water informations systems (VWIS) en qualité d'ingénieur chargé d'études, statut cadre, position 2.3, coefficient 150.

La société VWIS, qui emploie environ 125 salariés, a pour activité principale la réalisation et le déploiement de projets informatiques pour le compte de sa société mère, la société Véolia eau - compagnie générale des eaux.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des bureaux d'études techniques dite Syntec.

De juin 2008 au 16 août 2016, M. [I] a exercé divers mandats syndicaux.

Le salarié a été en arrêt pour maladie du 28 janvier au 30 juin 2017.

Le 6 avril 2017, s'estimant victime de discrimination syndicale, M. [I] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil en formulant notamment des demandes d'annulation d'un blâme du 18 août 2010, de reclassement aux fonctions de chef de projet position 3 coefficient 170 à compter de juin 2018, de fixation de son salaire moyen à 5.589,35 euros, de rappel de primes semestrielles et d'intéressement de 2014 à 2017, des congés payés afférents et de dommages et intérêts pour discrimination syndicale, inégalité salariale, préjudices moral et professionnel.

Par jugement du 20 septembre 2018, le conseil a déclaré irrecevable comme prescrite la demande d'annulation du blâme et débouté les parties du surplus de leurs demandes.

Par déclaration du 8 octobre suivant, le salarié a fait appel de cette décision.

Le 1er octobre 2019, le médecin du travail a déclaré M. [I] inapte. Par lettre du 18 suivant, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 30. Le 6 novembre suivant, il été licencié pour inaptitude avec impossibilité de reclassement.

Par ordonnance du 18 février 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné la production forcée de bulletins de paie et d'autres documents concernant plusieurs salariés auxquels M. [I] entendait comparer sa situation professionnelle.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 mars 2022, M. [I] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf sur le rejet des prétentions de son contradicteur et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- juger recevables l'ensemble de ses demandes ;

- ordonner la production forcée des bulletins de salaire de 2008 à 2019 et fiches de fonctions contrats de travail, avenants et décomptes de l'intéressement de 2014 à 2019 de différents salariés de la société VWIS ;

- écarter des débats les pièces n°50 ,73, 74 et 75 de l'intimée ;

- fixer son salaire brut mensuel à 5.565,18 euros ;

- prononcer l'annulation du blâme du 18 août 2010 ;

- ordonner son reclassement aux fonctions de chef de projet position 3.1 coefficient 170 à compter du 1er juin 2008 ;

- prononcer la nullité de son licenciement ;

- condamner la société VWIS à lui payer les sommes suivantes :

. 146.094,39 euros, à parfaire, de dommages et intérêts pour discrimination syndicale ;

. 12.906,80 euros, à parfaire, de rappel de primes semestrielles de 2009 à 2019, outre 1.290,68 euros, à parfaire, de congés payés afférents ;

. 6. 978,95 euros de rappel sur intéressement ;

. 50.000 euros de dommages et intérêts pour déclassification et mise à l'écart, cette demande ne figurant pas dans ses premières conclusions ;

. 50.000 euros, à parfaire, de dommages et intérêts pour inégalité de traitement ;

. 10.000 euros, à parfaire, de dommages et intérêts pour préjudice moral, atteinte à la dignité et préjudice professionnel ;

. 50.000 euros, à parfaire, de dommages et intérêts pour harcèlement moral et absence de prévention du harcèlement moral ;

. 10.000 euros de dommages et intérêts pour discrimination liée à l'état de santé ;

. 50.000 euros, à parfaire, de dommages et intérêts pour perte d'employabilité, cette demande ne figurant pas dans ses premières conclusions ;

. 60.000 euros, à parfaire, de dommages et intérêts pour préjudice moral et financier ;

. 100.173,24 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

. 16.695,54 euros d'indemnité compensatrice de préavis conventionnelle, outre 1.669,55 euros de congés payés afférents ;

. 46.376,48 euros d'indemnité spéciale de licenciement ;

- ordonner la remise de bulletins de salaires, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail conformes, sous astreinte de 1.000 euros par jour ;

- prononcer l'intérêt au taux légal avec capitalisation ;

- condamner la société VWIS aux entiers dépens avec distraction au profit de la SELARL Bouhana avocat, ainsi qu'au paiement de 12.180 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 29 août 2022, la société VWIS demande à la cour de :

- juger irrecevables les demandes de dommages et intérêts pour perte d'employabilité et pour déclassification et mise à l'écart ;

- à titre principal,

. juger les demandes irrecevables au titre de la prescription et en particulier les demandes d'annulation du blâme et de rappels de primes semestrielles et d'intéressement antérieures respectivement au 6 avril 2014 et au 6 avril 2015 ;

. confirmer le jugement pour le surplus, rejeter les demandes du salarié et, y ajoutant, de :

. rejeter les demandes nouvelles qui n'auraient pas été déclarées irrecevables ;

. condamner M. [I] à lui payer 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux dépens ainsi.

- à titre subsidiaire,

. limiter les dommages et intérêts pour perte de salaire à 904 euros, les rappels de primes semestrielles à 52,69 euros brut outre 5,27 euros de congés payés afférents, les rappels d'intéressement à 11,08 euros et fixer le salaire de référence à 4. 068,15 euros ;

. déduire la somme de 31.220 euros de l'éventuelle condamnation au titre de l'indemnité spéciale de licenciement ;

. déduire la somme de 9.172,16 euros de l'éventuelle condamnation au titre de l'indemnité compensatrice de préavis ;

. limiter les dommages et intérêts pour licenciement nul à 13.758,24 euros ;

. juger que le point de départ des intérêts se situe à la date de l'arrêt d'appel ;

. réduire à de plus justes proportions l'éventuelle condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 8 novembre 2022.

Pour l'exposé complet des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 : Sur les pièces

1.1 : Sur la demande de production forcée de pièces

Aux termes de l'article 11 du code de procédure civile lorsqu'une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. En outre, en application de l'article 138, 139 et 142 du code de procédure civile, les demandes de production des éléments de preuve détenus par les parties peuvent être faites au juge saisi de l'affaire, qui, s'il estime cette demande fondée, ordonne la délivrance ou la production de l'acte ou de la pièce, en original, en copie ou en extrait selon le cas, dans les conditions et sous les garanties qu'il fixe, au besoin à peine d'astreinte. Il est par ailleurs constant que la production forcée de pièces n'est pas de la compétence exclusive du conseiller de la mise en état et relève du pouvoir discrétionnaire des juges du fond.

Au cas présent, alors qu'il a d'ores et déjà obtenu du conseiller de la mise en état la production forcée des bulletins de salaire, contrats de travail, avenants et décomptes de l'intéressement de huit salariés, M. [I] ne justifie pas, à ce stade de la procédure, de la nécessité d'obtenir ces mêmes documents pour de nouveaux salariés.

La demande à ce titre sera donc rejetée.

1.2 : Sur la demande tendant à voir écarter les pièces n°50 ,73, 74 et 75 de la société Veolia water information systems

S'il est de principe, au visa de l'article 6 § 1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, que le juge ne peut fonder sa décision uniquement ou de manière déterminante sur des témoignages anonymes, cela ne justifie pas d'écarter a priori les pièces n°50, 73, 74 et 75 de l'employeur au seul motif qu'elles seraient caviardées et anonymisées, leur valeur probante devant être examinée au fond.

La demande tendant à voir écarter ces pièces des débats sera donc rejetée.

2 : Sur les fins de non-recevoir

2. 1 : Sur l'irrecevabilité des demandes ne figurant pas dans les conclusions mentionnées à l'article 908 du code de procédure civile

L'article 910-4 du code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 783, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

En l'espèce, les demande de dommages et intérêts pour perte d'employabilité et pour déclassification et mise à l'écart ne figurent pas dans les premières conclusions de l'appelant seules écritures remises dans le délai de l'article 908 du code de procédure civile. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'appelant, ces prétentions ne sont, ni l'une ni l'autre, destinées à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Elles ne sont pas davantage destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses.

Ces demandes de dommages et intérêts pour perte d'employabilité et pour déclassification et mise à l'écart seront dès lors déclarées irrecevables et le jugement complété en ce sens.

2.2 : Sur la prescription des demandes au titre de la discrimination syndicale

L'article L.1134-5 du code du travail prévoit que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination. Ce délai n'est pas susceptible d'aménagement conventionnel. Les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée.

Il est constant que lorsque les faits invoqués au soutien de la discrimination se sont, pour certains, poursuivis tout au long de la carrière en termes d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle et qu'ils n'ont pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, l'action n'est pas prescrite, peu important que le salarié se soit déjà plaint de discrimination au cours de la période prescrite.

Par ailleurs, la cour qui constate que l'action du salarié n'est pas prescrite doit analyser l'ensemble des faits invoqués permettant de présumer l'existence d'une discrimination quelle que soit la date de leur commission et réparer l'intégralité du préjudice en résultant.

En outre, l'article L.1471-1 du code du travail dans sa version applicable au litige prévoit que, si toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, ce délai ne fait pas obstacle à l'application du dernier alinéa de l'article L.1134-5 susmentionné qui prévoit que les dommages et intérêts réparent l'entièreté du préjudice résultant de la discrimination.

Enfin, il est de principe que 'lorsque le salarié invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement, et non une discrimination, la durée de la prescription est déterminée par la nature de la créance objet de sa demande ' (Soc., 30 juin 2021, pourvoi n° 20-12.960). Il s'en déduit que tel n'est pas le cas, lorsque le salarié invoque une discrimination, le régime de prescription spécifique à cette action devant alors s'appliquer quelle que soit la nature de la créance invoquée.

Dès lors, si, en application des articles L.1471-1 dans sa version applicable au litige et L.3245-1 du code du travail, les actions en contestation d'une sanction ou en paiement de rappel de salaire relèvent respectivement des prescriptions biennale et triennale, il n'en est pas de même lorsqu'elles se fondent sur une discrimination, les délais plus courts devant alors être écartés au profit du délai de cinq ans propre à la discrimination.

Au cas présent, les faits invoqués par le salarié au soutien de la discrimination se sont poursuivis de manière continue jusqu'à l'introduction de l'instance devant le conseil de prud'hommes en sorte que son action à ce titre n'est pas prescrite peu important qu'il se soit d'ores et déjà plaint de discrimination en amont pendant la période couverte par la prescription.

L'exception de fin de non-recevoir tirée de la prescription sera dès lors rejetée et le jugement, qui a accueilli cette exception pour la contestation de la sanction disciplinaire et n'a pas expressément statué sur ce point pour le surplus, sera infirmé et complété en ce sens.

3 : Sur l'exécution du contrat de travail

3.1 : Sur la discrimination en raison de l'activité syndicale et de l'état de santé du salarié

L'article L. 1132-1 du code du travail interdit toute discrimination du salarié fondée sur ses activités syndicales ou en raison de son état de santé.

En application de l'article L.1134-1 du code du travail, lorsque survient un litige matière de discrimination, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime nécessaires.

3.1. 1 : Sur les éléments de fait présentés par le salarié

Au soutien de ses demandes au titre de la discrimination, M. [I] fait valoir que sa situation professionnelle se serait dégradée concomitamment à sa désignation comme délégué syndical en juin 2008, puis à son arrêt pour maladie du 28 janvier au 30 juin 2017.

En premier lieu, M. [I] affirme que, à compter de sa désignation comme délégué syndical, ses évaluations se sont dégradées. Il souligne plus particulièrement que le contenu de ses comptes-rendus d'entretien est plus péjoratif, certains étant également lacunaires. Il ajoute que son évaluation pour l'année 2013 fait mention de ses mandats syndicaux pour souligner une absence de disponibilité. Il remarque qu'il a constamment contesté ses évaluations lorsqu'elles lui étaient notifiées en notant leur caractère discriminant et précise que ses objectifs et sa charge de travail n'ont pas été réellement revus pour prendre en compte sa situation particulière.

En second lieu, le salarié soutient qu'alors qu'il n'avait jamais fait état de harcèlement moral mais uniquement de discrimination, son employeur a saisi à tort le comité d'hygiène, de sécurité et de santé au travail d'une demande d'enquête de ce seul premier chef. Il ajoute que l'enquête a été menée à charge contre lui.

En troisième lieu, il note également qu'il a fait l'objet d'un blâme le 18 août 2010.

En quatrième lieu, il soutient qu'il a fait l'objet d'une 'placardisation' en restant isolé sans affectation réelle de mars 2016 à janvier 2018.

En cinquième lieu, il invoque une stagnation professionnelle tant en ce qui concerne son salaire que ses fonctions puis une rétrogradation.

Enfin, M. [I] fait valoir qu'en 2017, année au cours de laquelle il a été en arrêt maladie du 28 janvier au 30 juin suivant, il n'a pas été évalué pour la période 2016 alors qu'il a pourtant été présent dans l'entreprise pendant plus de six mois.

Au regard des pièces produites de part et d'autre, contrairement à ce qu'affirme le salarié, il apparaît que l'enquête du CHSCT a été diligentée après qu'il a effectivement fait état d'un harcèlement moral en sorte que l'employeur ne saurait se voir reprocher une enquête injustifiée de ce chef. En outre, alors que les conclusions du rapport d'enquête intègrent des préconisations qui concernent tant le salarié que son employeur, son caractère à charge n'est aucunement établi, étant souligné au surplus que M. [I] a refusé d'y participer.

Par ailleurs, alors qu'il n'est pas avéré que le précédent salarié affecté à la mission de client manager ait eu un coefficient inférieur à celui de M. [I], la rétrogradation invoquée n'est pas non plus suffisamment démontrée au regard de la seule nature des fonctions exercées.

En revanche, il est établi que le contenu des évaluations de l'appelant s'est dégradé concomitamment à sa prise de mandat et que l'exercice de ses mandats syndicaux est évoqué dans son évaluation pour l'année 2013, certes au soutien d'une appréciation favorable de l'item 'Solidarité', mais aussi en soulignant son manque de disponibilité puisqu'il est écrit '[H] a pris de nouveaux mandats courant 2013. Ceci a réduit sa disponibilité pour la réalisation de nouveaux flux sachant que la demande a été faible mais avec des contraintes très fortes de délais de livraison' et 'Au vu de la situation sur les objectifs 2013 liée à la prise de nouveaux mandats, je ne souhaite pas mettre une appréciation globale. Un point avec la DRH VWIS est nécessaire pour voir comment aménager le poste de [H] pour prendre en compte sa faible disponibilité'.

Il n'est par ailleurs pas contesté que le salarié a fait l'objet d'un blâme le 18 août 2010.

Il est enfin démontré que le salarié a été dans une situation d'instabilité professionnelle entre janvier 2016 et 2018 puisque, au cours de cette période, il a d'abord exercé une mission de contrôle du respect des procédures jusqu'à fin mars 2016 (alors que la fiche d'évaluation mentionnait une fin de mission au 31 décembre suivant), puis de correspondant informatique et libertés jusqu'au 31 octobre 2016, date à laquelle il a été mis un terme à ses fonctions de manière unilatérale par son employeur qui a eu recours à un prestataire externe. Ensuite, il a assisté le sous-traitant ainsi désigné, a été ponctuellement affecté au service des achats, s'est vu confier une mission conformité IT puis, en dernier lieu, de client manager.

Il apparaît en outre qu'il a bénéficié d'une évolution salariale et fonctionnelle faible voire inexistante et que, en 10 ans, il n'a pas changé de fonction ni de coefficient.

Ces éléments, pris ensemble, laissent supposer la discrimination étant rappelé qu'il est constant que le fait pour un salarié, investi de divers mandats électifs, de n'avoir bénéficié d'aucune promotion individuelle et la mention dans ses évaluations de ses activités syndicales et de son manque de disponibilité sont de nature à laisser supposer l'existence d'une discrimination syndicale.

3.1. 2 : Sur les éléments objectifs invoqués par l'employeur

Les éléments présentés par le salarié, pris ensemble, laissant supposer la discrimination, il appartient à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En ce sens, ce dernier établit que la dégradation de la notation est partiellement justifiée par des critiques de la société mère (courriels des 16 novembre 2009, 17 décembre 2009 et 11 février 2010) et que les points forts comme faibles du salarié ont toujours été mis en exergue de manière nuancée, précise et objectivée. Il démontre également que la mission dite de contrôle du respect des procédures exercée de janvier à mars 2016 a fait l'objet d'une évaluation. Ce faisant néanmoins, il ne justifie pas de la mention des mandats syndicaux dans le compte-rendu de 2013, de l'absence d'évaluation du salarié sur des objectifs professionnels adaptés à sa disponibilité à compter de 2014 ni de l'absence d'évaluation globale pour l'ensemble de l'année 2016.

Concernant le blâme, outre la prescription, qui a été écartée, et l'absence de contestation de cette sanction lors de sa notification, qui est inopérante, l'intimée fait valoir que le salarié a dépassé les limites de la liberté d'expression en proférant des accusations péremptoires et personnelles à l'égard de son supérieur hiérarchique, des membres du CHSCT, des membres de la commission créée par ce comité et du médecin du travail. Cependant, si, dans le courriel du 29 janvier 2010 adressé à son seul supérieur, le salarié lui impute un harcèlement moral, si, dans le tract du 16 février 2010, il écrit : 'cela fait plusieurs mois que mon chef me rend la vie impossible sans cesse, il revient me voir pour vérifier où j'en suis dans mon travail. (...) [X] aussi reçoit la visite incessante de notre chef', si, concernant les membres du CHSCT, il indique : 'je n'hésiterai pas à mettre en cause votre responsabilité civile et pénale si cette affaire s'ébruitait ' ou 'je ne me suis donc pas trompé sur la qualité de cette commission, composée de membres non formés aux rudiments du CHSCT', les propos incriminés dont le ton est vif et polémique, ne sauraient néanmoins être qualifiés d'injurieux ou d'excessifs compte tenu, au surplus, du contexte syndical de leur énonciation. En outre, alors que le salarié n'impute à son responsable, aux membres du CHSCT ou de la commission, aucun fait précis dont il connaissait l'inexactitude, ils ne sont pas davantage diffamatoires. Dès lors, en l'absence d'abus par le salarié de sa liberté d'expression, ce blâme n'est pas justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Il devra dès lors être annulé.

Concernant la multiplication des missions auxquelles le salarié a été affecté entre 2016 et 2018, l'employeur, s'il allègue de la nécessité de faire des déclarations à la CNIL en urgence, ne produit aucune pièce au soutien de cette affirmation. Il ne justifie dès lors pas des raisons objectives l'ayant conduit à recourir à un prestataire externe alors que M. [I] s'était formé au poste de CIL et pensait y être affecté définitivement.

Enfin, concernant la carrière, la seule critique par la société VWIS des éléments de comparaison présentés par le salarié, sans justification par des éléments objectifs tenant aux qualités professionnelles de M. [I] ou par la production de ses propres éléments de comparaison permettant d'établir que cette stagnation est habituelle et normale, n'est pas de nature à expliquer l'absence d'évolution salariale et fonctionnelle démontrée.

L'employeur démontre en revanche suffisamment par des éléments de comparaison pertinents que le salarié ne peut prétendre être reclassé au poste de chef de projet, les salariés auxquels M. [I] se compare pour prétendre à ce repositionnement ayant tous des parcours différents en terme d'ancienneté ou d'expérience professionnelle en sorte qu'il existe des critères objectifs étrangers à toute discrimination justifiant la différence de parcours. La demande de reclassement devra donc être rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

La discrimination dont se prévaut le salarié en raison, tant de son activité syndicale que de son état de santé, est en revanche avérée pour le surplus. Le préjudice en résultant devra être intégralement réparé et le blâme discriminatoire annulé. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il écarte l'existence d'une discrimination.

3.2 : Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs en application de l'article L.1154-1 du code du travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de cet article, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, au soutien de sa demande tendant à voir reconnaître son harcèlement moral, le salarié fait valoir qu'il a été exclu de manière brutale et injustifiée de sa mission de correspondant informatique et libertés, puis qu'il a été 'placardisé' ce dont il est résulté une dégradation de son état de santé.

Il ressort effectivement de ce qui précède que, alors que le salarié avait été positionné sur des fonctions de correspondant informatique et liberté, certes de manière non officielle, il a été mis un terme à ses fonctions sans préavis et de manière unilatérale par son employeur qui a eu recours à un prestataire externe à compter du 31 octobre 2016. Il est également établi que par la suite il été dans une situation d'instabilité professionnelle. Par ailleurs, M. [I] produit différents certificats médicaux mentionnant un état dépressif et rapportant ses propos sur la détérioration de ses conditions de travail.

Ces éléments, pris ensemble, laissent supposer le harcèlement moral peu important que les certificats médicaux ne permettent pas d'établir de lien certain entre l'état de santé du salarié et ses conditions de travail, que le médecin du travail n'ait pas alerté l'employeur, que le salarié ait été considéré comme apte à son poste avant l'avis contraire ou que M. [I] n'ait pas fait état de difficultés auprès des représentants du personnel.

Dès lors, il appartient à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Or, au regard de ce qui précède, la société VWIS n'apporte pas cette preuve, étant souligné que rien ne permet de conforter ses affirmations selon lesquelles l'état dépressif du salarié serait justifié par une pathologie physiologique ou par son éviction brutale de ses fonctions de délégué syndical.

Le harcèlement moral est donc avéré et le préjudice en résultant, distinct de celui engendré par la discrimination, devra être réparé. La décision de première instance sera complétée en ce sens.

Alors que l'employeur a initié une enquête du CHSCT pour harcèlement moral à laquelle le salarié a refusé de participer et qu'aucun préjudice spécifique à ce titre n'est démontré, la demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention du harcèlement sera en revanche rejetée.

Le jugement sera complété sur ce point.

3.3 : Sur l'inégalité de traitement

Il ressort de l'article L.3221 du code du travail que tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les salariés.

Aux termes de l'article L.3221-4 du même code, sont considérés comme de valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. Il est en outre de principe que les fonctions exercées par les salariés peuvent être différentes, dès lors que les situations sont comparables. La charge de la preuve de l'identité de situation incombe au salarié.

Par ailleurs, en application de l'article L.3221-8 du code du travail, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' de soumettre les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération. Il incombe, ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence.

Au cas présent, le salarié fait valoir qu'il n'a pas bénéficié d'une augmentation de salaire comparable à celle de ses collègues de travail ingénieurs chargé d'études puisque celle-ci a été constamment inférieure à la moyenne des salaires des cadres de plus de 45 ans mentionnée dans les négociations annuelles obligatoires.

Cependant, le salarié ne démontre pas que les salariés du panel qu'il produit étaient dans une situation comparable à la sienne.

Ainsi, alors que l'employeur a produit les pièces visées par l'ordonnance du conseiller de la mise en état et que sa carence sur ce point ne peut être invoquée, le salarié ne présente pas d'éléments de fait susceptibles de caractériser une atteinte au principe 'à travail égal, salaire égal' permettant ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence.

L'inégalité de traitement n'est donc pas avérée. La demande à ce titre sera dès lors rejetée et le jugement confirmé de ce chef.

4 : Sur la rupture du contrat de travail

Lorsque l'inaptitude définitive du salarié à son poste de travail trouve son origine dans le harcèlement moral dont il a fait l'objet, le licenciement est nul.

Au cas présent, il ressort de ce qui précède que l'état dépressif réactionnel de M. [I] trouve son origine dans les faits de harcèlement moral discriminatoire dont il a été l'objet en sorte que son licenciement est nul.

Le jugement sera complété sur cette demande nouvelle en cause d'appel.

5 : Sur le surplus des demandes

Au regard des panels de comparaison très divergents versés aux débats, panels dont il convient de rappeler que le juge apprécie souverainement la pertinence, des différents préjudices dont la réparation est sollicitée, du fait que les demandes non indemnitaires sont liées à la détermination du salaire de référence, de l'opportunité d'une appréciation globale des différentes demandes financières, de l'existence d'une autre procédure pendante devant la cour sur la contestation de la faute inexcusable de l'employeur, il apparaît qu'une tierce personne pourrait utilement être désignée afin d'entendre les parties et confronter leurs points de vue pour trouver une solution amiable au litige sur les points restant à trancher.

Il y a lieu en conséquence, avant dire droit sur l'évaluation des préjudices et le surplus des demandes, d'inviter les parties à donner, en application des articles 131-1 et 131-2 du code de procédure civile, leur avis sur l'organisation d'une mesure de médiation judiciaire.

6 : Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.

Compte tenu de ce qui précède, le sort des demandes sur ce point qui pourra, le cas échéant, être intégré dans l'accord amiable des parties, sera réservé.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Rejette la demande tendant à la production forcée de pièces par la SAS Veolia Water informations systems ;

- Rejette la demande de M. [H] [I] tendant à voir écarter des débats les pièces n°50, 73, 74 et 75 de la SAS Veolia Water informations systems ;

- Déclare irrecevables les demandes de dommages et intérêts pour perte d'employabilité et pour déclassification et mise à l'écart ;

- Confirme le jugement du 20 septembre 2018 du conseil de prud'hommes de Créteil en ce qu'il rejette la demande de reclassement aux fonctions de chef de projet position 3.1 coefficient 170 à compter du 1er juin 2008 et de dommages et intérêts pour inégalité salariale ;

- Infirme ce jugement pour le surplus ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription des demandes au titre de la discrimination ;

- Juge que M. [H] [I] a fait l'objet d'une discrimination en raison de son activité syndicale et de son état de santé ;

- Annule la sanction disciplinaire de blâme du 18 août 2010 comme discriminatoire ;

- Rejette la demande tendant au reclassement de M. [H] [I] aux fonctions de chef de projet position 3.1 coefficient 170 à compter du 1er juin 2008 ;

- Juge que M. [H] [I] a fait l'objet d'un harcèlement moral ;

- Rejette la demande de dommages et intérêts pour absence de prévention du harcèlement ;

- Juge que le licenciement pour inaptitude de M. [H] [I] est nul ;

- Avant dire droit, sur le surplus des demandes, invite les parties à donner leur avis sur l'organisation d'une mesure de médiation judiciaire ;

- Renvoie l'affaire à l'audience du 27 février 2023 à 13h30 - salle Louise HANON - 2H01 

- Réserve les demandes de condamnation aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 18/11261
Date de la décision : 25/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-25;18.11261 ?
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