RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 20 Janvier 2023
(n° , 7 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/01012 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7DXP
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Novembre 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Paris RG n° 17-00495
APPELANTE
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE [Localité 6]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
INTIMEE
Madame [S] [E]
[4] / [Adresse 7]
[Localité 9] JAPON
représentée par Me Alban RAÏS, avocat au barreau de PARIS, toque : K0032 substitué par Me Georges MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : E1143
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 24 Novembre 2022, en audience publique et double rapporteur, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre et Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller, chargés du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Monsieur Gilles REVELLES, Conseiller
Greffier : Madame Alice BLOYET, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Sophie BRINET, Présidente de chambre et par Madame Alice BLOYET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] (la caisse) à l'encontre d'un jugement rendu le 27 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris, dans un litige l'opposant à Mme [S] [E].
FAITS, PROCEDURE, PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Il est rappelé que Mme [E] est mère de l'enfant [U] [K], née le 24 février 2013 à [Localité 3] (Chine).
Mme [E] a sollicité le bénéfice d'indemnités journalières de maternité, lesquelles ont été versées le 3 février 2014 pour un montant global de 5.922,22 euros pour la période du 17 janvier 2013 au 31 mars 2013.
Par courrier du 18 novembre 2014, la caisse a demandé à Mme [E] le remboursement de la somme de 5.525,58 euros correspondant aux prestations versées à tort le 3 février 2014. La caisse lui a indiqué qu'elle avait reçu bien l'acte de naissance de l'enfant né à [Localité 3] et que la France n'était pas liée à ce pays par une convention de sécurité sociale et que, dans ce cas, l'application du principe de territorialité du service des prestations prévu par la législation française ne permettait pas à la caisse d'indemniser le congé maternité. La caisse, qui précisait que Mme [E] n'avait pas répondu à ses demandes de documents, indiquait que le trop perçu portait sur 74 jours à 80,03 euros, déduction faite de la CSG/RDS.
Selon mise en demeure du 20 janvier 2015, la caisse a sollicité le paiement de cette somme.
La commission de recours amiable de la caisse a acté d'un recours de Mme [E] reçu le 12 février 2015.
Mme [E] a été destinataire d'une seconde mise en demeure de la caisse du 15 septembre 2016.
Par courrier recommandé avec avis de réception du 12 décembre 2016, la caisse a adressé à Mme [E] une contrainte pour un montant de 5.525,58 euros.
Par courrier du 6 janvier 2017, Mme [E] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris d'une opposition à contrainte.
Par jugement du 27 novembre 2018, le tribunal a :
- déclaré Mme [E] recevable en son action,
- déclaré la caisse irrecevable en son action pour cause de prescription,
- constaté la nullité de l'acte de notification de la contrainte,
- débouté la caisse de l'intégralité de ses prétentions,
- condamné la caisse à payer à Mme [E] la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
-ordonné l'exécution provisoire du jugement.
Le jugement a été notifié à la caisse le 12 décembre 2018; la caisse a interjeté appel de cette décision par déclaration du 10 janvier 2019.
Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience et développées oralement par son conseil, la caisse demande à la cour de :
- rejeter l'exception de péremption invoquée par Mme [E],
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
A titre principal :
- dire recevable l'action en recouvrement engagée par la caisse,
- dire et juger la créance définitive faute de contestation au fond dans les délais,
- valider la contrainte pour son entier montant,
A titre subsidiaire :
- dire recevable l'action en recouvrement engagée par la caisse,
- dire et juger la créance définitive faute de contestation au fond dans les délais,
- condamner Mme [E] à verser à la caisse la somme de 5.525,58 euros,
En toute hypothèse :
- débouter Mme [E] de toutes ses demandes.
Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience par son conseil, Mme [E] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
En conséquence :
- dire et juger l'opposition formée par Mme [E] recevable,
- débouter la caisse de l'ensemble de ses demandes,
- dire et juger que le recouvrement de la caisse est prescrit,
- dire et juger que la contrainte délivrée par la caisse est nulle,
A titre subsidiaire et reconventionnel :
- dire et juger que la caisse a commis une négligence fautive à l'origine des versements de prestations indues à Mme [E],
- condamner la caisse à verser à Mme [E] la somme de 5.525,58 euros à titre de dommages-intérêts,
- ordonner la compensation des créances,
A titre infiniment subsidiaire :
- dire et juger que Mme [E] pourra régler les sommes mises à sa charge en 24 versements, à savoir 23 versements d'un montant de 230 euros et un 24ème versement correspondant au solde,
En tout état de cause :
- condamner la caisse au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
SUR CE :
Sur la péremption :
Cette exception de procédure n'étant pas soulevée par Mme [E] aux termes de ses conclusions déposées à l'audience, ni soutenue oralement, il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.
Sur la recevabilité de l'opposition à contrainte de Mme [E] :
La caisse ne conteste pas la recevabilité de l'opposition à contrainte formée par Mme [E].
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a déclaré ce recours recevable.
Sur la validité de la contrainte :
La caisse rappelle que les mentions exigées par l'article R.133-3 du code de la sécurité sociale sont prescrites à peine de nullité ; qu'il s'agit d'une nullité de forme nécessitant la preuve de l'existence d'un grief causé par la mention défaillante ; que Mme [E] n'a justifié ni invoqué devant le tribunal un quelconque grief ; que la contrainte indique l'adresse du tribunal pour former opposition et les formes requises pour sa saisine ; que la contrainte délivrée est donc valable.
Mme [E] réplique que la contrainte ne contient aucune indication sur sa référence, le montant dû, le tribunal territorialement compétent et son adresse ; qu'elle est donc irrégulière; que Mme [E] s'est trouvée sans aucune indication pour contester la contrainte et a dû mandater un avocat pour ce faire, engendrant des frais qu'elle aurait préféré ne pas exposer.
Aux termes de l'article R.133-3 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, à peine de nullité, l'acte d'huissier ou la lettre recommandée mentionne la référence de la contrainte et son montant, le délai dans lequel l'opposition doit être formée, l'adresse du tribunal compétent et les formes requises pour sa saisine.
La contrainte du 12 décembre 2016 (pièce caisse n°1) reproduit sa référence '5922- 141879690675", qui renvoie à une mise en demeure du 15 septembre 2016 qui est mentionnée dans ce document, le montant de l'indu réclamé, le fait juridique à l'origine de l'indu, à savoir le versement à tort d'indemnités journalières maternité pour la période du 17 janvier 2013 au 31 mars 2013, ainsi que l'adresse du tribunal compétent pour former opposition et les modalités pour former ce recours.
Mme [E], qui avait reçu la mise en demeure du 15 septembre 2016 (pièce caisse n°4), était, dès réception de la contrainte, parfaitement informée de la cause et de l'étendue de l'obligation revendiquée par la caisse, ainsi que des modalités pour contester utilement la contrainte.
Aussi, les dispositions de l'article R.133-3 du code de la sécurité sociale ayant été respectées, la contrainte du 12 décembre 2016 émise par la caisse est régulière et le jugement sera infirmé en ce qu'il fait droit à l'exception de nullité soulevée par Mme [E].
Sur la prescription de l'action en paiement de la caisse :
La caisse fait valoir que c'est à tort que le tribunal a estimé qu'elle était prescrite en son action en remboursement avant l'envoi de la mise en demeure du 20 janvier 2015 ; que le point de départ de la prescription n'est pas la date de première constatation médicale de la grossesse, alors qu'en application de l'article L.332-1 du code de la sécurité sociale, la prescription biennale court à compter du 3 février 2014, date de paiement des prestations entre les mains de Mme [E] ; que l'action de la caisse a été engagée par la notification d'indu du 18 novembre 2014, soit moins de deux ans après le versement des prestations, deux mises en demeure ayant été ensuite délivrées les 20 janvier 2015 et 15 septembre 2016 ; qu'ainsi, au moment où Mme [E] a saisi le tribunal, l'action en recouvrement de la caisse n'était pas prescrite.
Mme [E] réplique que l'action de la caisse était prescrite le 3 février 2016, les indemnités journalières ayant été versées le 3 février 2014 ; que la caisse ne justifie pas de l'envoi de la mise en demeure du 18 novembre 2014 ; que la contrainte délivrée le 12 décembre 2016 par la caisse ne fait référence qu'à une seule mise en demeure préalable datée du 15 septembre 2016, laquelle est la seule dont la réception par Mme [E] est justifiée ; qu'en toute hypothèse, l'envoi d'un courrier recommandé ayant pour objet le recouvrement des prestations prétendument versées à tort ne peut interrompre le délai de la prescription biennale ; que la contrainte ayant été notifiée le 12 décembre 2016, soit après l'expiration du délai de prescription, la caisse est irrecevable en sa demande de remboursement.
Selon l'article L.332-1 du code de la sécurité sociale, l'action de l'assuré pour le paiement des prestations en espèces de l'assurance maladie se prescrit par deux ans, à compter du premier jour du trimestre suivant celui auquel se rapportent lesdites prestations ; pour le paiement des prestations en espèces de l'assurance maternité, elle se prescrit par deux ans à partir de la date de la première constatation médicale de la grossesse.
L'action des ayants droit de l'assuré pour le paiement du capital prévu à l'article L. 361-1 se prescrit par deux ans à partir du jour du décès.
Cette prescription est également applicable, à compter du paiement des prestations entre les mains du bénéficiaire, à l'action intentée par un organisme payeur en recouvrement des prestations indûment payées, sauf en cas de fraude ou fausse déclaration.
Aussi, comme le soulève la caisse, le délai de prescription biennale prévu par ce texte pour exercer son action en remboursement des sommes indument versées a commencé à courir à compter du 3 février 2014, date de versement entre les mains de Mme [E] des indemnités journalières litigieuses (pièce caisse n°5).
Si la prescription aurait pu être acquise le 3 février 2016, il est rappelé qu'une réclamation adressée par lettre recommandée avec accusé de réception par un organisme de sécurité sociale à un assuré à l'effet de lui demander le remboursement d'un trop-perçu vaut commandement interruptif de prescription au sens de l'article 2244 du code civil, dès lors qu'il est constant qu'elle est parvenue au destinataire (Cass. soc., 6 janv. 2000, n°97-15.528).
Or, la caisse justifie avoir mis en demeure Mme [E] de lui rembourser la somme de 5.525,58 euros au titre du versement indu des indemnités journalières, par courrier recommandé avec avis de réception du 20 janvier 2015 reçu par sa destinataire le 2 février 2015 (pièce caisse n°2).
Aussi, un nouveau délai de prescription de deux ans a commencé à courir à compter du 20 janvier 2015 jusqu'au 20 janvier 2017.
Par conséquent, lorsque la contrainte du 12 décembre 2016 a été émise, peu important qu'elle vise une seconde mise en demeure du 15 septembre 2016, la demande de remboursement de la caisse n'était pas prescrite.
Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a déclaré la caisse irrecevable en sa demande pour prescription.
Sur le bien fondé de la contrainte :
Le bien fondé de l'indu, objet de la contrainte délivrée par la caisse le 12 décembre 2016 et son quantum n'étant pas discutés par l'intimée, il convient de la valider.
Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts formée par Mme [E] :
Mme [E] soutient que la caisse a commis une négligence fautive en lui versant des indemnités journalières, ne lui ayant jamais caché son intention d'accoucher à [Localité 3] et s'étant rapprochée au préalable de la caisse qui ne lui a pas fait part de son impossibilité de percevoir ces indemnités.
La caisse réplique que Mme [E] ne justifie pas qu'elle aurait commis une quelconque faute, Mme [E] ayant pris la décision de partir à l'étranger sans modifier son lieu de résidence en France auprès de la caisse ni s'affilier à la caisse des français de l'étranger pour s'assurer le bénéfice de la sécurité sociale française.
Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Mme [E] n'articule aucun grief précis contre la caisse, ne justifiant aucunement l'avoir avisée de manière précise de sa situation avant le versement des indemnités journalières, ni l'avoir informée de son intention de résider en Chine pour suivre son époux, étant observé qu'elle n'a pas avisé la caisse d'un quelconque changement d'adresse pour l'étranger, la caisse précisant qu'elle a essayé de circonscrire l'indu en demandant à Mme [E] de justifier de la durée de son séjour à l'étranger, ainsi qu'il résulte de sa demande justificatifs des dates d'entrée et de sortie à [Localité 3] du 1er octobre 2014 (pièce caisse n°6) à laquelle Mme [E] n'a manifestement pas déféré, ainsi qu'il résulte du courrier de rappel de la caisse du 23 octobre 2014 (pièce caisse n°7).
Par conséquent, ne caractérisant aucune faute commise par la caisse, Mme [E] sera déboutée de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts.
Sur la demande de délais de paiement :
Mme [E] sollicite des délais de paiement pour payer la créance de la caisse, faisant valoir qu'elle perçoit une rémunération mensuelle brute de 6.811 euros, avec des charges mensuelles de 4.948,22 euros, Mme [E] indiquant qu'elle vit à [Localité 8] où le coût de la vie est très élevé.
La caisse répond que Mme [E] ne justifie pas de sa situation financière.
Aux termes de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.
Mme [E] ne produisant aucune pièce de nature à justifier de ses revenus et ses charges, sa demande de délais de paiement ne peut prospérer.
Sur les demandes accessoires :
Partie succombante, Mme [E] sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR
DECLARE la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] recevable en son appel,
INFIRME le jugement rendu le 27 novembre 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré Mme [S] [E] recevable en son opposition,
STATUANT A NOUVEAU,
ECARTE l'exception de nullité de la contrainte soulevée par Mme [S] [E],
DIT la Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 5] recevable en sa demande de remboursement,
VALIDE la contrainte délivrée à Mme [S] [E] le 12 décembre 2016,
DEBOUTE Mme [S] [E] de ses demandes,
CONDAMNE Mme [S] [E] aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière, La présidente,