RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 1 - Chambre 10
ARRÊT DU 19 JANVIER 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 22/05504 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CFPAP
Décision déférée à la cour :
Jugement du 07 mars 2022-Juge de l'exécution de PARIS-RG n° 21/82140
APPELANTS
Madame [M] [O] épouse [X]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Claire GERVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque D527
Monsieur [I] [X]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Claire GERVAIS, avocat au barreau de PARIS, toque D527
INTIMÉE
SA LE GRAND HOTEL
[Adresse 3]
[Localité 4]-BELGIQUE
Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480
Plaidant par Me Damien LAUGIER de la SAS HEPTA, avocat au barreau de LILLE, toque : 0405
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue le 8 décembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre
Madame Catherine LEFORT, conseiller
Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER
ARRÊT
-contradictoire
-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.
PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par jugement du 7 janvier 2021, le juge de paix du canton de Mouscron (Belgique) a condamné solidairement M. [I] [X] et M. [L] [C] à payer à la SA Le Grand Hôtel la somme de 51.611,58 euros, outre une indemnité de procédure et les dépens.
Se prévalant de ce jugement, la société Le Grand Hôtel a, suivant procès-verbal en date du 26 juillet 2021, fait pratiquer une saisie-attribution sur le compte de M. [I] [X] ouvert à la Société Générale, pour avoir paiement de la somme totale de 55.414,89 euros. La saisie a été dénoncée à M. [X] par acte d'huissier du 2 août 2021.
Par acte d'huissier du 2 septembre 2021, M. [I] [X] et Mme [M] [O] épouse [X] ont fait assigner la société Le Grand Hôtel devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris en contestation de la saisie-attribution.
Par jugement en date du 7 mars 2022 le juge de l'exécution a débouté M. et Mme [X] de leur demande de mainlevée de la saisie-attribution et les a condamnés in solidum aux dépens et au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour statuer ainsi, le juge de l'exécution a considéré que l'article R.211-22 du code des procédures civiles d'exécution ne prévoyait aucune sanction en cas d'absence de dénonciation de la saisie-attribution au co-titulaire du compte, non débiteur, de sorte que l'absence de dénonciation de la saisie à Mme [X] n'avait pas de conséquence sur la validité de la saisie-attribution ; qu'en application des articles 1402, 1413, 1414 et 1415 du code civil, la condamnation de M. [X] était une dette contractée par l'époux pouvant être poursuivie sur les biens communs à l'exclusion des gains et salaires de l'épouse, mais que les époux [X] ne démontraient pas que les fonds déposés sur leur compte joint seraient constitués de gains et salaires de l'épouse, lesquels étaient seuls insaisissables.
Par déclaration du 15 mars 2022, M. et Mme [X] ont fait appel de ce jugement.
Par conclusions en date du 16 novembre 2022, M. et Mme [X] demandent à la cour d'appel de :
- infirmer en totalité le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
- ordonner la mainlevée de la saisie-attribution diligentée par la société Le Grand Hötel sur leur compte joint à la Société Générale,
- condamner la société Le Grand Hôtel au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
Ils font valoir que la condamnation de M. [X] ne peut être recouvrée sur le compte joint saisi, sur lequel sont versés des gains et salaires de son épouse, en application de l'article 1414 du code civil qui déroge à l'article 1413. Ils expliquent en premier lieu qu'ils se sont mariés sans contrat aux Etats-Unis en 1990 et qu'il y a lieu d'appliquer la loi française puisqu'ils sont établis en France de manière stable depuis 24 ans, de sorte qu'ils sont mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts. En deuxième lieu, ils soutiennent que la créance de la société Le Grand Hôtel sur M. [X] n'entre pas dans le champ de l'article 220 du code civil s'agissant d'une dette professionnelle étrangère à l'entretien du ménage ou à l'éducation des enfants. En troisième lieu, ils font valoir que les sommes saisies sont constituées de gains et salaires de Mme [X], mais qu'ils n'ont pas été mis en mesure de répondre au moyen de droit soulevé d'office sur lequel le juge de l'exécution a fondé sa décision. Ils expliquent à cet égard que Mme [X] est avocate et que son cabinet lui verse régulièrement des gains par virements sur le compte saisi, si bien que ce compte est constitué de gains et salaires insaisissables au sens de l'article 1414 du code civil. Ils précisent que d'après les relevés de compte qu'ils produisent, la totalité des sommes saisies est insaisissable.
Par conclusions n°2 du 30 novembre 2022, la SA de droit belge Le Grand Hôtel demande à la cour d'appel de :
- débouter M. et Mme [X] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement du juge de l'exécution en date du 7 mars 2022 en toutes ses dispositions,
En tout état de cause,
- condamner solidairement M. et Mme [X] au paiement d'une somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers frais et dépens d'instance.
Elle fait valoir que la saisie-attribution reste valable même en l'absence de dénonciation à Mme [X], et que les relevés du compte joint saisi, produits par les appelants, ne permettent pas de considérer que les sommes saisies sont effectivement des gains de Mme [X] et, conformément à l'article R.162-9 du code des procédures civiles d'exécution, de déterminer la portion insaisissable. Elle ajoute que M. [X], qui tente d'échapper à l'exécution de sa condamnation, est de mauvaise foi, les relevés de compte montrant que le compte est alimenté par d'autres sources de revenus que les gains de son épouse.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de mainlevée de la saisie-attribution
L'article L.211-1 du code des procédures civiles d'exécution dispose que tout créancier muni d'un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut, pour en obtenir paiement, saisir entre les mains d'un tiers les créances de son débiteur portant sur une somme d'argent.
Aux termes de l'article R.211-22 du même code, lorsque la saisie-attribution est pratiquée sur un compte joint, elle est dénoncée à chacun des titulaires du compte.
Toutefois, à défaut de sanction prévue par ce texte, le défaut d'accomplissement de cette formalité n'est pas susceptible d'entraîner la nullité ou la caducité de la saisie-attribution. Ainsi, comme l'a très justement retenu le premier juge, l'absence de dénonciation à Mme [X] de la saisie-attribution du 26 juillet 2021 n'affecte pas la validité de la saisie.
Aux termes de l'article 1413 du code civil, « le paiement des dettes dont chaque époux est tenu, pour quelque cause que ce soit, pendant la communauté, peut toujours être poursuivi sur les biens communs, à moins qu'il n'y ait eu fraude de l'époux débiteur et mauvaise foi du créancier, sauf la récompense due à la communauté s'il y a lieu. »
L'article 1414 dispose :
« Les gains et salaires d'un époux ne peuvent être saisis par les créanciers de son conjoint que si l'obligation a été contractée pour l'entretien du ménage ou l'éducation des enfants, conformément à l'article 220.
Lorsque les gains et salaires sont versés à un compte courant ou de dépôt, ceux-ci ne peuvent être saisis que dans les conditions définies par décret. »
L'article R.162-9 du code des procédures civiles d'exécution dispose :
« Lorsqu'un compte, même joint, alimenté par les gains et salaires d'un époux commun en biens fait l'objet d'une mesure d'exécution forcée ou d'une saisie conservatoire pour le paiement ou la garantie d'une créance née du chef du conjoint, il est laissé immédiatement à la disposition de l'époux commun en biens une somme équivalant, à son choix, au montant des gains et salaires versés au cours du mois précédant la saisie ou au montant moyen mensuel des gains et salaires versés dans les douze mois précédant la saisie.
Les dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 162-4 sont applicables.
Le juge de l'exécution peut être saisi, à tout moment, par le conjoint de celui qui a formé la demande. »
En l'espèce, M. et Mme [X] se sont certes mariés aux Etats-Unis en 1990, mais ils résident en France depuis 1998 et ont été naturalisés français en 2016. M. [X] justifie avoir travaillé en France dès 1998 et Mme [X] justifie avoir prêté serment d'avocat à la cour d'appel de Paris en 2004. C'est donc à juste titre qu'ils estiment qu'il convient d'appliquer la loi française à leur régime matrimonial, de sorte qu'étant mariés sans contrat, ils sont sous le régime légal de la communauté réduite aux acquêts.
La condamnation de M. [X] correspond à une dette de loyers commerciaux de la société Mbrook dont il était le gérant. Il s'agit donc d'une dette personnelle et non d'une dette solidaire entre époux relevant de l'article 220 du code civil.
Dès lors, en application des articles 1413 et 1414 du code civil, la dette de M. [X] à l'égard de la société Le Grand Hôtel, objet de sa condamnation, engage les biens communs du couple, à l'exclusion des gains et salaires de Mme [X].
Par ailleurs, il est constant que le compte saisi est un compte joint.
Il résulte de l'article R.162-9 du code des procédures civiles d'exécution précité que contrairement à ce que soutiennent les époux [X], le compte joint n'est pas insaisissable dans sa totalité, à moins qu'il soit alimenté exclusivement par les gains et salaires de l'épouse. Il incombe aux époux [X] de démontrer quelle part des sommes saisies seraient insaisissable.
Comme le souligne la société Le Grand Hôtel, les relevés de compte produits par les appelants sont caviardés et ne font apparaître que les virements du cabinet d'avocats dans lequel Mme [X] exerce sa profession. En outre, les relevés sont arrêtés au 8 juin 2021 alors que la saisie-attribution a été pratiquée le 26 juillet 2021. Dans ces conditions, il n'est pas prouvé que le compte saisi était alimenté exclusivement par des gains de l'épouse, alors que les relevés font apparaître d'autres sommes en crédit, et il n'est pas possible de déterminer la part qui serait, le cas échéant, insaisissable.
Dès lors, c'est à juste titre que le premier juge a débouté M. [X] de sa demande de mainlevée de la saisie-attribution. Le jugement sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Sur les demandes accessoires
Partie perdante, les époux [X] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'au paiement d'une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 mars 2022 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris,
Y ajoutant,
CONDAMNE in solidum M. [I] [X] et Mme [M] [O] épouse [X] à payer à la SA de droit belge Le Grand Hôtel une somme de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum M. [I] [X] et Mme [M] [O] épouse [X] aux entiers dépens d'appel.
Le greffier, Le président,