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19/01/2023 | FRANCE | N°21/04779

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 11, 19 janvier 2023, 21/04779


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 4 - Chambre 11



ARRET DU 19 JANVIER 2023



(n° , pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04779

N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIYC



Décision déférée à la Cour : Arrêt du 23 Novembre 2020 -Tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 13/08552



APPELANTS



Maître [T] [P] en qualité de liquidateur de la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES

[Adres

se 6]

[Localité 9]

Représenté par Me Ghislain DECHEZLEPRETRE de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155

assisté par Me Marceau GENIN, avocat au barreau...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 11

ARRET DU 19 JANVIER 2023

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/04779

N° Portalis 35L7-V-B7F-CDIYC

Décision déférée à la Cour : Arrêt du 23 Novembre 2020 -Tribunal de grande instance de PARIS - RG n° 13/08552

APPELANTS

Maître [T] [P] en qualité de liquidateur de la MUTUELLE DES TRANSPORTS ASSURANCES

[Adresse 6]

[Localité 9]

Représenté par Me Ghislain DECHEZLEPRETRE de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155

assisté par Me Marceau GENIN, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. PETIT FORESTIER LOCATION

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Ghislain DECHEZLEPRETRE de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155

assistée par Me Marceau GENIN, avocat au barreau de PARIS

FONDS DE GARANTIE DES ASSURANCES OBLIGATOIRES DE DOMMAGES (FGAO)

[Adresse 5]

[Localité 10]

Représentée par Me Ghislain DECHEZLEPRETRE de la SELARL CABINET DECHEZLEPRETRE, avocat au barreau de PARIS, toque : E1155

assistée par Me Marceau GENIN, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

BUREAU CENTRAL FRANCAIS ès qualités de représentant de la société OBER OSTERREICHISCHE VERSICHERUNG

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentée par Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

ayant pour avocat plaidant Me Monique STENGEL, avocat au barreau de PARIS, substitué à l'audience par Me Alric DOMINIQUE, avocat au barreau de PARIS

CENTRE NATIONAL REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS

[Adresse 3]

[Localité 4]

n'a pas constitué avocat

Ordonnance de caducité partielle de l'appel à son égard rendue le 17 juin 2021

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 Octobre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre

Mme Nina TOUATI, présidente de chambre

Mme Dorothée DIBIE, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Mme Nina TOUATI, présidente de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier lors des débats : Mme Roxanne THERASSE

ARRET :

- Contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Françoise GILLY-ESCOFFIER, présidente de chambre et par Roxanne THERASSE, greffière, présente lors de la mise à disposition à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 27 novembre 2003, à l'intersection de l'avenue de Stalingrad et de l'avenue Kleber à [Localité 11] (92), M. [J] [U] qui pilotait un scooter a été victime d'un accident de la circulation dans lequel étaient impliqués, un ensemble routier immatriculé en Autriche appartenant à la société Grad transport, conduit par M. [B] [Z], et assuré auprès de la société Ober Österreichische Versicherung, représentée en France par le Bureau central français (le BCF) et un camion appartenant à la société Petit forestier location (la société Petit forestier), conduit par M. [E] [H] et assuré auprès de la société Mutuelle des transports assurances (la société MTA).

M. [J] [U] a été gravement blessé dans l'accident et le camion appartenant à la société Petit forestier a été endommagé.

Par jugement du tribunal correctionnel de Nanterre en date du 2 avril 2007, M. [Z] et M. [H] ont été déclarés coupables des faits de blessures involontaires commis par un conducteur de véhicule terrestre à moteur ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois sur la personne de M. [J] [U], avec la circonstance pour M. [H] qu'il avait fait usage de produits stupéfiants.

La société MTA et la société Petit forestier ont fait assigner le BCF devant le tribunal de grande instance de Paris, la première afin qu'il soit statué sur la contribution à la dette d'indemnisation de M. [J] [U] et la seconde afin d'obtenir la réparation de son préjudice matériel.

Par jugement avant dire droit du 25 novembre 2014, cette juridiction a invité la société MTA à attraire en la cause M. [J] [U] et a renvoyé l'affaire à la mise en état.

M. [J] [U] est intervenu volontairement à l'instance et a mis en cause le Centre national régime social des indépendants (le RSI).

La société MTA ayant été placée en liquidation judiciaire par jugement du 1er décembre 2016 à la suite du retrait de son agrément par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, Maître [T] [P] agissant en qualité de liquidateur judiciaire de cette société et le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (le FGAO) sont intervenus volontairement à l'instance.

En cours de procédure, des transactions concernant l'indemnisation des préjudices de M. [J] [U], de son épouse, Mme [R] [U] et de leurs deux filles majeures, Mmes [M] et [A] [U] (les consorts [U]) ont été conclues avec le FGAO pour un montant total de 900 546,46 euros.

Par jugement du 23 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :

- reçu en leurs interventions volontaires Maître [T] [P], ès qualités, et le FGAO en raison de la liquidation de la société MTA,

- déclaré opposable au FGAO la présente décision,

- constaté que les parties acceptent le désistement d'instance et d'action de M. [J] [U],

- dit que M. [H] a commis une faute ayant contribué pour moitié à la survenance de l'accident de la circulation intervenu le 27 novembre 2003 à [Localité 11], l'autre moitié étant imputable à M. [Z],

- dit que le BCF sera tenu à indemniser le préjudice supporté par les consorts [U] à hauteur de 50%,

- condamné en conséquence le BCF à payer à la société MTA, représentée par son liquidateur Maître [T] [P] et au FGAO dans le cadre de la liquidation en cours de la société MTA la somme de 450 273,23 euros à raison de leurs débours au profit des consorts [U],

- condamné en conséquence le BCF à payer à la société Petit forestier location la somme de 4 734,72 euros en réparation de son préjudice matériel,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné le BCF aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 11 mars 2021, la société MTA représentée par Maître [T] [P], ès qualités, la société Petit forestier et le FGAO ont interjeté appel de ce jugement en ce qu'il a :

- dit que M. [H] a commis une faute ayant contribué pour moitié à la survenance de l'accident de la circulation intervenu le 27 novembre 2003 à [Localité 11], l'autre moitié étant imputable à M. [Z],

- dit que le BCF sera tenu à indemniser le préjudice supporté par les consorts [U] à hauteur de 50%,

- condamné en conséquence le BCF à payer à la société MTA, représentée par son liquidateur Maître [T] [P] et au FGAO dans le cadre de la liquidation en cours de la société MTA la somme de 450 273,23 euros à raison de leurs débours au profit des consorts [U],

- condamné le BCF à payer à la société Petit forestier la somme de 4 734,72 euros en réparation de son préjudice matériel.

Par ordonnance en date du 17 juin 2021, le conseiller de la mise en état a constaté la caducité de la déclaration d'appel en date du 11 mars 2021 à l'égard du RSI et dit que l'instance se poursuivra entre Maître [T] [P], ès qualités, la société Petit forestier et le FGAO, d'une part et le BCF d'autre part.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions la société MTA représentée par Maître [T] [P] ès qualités, la société Petit forestier et le FGAO, notifiées le 8 décembre 2021, aux termes desquelles ils demandent à la cour de :

Vu l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985,

Vu les articles 1251 et 1240 du code civil,

Vu les articles 145, 699 et 700 du code de procédure civile,

A titre principal,

- déclarer les concluants recevables et bien fondés en leur appel,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- dit que M. [H] a commis une faute ayant contribué pour moitié à la survenance de l'accident de la circulation intervenu le 27 novembre 2003 à [Localité 11] (Hauts-de-Seine) l'autre moitié étant imputable à M. [Z]

- dit que le BCF sera tenu à indemniser le préjudice supporté par les consorts [U] à hauteur de 50%

- condamné en conséquence le BCF à payer à la société MTA, représentée par son liquidateur Maître [T] [P] et au FGAO dans le cadre de la liquidation en cours de la société MTA la somme de 450 273,23 euros à raison de leurs débours au profit des consorts [U],

- condamné en conséquence le BCF à payer à la société Petit forestier location la somme de 4 734,72 euros en réparation de son préjudice matériel,

Statuant à nouveau,

- déclarer que M. [H] n'a pas commis de faute ayant directement contribué à la réalisation de l'accident survenu le 27 novembre 2003,

- déclarer que M. [Z] a seul commis des fautes ayant été à l'origine du dramatique accident de la circulation survenu le 27 novembre 2003,

- déclarer que le BCF, devra seul supporter la totalité de l'indemnisation du dommage corporel de M. [J] [U] et de ses proches,

- condamner d'ores et déjà le BCF à payer à la société MTA et au FGAO au nom de la liquidation de la société MTA la somme de 900 546,46 euros,

- déclarer intégral le droit à indemnisation de la société Petit forestier,

- condamner le BCF à payer à la société Petit forestier la somme de 9 468,45 euros en réparation des préjudices subis et réserver les frais d'expertise,

- condamner le BCF à payer à la société MTA, au FGAO au nom de la liquidation de la société MTA et à la société Petit forestier la somme de 6 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner également le BCF aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Ghislain Dechezleprêtre,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour devait retenir une faute de M. [H] ayant un lien de causalité direct et certain avec l'accident du 27 novembre 2003,

- déclarer que la part contributive de ce dernier et de la société MTA et du FGAO au nom de la liquidation de la société MTA à la réparation des préjudices de M. [J] [U] n'excédera pas 25%, les 75% restant demeurant à charge du BCF.

Vu les conclusions du BCF, notifiées le 28 juin 2022, aux termes desquelles il demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 23 novembre 2020 du tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il a décidé que le BCF est tenu d'indemniser le préjudice supporté par les consorts [U] à hauteur de 50%,

En conséquence,

- juger que la part de responsabilité de M. [Z] ne peut excéder 50% «dans l'origine de l'accident»,

En conséquence,

- juger que le BCF ne pourra être tenu à indemniser le préjudice de M. [J] [U] au-delà de 50%,

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné le BCF à procéder au paiement de la somme de 450 273,23 euros alors que le BCF a déjà payé la somme de 460 159,85 euros dans le cadre de la transaction régularisée au titre de l'indemnisation du préjudice subi par les consorts [U],

En conséquence,

- donner acte au BCF du règlement effectué à hauteur de 460 159,85 euros dans le cadre de l'indemnité transactionnelle des consorts [U] sur la base de ce partage de responsabilité de 50%,

- appliquer le même taux de partage de responsabilité à 50% à ces demandes,

- débouter Maître [P], ès qualités, le FGAO ainsi que la société Petit forestier de toutes autres demandes,

- statuer ce que de droit sur les dépens et autoriser la SELARL BDL avocats à poursuivre le recouvrement de ceux la concernant en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La cour a invité les parties à conclure par note en délibéré sur le moyen relevé d'office tiré de ce que l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé et ce de ce que dans le cas de l'espèce, le tribunal correctionnel de Nanterre dans son jugement du 2 avril 2007 avait déclaré M. [H] coupable du chef de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité supérieure à trois mois sur la personne de M. [U] avec cette circonstance qu'il avait fait usage de produits stupéfiants.

Vu la note en délibéré transmise par RPVA le 2 décembre 2022 par Maître [T] [P], ès qualités, la société Petit forestier et le FGAO,

Vu les notes en délibéré transmises par RPVA les 5 et 12 décembre 2022 par le BCF.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur les recours entre coobligés et la contribution à la dette d'indemnisation des consorts [U]

Maître [P], pris en sa qualité de liquidateur de la société MTA, et le FGAO soutiennent que seul M. [Z], conducteur du véhicule poids lourd a commis des fautes à l'origine de l'accident, à savoir la conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, le franchissement d'un feu rouge fixe, un défaut de maîtrise et un dépassement dangereux.

Ils avancent que si M. [H], conducteur du camion assuré auprès de la société MTA avait consommé du cannabis lorsque l'accident est survenu, cette faute n'a pas concouru à la survenance de celui-ci, les témoignages recueillis par les services de police confirmant que M. [H] roulait de manière prudente, à une allure parfaitement maîtrisée, lorsqu'il a franchi l'intersection au feu vert et qu'il a été percuté par l'ensemble routier conduit par M. [Z] qui a omis de marquer l'arrêt au feu rouge fixe.

Ils concluent que le BCF, représentant en France l'assureur de l'ensemble routier doit supporter intégralement la charge finale de l'indemnisation des consorts [U].

Maître [P], ès qualités, et le FGAO sollicitent ainsi la condamnation du BCF à leur payer la somme de 900 546,46 euros correspondant au montant des indemnités versées aux consorts [U] dans le cadre des transactions conclues avec le FGAO.

A titre subsidiaire, ils demandent à la cour de répartir la charge de la dette à proportion de 25 % à la charge des appelants et 75% à la charge du BCF.

S'agissant du moyen tiré de l'autorité sur le civil de la chose jugée au pénal, ils indiquent que le juge pénal n'a aucune compétence pour se prononcer sur le partage de la charge indemnitaire entre les différents prévenus.

Le BCF ne conteste pas que le conducteur de l'ensemble routier, M. [Z], condamné pénalement a bien commis une faute en lien de causalité avec l'accident en s'abstenant de marquer l'arrêt à un feu rouge fixe.

Il conteste en revanche la conduite sous l'empire d'un état alcoolique qui n'a jamais été constatée lors de l'enquête pénale.

Il soutient que M. [H], condamné pénalement, a également commis une faute en conduisant sous l'emprise de produits stupéfiants et que cette faute est en lien avec l'accident.

Il avance qu'il ressort clairement du rapport de M. [F], expert désigné par le juge d'instruction que compte tenu de la configuration des lieux et de sa visibilité, M. [H] aurait pu éviter l'accident qui a causé le préjudice de M. [J] [U] mais que sa vision périphérique a été altérée par sa consommation de cannabis.

Le BCF conclut ainsi à une répartition par moitié de la dette d'indemnisation des consorts [U].

Le BCF qui soutient avoir déjà remboursé au FGAO une somme de 460 159,85 euros conclut à l'infirmation du jugement qui l'a condamné au paiement de la somme de 450 273,33 euros.

************

Le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur impliqué dans un accident de la circulation et son assureur qui a indemnisé les dommages causés à un tiers ne peuvent exercer un recours contre un autre conducteur impliqué que sur le fondement des articles 1382, 1213, 1214 et 1251 du code civil en leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, applicable au litige.

Par ailleurs, l'autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s'attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur l'existence du fait qui forme la base commune de l'action civile et de l'action pénale, sur sa qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé.

En l'espèce, il ressort de l'enquête pénale que l'accident dans lequel M. [J] [U] été blessé s'est produit entre 6 heures 15 et 6 heures 40 du matin à l'intersection de l'avenue Kleber et de l'avenue de Stalingrad à [Localité 11] (92), laquelle est régulée par des feux de signalisation qui étaient en fonctionnement le jour de l'accident.

M. [Z], conducteur d'un ensemble routier immatriculé en Autriche circulait sur l'avenue de Stalingrad en direction du carrefour des quatre routes alors que M. [H], conducteur du camion assuré auprès de la société MTA, et M. [J] [U], au guidon de son scooter circulaient sur l'avenue Kleber et s'apprêtaient à tourner à droite pour emprunter l'avenue de Stalingrad.

Les deux véhicules poids lourd sont entrés en collision et le camion conduit par M. [H] a heurté le scooter de M. [J] [U] qui est passé sous ses roues, ces collisions successives intervenus dans un même laps de temps caractérisant un accident complexe.

L'enquête pénale a permis d'établir que M. [Z] avait omis de marquer l'arrêt à un feu de signalisation rouge fixe et que M. [H] conduisait sous l'emprise de produits stupéfiants.

M. [H] a par ailleurs admis qu'il n'avait effectué aucun contrôle visuel sur sa gauche en tournant à droite sur l'avenue de Stalingrad.

A la question des enquêteurs lui demandant s'il avait vu le semi-remorque de 44 tonnes, il a répondu «Non, pas du tout ! Moi je passe tout le temps par là, je me suis engagé sans regarder sur la gauche car j'avais le feu tricolore au vert pour moi. Je n'avais aucune raison de voir surgir un véhicule de ma gauche (...)».

M. [F], expert en accidentologie désigné par le juge d'instruction, a retenu que M. [H] avait adopté un comportement incompréhensible en ignorant ce qui se passait sur sa gauche, précisant que même sans tourner la tête, l'arrivée de l'ensemble routier était visible en vision périphérique et qu'en donnant un léger coup de volant vers la droite, il aurait pu éviter le choc (p. 65 du rapport) ou à tout le moins le retarder et d'en atténuer l'importance en le rendant plus «tangentiel» (p. 80 du rapport), ce qui aurait permis d'éviter la collision avec le scooter.

A l'issue de l'information judiciaire, MM. [Z] et [H] ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel de Nanterre.

Il ressort du jugement contradictoire rendu par cette juridiction le 2 avril 2007 que M. [Z] était prévenu «d'avoir le 27 novembre 2003, à [Localité 11], à l'occasion de la conduite automobile d'un véhicule par maladresse, imprudence, inattention négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, en l'espèce en omettant de marquer l'arrêt à un feu de signalisation rouge fixe, involontairement causé à M. [U] une atteinte à l'intégrité de sa personne suivie d'une incapacité totale de travail de plus de trois mois».

M. [H] était pour sa part prévenu «d'avoir le 27 novembre 2003, à [Localité 11], à l'occasion de la conduite automobile d'un véhicule par maladresse, imprudence, inattention négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements,causé à M. [U] une atteinte à l'intégrité de sa personne suivie d'une incapacité totale de travail de plus de trois mois avec cette circonstance qu'il résulte d'une analyse de sang qu'il avait fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants».

Le tribunal correctionnel de Nanterre a par son jugement du 2 avril 2007 déclaré M. [Z] coupable des faits de blessures involontaires commis par un conducteur de véhicule terrestre à moteur ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois sur la personne de M. [J] [U].

Il a également déclaré M. [H] coupable des faits de blessures involontaires commis par un conducteur de véhicule terrestre à moteur ayant fait usage de stupéfiants ayant entraîné une incapacité totale de travail supérieure à trois mois sur la personne de M. [J] [U].

La juridiction pénale ayant ainsi nécessairement jugé que M. [H] avait commis une maladresse, une imprudence, une faute d'inattention ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou les règlements, avec la circonstance qu'il avait fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants et que cette faute était en lien avec l'accident dont M. [J] [U] avait été victime, la cour ne peut sans remettre en cause l'autorité sur le civil de la chose jugée au pénal, retenir que M. [H] n'a commis aucune faute en lien avec l'accident.

En revanche, il convient d'apprécier au regard de la nature et de l'importance des fautes respectives des conducteurs impliqués, dans quelle proportion la dette d'indemnisation des consorts [U] doit être répartie entre le BCF, d'une part, et Maître [T] [P], ès qualité et le FGAO, d'autre part.

Outre le non respect par M. [Z] de l'obligation de marquer l'arrêt à un feu de signalisation rouge fixe, Maître [T] [P], ès qualités, et le FGAO soutiennent que l'intéressé conduisait sous l'empire d'un état alcoolique et qu'il a commis un défaut de maîtrise et un dépassement dangereux du camion conduit par M. [H].

Il convient d'apprécier si ces fautes sur l'existence desquelles la juridiction pénale ne s'est pas prononcée sont établies.

Il ressort de l'enquête pénale que M. [Z] qui a fait l'objet d'un contrôle d'alcoolémie par éthylomètre le jour de l'accident, présentait à 8 heures 50 un taux de 0,16 mg d'alcool par litre d'air expiré (cote D 26).

L'affirmation de Maître [T] [P], ès qualités, et du FGAO selon laquelle il résulterait de cette donnée que le taux d'alcoolémie de M. [Z] était, au moment de l'accident survenu deux heures et demi plus tôt, supérieur à «0,40 g d'alcool par litre d'air expiré» n'est étayée par aucun élément de preuve, étant observé que la contravention de conduite sous l'emprise d'un état alcoolique est caractérisée lorsque le taux d'alcool est supérieur ou égal à 0,25 mg d'alcool par litre d'aire expiré et que le délit de conduite sous l'empire d'un alcoolique est constitué lorsque le taux d'alcoolémie est supérieur ou égal à 0, 40 mg/litre d'aire expiré.

L'expert en accidentologie, M. [F], a relevé que l'ensemble routier conduit par M. [Z] circulait sur la voie de gauche de l'avenue de Stalingrad, qu'il avait atteint une vitesse de 31 km/heure lorsque le feu de signalisation était passé au rouge, qu'il avait ensuite «levé le pied» et freiné par précaution, qu'il était resté sur une trajectoire rectiligne sur sa voie de circulation et que sa vitesse était de 15 km/h au moment de la collision avec le camion conduit par M. [H] qui débouchait sur l'avenue de Stalingrad en décrivant une courbe sur la droite de 50 mètres de rayon environ et avait percuté le flanc droit de l'ensemble routier.

Il n'est pas démontré dans ces conditions que M. [Z] ait roulé à une vitesse excessive ou inadaptée aux conditions de la circulation, ni qu'en dépassant le camion conduit par M. [H] tout en demeurant dans sa voie de circulation, il ait effectué un dépassement dangereux et contrevenu aux dispositions de l'article R. 414-4 du code de la route.

La seule faute caractérisée à l'encontre de M. [H] est ainsi celle pour laquelle il a été condamné par la juridiction pénale.

M. [H] qui conduisait sous l'emprise de produits stupéfiants a pour sa part commis une imprudence ayant concouru à la réalisation de l'accident en s'abstenant d'effectuer un contrôle visuel à gauche lors de son changement de direction vers la droite pour s'engager sur l'avenue de Stalingrad, contrôle qu'un conducteur normalement aurait dû faire même s'il était prioritaire.

Compte tenu de la nature et de la gravité des fautes respectives de MM. [Z] et [H], il convient de prévoir que la charge finale de l'indemnisation des préjudices subis par les consorts [U] sera répartie dans la proportion de 75 % à la charge du BCF, représentant en France de l'assureur du véhicule conduit par M. [Z] et de 25 % à la charge de la société MTA, assureur du véhicule conduit par M. [H], représenté par son liquidateur, Maître [T] [P].

Il ressort des pièces versées aux débats que Maître [P], ès qualités, et le FGAO ont signé avec les consorts [U] en cours de procédure, en décembre 2018, cinq procès-verbaux de transaction portant sur l'indemnisation de leurs préjudices»pour le compte de qui il appartiendra» pour un montant total de 900 546,46 euros se décomposant comme suit :

- M. [J] [U] : 810 546,46 euros après déduction de la créance des tiers payeurs , outre 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et 40 000 euros au titre des intérêts légaux, soit une somme totale de 860 546,46 euros,

- Mme [R] [U], épouse de la victime directe : 20 000 euros

- Mme [M] [U] et Mme [A] [U], filles de la victime directe :10 000 euros chacune.

Le BCF représentant en France de l'assureur de l'ensemble routier conduit par M. [Z] ne conteste ni l'existence ni l'évaluation des préjudices des consorts [U].

S'il indique avoir remboursé au FGAO la somme de 460 159,85 euros, force est de constater qu'il ne produit aucun justificatif de ce paiement.

Compte tenu de la répartition de la charge finale de l'indemnisation des consorts [U], le BCF doit supporter la somme de 675 409,85 euros (900 546,46 euros x 75 %) et Maître [P], ès qualités, et le FGAO la somme 225 136,61 euros (900 546,46 euros x 25 %).

Il convient, en conséquence, de condamner le Bureau central français à payer Maître [T] [P] en sa qualité de liquidateur de la société MTA et au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages la somme de 675 409,85 euros, en deniers ou quittance.

Le jugement sera infirmé.

Sur l'indemnisation du préjudice matériel de la société Petit forestier

La société Petit forestier, propriétaire du camion conduit par M. [H], sollicite en infirmation du jugement la condamnation du BCF au paiement d'une indemnité d'un montant de 9 469,45 euros en réparation de son préjudice matériel consécutif à l'accident, incluant le coût des travaux de remise en état du camion d'un montant de 8 816,68 euros HT selon l'expertise réalisée par le cabinet Beaugerex, expert automobile, les frais d'immobilisation du véhicule pendant la durée des travaux, évalués sur la base du barème de la Fédération nationale des transporteurs routiers, soit la somme de 652,77 euros (72,53 euros par jour pendant 9 jours).

Elle demande en outre que soient réservés les frais de l'expertise automobile.

Elle soutient que son droit à indemnisation est intégral et développe les mêmes arguments que précédemment s'agissant de l'absence de faute de M. [H] en lien de causalité avec son dommage.

Le BCF objecte que M. [H] qui conduisait sous l'emprise de produits stupéfiants a commis une faute ayant concouru à la survenance de l'accident ainsi qu'il ressort du rapport d'expertise de M. [F].

Il ajoute, s'agissant du préjudice invoqué, que la société Petit forestier ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle n'a reçu aucune indemnisation de son assureur, la société MTA, ni que celui-ci n'était pas tenu de l'indemniser.

Il conclut ainsi au rejet de la demande.

La société Petit forestier réplique qu'il ressort de l'attestation établie par la société MTA qu'elle n'était assurée qu'au titre de la garantie obligatoire prévue à l'article L. 211-1 du code des assurances et qu'elle n'avait pas souscrit de garantie des dommages causés au véhicule.

Sur ce, il résulte de l'article 4 de la loi du 5 juillet 1985 que lorsque plusieurs véhicules sont impliqués dans un accident de la circulation, chaque conducteur a droit à l'indemnisation des dommages qu'il a subis, sauf s'il a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son préjudice.

Par ailleurs, aux termes de l'article 5, alinéa 2, de la loi du 5 juillet 1985,' lorsque le conducteur d'un véhicule terrestre à moteur n'en est pas le propriétaire, la faute de ce conducteur peut être opposée au propriétaire pour l'indemnisation des dommages causés à son véhicule'.

En présence d'une telle faute, il appartient au juge d'apprécier si celle-ci a pour effet de limiter ou d'exclure l'indemnisation des dommages que ce conducteur a subis, en faisant abstraction du comportement des autres conducteurs.

Pour les motifs qui précèdent, il est établi au vu des conclusions du rapport d'expertise de M. [F], que M. [H] qui conduisait sous l'emprise de produits stupéfiants a commis une imprudence de la société Petit forestier de l'accident en s'abstenant d'effectuer un contrôle visuel à gauche lors de son changement de direction vers la droite pour s'engager sur l'avenue de Stalingrad, même s'il était prioritaire.

Cette faute a concouru à la réalisation du préjudice matériel de la société Petit forestier, l'expert ayant relevé que l'arrivée de l'ensemble routier était visible en vision périphérique et qu'en donnant un léger coup de volant vers la droite, M. [H] aurait pu éviter le choc (p. 65 du rapport) ou à tout le moins le retarder et en atténuer l'importance en le rendant plus «tangentiel» (p. 80 du rapport).

Compte tenu de la nature et de la gravité de la faute commise par M. [Z], il convient de réduire le droit à indemnisation de la société Petit forestier de 25 %.

La société Petit forestier justifie qu'elle n'a pas été indemnisée de son préjudice matériel par son assureur, la société MTA, qui a attesté qu'il n'avait souscrit que l'assurance de responsabilité obligatoire prévue à l'article L. 211-1 du code des assurances.

Au vu du rapport d'expertise automobile du cabinet Beaugerex dont les conclusions sont corroborées par les constatations des fonctionnaires de police et de M. [F] concernant la localisation et l'importance des dommages, le coût des réparations du camion endommagé lors de l'accident s'élève à la somme de 8 816,68 euros HT.

La société Petit forestier est également fondée à obtenir l'indemnisation des frais d'immobilisation du véhicule pendant la durée des travaux évaluée à 9 jours par le cabinet Beaugerex, ce qui est cohérent avec la nature et l'importance des dommages matériels.

Si le barème des indemnisations journalières pour les véhicules de transport auquel se réfère la société Petit forestier (pièce n° 3) est établi en francs et non en euros, l'indemnité réclamée de 72,53 euros par mois est justifiée s'agissant selon les constatations des services de police d'un camion de marque Mercedes d'un poids total autorisé en charge (PTAC) de 19 tonnes (D 17), étant rappelé que l'évaluation du préjudice doit être effectuée à la date de l'arrêt.

Les frais d'immobilisation seront fixés à la somme réclamée de 652,77 euros (72,53 euros x 9 jours).

Le préjudice matériel de la société Petit forestier s'établit à la somme de 9 469,45 euros (8 816,68 euros + 652,77 euros).

Après application de la réduction du droit à indemnisation de 25 %, il revient à la société Petit forestier la somme de 7 102,09 euros (9 469,45 euros x 75 %).

Il n'y a pas lieu, en revanche, de réserver les frais d'expertise et il appartiendra à la société Petit forestier d'en réclamer l'indemnisation ultérieurement sous réserve du délai de prescription.

Le jugement sera infirmé.

Sur les demandes annexes

Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles doivent être confirmées.

Le BCF qui succombe partiellement dans ses prétentions supportera la charge des dépens d'appel avec application de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité ne commande pas d'allouer à l'une ou l'autre des parties une indemnité au titre des frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe,

Et dans les limites de l'appel,

- Infirme le jugement en ce qu'il a :

* dit que M. [E] [H] a commis une faute ayant contribué pour moitié à la survenance de l'accident de la circulation intervenu le 27 novembre 2003 à [Localité 11], l'autre moitié étant imputable à M. [Z],

* dit que le Bureau central français sera tenu à indemniser le préjudice supporté par les consorts [U] à hauteur de 50%,

* condamné en conséquence le Bureau central français à payer à la société Mutuelle des transports assurances, représentée par son liquidateur Maître [T] [P] et au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages dans le cadre de la liquidation en cours de la société Mutuelle des transports assurances la somme de 450 273,23 euros à raison de leurs débours au profit des consorts [U],

* condamné en conséquence le Bureau central français à payer à la société Petit forestier location la somme de 4 734,72 euros en réparation de son préjudice matériel,

- Le confirme pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

- Dit que la charge finale de l'indemnisation des préjudices subis par les consorts [U] sera répartie dans la proportion de 75 % à la charge du BCF, représentant en France de l'assureur du véhicule conduit par M. [B] [Z] et de 25 % à la charge de la société Mutuelle transports assurances, assureur du véhicule conduit par M. [E] [H], représenté par son liquidateur, Maître [T] [P],

- Condamne, en conséquence, le Bureau central français à payer Maître [T] [P] en sa qualité de liquidateur de la société Mutuelle transports assurances et au Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages la somme de 675 409,85 euros, en deniers ou quittance,

- Dit que M. [E] [H], conducteur du camion appartenant à la société Petit forestier location a commis une faute justifiant la réduction de 25 % du droit à indemnisation de cette société,

- Condamne le Bureau central français à payer à la société Petit forestier location la somme de 7 102,09 euros en réparation de son préjudice matériel,

- Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Condamne le Bureau central français aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 4 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 21/04779
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;21.04779 ?
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