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19/01/2023 | FRANCE | N°20/07935

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 19 janvier 2023, 20/07935


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 19 JANVIER 2023



(n°2023/ , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07935 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWOX



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F17/02220



APPELANTE



S.A.R.L. XL TRANSPORT

[Adresse 1]
>[Localité 4]



Représentée par Me Aimée LEVITRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0008



INTIME



Monsieur [B] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]



Représenté par Me Jean-louis M...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 19 JANVIER 2023

(n°2023/ , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07935 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCWOX

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOBIGNY - RG n° F17/02220

APPELANTE

S.A.R.L. XL TRANSPORT

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Aimée LEVITRE, avocat au barreau de PARIS, toque : G0008

INTIME

Monsieur [B] [P]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté par Me Jean-louis MARY, avocat au barreau de PARIS, toque : C1539

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Victoria RENARD, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 21 février 2011, M. [B] [P] a été engagé par la société XL Transport en qualité de chauffeur poids lourd pour une durée mensuelle de travail de 151,67 heures moyennant une rémunération qui s'élevait en dernier lieu à 1 714,50 euros brut.

Par lettre du 13 avril 2017, M. [P] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 26 avril 2017, puis s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par courrier recommandé du 11 mai 2017.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950. La société XL Transport occupait au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être rempli de ses droits, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 21 juillet 2017 afin d'obtenir la condamnation de l'employeur à lui verser diverses sommes au titre de l'exécution et de la rupture du contrat de travail. Par jugement du 6 octobre 2020 auquel la cour renvoie pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Bobigny, section commerce, a :

- pris acte de la remise d'un chèque d'un montant de 2 189,25 euros net correspondant aux rappels de salaire brut de 2 394,96 euros réclamés par le salarié au titre de son salaire mensuel et d'heures supplémentaires et de son acceptation par le demandeur ;

- dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamné en conséquence la société XL Transport à verser à M. [P] les sommes suivantes :

* 13 600 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 4 403,33 euros au titre de l'indemnité de préavis,

* 440,33 euros au titre des congés payés afférents,

* 2 937,49 euros au titre de l'indemnité de licenciement,

- rappelé que les créances de nature salariale porteront intérêts de droit à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 25 juillet 2017, et les créances à caractère indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du présent jugement ;

- condamné la société XL Transport à verser à M. [P] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté M. [P] du surplus de ses demandes ;

- débouté la société XL Transport de sa demande reconventionnelle ;

- condamné la société XL Transport aux entiers dépens.

La société XL Transport a régulièrement relevé appel du jugement le 23 novembre 2020.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 19 février 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société XL Transport prie la cour d'infirmer le jugement et de :

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes au titre de la rupture de son contrat de travail ;

- A titre subsidiaire, débouter M. [P] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- A titre infiniment subsidiaire, limiter les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au minimum prévu par le code du travail ;

A titre reconventionnel, condamner M. [P] au paiement de la somme de 3 000 euros HT au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [P] aux dépens.

La société XL transport soutient que le licenciement pour faute grave est fondé, à tout le moins qu'il repose sur une cause réelle et sérieuse et que M. [P] ne justifie pas d'un préjudice au-delà du minimum légal.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 17 mai 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, M. [P] prie la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;

- condamner la société XL Transport à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M. [P] soutient que l'employeur ne rapporte pas la preuve de la faute grave et que les faits ne constituent pas un motif sérieux de licenciement.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 10 octobre 2022.

MOTIVATION :

Sur le bien-fondé du licenciement :

La lettre de licenciement fixant les limites du litige est rédigée dans les termes suivants :

" [' ] vous avez été engagé le 21 février 2011 en qualité de chauffeur poids lourds. Votre contrat stipule notamment que vous êtes responsable des dommages causés sur le camion qui est mis à votre disposition dans le cadre de l'exécution de votre travail. Or, vous avez récemment causé un nombre important de sinistres avec le camion confié :

le 3 avril 2017, nous avons constaté que le feu arrière droit du camion que nous vous avons confié était cassé. Vos explications sont restées particulièrement floues concernant la cause de ce sinistre.

Le 4 avril 2017, vous avez percuté le muret qui se trouve à la centrale Eqiom de [Localité 6] ce qui a endommagé l'avant ainsi que le renfort métallique sous le camion. Vous nous avez expliqué qu'après avoir démarré et avancé le véhicule, les freins n'auraient plus répondu. Vous auriez alors percuté le muret. Après vérifications, il s'avère que vous n'avez pas attendu que les manomètres indiquent une pression supérieure à six bars. Or, vous savez pertinemment en votre qualité de chauffeur poids lourds que vous devez impérativement attendre que la pression du circuit d'alimentation d'air soit supérieure à six bars pour que tous les organes du véhicule (freins, direction, embrayage) répondent normalement. Vous n'avez pas fait les vérifications d'usage avant de démarrer ce qui caractérise une négligence fautive outre très dangereuse et inadmissible de la part d'un professionnel de la route avec votre expérience.

Le 6 avril 2017, vous avez livré un chantier à [Localité 7]. Pendant la livraison vous avez vidé ¿ mètre cube de béton au sol. Vous nous avez expliqué que vous n'aviez pas vu que la toupie tournait encore lors de l'attente sur le chantier. Lorsque vous avez manipulé les commandes pour malaxer le béton, la toupie s'est inversée et a déversé le béton sur la chaussée. Il a fallu tout nettoyer afin d'éviter que la mairie ne nous facture le nettoyage de la chaussée. À nouveau, vous avez fait preuve d'une négligence fautive.

Le 12 avril 2017, vous étiez de retour d'un chantier en fin de matinée vers 11h30. Vous étiez en attente au feu rouge sur la nationale 3 à [Localité 6] afin de tourner sur la route d'[Localité 5]. Lorsque le feu est passé au vert, vous avez tourné sans vous assurer préalablement que des passants n'étaient pas en train de traverser la rue et avez manqué de très peu de percuter une Dame. En effet, cet accident très grave a été évité grâce à l'intervention d'autres piétons qui vous ont vivement alerté ce qui a évité de justesse la collision. Si la collision a été évitée, la dame est néanmoins tombée à la renverse et sa tête a violemment heurté le sol. Les pompiers ont dû intervenir et l'ont emmenée au centre hospitalier le plus proche. Ce dernier événement au cours duquel un accident très grave, voir mortel a été évité de justesse est particulièrement préoccupant et démontre la dangerosité de votre conduite et votre absence totale de vigilance lorsque vous êtes à votre poste de travail.

Notre cliente, la société EQUIOM BETONS n'a pas manqué de se plaindre auprès de notre entreprise de votre comportement et de vos prestations.

Pour mémoire le 31 octobre 2016, vous aviez déjà endommagé par manque de vigilance le véhicule de la société ADITI en faisant une marche arrière sans regarder préalablement. Le pare-brise du véhicule de la société ADITI a été brisé est le feu de votre véhicule a été cassé. Enfin, vous avez également perdu la télécommande du tapis du véhicule. Le coût de la télécommande qu'il a fallu remplacer a été de 1955 € HT.

Vous avez reconnu l'ensemble des griefs mais sans prendre la mesure de la gravité de vos fautes et manquements.

Par ailleurs, le mardi matin 9 mai dernier vous êtes pas présenté à votre poste de travail sans nous prévenir, ni justifier de votre absence, ce qui constitue une absence injustifiée laquelle a perturbé le bon fonctionnement de notre activité.

Vous avez manqué aux règles élémentaires de sécurité et votre comportement est non seulement préjudiciable pour notre entreprise met en août particulièrement dangereux et donc inacceptable de la part d'un chauffeur poids lourds professionnel. En conséquence nous avons décidé de procéder à votre licenciement pour faute grave. ['] ".

La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La charge de la preuve repose sur l'employeur qui l' invoque.

La société XL Transport verse aux débats un courriel de son client, la société Eqiom, en la personne de [Y] [T] responsable logistique IDF en date du 12 avril 2017, qui évoquant une conversation tenue le matin même, rapporte à son interlocuteur " plusieurs faits et points qui m'ont été remontés par notre équipe de [Localité 6] sur le chauffeur du véhicule en contrat numéro 1025035. " Faisant référence à un " déversement de béton " sur le chantier de [Localité 7], " des constats avec d'autres véhicules sur la centrale " et enfin le matin même, un " presque accident de circulation où le chauffeur n'avait pas vu un piéton traverser (feu vert piéton) et indiquant que " grâce à d'autres riverains, le chauffeur a été alerté et la collision a été évitée ".

Elle communique également un mail du 9 juin 2017 émanant de la société Equiom en la personne de M. [V] [S] l'informant de plusieurs incidents avec M. [P] qui a plusieurs reprises a " accroché le camion de ses collègues sur site (échelle, pare-chocs, il a reculé dans le pare-brise d'un véhicule de la société ADITTI qui a eu une immobilisation pendant plus une semaine)' et lui précise qu'il n'assurait plus de bonnes conditions de travail, " le muret devant le bureau de la commerciale en a fait les frais après avoir été heurté par le camion de M. [P] " et lui relate l'incident survenu à proximité de la centrale à l'origine de la chute d'une personne qui traversait dont il n'avait pas respecté la priorité.

L'employeur communique enfin des factures de vente de pièces.

De son côté, le salarié affirme que les faits ont été artificiellement amplifiés pour tenter de justifier la mesure de licenciement dont il a fait l'objet et fait valoir que ni les dommages du feu arrière ou de l'avant du véhicule ne lui sont pas imputables, que suite à l'erreur de manipulation de sa part ayant entraîné le déversement du béton, il a nettoyé la surface affectée et concernant la chute de la personne sur la chaussée, aucun lien ne peut être établi entre sa conduite et cet événement, lui-même étant resté sur place jusqu'à l'arrivée des pompiers.

La cour considère que les éléments versés aux débats par l'employeur ne suffisent pas à établir la faute grave dès lors que :

- aucun élément n'est produit établissant qu'une faute du salarié est à l'origine de l'endommagement du feu arrière du véhicule et l'employeur ne justifie pas que les chauffeurs doivent procéder à une vérification de l'état du camion lors de leur retour sur site,

- aucun élément n'est produit par l'employeur établissant que M. [P] n'a pas attendu que la pression du circuit d'alimentation d'air soit supérieure à six bars alors que le salarié de son côté signale un problème de freins pour justifier les dommages à l'avant du véhicule,

- les circonstances de l'incident survenu au carrefour et de la chute d'une piétonne ne sont attestées par aucun témoin des faits, les deux courriels de la société Eqiom communiqués se contentant de rapporter des propos qui auraient été tenus à leurs auteurs par des personnes non identifiées,

- aucun élément n'est produit pour justifier la réalité de l'absence du salarié le 9 mai 2017 et aucune mise en demeure d'en justifier n'est produite,

- l'erreur de manipulation ayant provoqué le déversement du béton, imputable au salarié, ne suffit pas à elle seule à rendre impossible son maintien dans l'entreprise.

La cour considère enfin que cette erreur de manipulation, seul fait matériellement établi imputable au salarié, ne caractérise pas une cause sérieuse de licenciement.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Conformément à la demande présentée par M. [P], le jugement est confirmé en ce qu'il a statué sur :

- le montant de l'indemnité compensatrice de préavis évaluée à 4 403,33 euros conformément à l'article L. 1234-1 du code du travail dont le calcul n'est pas critiqué par l'employeur,

- le montant de l'indemnité légale de licenciement calculée conformément aux dispositions de l'article L. 1234-9 du code du travail dont l'évaluation n'est pas critiquée par l'employeur,

- le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, calculée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version en vigueur au moment du licenciement, lequel n'est pas inférieur au salaire des six derniers mois et suffit à réparer l'entier préjudice subi par le salarié.

Sur l'application d'office de l'article L 1235-4 du code du travail :

Le licenciement étant sans cause réelle et sérieuse, il est fait d'office application de l'article L. 1235-4 du code du travail et la société XL Transport doit rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à M. [P] depuis son licenciement dans la limite de trois mois.

Sur les autres demandes :

Le jugement est confirmé en ce qu'il a statué sur les intérêts au taux légal et leur point de départ ainsi que sur le montant de l'indemnité mise à la charge de la société XL Transport en application de l'article 700 du code de procédure civile. En cause d'appel, la société XL Transport est condamnée aux dépens et doit indemniser M. [P] des frais exposés par lui et non compris dans les dépens à hauteur de la somme de 1 000 euros. La propre demande de la société XL Transport sur ce même fondement est rejetée.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant contradictoirement et par mise à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société XL Transport à rembourser à Pôle emploi les indemnités de chômage éventuellement versées à M. [B] [P] depuis son licenciement jusqu'à ce jour dans la limite de trois mois,

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de la société XL Transport,

CONDAMNE la société XL Transport aux entiers dépens de première instance et d'appel et à verser à M. [B] [P] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/07935
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;20.07935 ?
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