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19/01/2023 | FRANCE | N°20/07631

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 19 janvier 2023, 20/07631


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5



ARRET DU 19 JANVIER 2023



(n° 2023/ , 2 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07631 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUPN



Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 19/00625





APPELANTE



Madame [E] [J]

[Adresse 1]
r>[Adresse 1]



Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034



INTIMEE



S.A.S.U. STANLEY SECURITY FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 5

ARRET DU 19 JANVIER 2023

(n° 2023/ , 2 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/07631 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCUPN

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Octobre 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° 19/00625

APPELANTE

Madame [E] [J]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

INTIMEE

S.A.S.U. STANLEY SECURITY FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Philippe YON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0521

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Octobre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Séverine MOUSSY, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Christine HERVIER, Présidente de chambre, Présidente de formation,

Madame Marie-José BOU, Présidente de chambre

Madame Séverine MOUSSY, Conseillère

Greffier : Madame Meggy RIBEIRO, lors des débats

ARRÊT :

- contradictoire,

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Marie-Christine HERVIER, présidente et par Madame Cécile IMBAR, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Par contrat de travail à durée indéterminée du 14 juin 2018, la société Stanley Security France (ci-après la société) a embauché Mme [E] [J] en qualité de directeur marketing et expérience client, statut cadre dirigeant, position III ' C, coefficient 800 moyennant une rémunération brute mensuelle de 10 000 euros.

La relation contractuelle est soumise à la convention collective nationale des entreprises de prévention et de sécurité du 15 février 1985 et la société employait au moins onze salariés lors de la rupture de cette relation.

Par courrier du 5 novembre 2018, Mme [J] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement fixé au 16 novembre 2018.

Par lettre recommandée du 4 décembre 2018, la société a notifié à Mme [J] son licenciement « pour cause réelle et sérieuse ». Elle a été dispensée d'effectuer son préavis de trois mois.

Contestant son licenciement et estimant ne pas être remplie de ses droits, Mme [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil le 7 mai 2019.

Par jugement du 8 octobre 2020 auquel il est renvoyé pour l'exposé des prétentions initiales et de la procédure antérieure, le conseil de prud'hommes de Créteil a :

- dit que le licenciement de Mme [J] n'était pas nul ;

- dit que le licenciement pour cause réelle et sérieuse de Mme [J] était justifié ;

- débouté Mme [J] de l'ensemble de ses demandes ;

- débouté la société de sa demande d'application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné Mme [J] aux éventuels dépens comprenant les éventuels frais d'exécution en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par déclaration du 10 novembre 2020, Mme [J] a régulièrement interjeté appel du jugement.

Aux termes de ses dernières conclusions d'appelante transmises par voie électronique le 21 mai 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [J] demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel ;

- la recevoir en ses conclusions et l'y déclarer bien fondée ;

- dire et juger que son licenciement est nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;

- dire et juger qu'elle a subi un préjudice moral du fait du harcèlement ;

- dire et juger que la société a manqué à son obligation de sécurité et de bonne foi à son égard ;

- dire et juger que Mme [J] a agi en toute bonne foi ;

en conséquence :

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé son licenciement comme étant justifié par une cause réelle et sérieuse et ne devant donc pas être requalifié en licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

à titre principal :

- dire et juger que son licenciement doit être annulé en raison de la méconnaissance des règles relatives au licenciement d'un salarié en accident du travail et du harcèlement subi ;

- condamner la société à lui verser 100 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

à titre subsidiaire :

- dire et juger que son licenciement doit être requalifié en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société à lui verser la somme de 100 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

en tout état de cause :

- condamner la société à lui verser les sommes suivantes :

* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral du fait du harcèlement subi,

* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de bonne foi,

* 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

- dire et juger que ces condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la date d'introduction de la demande, avec capitalisation des intérêts échus.

Aux termes de ses dernières conclusions d'intimée transmises par voie électronique le 16 avril 2021 auxquelles la cour renvoie pour plus ample exposé des prétentions et moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant de nouveau :

- débouter Mme [J] de l'intégralité de ses demandes ;

- condamner Mme [J] à lui payer la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [J] aux dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 25 septembre 2022.

MOTIVATION

Sur l'exécution du contrat de travail

* sur le harcèlement moral

L'article L. 1152-1 du code du travail dispose :

« Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

L'article L. 1154-1 du même code précise :

« Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

A l'appui de son allégation de harcèlement moral, Mme [J] invoque :

- une détérioration progressive des relations entre l'employeur et elle-même à partir de la fin du mois d'août 2018 ;

- le changement de comportement de sa supérieure hiérarchique, Mme [G] [R], depuis la nomination de M. [S] [Y] au poste de directeur général France impliquant une rétrogradation vis-à-vis du président Europe très mal ressentie par Mme [R] ;

- l'agressivité de Mme [R] à son égard et la pression psychologique intense subie du fait de Mme [R] génératrices d'un fort stress, d'une fatigue psychique et physique importantes et des horaires imposés très lourds ;

- les humiliations et le dénigrement que Mme [R] lui faisait subir auprès de ses collègues et collaborateurs ;

- une dévalorisation de sa personne et de son travail en « codir » ou avec son équipe et la perte de confiance en soi qui s'en est suivie ;

- l'imputation du retard dans la mise en place d'un simulateur dans le cadre du projet de production d'offres ;

- la volonté de Mme [R] de lui nuire et de la mettre en difficulté devant les membres de la direction avec la présentation, à sa demande, de ce simulateur non finalisé à deux reprises les 1er et 9 octobre 2018 devant des collègues, des membres du comité de direction et ses deux collaborateurs marketing ;

- l'organisation d'une réunion avec ses deux responsables marketing à la demande de Mme [R] pour connaître leur avis sur la pertinence du projet de production d'offres ;

- le malaise qu'elle a fait le 11 octobre 2018 vers 22 heures sur son lieu de travail à cause de ses conditions de travail (stress, pression) alors qu'elle préparait une réunion prévue le 16 octobre suivant avec ses deux collaborateurs ;

- les propos de Mme [R] le 18 octobre 2018 l'informant que le directeur général France ne l'appréciait pas, que c'était la raison pour laquelle elle n'avait pas obtenu le poste de directeur marketing France lors du dernier remaniement et que ses jours étaient comptés ;

- un état de souffrance au travail qui l'a conduite, sur les préconisations de son médecin traitant, à consulter un psychologue du travail et à prendre des médicaments.

Sur la détérioration progressive de sa relation de travail et le changement de comportement à son égard de sa supérieure hiérarchique, Mme [J] verse aux débats le nouvel organigramme de la direction générale France de la société Stanley Security France faisant apparaître M. [Y] comme « general manager » et Mme [R] comme l'une de ses subordonnés ainsi qu'un courriel de M. [Y] du 4 octobre présentant les changements intervenus dans l'organisation de la société.

Sur l'agressivité et la pression psychologique intense exercées par Mme [R] ainsi que les humiliations et le dénigrement de Mme [R] à son égard, Mme [J] verse aux débats le questionnaire sur les risques professionnels qu'elle a complété le 14 décembre 2018 pour la caisse d'assurance maladie.

Sur la dévalorisation de sa personne et de son travail ainsi que ses horaires de travail, Mme [J] se réfère également à ce questionnaire.

Sur l'imputation du retard dans la mise en place du simulateur et sa mise en difficulté lors de deux réunions de présentation d'un simulateur non finalisé, Mme [J] produit un document qui porte son nom et la date d'octobre 2018 intitulé « Attract and recruit new customers and develop our clients » de douze pages dont il ne ressort pas qu'elle a été volontairement mise en difficulté lors de deux réunions.

Sur l'organisation d'une réunion avec ses deux responsables marketing à la demande de Mme [R], Mme [J] ne produit aucun élément.

Sur son malaise survenu le 11 octobre 2018 vers 22 heures en présence de ses deux collaborateurs, Mme [J] verse aux débats une facture Uber faisant état ce jour-là d'une prise en charge sur son lieu de travail à 23h34 pour la ramener chez elle.

Sur les propos de Mme [R] le 18 octobre 2018, Mme [J] se réfère de nouveau à l'organigramme précédemment évoqué qui fait apparaître que M. [Y] assure également l'intérim du poste de directeur marketing France.

Sur son état de souffrance au travail, Mme [J] verse aux débats une feuille d'accident du travail ou de maladie professionnelle, un récapitulatif de ses consultations auprès d'un psychologue du travail entre le 29 novembre 2018 et le 11 février 2019, le courrier de son médecin traitant au psychologue du travail évoquant « un stress aigu sur souffrance psychosociale professionnelle » daté du 5 novembre 2018, plusieurs ordonnances prescrivant des médicaments entre novembre 2018 et septembre 2019 ainsi qu'un certificat du médecin du travail daté du 14 novembre 2018 qui estime que l'état de santé de Mme [J] nécessite son maintien en arrêt de travail et des soins.

L'organigramme décrit une situation de fait dont il ne résulte pas ipso facto que Mme [R] a changé d'attitude à l'égard de Mme [J] et dont il ne peut être induit des propos attribués à Mme [R].

Le questionnaire sur les risques professionnels rempli par Mme [J] n'est complété par aucun autre élément permettant d'établir la matérialité de la dégradation de sa relation de travail à partir de la fin du mois d'août 2018 et du comportement de Mme [R] à l'égard de Mme [J] (agressivité ; pression psychologique intense ; humiliations ; dénigrement ; dévalorisation de sa personne et de son travail ; volonté de nuire et de mettre en difficulté).

Il ressort donc des éléments produits par Mme [J] qu'elle a eu un malaise sur son lieu de travail le 11 octobre 2018 à 22 heures et qu'elle est rentrée chez elle en VTC ce soir-là avec une prise en charge à 23h34 ; qu'elle a exprimé une souffrance au travail auprès de son médecin traitant à partir du 5 novembre 2018 et que celui-ci ainsi que le médecin du travail ont constaté un état de santé justifiant un arrêt de travail et des soins. Pris dans leur ensemble, ces éléments de fait présentés par Mme [J] ne sont pas suffisants pour laisser supposer l'existence d'un harcèlement.

Partant, Mme [J] sera déboutée de sa demande en dommages-intérêts au titre du harcèlement moral.

* sur le manquement à l'obligation de sécurité et à l'obligation de bonne foi

Mme [J] invoque les mêmes faits pour soutenir que l'employeur a manqué à la fois à son obligation de sécurité et à son obligation de bonne foi. Elle fait valoir que l'obligation de sécurité étant une obligation de moyens renforcée, il suffit de constater une atteinte à la santé du salarié pour que la responsabilité de l'employeur soit engagée. Elle fait encore valoir qu'à la suite de son malaise survenu le 11 octobre 2018, l'employeur n'a pris aucune mesure pour réduire sa charge et ses horaires de travail et qu'il n'a diligenté aucune enquête après avoir été alerté de sa situation par son conseil le 7 novembre 2018.

La société Stanley Security France réplique que le prétendu accident du 11 octobre 2018 n'a jamais été qualifié d'accident du travail par l'assurance maladie et que Mme [J] n'a exercé aucun recours contre le refus de prise en charge mais s'est uniquement contentée de solliciter une expertise médicale dix-neuf mois après le prétendu accident du travail. Elle souligne que la demande de reconnaissance du fait du 11 octobre 2018 n'a été sollicitée que le 20 novembre suivant et après la mise en 'uvre d'une procédure de licenciement ; que l'arrêt de travail de Mme [J] a commencé le lendemain de la réception de sa convocation à un entretien préalable et que Mme [J] ne s'était jamais plainte de ses conditions de travail jusqu'à ce qu'elle mandate un conseil après la notification de ladite convocation. L'employeur conclut que Mme [J] est donc malvenue à lui reprocher un double manquement à ses obligations.

L'article L. 1221-1 du code du travail dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

Aux termes de l'article L. 4121-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, 'l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et la santé physique et mentale des travailleurs . Ces mesures comprennent :

1° des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,

2° Des actions d'information et de prévention,

3° la mise en place d'une organisation et de moyens adaptée.

L'employeur veille à l'adapatation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des mesures existentes.'

Aux termes de l'article L. 4121-2 du code du travail dans sa version applicable au litige, ' l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.'

L'article L. 1152-4 prévoit quant à lui que 'l'employeur prend toutes dipositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.'

L'employeur tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l'entreprise doit en assurer l'effectivité. Le non-respect des règles relatives aux visites médicales qui concourent à la protection de la santé et de la sécurité des salariés constitue un manquement à son obligation de sécurité. Ne méconnait pas son obligation, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail

La cour rappelle que ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les article L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, l'employeur ne justifie pas des mesures qu'il a prises pour respecter son obligation de prévention et de sécurité, notamment en termes de charge de travail, d'horaires de travail et de pratiques managériales au sein de l'entreprise alors que le conseil de Mme [J] lui avait pourtant dénoncé le 7 novembre 2018 la souffrance physique et morale de sa cliente au travail.

La société sera, dès lors, condamnée à lui payer une somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts et la decision des premiers juges sera infirmée.

En revanche, Mme [J] ne justifie pas du préjudice financier résultant, selon elle, de l'erreur commise par l'employeur sur la date du dernier jour travaillé et de ce qu'en septembre 2019, elle n'avait toujours pas perçu ses indemnités journalières - d'autant que le manquement à la bonne foi n'est pas établi.

Sur la rupture du contrat de travail

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est rédigée dans les termes suivants :

« Les motifs à l'origine de cette décision sont les suivants :

Vous avez été embauchée dans le cadre d'une création de poste le 14 juin dernier en qualité de Directrice Marketing et Expérience Clients au sein de la BU SME.

La principale mission qui vous a été confiée est la production d'offres client différenciées par pattern.

Pour ce faire, vous avez sollicité le recours à un conseil externe auprès de la société NC Partners et avez choisi de faire intervenir l'une de vos connaissances, Mme [V] [H].

Nous avons donné une suite favorable à cette demande. La mission que nous vous avons confiée étant particulièrement stratégique pour l'entreprise nous avons souhaité grâce à ce support externe, vous donner et nous donner toutes les chances de succès.

Vous deviez notamment produire l'analyse de notre parcs clients afin d'en définir une offre spécifique par typologie clients et présenter cette production fin septembre 2018.

Malgré les moyens importants mis à votre disposition, force est de constater que vous n'avez pas délivré le travail attendu.

En dépit des demandes de votre manager de pouvoir suivre l'avancée des travaux au fur et à mesure, vous avez cherché à dissimuler le retard accumulé dans l'analyse de la base de données clients et la production des offres.

Vous vous êtes isolée en ne travaillant pas avec les équipes commerciales et marketing internes, là encore malgré les propositions de votre management et des équipes, notamment de la Direction Commerciale, de travailler conjointement.

La réunion de Codir du 1er octobre dernier prévoyait votre intervention pour la présentation des offres par pattern clients. Vous avez assuré à votre manager, [G] [R], le 28 septembre, lors d'un point effectué avec votre équipe Marketing que celles-ci étaient prêtes alors qu'il n'en est rien.

La réunion du 1er octobre a été un véritable fiasco et vous alors indiqué ne pas avoir bien compris ce qui était attendu.

Après l'échec du Codir, [Z] [I] vous a appelé pour vous proposer de travailler avec elle. Ainsi, vous deviez vous rendre à [Localité 3] pour enfin collaborer avec la Direction Commerciale. Une séance de travail était programmée le 8 octobre, vous ne vous y êtes pas rendue et n'avez donné aucune nouvelle. Cet échange aura finalement lieu le 16 octobre parce que votre manager a pris l'initiative d'organiser une réunion de travail !

Le consultant que vous aviez sollicité à prix d'or (') n'a jamais délivré les attendus. Vous avez présenté cet outil Excel à votre manager le 9 octobre seulement, en présence des équipes Corporate Monde, bien après la date attendue et surtout après de multiples relances de votre manager.

Lors de la présentation de cette base le 9 octobre, nous avons constaté qu'elle était truffée d'erreurs, l'outil ne s'avère donc absolument pas fiable, ce constat a indéniablement porté atteinte à l'image de l'équipe France auprès de Corporate.

Par ailleurs, vous ne maîtrisez pas du tout l'outil et étiez incapable de répondre aux questions.

Nous vous avons à plusieurs reprises demandé de bien vouloir transmettre ce fichier excel dans lequel avait été analysée la base de données clients. Ce document permettant d'identifier les patterns était la première étape de votre mission. Malgré les demandes répétées de votre manager de recevoir l'outil corrigé, vous n'avez envoyé ce fichier que le 4 novembre au soir !

Cet outil non fiabilisé n'est d'aucune utilité pour l'entreprise. De plus, vous avez fait perdre à ce projet la crédibilité qu'il avait. Les équipes Marketing Europe attendaient beaucoup de ce projet en France, comme l'attestent de nombreux emails.

Suite à la présentation du 9 octobre, votre manager vous a demandé de rédiger un courrier sans délai à l'attention du Consultant NC Partners soulignant qu'aucun livrable n'avait été produit conformément au cahier des charges de la mission. Votre manager a été contrainte de passer quatre heures avec vous afin d'identifier les livrables non réalisés et les manquements au cahier des charges que vous aviez fixé au consultant.

Ce courrier a finalement été adressé au consultant le 24 octobre dernier '

Votre équipe Marketing vous avait déjà fait part dès septembre du décalage flagrant entre les attentes du business SME et de votre « outil excel ». De fait, vos collaborateurs vous ont informée qu'ils allaient révéler à votre manager la réalité de la situation.

Ils ont ensuite décuplé leurs efforts pour produire seuls tant bien que mal des offres spécifiques par pattern, lesquelles n'étaient malheureusement pas à la hauteur du résultat attendu puisque vous aviez été incapable d'expliquer la mission et de collaborer avec eux.

Le 18 octobre dernier, votre Manager, [G] [R], vous a fait à nouveau part de son mécontentement et de sa déception quant aux livrables de votre mission qui n'arrivaient pas. C'est alors que vous lui avez confier « si vous avez besoin de quelqu'un de pragmatique à ce poste, ce n'est peut-être pas moi ».

Durant ces derniers mois, vous avez révélé votre incapacité à délivrer de manière concrète des solutions opérationnelles répondant aux objectifs qui vous ont été fixés. Vous avez démontré votre incapacité à délivrer de manière concrète des solutions opérationnelles répondant aux objectifs qui vous ont été fixés. Vous avez démontré votre incapacité à travailler en équipe. Vous avez révélé votre capacité à complexifier toute situation et à perdre vos équipes pour finalement ne délivrer aucun résultat. Vous avez fait preuve d'un manque évident de pragmatisme et d'opérationnalité et avez ainsi épuisé vos équipes en les emmenant dans des directions inadéquates et improductives.

Plus grave encore, vous avez volontairement caché votre retard et vos difficultés à votre manager sur le bon déroulement de ce projet stratégique.

Enfin à force de complexifier les sujets et de vous isoler, vous avez noyé vos collaborateurs qui ont dû faire face à une charge de travail importante sans coordination, occasionnant des tensions et de la défiance.

Nous vous rappelons qu'en tant que Directrice, nous attendons de vous que vous soyez un exemple pour les autres membres de l'équipe et en particulier que vous démontriez votre, votre professionnalisme, vos capacités de Management. Nous ne pensons pas que votre comportement reflète ces principes. En effet, pour un salarié de votre niveau de responsabilités, avec la connaissance que vous avez de la société, votre attitude dans ces domaines est inacceptable.

A ce jour, il nous semble évident que vous n'avez pas la volonté de continuer à servir les intérêts de la société, ce qui est totalement inacceptable de la part d'un cadre supérieur avec vos responsabilités. En conséquence, dans ces conditions, nous sommes contraints de mettre un terme à notre collaboration et de procéder à votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. ('). »

* sur le bien-fondé du licenciement

* sur la nullité du licenciement

Mme [J] sollicite la nullité de son licenciement en soutenant, d'une part, que le licenciement est survenu pendant une période de suspension de son contrat de travail à raison d'un accident du travail et, d'autre part, qu'elle a été victime de harcèlement moral.

La société Stanley Security France réplique que Mme [J] instrumentalise la rupture du contrat de travail dans le seul but de bénéficier du statut protecteur des articles L. 1226-9 et suivants du code du travail. Elle réplique encore qu'en tout état de cause, la demande indemnitaire de Mme [J] est exorbitante au regard des circonstances de son embauche, du motif de la rupture, de la durée de la relation contractuelle et de l'absence de justificatif du préjudice allégué.

* sur le licenciement pendant la période de suspension du contrat de travail

L'article L. 1226-9 du code du travail qui se trouve dans une section relative à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle dispose :

« Au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l'employeur ne peut rompre ce dernier que s'il justifie soit d'une faute grave de l'intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l'accident ou à la maladie. »

L'article L. 1226-13 du même code précise que « toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions des articles L. 1226-9 et L. 1226-18 est nulle ».

En l'espèce, l'examen des pièces versées aux débats révèle que :

- pour la période du 5 au 19 novembre 2018, Mme [J] a été placée en arrêt de travail sans qu'il soit fait mention du lien avec un accident du travail ;

- la lettre de convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement est datée du 5 novembre 2018, l'entretien étant fixé au 16 novembre 2018 ;

- le 20 novembre 2018, Mme [J] a informé la directrice des ressources humaines de la société de la survenance d'un malaise sur son lieu de travail le 11 octobre 2018 vers 22 heures et adressé un certificat d'arrêt de travail dans le cadre d'un accident du travail en soulignant que sa directrice générale, Mme [R] en avait été informée le soir du 11 octobre 2018 par les deux collègues présents lors de son malaise ;

- aucun avis de réception de cette lettre recommandée n'est produit mais l'employeur reconnaît dans une lettre envoyée à la caisse primaire d'assurance maladie de Paris le 29 novembre 2018 émettant des réserves sur la qualification d'accident du travail qu'il a reçu la lettre de Mme [J] le 22 novembre 2018 ;

- la déclaration de l'accident survenu le 11 octobre 2018 par l'employeur est datée du 30 novembre 2018 ;

- le licenciement pour insuffisance professionnelle a été notifié à Mme [J] par lettre recommandée datée du 4 décembre 2018, à une date où elle était encore en travail de travail ;

- par courrier daté du 4 février 2019, l'assurance maladie a notifié à la société Stanley Security France son refus de reconnaître un caractère professionnel à l'accident déclaré par la salariée au motif que le médecin conseil a considéré qu'il n'y avait pas de lien de cause à effet entre les faits invoqués et les lésions médicalement constatées par certificat médical ;

- par courrier du 22 février 2019, Mme [J] a contesté cette décision et a sollicité une expertise médicale ;

- par courrier du 20 mai 2019, l'assurance maladie a notifié à Mme [J] qu'à la suite de l'expertise médicale dont les conclusions s'imposent à l'assurée comme à la caisse que « les lésions stress aigu au travail depuis le 11/10/2018 date du malaise syncopal avec depuis de nombreuses manifestations somatiques (') mentionnées sur le certificat du 19/11/2018 ont un lien de cause à effet avec le traumatisme provoqué par l'accident dont [Mme [J]] a été victime le 11/10/2018 ;

- la poursuite de l'indemnisation de l'arrêt de travail au titre de la législation relative aux risques professionnels est accordée.

Ainsi la notification du licenciement pour insuffisance professionnelle est-elle intervenue pendant la suspension du contrat de travail résultant d'un arrêt de travail motivé par un accident du travail déclaré tant par la salariée que par l'employeur alors que, d'une part, l'employeur ne justifie ni d'une faute grave de la salariée, ni d'un motif étranger à l'accident et que, d'autre part, le 4 décembre 2018, date de la notification du licenciement, il n'avait pas encore connaissance de la décision de refus de l'assurance maladie puisqu'elle ne lui sera notifiée que le 4 février 2019.

Partant, la société Stanley Security France a violé l'article L. 1226-9 du code du travail en procédant à la notification du licenciement de Mme [J] et cette violation est sanctionnée par la nullité du licenciement sans qu'il n'y ait lieu d'examiner le second motif.

La décision des premiers juges sera, en conséquence, infirmée à ce titre.

* sur les conséquences du licenciement nul

En application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail, la salariée entrant dans les prévisions du 6° du deuxième alinéa de cet article et n'ayant pas sollicité sa réintégration, « le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois ».

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à la salariée, de son âge - 56 ans -de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il sera alloué à Mme [J] une somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts suffisant à réparer son entier préjudice.

* sur la remise des documents

La cour rappelle que la société Stanley Security France doit remettre à Mme [J] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle emploi conformes à la présente décision.

Sur les autres demandes

* sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce.

* sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile

La société Stanley Security France sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Mme [J] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile. La société sera déboutée de sa demande au titre du même article.

La décision des premiers juges au titre des frais irrépétibles sera confirmée.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition,

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il a débouté Mme [E] [J] de sa demande en dommages-intérêts pour harcèlement moral et la société Stanley Security France de sa demande au titre des frais irrépétibles ;

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

CONDAMNE la société Stanley Security France à payer à Mme [E] [J] la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité ;

PRONONCE la nullité du licenciement de Mme [E] [J] ;

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Stanley Security France à payer à Mme [E] [J] la somme de 60 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

RAPPELLE que la société Stanley Security France doit remettre à Mme [J] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail et une attestation pour Pôle Emploi conformes à la présente décision ;

DIT que les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature indemnitaire sont dus à compter de la décision qui les prononce ;

CONDAMNE la société Stanley Security France à payer à Mme [E] [J] la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Stanley Security France aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 5
Numéro d'arrêt : 20/07631
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;20.07631 ?
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