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18/01/2023 | FRANCE | N°20/05436

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 18 janvier 2023, 20/05436


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 18 JANVIER 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05436 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIFK



Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MELUN - RG n° F17/00650



APPELANT



Monsieur [T] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

né le 02 Mars 1981 à [Loca

lité 4]

Représenté par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081



INTIMEE



S.A.S. KUEHNE+NAGEL

[Adresse 5]

[Localité 3]

N° SIRET : 333 583 466

Représentée par Me...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 18 JANVIER 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05436 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCIFK

Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Mai 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MELUN - RG n° F17/00650

APPELANT

Monsieur [T] [D]

[Adresse 1]

[Localité 2]

né le 02 Mars 1981 à [Localité 4]

Représenté par Me Sylvain ROUMIER, avocat au barreau de PARIS, toque : C2081

INTIMEE

S.A.S. KUEHNE+NAGEL

[Adresse 5]

[Localité 3]

N° SIRET : 333 583 466

Représentée par Me Alexis GINHOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : P0237

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame [N] [B] dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

La SAS Kuehne + Nagel a pour activité l'entreposage, le stockage, la préparation de commandes et le conditionnement de produits finis pour le compte de clients industriels ou spécialisés dans la grande distribution et occupe à titre habituel près de 5.000 salariés.

M. [T] [D] a été engagé par la société Kuehne + Nagel, par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 13 juin 2000 en qualité de contrôleur de stocks, suivant la classification de la convention collective nationale des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, applicable à la relation contractuelle. Dans le dernier état de la relation de travail, il était assistant inventaire.

Par requête reçue au greffe le 22 mai 2014, estimant avoir fait l'objet d'une inégalité de traitement, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Melun d'une demande de rappel de salaires à ce titre, des congés payés afférents et de dommages et intérêts. Le syndicat CGT Kuehne + Nagel Savigny-le-Temple est intervenu à l'instance pour solliciter le paiement de 5.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

Par jugement de départage du 22 mai 2020, le conseil a rejeté l'ensemble des demandes et jugé l'action du syndicat CGT Kuehne + Nagel Savigny-le-Temple irrecevable.

Par déclaration du 7 août 2020, M. [D] a fait appel de cette décision, notifiée le 18 juillet précédent.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 6 novembre 2020, M. [D] demande à la cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- fixer le salaire de base des salariés à la somme correspondant au revenu médian de la catégorie concernée en 2015, nonobstant toute évolution ultérieure ;

- condamner la société Kuehne + Nagel au paiement de 699,30 euros à titre de rappels de salaire et de 69,93 euros de congés payés afférents pour la période allant de janvier 2012 à décembre 2015 ;

- condamner la société Kuehne + Nagel au paiement de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect du principe d'égalité de traitement entre les salariés ;

- assortir les condamnations des intérêts au taux légal et de l'anatocisme ;

- ordonner la remise des bulletins de salaires conformes au jugement à intervenir et la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux dont l'URSSAF, la caisse de retraite, les caisses de retraite complémentaires et organismes de prévoyance, le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte ;

- condamner la société Kuehne + Nagel au paiement de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, y ajoutant la même somme à hauteur d'appel, outre les entiers dépens et les éventuels frais d'exécution.

Dans ses dernières conclusions, adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 4 février 2021, la société Kuehne + Nagel demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, de débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Pour l'exposé des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 : Sur le rappel de salaire et de congés payés afférents

Il ressort de l'article L.3221 du code du travail que tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l'égalité de rémunération entre les salariés.

Aux termes de l'article L.3221-4 du même code, sont considérés comme de valeur égale les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l'expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse. Il est en outre de principe que les fonctions exercées par les salariés peuvent être différentes, dès lors que les situations sont comparables.

La charge de la preuve de l'identité de situation incombe au salarié. Par ailleurs, en application de l'article L.3221-8 du code du travail, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe « à travail égal, salaire égal » de soumettre les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération. Il incombe, ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence. Si cette preuve n'est pas rapportée, l'employeur devra verser un rappel de salaire pour compenser la différence invoquée.

L'ancienneté est un critère objectif qui justifie une différence de salaire. Cependant, s'il existe déjà une prime d'ancienneté prenant en compte cet élément, l'employeur ne peut pas invoquer l'ancienneté pour justifier une inégalité du salaire hors prime.

Au cas présent, le salarié produit trois rapports d'expertise comptable, les rapports Tandem, 3E consultants et Janvier, diligentés pour les années 2012, 2013, 2014 puis 2015.

Contrairement à ce que soutient l'intimée, les différences, minimes et explicables, entre les conclusions de ces rapports et le fait qu'ils n'auraient pas été établis de manière contradictoire, alors que, d'une part, ils sont convergents dans leurs conclusions et que, d'autre part, ils ont pu être contradictoirement débattus devant le conseil puis la cour, ne sauraient priver ceux-ci de toute valeur probante.

Or, ces trois rapports concluent de manière systématique à des différences de salaire de base, correspondant au salaire après déduction des primes d'ancienneté et de production, au sein d'une même catégorie d'emploi dont celle d'assistant inventaire dont relève l'appelant.

Malgré les allégations contraires de l'employeur, M. [D] établit que les salariés du groupe auxquels il se compare se trouvaient dans une situation identique puisque au sein d'une même catégorie d'emploi, relativement peu qualifié et ne comportant pas de coefficients différents, les salariés étaient interchangeables et effectuaient des tâches semblables.

M. [D] établit également qu'il percevait un salaire inférieur à plusieurs membres de la catégorie d'emploi auquel il appartient.

Il apparaît ainsi (pièce 6) que sur six salariés qui étaient assistants inventaire en 2012 puis sur huit en 2013, 2014 et 2015, un salarié en 2012 et 2013 puis deux en 2014 et 2015 percevaient un salaire supérieur à celui de M. [D].

Dès lors, ce faisant, le salarié présente des éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération permettant ensuite à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs justifiant cette différence, peu important qu'il ne se compare pas à des salariés nommés mais à un groupe anonymisé, l'employeur, seul détenteur du registre des personnels et en situation de connaître le salaire de ses effectifs, étant en situation soit d'établir que personne au sein de la catégorie concernée ne percevait les salaires mentionnés, soit d'identifier aisément les salariés dont le nom est anonymisé dans les rapports et dès lors, le cas échéant, d'objectiver pour ces derniers les raisons du paiement d'un salaire supérieur.

En réponse à ces éléments de fait, l'employeur fait d'abord valoir que les différences de salaire de base peuvent s'expliquer du fait de l'ancienneté des salariés, dans la mesure où leur salaire de base peut être affecté par les augmentations annuelles négociées dans le cadre des négociations collectives ou d'éventuelles augmentations individuelles.

Cependant, alors que les salariés perçoivent d'ores et déjà des primes d'ancienneté dans l'entreprise et de productivité, ces éléments ne peuvent être pris en compte. Par ailleurs, alors que cette preuve lui incombe, l'employeur n'explicite aucunement les critères ayant présidé à l'octroi d'éventuelles augmentations individuelles ou la prise en compte d'une éventuelle l'ancienneté dans le poste.

Enfin, alors qu'aux termes des rapports un salarié en 2012 et 2013 puis deux en 2014 et 2015 percevaient un salaire supérieur à celui de M. [D], l'employeur n'apporte des éléments d'explication que pour un seul salarié et non pour la totalité de ceux-ci et ce seulement pour l'année 2014 et 2015.

Ce faisant, l'employeur n'apporte donc pas suffisamment la preuve d'éléments objectifs justifiant la différence de rémunération démontrée.

L'inégalité de traitement est donc avérée

A titre de compensation, le salarié sollicite un rappel de salaire à hauteur de la différence entre son propre salaire et celui qu'il qualifie à tort de médian (le salaire médian étant le niveau de rémunération qui sépare une population entre deux groupes de tailles égales à savoir un effectif de salariés gagnant moins et l'autre gagnant plus) mais qui est en réalité la moyenne entre le salaire le plus haut et le salaire le plus bas de sa catégorie.

Ce faisant, alors que l'employeur ne justifie pas la différence de traitement entre M. [D] et ce salaire moyen, qui est supérieur, et qu'il ne propose pas de calcul alternatif, il convient d'accueillir cette demande.

Dès lors, il sera fait droit à la demande à hauteur de 699,30 euros à titre de rappels de salaire, outre 69,93 euros, de congés payés afférents pour la période allant de janvier 2012 à décembre 2015.

De nature salariale, cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter de la signature par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.

La capitalisation des intérêts qui est demandée sera ordonnée dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Il convient en outre de fixer le salaire de base de M. [D] à la somme correspondant au revenu médian de la catégorie des assistants inventaires en 2015.

Le jugement, qui a rejeté ces demandes, sera donc infirmé sur ces différents points.

2 : Sur les dommages et intérêts pour inégalité de traitement

Le salarié ne démontre pas de préjudice distinct du simple retard de paiement du complément de salaire alloué, préjudice qui est d'ores et déjà compensé par les intérêts légaux.

Sa demande indemnitaire à ce tire sera donc rejetée.

Le jugement sera confirmé sur ce point.

3 : Sur la remise de bulletins de paie conformes

Compte tenu du sens de la présente décision, il convient de condamner l'employeur à remettre au salarié un bulletin de paye récapitulatif conforme et ce sous quinzaine de la signification de la présente décision. Il y a lieu également d'ordonner la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux dont l'URSSAF, la caisse de retraite, les caisses de retraite complémentaires et organismes de prévoyance

Il n'y a pas lieu en revanche d'assortir cette condamnation d'une astreinte et la demande à ce titre sera rejetée.

4 : Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera infirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.

Les dépens de la première instance comme de l'appel seront supportés par l'employeur qui devra également payer à M. [D] la somme de 1.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

Infirme le jugement de départage du 22 mai 2020 du conseil de prud'hommes de Melun sauf en ce qu'il rejette la demande de dommages et intérêts pour inégalité de traitement ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

Condamne la SAS Kuehne + Nagel à payer à M. [T] [D] la somme de 699,30 euros à titre de rappel de salaire, outre 69,93 euros au titre de congés payés afférents ;

Rappelle que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la signature par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes ;

Fixe le salaire de base de M. [T] [D] à la somme correspondant au revenu médian de la catégorie des assistants inventaires en 2015 ;

Ordonne la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SAS Kuehne + Nagel à payer à M. [T] [D] la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Kuehne + Nagel aux dépens de la première instance comme de l'appel.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 20/05436
Date de la décision : 18/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-18;20.05436 ?
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