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18/01/2023 | FRANCE | N°19/07551

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 3, 18 janvier 2023, 19/07551


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRET DU 18 JANVIER 2023



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07551 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAI6W



Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F18/00133





APPELANTE



SA CREDIT FONCIER DE FRANCE

[Adresse 2]

[LocalitÃ

© 4]

Représentée par Me Nicolas DURAND GASSELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0505



INTIME



Monsieur [Y] [L]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas S...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3

ARRET DU 18 JANVIER 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07551 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAI6W

Décision déférée à la Cour : Jugement du 11 Juin 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CRETEIL - RG n° F18/00133

APPELANTE

SA CREDIT FONCIER DE FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Nicolas DURAND GASSELIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0505

INTIME

Monsieur [Y] [L]

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représenté par Me Nicolas SERRE, avocat au barreau de PARIS, toque : A0966

PARTIE INTERVENANTE :

SA ALLIANZ VIE

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentée par Me Brigitte AUBRY GLAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : P0133

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Décembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Anne MENARD, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Lors des débats : Madame Sarah SEBBAK, greffière stagiaire en préaffectation sur poste

ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière stagiaire en préaffectation sur poste à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Monsieur [L] a été engagé par le Crédit Foncier de France le 1er octobre 2006 en qualité d'opérateur dérivés.

Son contrat prévoyait une rémunération fixe et une rémunération variable d'au maximum 30% du salaire brut, versée sous condition d'atteinte d'objectifs.

Cette rémunération variable est versée au mois de mars, en fonction des résultats de l'année précédente. À partir de mars 2016, monsieur [L] n'a plus perçu la totalité de sa rémunération variable.

Monsieur [L] a été placé en mi-temps thérapeutique à partir du mois de juillet 2016.

Le 25 janvier 2017, la CPAM a notifié à monsieur [L] son placement en invalidité 1ère catégorie et l'attribution d'une pension d'invalidité à compter du 1er février 2017, cette pension étant calculée en fonction du salaire perçu au cours des douze derniers mois. Cette pension est versée par l'organisme de prévoyance du Crédit Foncier de France, la compagnie Allianz.

Le 8 juin 2018, monsieur [L] a sollicité un congé sabbatique pour création d'entreprise.

Il a repris son poste le 3 septembre 2019, toujours dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, et est actuellement toujours salarié du crédit Foncier de France.

Monsieur [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Créteil le 1er février 2018 de demandes formées contre son employeur, en présence de la compagnie Allianz, afin de solliciter un rappel de sa rémunération variable, et d'en voir tirer les conséquences quant au montant de sa pension d'invalidité.

Par jugement du 11 juin 2019, le conseil a :

- rejeté la demande d'incompétence soulevée par la société Allianz Vie.

- condamné la société Crédit Foncier de France au paiement des sommes suivantes :

14.000 euros au titre du bonus 2015

9.810,25 euros au titre du bonus 2016

5.526,38 euros au titre du bonus 2017

1.300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

531,43 euros par mois au titre de la perte de pension d'invalidité à compter du 1er février 2017 jusqu'à la révision effective par la société Allianz Vie du montant de la pension d'invalidité

- enjoint au Crédit Foncier de France de procéder auprès de l'organisme de prévoyance la compagnie Allianz Vie à la rectification du salaire de référence net de l'année 2016 (66.816,23 euros) servant de base au calcul de la pension d'invalidité

- débouté monsieur [L] de ses autres demandes à l'encontre de son employeur

- déclaré opposable à la société Allianz Vie le nouveau salaire de référence annuel, pour un montant de 21.599,82 euros, servant de base au calcul de la pension d'invalidité versée à monsieur [L].

Le Crédit Foncier de France a interjeté appel de cette décision le 26 juin 2019, et la société Allianz Vie en a interjeté appel le 5 juillet 2019.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance du 12 janvier 2021.

Par conclusions récapitulatives du 20 mars 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, le Crédit Foncier de France demande à la cour d'infirmer le jugement, de débouter monsieur [L] de ses demandes, de le condamner au remboursement des sommes perçues au titre de l'exécution provisoire, ainsi qu'au paiement de la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives du 2 octobre 2019, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Allianz Vie demande à la cour d'infirmer le jugement, de dire que le conseil de prud'hommes de Créteil était incompétent pour connaître des demandes formulées par monsieur [L] à son encontre, subsidiairement, de dire que la prise en charge de monsieur [L] s'effectuera dans les termes, limites et conditions du contrat, et qu'elle devra notamment percevoir les cotisations convenues calculées sur la base des éventuels rappels de salaire. En tout état de cause, elle sollicite la condamnation de la partie succombante à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives du 20 mars 2020, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, monsieur [L] demande à la cour de :

- rejeter la demande d'incompétence

- infirmer le jugement sur le montant des rémunérations variables et condamner le Crédit Foncier de France à lui payer les sommes suivantes :

14.000 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2015

11.298,66 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2016

8.000 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2017

- subsidiairement, confirmer le jugement,

- en tout état de cause, condamner l'employeur à lui payer la somme de 4.913,33 euros à titre de rappel de salaire pour l'année 2018

- condamner l'employeur au paiement de la somme de 4.300 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

- Sur la compétence

La cour constate qu'aucune demande n'est formée contre la compagnie Allianz, le salarié ne l'ayant mis dans la cause que pour lui voir déclarer opposable la décision, ce qui aura notamment pour effet de la priver de la possibilité de former une tierce opposition si elle conteste ultérieurement le montant de la rémunération servant de base au calcul de la pension qu'elle verse.

Il ne sera pas fait droit à la demande d'incompétence qu'elle forme.

En revanche, sa propre demande tendant à voir dire qu'elle devra notamment percevoir les cotisations convenues calculées sur la base des éventuels rappels de salaire concerne ses rapports avec la société CFF, et à ce titre ne relève pas de la compétence de la juridiction prud'homale.

- Sur les demandes de rappel de salaire au titre des bonus

Le troisième paragraphe de l'article 6 du contrat de travail stipule :

'Une rémunération variable de 30% du salaire annuel fixe de base s'ajoutera à la rémunération de base mentionnée ci-dessus, subordonnée à l'appréciation des performances et à l'atteinte des objectifs quantitatifs fixés. Seront pris en compte également la qualité de la production réalisée par monsieur [Y] [L] et sa participation au travail de l'équipe. Elle sera réglée pour un exercice donné en mars de l'exercice suivant, une fois connus les résultats du dit exercice'.

Monsieur [L] expose que jusqu'à l'année 2014, il percevait la totalité de sa rémunération variable, mais qu'elle a baissé dans des proportions importantes à partir de l'année 2015.

Il sollicite donc pour les années 2015 à 2018 un rappel de salaire sur la base d'un bonus de 30% chaque année.

- Demande principale

Monsieur [L] fait valoir que ses objectifs lui étaient fixée tardivement, au mois d'avril ou mai suivant les années, et qu'ainsi, il n'était pas mis en situation de connaître en temps utiles pour les remplir.

L'employeur fait valoir de son côté que les objectifs étaient discutés dès l'entretien annuel qui avait lieu au mois de mars, et que le salarié en avait ainsi connaissance avant leur notification.

Comme le conseil, la cour constate que les objectifs de monsieur [L] ne sont pas des objectifs chiffrés, mais qu'il s'agit d'objectifs regroupés autour des trois mêmes thèmes (activité, qualité et risques et conformité), qui sont reconduit d'année en année quasiment à l'identique, de sorte qu'il n'était nullement mis en difficulté pour les réaliser en raison d'une notification tardive.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il n'a pas fait droit sur ce fondement à la demande en rappel de salaire portant sur la totalité de la rémunération variable prévue par le contrat de travail.

- Demande subsidiaire

Subsidiairement, monsieur [L] demande que son bonus soit fixée en fonction du pourcentage de réalisation des objectifs à réaliser pour le calcul de la part variable, telle qu'il ressort de ses entretiens d'évaluation.

Il expose que lorsqu'il a demandé des explications sur le fait qu'il percevait une prime inférieure à ce qu'elle aurait dû être compte tenu du pourcentage d'atteinte de ses objectifs, il lui a été répondu que le bonus pouvait être diminué dans la limite de 80% en fonction de la part managériale, qui dépend de l'appréciation portée par son manager sur son travail.

L'employeur confirme que c'est bien l'appréciation managériale qui explique que monsieur [L] n'ait pas perçu la totalité de son bonus. Il précise que l'existence de cette variation apparaît dans les entretiens annuels d'évaluation, et que la manière dont elle est mise en oeuvre est régie par un document spécifique, disponible sur l'intranet, intitulé 'part variable-principes génériques', qui est soumis à l'information et à la consultation du comité d'entreprise.

La cour constate que dans la partie explicative des entretiens d'évaluations, au chapitre consacré aux objectifs de l'année à venir, il est mentionné :

'Pour 2015, les objectifs de la part variable se déclinent en trois critères obligatoires :

- Activité 70%

- Qualité 10%

- Risques et conformité 20%

Ces critères sont obligatoires et il y a lieu de renseigner des indicateurs pour chacun d'eux. Toutefois, ils peuvent être complétés par des objectifs métiers spécifiques ou individualisés et/ou par des indicateurs de progrès individuels dans le cadre de la variation managériale'.

Il en résulte que si, dans le cadre de la variation managériale, le manager souhaite tenir compte d'autres critères que les trois qui sont obligatoires, il peut les compléter par des objectifs métiers, ou par des objectifs individualisés, ou encore par des exigences en termes de progrès individuels.

Ce paragraphe étant inséré en introduction de la définition des objectifs à venir, il impose au manager de faire connaître au salarié ses attentes pour l'année suivante, s'il souhaite introduire une variation managériale dans la fixation de la rémunération.

Or en l'espèce, dans la fixation des objectifs permettant de définir la part variable, le manager s'en est tenu aux trois critères obligatoires, sans définir d'objectifs complémentaires. Puis l'année suivante, il a fixé de manière arbitraire le montant du bonus en estimant qu'il pouvait le faire varier de 80% de manière discrétionnaire, sur la base de critères jamais communiqués.

Il convient à cet égard de relever que le manager, qui apprécie si les objectifs d'activité, de qualité et de conformité sont atteints, est le même que celui qui décide de ne pas tenir compte de ses propres constatations sur la qualité de travail réalisé pour fixer une rémunération variable toute autre.

Le fait que soit mis à la disposition du salarié sur l'intranet de l'entreprise, mais sans notification personnelle, différentes informations sur l'appréciation managériale, laquelle permet une variation de 80% du bonus nonobstant la réalisation des objectifs, n'est pas de nature à remettre en cause les dispositions contractuelles sur la manière dont sont calculées ces parts variables.

En tout état de cause, le document dont se prévaut l'employeur, relatif aux principes régissant l'appréciation managériale, stipule, en toute première ligne : 'Elle doit être définie par des indicateurs les plus objectifs possibles dans le cadre de l'EAA'. Cette mention confirme que cette appréciation managériale n'est pas entièrement discrétionnaire, aléatoire et étrangère à toute fixation d'indicateurs objectifs. Or ces indicateurs dans le cas de monsieur [L] sont absents de l'entretien annuel d'évaluation.

Compte tenu de ces éléments, le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à monsieur [L] pour les années 2015, 2016 et 2017 une rémunération variable sur la base des pourcentages de réalisation des objectifs mentionnés au paragraphe 'Part variable', les objectifs mentionnés au paragraphe 'Autres objectifs' n'étant pas pris en considération, non plus que l'appréciation managériale.

En ce qui concerne le bonus de l'année 2018, versé en mars 2019, monsieur [L] sollicite un complément à hauteur de 6.123,33 euros, étant précisé qu'il a perçu 1.210 euros. Toutefois, il ne se fonde que sur le fait qu'il a été informé en mars 2018 de ses objectifs, argument qui a été écarté par la cour. En revanche, il ne produit pas son entretien d'évaluation, permettant, en fonction du pourcentage de réalisation des objectifs relatifs à la part variable, de déterminer si l'employeur a appliqué une 'variation managériale', et de recalculer éventuellement le montant dû.

Il ne sera donc pas fait droit à la demande de ce chef.

- Sur l'incidence du rappel sur la pension d'invalidité

Monsieur [L] est bénéficiaire d'une pension d'invalidité, qui été calculée sur la base des salaires perçus au cours de l'année 2016. Il fait valoir que le montant de sa pension a été minoré compte tenu du non versement par l'employeur de la totalité de la prime variable à laquelle il avait droit. Il sollicite donc l'indemnisation du préjudice qui en résulte, jusqu'à la revalorisation à venir par l'organisme prestataire, la société Allianz.

Le Crédit Foncier de France soutient que cette demande serait irrecevable, dès lors que la pension est versée par un organisme tiers au contrat de travail.

Toutefois, la demande ne tend pas à mettre à la charge de l'employeur le paiement de la pension, non plus qu'à condamner la compagnie Allianz, mais seulement à tirer les conséquences indemnitaires de l'absence de versement par l'employeur d'une partie de la rémunération variable de monsieur [L]. Cette demande, qui découle directement du contrat de travail, est donc recevable.

Les manquements de l'employeur à ses obligations relatives au versement du salaire ont causé à monsieur [L] un préjudice, résultant de la minoration de sa pension.

Le premier juge a justement réparé ce préjudice en condamnant l'employeur au paiement du montant de cette minoration, qu'il a évalué selon un calcul précis et non utilement contesté à 531,43 euros par mois à compter du 1er février 2017, et jusqu'à la revalorisation de la pension de monsieur [L].

Le jugement sera également confirmé en ce qu'il a enjoint à l'employeur de procéder auprès de l'organisme de prévoyance la compagnie Allianz Vie à la rectification du salaire de référence net de l'année 2016 servant de base au calcul de la pension d'invalidité.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement.

Vu l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Crédit Foncier de France à payer à monsieur [L] en cause d'appel la somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.

CONDAMNE la société Crédit Foncier de France aux dépens de première instance et d'appel.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 3
Numéro d'arrêt : 19/07551
Date de la décision : 18/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-18;19.07551 ?
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