RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 13 Janvier 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 18/05225 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B5PRE
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 30 Mars 2018 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 16-00469CR
APPELANTS
Monsieur [Y] [R] (Décédé)
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503
Madame [Z] [R]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Frédéric QUINQUIS, avocat au barreau de PARIS substitué par Me Stéphanie GONSARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0503
INTIMEE
CPAM DU VAL DE MARNE
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 13 Septembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Gilles REVELLES, Conseiller, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M.Raoul CARBONARO,Président de chambre
Mme Sophie BRINET, Présidente de chambre
M. Gilles REVELLES, Conseiller
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, initialement prévu le 21 octobre 2022, prorogé au 18 novembre 2022 puis au 02 décembre 2022 puis au 13 janvier 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par M.Raoul CARBONARO, Président de chambre et par Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par [Y] [R] (l'assuré) d'un jugement rendu le 30 mars 2018 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil dans un litige l'opposant à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Val-de-Marne (la caisse).
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Le 14 février 2013, l'assuré a déclaré une maladie professionnelle au titre d'un cancer broncho pulmonaire primitif constaté pour la première fois le 5 mars 2012. Un certificat médical initial du 8 février 2013 était joint à la déclaration.
Le 17 juillet 2013, la caisse a pris en charge cette maladie au titre du tableau 30 bis des maladies professionnelles. L'état de santé de l'assuré a été considéré comme consolidé le 8 février 2013 avec un taux d'IPP de 100%.
À compter du 9 février 2013 la caisse a versé à l'assuré une rente d'un montant annuel de 18 263,55 euros.
Le 2 juin 2014, l'assuré a saisi la commission de recours amiable (CRA) de la caisse aux fins de contester les modalités de calcul de sa rente. La commission a rejeté cette contestation par décision du 15 février 2016.
Le 30 mars 2016, l'assuré a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale du Val-de-Marne.
Ce tribunal, par jugement du 30 mars 2018, a :
- Déclaré le recours de l'assuré recevable ;
- Confirmé la décision de la commission de recours amiable de la caisse rendue en sa séance du 15 février 2016 ;
- Débouté, en conséquence, l'assuré de l'intégralité de ses prétentions y compris celle portant sur les frais irrépétibles en vertu de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Rappelé que la procédure devant le présent tribunal est sans dépens, sauf coût éventuel de la signification de la présente décision ;
- Rejeté toutes les autres demandes des parties.
Pour statuer ainsi, le tribunal a retenu qu'en l'absence d'arrêt de travail, le salaire annuel de la victime servant de base au calcul de la rente ne peut s'entendre que du salaire correspondant à la période de 12 mois qui précédant la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et l'activité professionnelle, laquelle est assimilée à la date de l'accident ; que dans ces conditions, la période à prendre en compte pour le calcul de la rente versée à l'assuré est celle des 12 mois ayant précédé la constatation médicale du 8 février 2013 qui a conduit à la reconnaissance professionnelle de sa maladie soit la période du 1er février 2012 au 31 janvier 2013 revendiquée par la caisse ; que la dérogation prévue à l'article R. 461-7 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable puisque l'assuré n'était pas en arrêt de travail à la suite de sa maladie, n'a pas quitté l'emploi qui l'exposait au risque de l'amiante pour un nouvel emploi où il percevait un salaire inférieur, en ce sens qu'il était à la retraite depuis février 2003 quand en 2010 il a repris une activité relevant du régime général de sécurité sociale et alors qu'il était affilié à un régime particulier (Caisse nationale des industries électriques et gazières) et qu'il exerçait une activité salariée à la date de la première constatation de sa maladie fixée au 5 mars 2012.
L'assuré a interjeté appel de ce jugement le 11 avril 2018, lequel lui avait été notifié à une date qui ne ressort pas de l'accusé de réception au dossier.
Le 29 mai 2020, l'assuré est décédé des suites de sa maladie professionnelle. L'instance a été reprise par [Z] [R], veuve du défunt.
[Z] [R], ayant droit de l'assuré, a fait soutenir et déposer par son conseil des conclusions écrites invitant la cour à :
- Déclarer recevable et bien-fondé son recours ;
Vu l'article R. 434-29, R. 461-7 et D. 461-7 du code de la sécurité sociale ;
- Infirmer la décision rendue par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil le 30 mars 2018 ;
Statuant à nouveau,
- Infirmer la décision rendue le 15 février 2016, notifiée le 18 février 2016, par la commission de recours amiable ;
- Constater que la période de référence à retenir et constituant la base de calcul de la rente se situe du 1er mars 1988 au 28 février 1989 ;
- Renvoyer le dossier devant la caisse afin de liquider, au titre de l'action successorale, les droits de l'assuré au regard de la période de référence du 1er mars 1988 au 28 février 1989 ;
- Condamner la caisse à lui verser la somme de 2 000 euros en cause d'appel au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La caisse fait soutenir et déposer par son conseil des conclusions écrites invitant la cour à :
- Confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;
En conséquence,
- Dire que la période de référence à retenir et constituant la base de calcul de la rente de l'assuré s'étend du 1er février 2013 au 31 janvier 2013 ;
- Débouter l'appelante de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner l'appelante aux dépens.
Il est renvoyé aux conclusions déposées par les parties, et visées par le greffe à l'audience, pour un plus ample exposé des moyens et arguments développés au soutien de leurs prétentions.
SUR CE,
La question de l'organisme de sécurité sociale devant verser la rente n'est plus discutée par les parties.
L'appelante soutient que lorsque l'assuré a déclaré une maladie professionnelle alors qu'il occupait un nouvel emploi, et ce peu importe qu'il s'agisse d'une reprise d'activité (étant observé que l'article R. 762-35 du code de la sécurité sociale éclaire le sens des dispositions applicables), ne l'exposant pas à l'amiante, le salaire de référence doit être celui précédant la fin du risque et que la charge des prestations, indemnités et rentes incombe à la caisse ou à l'organisme spécial de sécurité sociale à laquelle la victime était affiliée à la date de la première constatation médicale de la maladie et ce conformément à l'article D. 461-7 du code de la sécurité sociale. Elle explique qu'ainsi, l'élément déterminant à retenir pour fixer l'année de référence est donc la fin de l'exposition au risque. Elle observe que l'assuré a été exposé à l'inhalation de poussières d'amiante durant sa carrière au sein d'EDF entre 1974 et 1989 en qualité de chaudronnier et qu'à partir de 1989 il a poursuivi sa carrière en qualité de détaché syndical, de sorte que la date certaine de la fin de l'exposition au risque amiante peut être fixée au 1er mars 1989 date de sa mutation. Elle sollicite donc que la rente ante mortem soit calculée sur la base du salaire annuel brut perçu du 1er mars 1988 au 28 février 1989, soit les 12 derniers mois précédant le dernier jour d'exposition en application de l'article R. 461-7 du code de la sécurité sociale.
La caisse réplique que l'assuré a exercé une activité de chaudronnier de 1962 à 1967 auprès de la SNCF et de 1968 à 1989 au sein de la société EDF-GRPT, puis a continué à travailler pour EDF jusqu'en 2003 en qualité d'agent technique sans être exposé au risque du tableau n°30 et qu'il a fait valoir ses droits à la retraite en février 2003. Elle ajoute que l'assuré a exercé une activité salariée relevant du régime général de 2010 à 2013. Elle rappelle que l'assuré a déclaré sa maladie professionnelle le 8 février 2013 et que le médecin-conseil a retenu la date du 5 mars 2012 comme date de première constatation médicale de la maladie, de sorte qu'au 5 mars 2012, l'assuré avait repris l'activité salariée relevant du régime général. La maladie professionnelle de l'assuré a donc été prise en charge par le régime général conformément aux dispositions édictées par l'article D. 461-24 du code de la sécurité sociale. Elle explique que pour calculer la rente, et en l'absence d'arrêt de travail, elle a pris en compte les salaires perçus au cours des 12 mois civils qui ont précédé la date de consolidation, soit les salaires perçus du 1er février 2013 au 31 janvier 2013, et que, dans la mesure où ces salaires étaient inférieurs au salaire minimum, elle a pris en compte le salaire annuel minimum en vigueur au dernier jour de la période de référence, soit la somme de 17 921,64 euros revalorisée à 18 263,55 euros. Elle soutient que la dérogation visée au premier alinéa de l'article R. 461-7 du code de la sécurité sociale n'est pas applicable à l'assuré dans la mesure où il n'a bénéficié d'aucun arrêt de travail à la suite de sa maladie, n'a pas quitté l'emploi qui l'exposait au risque de l'amiante pour un nouvel emploi où il percevait un salaire inférieur en ce sens qu'il était à la retraite depuis février 2003 quand en 2010 il a repris une activité relevant du régime général de la sécurité sociale, et a exercé une activité salariée à la date de la première constatation médicale de sa maladie le 5 mars 2012. Elle se prévaut de la lettre interministérielle du 26 juin 2991 venue préciser que « lorsque l'IPP intervient sans arrêt de travail, la période de référence à retenir et celle des 12 mois civils qui précèdent la date de consolidation ». Elle conclut que l'assuré qui a été informé du lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle par certificat médical du 8 février 2013 a été consolidé à cette date et n'a donc bénéficié d'aucun arrêt de travail, de sorte que le salaire de référence à prendre en considération pour le calcul de sa rente est celui des 12 mois précédant la date de consolidation de son état de santé, soit le salaire perçu du 1er février 2012 au 31 janvier 2013. Enfin, elle observe que les dispositions de l'article R. 762-35 du code de la sécurité sociale concernent des régimes divers et en particulier celui des travailleurs français résidant à l'étranger ce qui n'est pas le cas de l'assuré.
L'article R. 434-29, premier alinéa, du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, disposait que :
« Pour le calcul des rentes, le salaire mentionné à l'article R. 436-1 s'entend de la rémunération effective totale reçue chez un ou plusieurs employeurs pendant les douze mois civils qui ont précédé l'arrêt de travail consécutif à l'accident. Ce salaire est revalorisé par application des coefficients mentionnés à l'article L. 434-17 si, entre la date de l'arrêt de travail et la date de consolidation, un ou plusieurs arrêtés de revalorisation sont intervenus. »
L'article R. 436-1, premier alinéa, du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable, disposait que :
« Le salaire servant de base au calcul de l'indemnité journalière et des rentes par application des articles L. 433-2 et L. 434-15 s'entend de l'ensemble des salaires et des éléments annexes de celui-ci afférents à la période à considérer dans chacun des cas prévus aux articles R. 433-4 et R. 434-29, compte tenu, s'il y a lieu, des avantages en nature et des pourboires, déduction faite des frais professionnels et des frais d'atelier et non comprises les prestations familiales légales ni les cotisations patronales de sécurité sociale ni les cotisations patronales à des régimes de retraite ou de prévoyance complémentaires. »
L'article R. 461-7 du code de la sécurité sociale dispose que :
« Par dérogation aux dispositions de l'article R. 434-29, dans le cas où, au moment de l'arrêt de travail, la victime occupait un nouvel emploi ne l'exposant pas au risque de la maladie constatée et dans lequel elle percevait un salaire inférieur à celui qu'elle aurait perçu si elle n'avait pas quitté l'emploi qui l'exposait au risque, ce dernier salaire est substitué au salaire réellement touché.
« Ce même salaire fictif est pris en considération dans le cas où, à la date de la première constatation médicale de la maladie, dans le délai de prise en charge mentionné au cinquième alinéa de l'article L. 461-2, la victime n'exerçait plus aucune activité salariée ou assimilée. »
En application combinée de ces articles, dans le cas où l'incapacité permanente résulte d'une maladie n'ayant pas entraîné d'arrêt de travail, le salaire annuel de la victime servant de base au calcul de la rente ne peut s'entendre que du salaire correspondant à la période de douze mois qui a précédé la fin de l'exposition au risque.
En l'espèce, il est constant que l'assuré a été exposé au risque amiante jusqu'au 1er mars 1989 et que sa maladie a été médicalement constatée le 5 mars 2012 et prise en charge au titre du tableau n°30 relatif aux pathologies professionnelles provoquées par l'inhalation de poussières d'amiante.
Après 1989, l'assuré n'a plus été exposé au risque amiante qui est à l'origine de la pathologie prise en charge au titre de la législation professionnelle et dont il décédera ensuite.
Il est indifférent qu'il n'ait bénéficié d'aucun arrêt de travail à la suite de sa maladie lors de sa constatation médicale, n'ait pas quitté au préalable l'emploi qui l'exposait au risque d'inhalation de poussières d'amiante pour un nouvel emploi où il percevait un salaire inférieur en ce sens qu'il a été admis au bénéfice de la retraite en février 2003 et qu'en 2010 il a repris une activité relevant du régime général de la sécurité sociale, activité salariée qu'il exerçait toujours à la date de la première constatation médicale de sa maladie le 5 mars 2012.
Les droits de l'assuré doivent donc être calculés sur la base des salaires des douze mois précédant la fin de l'exposition au risque amiante, soit du 1er mars 1988 au 28 février 1989.
Le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions.
La caisse sera condamnée aux dépens.
Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'appelante l'intégralité des frais irrépétibles.
Il lui sera alloué la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DÉCLARE l'appel recevable ;
INFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau ;
DIT que la période de référence à retenir et constituant la base de calcul de la rente est celle du 1er mars 1988 au 28 février 1989 ;
RENVOIE [Z] [R] devant la Caisse Primaire d'Assurance maladie du Val-de-Marne pour la liquidation, au titre de l'action successorale, des droits de feu [Y] [R] au regard de la période de référence du 1er mars 1988 au 28 février 1989 ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Val-de-Marne à payer à [Z] [R], ayant droit de feu [Y] [R], la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d'Assurance Maladie du Val-de-Marne aux dépens d'appel.
La greffière Le président