REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 3
ARRET DU 11 JANVIER 2023
(n° , 5 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/10780 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CA3JY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 02 Septembre 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de VILLENEUVE SAINT GEORGES - RG n°18/539
APPELANT
Monsieur [J] [I]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean-pierre LAIRE, avocat au barreau de PARIS, toque : B1101
INTIMEES
SA AIR FRANCE
[Adresse 3]
Roissy charles de gaulle
[Localité 6]
Représentée par Me Jérôme DANIEL, avocat au barreau de PARIS, toque : G0035
SAS TRANSAVIA FRANCE prise en la personne de son représentant légal en exercice y domicilié
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentée par Me Harold HERMAN, avocat au barreau de PARIS, toque : T03
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 22 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :
Mme Anne MENARD, Présidente de chambre
Mme Véronique MARMORAT, Présidente de chambre
Madame Roselyne NEMOZ-BENILAN, Magistrat Honoraire
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame MENARD Anne Présidente de chambre dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.
Greffier, lors des débats : Mme Sarah SEBBAK stagiaire en préaffectation
Ministère public :
représenté lors des débats par PIETRI Antoine , qui a fait connaître son avis.
ARRET :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Anne MENARD, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffier en préaffectation à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Exposé du litige
Monsieur [I] a été recruté par la société Air France par un contrat de travail à durée indéterminée du 4 mai 2015 en qualité d'officier pilote de ligne, composant le personnel navigant technique, pour être simultanément détaché auprès de la société Transavia France. Un double lien contractuel régit les relations entre les parties, d'une part, le contrat de travail conclu entre la société Air France et le salarié, suspendu pendant la durée du détachement, et d'autre part, le contrat de travail signé entre la société Transavia France et le salarié détaché.
Aux termes d'une convention de formation signée avec la société Transavia France, cette dernière s'est engagée à prendre en charge le coût de la qualification de type B737 en contrepartie de l'engagement du pilote sur une durée d'amortissement de la formation de 36 mois en restant au sein de la société Transavia France un minimum de 3 ans (ou 6 saisons). En cas de non-respect de cet engagement par le pilote, celui-ci est redevable d'une indemnité de dédit-formation correspondant au coût de la formation.
Les relations contractuelles entre les parties sont soumises à l'accord relatif au détachement des pilotes Air France au sein de Transavia France du 10 décembre 2014.
L'article 1.1-b du chapitre 4 consacré à la carrière des pilotes est rédigé dans les termes suivants :
« Les OPL recrutés par AIR FRANCE pour être détachés au sein de TRANSAVIA FRANCE à partir de la date de signature du présent accord, pourront exprimer un volontariat à partir de la 6ème saison » (3 ans) « en vue d'une affectation OPL A320 pour la saison suivante : leur volontariat sera prioritaire en cas d'ouverture de poste chez AIR FRANCE.
Les OPL recrutés par AIR FRANCE pour être détachés au sein de TRANSAVIA FRANCE à partir de la date de signature du présent accord pourront exprimer un volontariat à partir de la 8 ème saison » (4 ans) « en vue d'une affectation OPL A320 pour la saison suivante et il y sera donné satisfaction.
En cas d'affectation sur A320, aucun amortissement ni incrément ne sera demandé au titre de cette qualification A320. Cette possibilité n'empêche en aucun cas de réaliser un acte de carrière conformément aux accords en vigueur à AIR FRANCE. »
Au mois de juillet 2016, monsieur [I] a candidaté à un appel d'offres sur A320 au sein de la société Air France. L'examen des candidatures se fait au sein d'une commission paritaire.
Par courrier en date du 1er septembre 2016, le conseil de monsieur [I] et d'une trentaine d'autres pilotes placés dans des situations similaires, a écrit au directeur général adjoint de la société et à la directrice des ressources humaines, pour leur exposer que ses clients avaient appris par une information officieuse avant la commission paritaire que leurs candidatures seraient écartées au profit de pilotes d'autres compagnies ayant réussi leur sélection et étant en attente d'intégration. Il faisait valoir qu'une telle décision entraînerait une violation du principe essentiel du respect des accords collectifs et des engagements contractuels individuels, selon lesquels la sélection des candidats s'opère en fonction de l'ancienneté.
Lors de sa séance du 1er octobre 2016, la commission paritaire n'a pas retenu la candidature de monsieur [I].
Par courrier en date du 4 octobre 2016, la directrice des ressources humaines a répondu au courrier du 1er septembre 2016, en se référant aux conditions de délai prévues par l'article 1.1-b de l'accord du 10 décembre 2014.
Après avoir saisi en référé le conseil de prud'hommes de Bobigny qui l'a débouté de ses demandes, monsieur [I] a saisi au fond le conseil de prud'hommes de Longjumeau, qui s'est déclaré incompétent au profit de celui de Villeneuve Saint Georges, de demandes dirigées contre les deux compagnies.
Par jugement du 2 septembre 2019, le conseil de prud'hommes de Villeneuve Saint Georges a débouté monsieur [I] de ses demandes, et l'a condamné à payer, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, 300 euros à la compagnie Air France et 200 euros à la compagnie Transavia.
Monsieur [I] a interjeté appel de cette décision le 23 octobre 2019.
Par conclusions récapitulatives du 6 janvier 2022, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, il demande à la cour d'infirmer le jugement, de condamner conjointement et solidairement les sociétés Air France et Transavia au paiement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi, et de condamner chacune d'entre elles à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 24 janvier 2022, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Air France demande à la cour de confirmer le jugement, et de condamner monsieur [I] à lui payer une somme de 3.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions récapitulatives du 2 décembre 2021, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société Transavia demande à la cour de confirmer le jugement, et de condamner monsieur [I] à lui payer une somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le ministère public a fait des observations écrites le 19 octobre 2022, et elles ont été communiquées aux parties. Il conclut qu'aucune exécution fautive du contrat de travail par l'employeur n'est caractérisée.
La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.
MOTIFS
Monsieur [I] fait valoir que l'accord relatif au détachement des pilotes Air France ne fait pas obstacle à ce que ces derniers fassent acte de candidature à tout moment, ce qui a été confirmé par une lettre ouverte du directeur des ressources humaines ; que l'expression du volontariat conditionnée par l'ancienneté en saisons IATA est indépendante de la réponse à un appel d'offres qui peut être faite par ailleurs, et que cette possibilité d'acte de carrière vise bien la période de détachement ; qu'aucun accord en vigueur ne fait obstacle à la candidature des pilotes au poste d'OPL chez Air France sur A320.
Il ajoute que l'argument relatif à l'impossibilité d'un acte de carrière en application des règles relatives au financement de la formation des pilotes est inopérant, la présence d'une clause de dédit-formation n'interdisant pas de rompre sa formation ou de ne pas en respecter la durée, mais déterminant simplement les conséquences financières en résultant.
Il soutient que dès lors que des candidatures internes existaient, la société Air France ne pouvait opérer de recrutements externes à due concurrence du nombre de volontaires par rapport aux postes à pourvoir.
La société Air France expose que pour être éligible à un acte de carrière, il est nécessaire de remplir des conditions techniques (qualification/formations/diplôme) et des conditions administratives tenant à une durée minimale d'affectation et à l'incrément de qualification de type avion ; qu'il est prévu une durée minimale déterminée en nombre de saisons IATA (deux saisons équivalent à une année) avant de pouvoir exprimer un volontariat sur une opportunité de poste cher Air France pour les salariés détachés chez Transavia, et que la contrepartie de ce système d'affectation minimale au sein de Transavia France est qu'aucun amortissement ni incrément nouveau n'est demandé au pilote de retour de détachement chez Air France au titre de cette 2ème qualification.
Elle soutient qu'au jour où le salarié a candidaté pour intégrer le programme prévisionnel de plan de qualification d'OPL sur l'A320 pour la saison hiver 2016/2017, il se trouvait toujours dans la période minimale de détachement et ne pouvait donc émettre un quelconque volontariat en vue d'une telle affectation, faute de satisfaire aux diverses conditions requises, à commencer par celle touchant à l'ancienneté, et ajoute que le salarié dénature le texte de l'accord du 10 décembre 2014 dont les clauses sont claires, transformant une absence d'interdiction de faire acte de carrière en un droit d'affectation prioritaire.
La société Transavia France soutient que le salarié fait une interprétation spécieuse de l'accord de détachement Air France qui lui est applicable ; qu'il est prévu une durée minimale en saisons IATA avant de pouvoir exprimer un volontariat sur une opportunité de poste chez Air France ; qu'en cas d'affectation sur A320, aucun amortissement ni incrément ne sera demandé au titre de la qualification A320, cette affectation précise n'empêchant en aucun cas de réaliser un acte de carrière conformément aux accords en vigueur à Air France.
Elle fait valoir que pendant le détachement, la situation du salarié est régie par les dispositions de l'avenant n°'14 à l'ACEPNT de Transavia France, qui lui est opposable, et que le salarié omet les dispositions contractuelles auxquelles il s'est engagé, la durée minimale prévue à l'avenant n°'14 de l'ACEPNT correspondant à la durée d'amortissement due par les pilotes ayant bénéficié d'une qualification prise en charge par la compagnie aérienne.
*
La cour rappelle les dispositions de l'accord d'entreprise du 10 décembre 2014, aux termes desquelles :
« Les OPL recrutés par AIR FRANCE pour être détachés au sein de TRANSAVIA FRANCE à partir de la date de signature du présent accord, pourront exprimer un volontariat à partir de la 6ème saison (3 ans) en vue d'une affectation OPL A320 pour la saison suivante : leur volontariat sera prioritaire en cas d'ouverture de poste chez AIR FRANCE.
Les OPL recrutés par AIR FRANCE pour être détachés au sein de TRANSAVIA FRANCE à partir de la date de signature du présent accord pourront exprimer un volontariat à partir de la 8 ème saison (4 ans) en vue d'une affectation OPL A320 pour la saison suivante et il y sera donné satisfaction.
En cas d'affectation sur A320, aucun amortissement ni incrément ne sera demandé au titre de cette qualification A320. Cette possibilité n'empêche en aucun cas de réaliser un acte de carrière conformément aux accords en vigueur à AIR FRANCE. »
L interprétation à contrario de ces dispositions amène nécessairement à considérer que tout acte de carrière réalisé avant la 6ème saison Iata n'ouvre droit à aucune priorité, à défaut de quoi, les dispositions précitées seraient privées de tout effet.
Il en résulte que s'il est possible pour les pilotes détachés de présenter une candidature à tout moment, ce qui signifie qu'il n'existe pas d'opposition de principe à ce que la compagnie Air France mette fin prématurément au détachement en permettant au pilote de réaliser un acte de carrière, elle n'y est en revanche pas tenue tant que ne sont pas réunies les conditions d'ancienneté.
En l'espèce, si le salarié indique que la décision de rejet de sa candidature ne lui a pas été notifiée, il ressort toutefois des éléments du dossier que l'acte de carrière a bien été transmis à la commission paritaire habilitée à en connaître, et qu'il a été examiné le 1er octobre 2014.
Le compte rendu de cette commission n'est pas versé aux débats par les parties. Pour autant, la cour observe que monsieur [I] n'était détaché que depuis peu de temps auprès de la compagnie Transavia, laquelle risquait de se trouvée privée de plus de trente de ses pilotes dont elle était en train de financier la formation sur B 737. Dans ces conditions, le choix de ne pas retenir sa candidature ne constitue pas une exécution déloyale du contrat de travail, dans un contexte où les dispositions conventionnelles qui autorisaient le salarié à présenter sa candidature n'avaient aucune caractère contraignant pour la compagnie qui n'était pas tenue de la retenir.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté monsieur [I] de ses demandes.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 du code de procédure civile,
CONFIRME le jugement.
Vu l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE monsieur [I] à payer à la société Air France en cause d'appel la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE monsieur [I] à payer à la société Transavia en cause d'appel la somme de 1.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.
CONDAMNE monsieur [I] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE