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11/01/2023 | FRANCE | N°19/07664

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 4, 11 janvier 2023, 19/07664


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 4



ARRET DU 11 JANVIER 2023



(n° , 5 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07664 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAJMV



Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 18/00403



APPELANT



Monsieur [D] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

né le 20 Février 1966 à [Localit

é 5] (ITALIE)

Représenté par Me Véronique MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : C 956



INTIMEE



SAS SOLUMAT ILE-DE-FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 383 140 399

Représ...

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 4

ARRET DU 11 JANVIER 2023

(n° , 5 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/07664 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CAJMV

Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mai 2019 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EVRY - RG n° 18/00403

APPELANT

Monsieur [D] [L]

[Adresse 1]

[Localité 3]

né le 20 Février 1966 à [Localité 5] (ITALIE)

Représenté par Me Véronique MEYER, avocat au barreau de PARIS, toque : C 956

INTIMEE

SAS SOLUMAT ILE-DE-FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 4]

N° SIRET : 383 140 399

Représentée par Me Philippe ROZEC, avocat au barreau de PARIS, toque : R045

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 15 Novembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre

Mme Anne-Gaël BLANC, Conseillère

Mme Florence MARQUES, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Anne-Gaël BLANC dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Jean-François DE CHANVILLE, Président de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :

Par contrat à durée indéterminée du 16 septembre 1991, M. [D] [L], né le 20 février 1966, a été embauché par la société SICRA en qualité de maçon boiseur. Il a ensuite été dépanneur, puis ouvrier d'entretien polyvalent.

Le 1er juillet 2014, son contrat de travail a été transféré à la SAS Solumat Ile-de-France, filiale du groupe Vinci construction France, entreprise de travaux publics et de location de machines et équipements pour la construction, qui applique la convention collective nationale du bâtiment.

Dans le dernier état de la relation de travail, le salaire moyen de M. [L] était de 2.450,99 euros brut.

Le salarié a été victime d'un accident du travail le 4 décembre 2008 alors qu'il déchargeait des poutrelles d'un camion, son pied ayant glissé de la roue du véhicule sur lequel il avait pris appui pour se hisser en hauteur, entraînant sa chute et celle des poutrelles qui retombaient sur sa jambe provoquant une fracture du genou et de la cheville.

M. [L] a ensuite été en arrêt de travail de manière continue.

Le 20 juillet 2016, M. [L] était déclaré inapte à son poste. Le médecin du travail le déclarait néanmoins apte à un poste de type administratif.

M. [L] a été convoqué le 31 août 2016 à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 7 septembre suivant puis a été licencié pour inaptitude d'origine professionnelle sans possibilité de reclassement le 15 septembre 2016.

Le 7 mars 2017, il a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Evry d'une demande tendant à faire reconnaître une faute inexcusable de son employeur.

Le 25 avril 2018, contestant son licenciement et sollicitant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation de ses préjudices financiers, professionnels, de santé et moral, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes d'Evry qui, par jugement du 27 mai 2019 a rejeté sa demande d'annulation du licenciement mais jugé celui-ci sans cause réelle et sérieuse pour manquement de l'employeur à son obligation de reclassement, le dispositif mentionnant une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et condamné la société Solumat Ile-de-France à payer 28.833,60 euros d'indemnité à ce titre avec intérêts au taux légal à compter du jugement, outre 1.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile. Le conseil ordonnait également la remise à M. [L] d'une attestation Pôle Emploi, d'un bulletin de paie récapitulatif et d'un certificat de travail. Le surplus des demandes était en revanche rejeté.

Le 2 juillet 2019 M. [L] a fait appel, suivant de cette décision, qui lui avait été notifiée le 28 juin précédent.

Par conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 6 avril 2021, il demande à la cour d'infirmer le jugement sauf, sur le principe d'une rupture à tout le moins dépourvue de cause réelle et sérieuse et, statuant à nouveau et y ajoutant, de :

- principalement, juger que son licenciement est nul en raison d'une discrimination liée à son état de santé ;

- subsidiairement, juger son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Solumat Ile-de-France à lui payer 635.968 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation de son préjudice professionnel et financier lié à la perte de ses gains professionnels actuels et futurs et de ses pertes de droits à la retraite, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner la société Solumat Ile-de-France à lui payer 300.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation de son préjudice de santé découlant du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner la société Solumat Ile-de-France à lui payer 300.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation de son préjudice moral, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- condamner la société Solumat Ile-de-France au paiement de la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation de son préjudice pour agissements discriminatoires liés à sa santé et handicap, avec intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

- en tout état de cause, assortir les créances indemnitaires des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir ;

- condamner la société Solumat Ile-de-France à lui payer 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 17 décembre 2019, la société Solumat Ile-de-France demande à la cour :

- principalement d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de rejeter l'ensemble des demandes de M. [L] ;

- subsidiairement, de confirmer le jugement ;

- en tout état de cause, de condamner M. [L] à lui payer 1.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions pour l'exposé des moyens des parties.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

1 : Sur la demande de nullité du licenciement

L'article L.1132-1 du code du travail prohibe la discrimination des salariés en raison de leur état de santé.

Cependant, en application de l'article L.1133-3 du code du travail, les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées.

Or au cas présent, le médecin du travail a bien constaté l'inaptitude médicale du salarié à son poste de travail en application de l'article R.4624-31 du code du travail dans sa version applicable au litige peu important, contrairement à ce que soutient l'appelant, qu'il ait été déclaré apte à un autre poste dans l'entreprise.

La demande de nullité et la demande subséquente de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation d'agissements discriminatoires liés à la santé et au handicap seront rejetées et le jugement confirmé et complété de ces chefs.

2 : Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement

Aux termes de l'article L.4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.

En outre en application de l'article L.4121-2 du même code, l'employeur met en oeuvre les mesures prévues à l'article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :

1° Eviter les risques ;

2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;

3° Combattre les risques à la source ;

4° Adapter le travail à l'homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;

5° Tenir compte de l'état d'évolution de la technique ;

6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n'est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;

7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, tel qu'il est défini à l'article L. 1152-1 ;

8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;

9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs.

Au visa de ces dispositions, le licenciement d'un salarié est sans cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l'inaptitude à l'origine du licenciement est consécutive à un manquement préalable de l'employeur à son obligation de sécurité.

Une telle demande qui vise à la réparation du préjudice lié au caractère illicite ou abusif de la rupture et non d'un préjudice né de l'accident du travail relève de la juridiction prud'homale qui doit néanmoins limiter l'indemnisation allouée aux seules conséquences de celles-ci à l'exception des suites médicales de l'accident ou de la maladie dont l'indemnisation relève exclusivement des juridictions de Sécurité sociale.

Au cas présent, il ressort des documents médicaux, des attestations produites, du compte-rendu d'accident, de la fiche information accident et du rapport de l'inspecteur du travail que l'inaptitude du salarié est la conséquence de l'accident du 4 décembre 2018 dont la survenue a notamment été causée par l'absence d'équipement de protection adapté, le travail en hauteur sans protection spécifique, le fait que les paquets de poutrelles ne soient pas cerclés, le défaut d'utilisation des quais de déchargement et l'absence de personnel encadrant présent pour faire respecter les règles de sécurité en amont de l'accident et pour intervenir après celui-ci.

Il convient dès lors de juger que l'inaptitude du salarié trouve son origine dans un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, peu important que le salarié ait pu contribuer à la réalisation des risques en positionnant son pied sur une roue du véhicule ou que l'employeur ait par ailleurs pris des mesures de prévention insuffisantes en l'espèce.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il juge la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse, le dispositif devant néanmoins être rectifié en ce qu'il fait état d'une prise d'acte inexistante.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la charge de l'employeur compense le préjudice subi du fait de la rupture et ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Au cas présent, au regard de l'ancienneté du salarié, de la perte d'employabilité liée à son âge et à sa situation de santé, la somme de 40.000 euros lui sera allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse toutes causes de préjudice confondues à savoir le préjudice moral, le préjudice financier et le préjudice professionnel, étant rappelé que l'indemnisation des suites médicales de l'accident ou de la maladie relève exclusivement des juridictions de Sécurité sociale.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il limite le montant des dommages et intérêts à 28.833,60 euros mais confirmé en ce qu'il rejette le surplus des demandes indemnitaires pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au titre du préjudice de santé.

Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du jugement du 27 mai 2019 sur 28.833,60 euros et du présent arrêt pour le surplus.

3 Sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé sur la remise des documents de fin de contrat, les dépens et les frais irrépétibles.

Partie perdante en appel, l'employeur sera condamné au paiement des dépens et à la somme de 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile dont distraction au profit de son conseil.

PAR CES MOTIFS :

La cour :

- Confirme le jugement du conseil de prud'hommes d'Evry du 27 mai 2019 sauf en ce qu'il juge que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et sur le montant des dommages et intérêts à ce titre et l'infirme sur ces points ;

Statuant à nouveau et y ajoutant :

- Rejette la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation d'agissements discriminatoires liés à la santé et au handicap ;

- Juge le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- Condamne la SAS Solumat Ile-de-France à payer à M. [D] [L] la somme de 40.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2019 sur 28.833,60 euros et du présent arrêt pour le surplus ;

- Condamne la SAS Solumat Ile-de-France à payer à M. [D] [L] la somme de 2.500 euros au titre de ses frais irrépétibles ;

- Condamne la SAS Solumat Ile-de-France aux dépens dont distraction au profit de son conseil.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 4
Numéro d'arrêt : 19/07664
Date de la décision : 11/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-11;19.07664 ?
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