RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 09 Janvier 2023
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/08034 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5WU
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Justine FOURNIER, greffière lors des débats et de Florence GREFORI, greffière lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 27 Mars 2020 par:
M. [O] [X]
né le [Date naissance 1] 1995 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 2]
[Adresse 2] ;
Comparant
Assisté par Me Josée ISRAËL - AARPI BOTHIS - avocat au barreau de Paris (C1857)
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 05 Décembre 2022 ;
Entendus :
Me Josée ISRAËL de la AARPI BOTHIS, avocate au barreau de Paris représentant M. [O] [X],
Me Xavier NORMAND BODARD de la SCP NORMAND & ASSOCIES, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [O] [X], de nationalité française, mis en examen des chefs de meurtre en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de commettre un crime a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 4] du 11 novembre 2016 au 25 octobre 2019.
Il a bénéficié d'une décision d'acquittement rendue le 25 octobre 2019 par la cour d'assises de Saine Saint Denis. Cette décision est définitive selon certificat de non appel du 13 novembre 2019.
Le 27 mars 2020, M. [X] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans ses dernières conclusions en date du 20 septembre 2022, développées oralement, les sommes suivantes :
- 110 000 euros au titre de son préjudice moral,
- 15 348 euros au titre de la perte de chance de trouver un emploi,
- 3 500 euros au titre des frais exposés pour sa défense,
- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures, déposées et notifiées le 31 janvier 2022, reprises oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de ramener à de plus justes proportions les demandes formulées, lesquelles ne sauraient excéder 7 363,41 euros au titre du préjudice matériel et 75 000 euros au titre du préjudice moral outre une indemnité procédurale.
Le procureur général, dans ses conclusions du 16 août 2022, soutenues oralement à l'audience conclut à la recevabilité de la requête pour une détention d'une durée de deux ans onze mois et quatorze jours, la réparation du préjudice moral prenant en considération l'âge, le choc carcéral et les conditions de détention ainsi qu'à la réparation du préjudice matériel consistant en une perte de chance de retrouver un emploi.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE,
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes
indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [X] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 27 mars 2020, dans le délai de six mois suivant le jour où la décision de relaxe est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel produit ; cette requête est signée par son avocat et la décision de relaxe n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
La demande de M. [X] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 11 novembre 2016 au 25 octobre 2019, soit pour une durée de deux ans, onze mois et quatorze jours.
Sur l'indemnisation
- Le préjudice moral
M. [X] allègue d'un choc carcéral particulièrement important au regard de son âge au moment de son incarcération, de la durée de la détention, de la séparation familiale subie, de la souffrance liée au désarroi causé par sa détention à sa famille, de la peine encourue et des conditions d'incarcération particulièrement difficiles.
M. [X], âgé de 21 lors de son incarcération, était célibataire et sans enfant. Il a subi un choc carcéral important qui n'a pas été amoindri par une précédente incarcération.
Doivent être pris en compte, au titre des facteurs d'aggravation du choc carcéral subi par le requérant, son absence d'antécédents judiciaires, la séparation familiale, l'enquête de personnalité établissant que la fratrie était très proche et très soudée, la longueur très importante de la détention et les conditions de détention à la maison d'arrêt de [Localité 4], établissement surpeuplé et vétuste ainsi que l'attestent le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté daté de novembre 2018 et les articles de presse produits.
La souffrance liée au désarroi causé par sa détention à sa famille est nécessairement comprise dans le préjudice moral résultant de la séparation familiale.
Il convient, en conséquence, de lui allouer la somme de 90 000 euros en réparation de son préjudice moral.
- Le préjudice matériel
M. [X] évoque la perte de chance de trouver un emploi et les frais exposés pour sa défense.
L'agent judiciaire de l'Etat relève que M. [X], qui n'avait pas d'emploi avant son incarcération et était inscrit à Pôle emploi, a cherché et retrouvé un emploi assez rapidement après sa sortie de détention provisoire mais considère que sa perte de chance ne peut être évaluée qu'à hauteur de 30% sur la base de la rémunération nette perçue postérieurement soit 7 363,41 euros. S'agissant des frais d'avocat, il fait valoir que les notes d'honoraires fournies ne sont pas ventilées, de sorte que la demande ne peut qu'être rejetée.
Il est établi d'une part qu'avant son incarcération, M. [X], inscrit depuis le 20 juillet 2016 à Pôle emploi, recherchait un emploi d'employé polyvalent et, d'autre part, qu'il a occupé plusieurs emplois depuis sa levée d'écrou, le premier ayant été obtenu dès janvier 2020, rémunéré au SMIC.
Sa perte de chance, qui est sérieuse au vu de son âge et des justificatifs d'emploi produits, peut être évaluée à 60%, soit compte tenu des rémunérations nettes perçues postérieurement à sa détention, la somme de 15 000 euros.
Enfin, les factures d'honoraires produites mentionnent des diligences autres que celle liées à la détention provisoire proprement dite et elles n'isolent pas le coût des diligences exclusivement liées à la privation de liberté.
Le délégué du premier président n'ayant pas le pouvoir d'évaluer le coût afférent à ces diligences, M. [X] sera débouté de sa demande à ce titre.
Il convient, par suite,de lui allouer la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice matériel.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons la requête de M. [X] recevable,
Allouons à M. [X] les sommes suivantes :
- 90 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 15 000 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 09 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ