RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 09 Janvier 2023
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/07978 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5SK
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Justine FOURNIER, greffière lors des débats et de Florence GREGORI, greffière lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 28 Février 2020 par :
M. [L] [M]
le [Date naissance 1] 1986 à [Localité 6]
demeurant [Adresse 2] ;
Non comparant
Représenté par Me BILAND Christophe - avocat au barreau de L'ESSONNE - présent
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 05 Décembre 2022 ;
Entendus
Me Christophe BILAND représentant M. [L] [M],
Me Colin MAURICE de la SARL CM & L AVOCATS,avocat au barreau de Paris, représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [L] [M], de nationalité française, mis examen des chefs de meurtre avec préméditation et violences volontaires avec arme n'ayant pas entraîné d'ITT a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 7] du 30 novembre 2007 au 29 novembre 2008. A l'issue de l'information judiciaire et après requalification des faits, le juge d'instruction a ordonné son renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris pour y être jugé du chef de non dénonciation de crime, lequel par jugement rendu le 5 avril 2019, l'a relaxé des fins de la poursuite. Cette décision est définitive selon certificat de non appel du 7 octobre 2019.
Le 28 février 2020, M. [M] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite aux termes de sa requête et de ses dernières conclusions déposées le 8 février 2021, développées oralement, les sommes suivantes :
- 14 230 euros au titre de la réparation de son préjudice matériel,
- 48 000 euros au titre de la réparation de son préjudice moral,
- 1 200 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Il a précisé abandonner sa demande au titre de l'irrecevabilité des conclusions de l'agent judiciaire de l'Etat.
Dans ses dernières écritures déposées le 24 novembre 2022, reprises oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel :
- à titre principal, de déclarer irrecevable la requête déposée le 28 février 2020 par M. [L] [M] et en tout état de cause, lui donner acte de ses réserves sur la recevabilité de la requête eu égard aux conditions posées par les articles 149 et suivants ainsi que par les articles R.26 et suivants du code de procédure pénale compte tenu de l'absence de transmission des notes d'audience ayant abouti au jugement de relaxe du 5 avril 2019 et de la fiche pénale,
- à titre subsidiaire, surseoir à statuer dans l'attente de la communication des notes d'audience ayant abouti au jugement de relaxe du 5 avril 2019,
- à titre très subsidiaire, rejeter la demande d'indemnisation du préjudice matériel,
- fixer à la somme de 30 000 euros le montant dû à M. [L] [M] au tire du préjudice moral,
- statuer ce que de droit sur sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 28 septembre 2022, conclut à la recevabilité de la requête pour une indemnisation de la détention provisoire d'une durée de 364 jours, à la réparation du préjudice moral tenant compte de la durée de la détention, de l'âge du requérant et du choc carcéral, mais au rejet du préjudice matériel qui n'est pas documenté.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149, 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [M] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 28 février 2020, soit au-delà du délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel en date du 7 octobre 2019 produit ; cette requête est signée par son avocat et la décision n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
Si le premier président de la cour d'appel doit être saisi dans le délai de six mois prévu par l'article 149-2 du code de procédure pénale, ce délai ne court que si lors de la notification de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, la personne concernée a été avisée de son droit de demander une réparation dans les conditions et formes prévues aux articles 149 dernier alinéa et R.26 du code de procédure pénale.
Ce délai ne court pas en l'espèce puisqu'il résulte du jugement de relaxe du 5 avril 2019 que le requérant n'a pas été informé de son droit à indemnisation.
La demande de M. [M] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 30 novembre 2007 au 29 novembre 2008, soit pour une durée de 364 jours, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer pour obtenir des notes d'audience lesquelles en tout état de cause n'ont pas à mentionner la notification de ce droit.
Sur l'indemnisation
- Sur le préjudice matériel
M. [M], qui indique qu'au moment de son incarcération il travaillait dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée auprès des entrepôts de la société [3] situés à [Localité 5], fait état d'une perte de salaire de 14 230 euros correspondant à son salaire annuel.
Le ministère public et l'agent judiciaire de l'Etat concluent au rejet de la demande, le seul relevé de carrière produit étant insuffisant à établir l'existence de l'emploi allégué.
A l'appui de sa demande M. [M] ne produit ni contrat de travail ni bulletins de salaire antérieurs à son incarcération mais uniquement un relevé de carrière de l'assurance retraite au 20 septembre 2019 qui mentionne des revenus de 14 230 euros pour l'année 2007 (supermarché [4]) et de 650 euros pour l'année 2008 (supermarché [4]) ainsi qu'un relevé de retraite complémentaire Agirc-Arrco qui fait mention de périodes travaillées chez [3] du 1er janvier 2007 au 3 janvier 2008, en contradiction avec la fiche pénale.
Ces documents sont insuffisants à établir la preuve d'un contrat à durée indéterminée antérieur à l'incarcération et donc la perte de revenus nets, en sorte que la demande à ce titre ne peut qu'être rejetée.
- Sur le préjudice moral
M. [M] invoque un choc carcéral aggravé par la nature criminelle des faits reprochés alors qu'il n'avait jamais été poursuivi ou détenu auparavant dans le cadre d'une telle procédure et le retentissement psychologique lié à son incarcération pour un crime dont il se savait innocent.
Le ministère public et l'agent judiciaire de l'Etat ne contestent pas le principe d'un préjudice moral mais en sollicitent la réduction, le second soulignant l'existence d'une précédente incarcération en 2010.
A la date de son incarcération, M. [M] était âgé de 20 ans, célibataire et sans enfant.
Le choc carcéral n'a pas été diminué par l'existence d'une précédente incarcération puisque c'est le 20 janvier 2010, soit postérieurement à la détention provisoire litigieuse, que M. [M] a de nouveau été écroué.
En revanche, la nature criminelle de l'infraction reprochée et son sentiment d'injustice lié à la proclamation de son innocence ne peuvent être retenus comme un facteur d'aggravation du préjudice moral.
Le préjudice moral sera réparé par l'allocation d'une somme de 30 000 euros à ce titre.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons la requête de M. [L] [M] recevable ;
Déboutons l'agent judiciaire de l'Etat de sa demande de sursis à statuer,
Allouons à M. [M] les sommes suivantes :
- 30 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboutons M. [M] de sa demande en réparation de son préjudice matériel,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 09 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ