RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 09 Janvier 2023
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/07936 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CB5O6
Décision réputée contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Justine FOURNIER, greffière, lors des débats, et de Florence GREGORI, greffière lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 07 Février 2020 par :
M. [I] [U]
né le [Date naissance 1] 1991 à [Localité 3] (91) ,
demeurant [Adresse 2] ;
Non comparant
Me Nabil EL OUCHIKILI - avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS - Non présent
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 05 Décembre 2022 ;
Entendus,
Me Colin MAURICE de la SARL CM & L AVOCATS, avocat au barreu de Paris, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique,
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [I] [U], de nationalité française, mis en examen pour des chefs d'agressions sexuelles en état de récidive légale et viols, a été placé en détention provisoire au centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin-Neufmontier du 16 novembre 2016 au 4 juin 2018, date à laquelle il a été placé sous contrôle judiciaire. Il a, en outre, été détenu pour autre cause du 24 novembre 2017 au 20 mars 2018.
Le 19 juillet 2019, une ordonnance de non-lieu a été prononcée. Cette décision est définitive selon certificat de non appel du 24 septembre 2019.
Le 7 février 2020, M. [U] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans sa requête et ses dernières conclusions du 20 octobre 2022, les sommes suivantes :
- 100 000 euros au titre de son préjudice moral,
- 25 200 euros au titre de son préjudice matériel,
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par écritures, déposées le 19 octobre 2022 et notifiées, reprises oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de :
- juger que les périodes ouvrant droit à indemnisation sont celles allant du 16 novembre 2016 au 23 novembre 2017 et du 21 mars 2018 au 4 juin 2018, soit une durée de un an, deux mois et vingt jours,
- allouer à M. [U] les sommes de 7 333 euros en réparation de son préjudice matériel et de 26 500 en réparation de son préjudice moral,
- rejeter le surplus des demandes de M. [U],
- ramener à de plus justes proportions le montant sollicité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Le procureur général, dans ses conclusions du 28 septembre 2022, soutenues oralement à l'audience, conclut à :
- la recevabilité de la requête pour une détention de un an, deux mois et vingt jours, précisant qu'il convient de tenir compte d'une réduction de peine de 35 jours accordée,
- la réparation du préjudice moral prenant en considération ses précédentes incarcérations,
- la réparation du préjudice matériel en prenant en considération la perte de chance d'embauche.
Ni M. [U] ni son conseil n'ont comparu.
SUR CE
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
Le délai de six mois ne court à compter de la décision définitive que si la personne a été avisée de son droit de demander réparation ainsi que des dispositions des articles 149-1,149-2 et 149-3 du code précité.
M. [U] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 7 février 2020, soit au-delà du délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive selon certificat de non appel du 24 septembre 2019. Cependant, l'ordonnance de non-lieu du 19 juillet 2019 ne lui a été notifiée que le 30 août 2019, de sorte que le point de départ du délai n'a pas commencé à courir avant cette date.
Cette requête est signée par son avocat et la décision de non-lieu n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
Doit être déduite de la durée de la détention subie au titre de la peine mise à exécution, l'ensemble des réductions de peine et grâces dont l'intéressé a bénéficié ainsi que la détention subie pour autre cause. La demande de M. [U] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 16 novembre 2016 au 23 novembre 2017 et du 21 mars 2018 au 4 juin 2018, soit une durée de un an, deux mois et vingt jours.
Sur l'indemnisation
- Sur le préjudice moral
M. [U] allègue de la durée de la détention provisoire, soit 19 mois, des conditions de celle-ci durant laquelle il n'a bénéficié d'aucune activité ou suivi psychologique et a été confronté à des menaces et intimidations au regard des faits qui lui étaient reprochés, l'obligeant à renoncer à se rendre en promenade, d'un sentiment d'injustice et d'un isolement familial et affectif en l'absence de visite de son ex-compagne et de leurs deux enfants.
M. [U] a incontestablement subi un préjudice moral du fait de la détention provisoire injustifiée subie. L'indemnisation de celui-ci doit tenir compte de son âge lors de l'écrou (25 ans), de la peine encourue ainsi que de la durée de la détention provisoire, en revanche la nature criminelle de l'infraction reprochée, les conditions de sa détention non étayées alors qu'il a lui-même été sanctionné disciplinairement pour des faits de violence sur un surveillant et trois détenus, son sentiment d'injustice et l'absence de visite de Mme [J] dont il était séparé depuis 2016 ne peuvent être retenus comme un facteur d'aggravation du préjudice moral.
En outre, l'exécution antérieure de deux peines d'emprisonnement, dont une de trois années, du 13 juin 2014 au 27 mai 2016, est de nature à minorer le choc carcéral.
Il lui sera allouée une somme de 30 000 euros à ce titre.
- Sur le préjudice matériel
M. [U] invoque une perte de chance d'avoir pu être embauché par une société à compter du mois de janvier 2017, en contrat à durée indéterminée moyennant un salaire brut mensuel de 1400 euros, soit une perte de revenus de janvier 2017 à juin 2018 équivalente à 25 200 euros.
M. [U] n'avait pas d'activité professionnelle au jour de son placement en détention provisoire, son emploi salarié ayant pris fin au vu de l'attestation Pôle emploi produite au 1er novembre 2016. Il justifie d'une promesse d'embauche à compter du 2 janvier 2017, émanant de la société [4], pour un emploi d'agent environnemental moyennant une rémunération brute mensuelle de 1 400 euros.
Il a donc perdu une chance d'être embauché et d'exercer une activité rémunérée pendant la période soumise à indemnisation, étant relevé que celle-ci était subordonnée à un aléa dans la mesure où il a été condamné le 6 novembre 2017 à une peine d'emprisonnement de six mois.
Ce préjudice sera indemnisé par l'allocation d'une somme de 12 000 euros.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons la requête de M. [U] recevable ;
Allouons à M. [U] les sommes suivantes :
- 30 000 euros en réparation de son préjudice moral,
- 12 000 euros en réparation de son préjudice matériel,
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 09 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ