RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 4 - Chambre 13
RÉPARATION DES DÉTENTIONS PROVISOIRES
DÉCISION DU 09 Janvier 2023
(n° , pages)
N°de répertoire général : N° RG 20/03565 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CBQPJ
Décision contradictoire en premier ressort ;
Nous, Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, à la cour d'appel, agissant par délégation du premier président, assistée de Justine FOURNIER, greffière, lors des débats et de Florence GREGORI greffière, lors de la mise à disposition, avons rendu la décision suivante :
Statuant sur la requête déposée le 18 Décembre 2019 par :
M. [K] [C]
né le [Date naissance 2] 1995 à [Localité 3],
demeurant Chez Mme [J] [C] - [Adresse 1]
Comparant
Assisté de Me Laura FOUACHE - avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS (166) - présente
Vu les pièces jointes à cette requête ;
Vu les conclusions de l'Agent Judiciaire de l'Etat, notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les conclusions du procureur général notifiées par lettre recommandée avec avis de réception ;
Vu les lettres recommandées avec avis de réception par lesquelles a été notifiée aux parties la date de l'audience fixée au 05 Décembre 2022 ;
Entendus :
Me Laura FOUACHE représentant M. [K] [C],
Me Sandrine BOURDAIS, avocat représentant l'Agent Judiciaire de l'Etat,
Madame Anne BOUCHET, Substitute Générale,
Les débats ayant eu lieu en audience publique, le conseil du requérant ayant eu la parole en dernier ;
Vu les articles 149, 149-1, 149-2, 149-3, 149-4, 150 et R.26 à R40-7 du Code de Procédure Pénale ;
* * *
M. [K] [C], de nationalité française, mis en examen par un juge d'instruction du tribunal judiciaire de Bobigny du chef de dégradation par substance explosive, d'un incendie ou de toute autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes commis en raison de la qualité de dépositaire de l'autorité publique de son propriétaire, a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de [Localité 5] du 29 novembre 2018 au 3 juin 2019, date à laquelle il a été relaxé par le tribunal correctionnel de Bobigny.
Le 18 décembre 2019, M. [C] a adressé une requête au premier président de la cour d'appel de Paris en vue d'être indemnisé de sa détention provisoire, en application de l'article 149 du code de procédure pénale.
Il sollicite dans celle-ci, soutenue oralement, les sommes suivantes :
- 7 008 euros au titre de son préjudice matériel,
- 5 000 euros au titre de son préjudice moral.
Dans ses écritures déposées le 27 janvier 2022, reprises oralement à l'audience, l'agent judiciaire de l'Etat demande au premier président de la cour d'appel de fixer la durée de détention provisoire indemnisable à deux mois et dix-neuf jours, de débouter le requérant de sa demande en indemnisation au titre de son préjudice matériel et de ramener l'indemnité qui lui sera allouée en réparation de son préjudice moral à la somme de 4 000 euros, soulignant que M. [C] a été détenu pour autre cause à compter du 18 février 2019
Le procureur général, reprenant oralement à l'audience les termes de ses conclusions déposées le 16 août 2022, conclut à la recevabilité de la requête, à une détention indemnisable d'une durée deux mois et dix-neuf jours, à la réparation d'un préjudice moral tenant compte de son âge, de précédentes incarcérations et au rejet de la demande d'indemnisation du préjudice matériel qui n'est pas documentée.
Le requérant a eu la parole en dernier.
SUR CE
Sur la recevabilité
Au regard des dispositions des articles 149-1, 149-2 et R.26 du code de procédure pénale, la personne qui a fait l'objet d'une détention provisoire au cours d'une procédure terminée à son égard par une décision de non-lieu, relaxe ou acquittement devenue définitive, a droit, à sa demande, à la réparation intégrale du préjudice moral et matériel que lui a causé cette détention. Il lui appartient dans les six mois de cette décision, de saisir le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle celle-ci a été prononcée, par une requête, signée de sa main ou d'un mandataire, remise contre récépissé ou par lettre recommandée avec accusé de réception au greffe de la cour d'appel.
Cette requête doit contenir l'exposé des faits, le montant de la réparation demandée et toutes indications utiles prévues à l'article R.26 du même code.
M. [C] a présenté sa requête aux fins d'indemnisation le 18 décembre 2019, soit au-delà du délai de six mois suivant le jour où la décision de non-lieu est devenue définitive comme en atteste le certificat de non appel en date du 9 mars 2022 produit ; cette requête est signée par son avocat et la décision n'est pas fondée sur un des cas d'exclusion visé à l'article 149 du code de procédure pénale.
Si le premier président de la cour d'appel doit être saisi dans le délai de six mois, ce délai ne court que si lors de la notification de la décision de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement, la personne concernée a été avisée de son droit de demander une réparation dans les conditions et formes prévues aux articles 149 dernier aliéna et R 26 du code de procédure pénale.
Ce délai ne court pas en l'espèce puisqu'il ne résulte pas des mentions du jugement que le requérant aurait été informé de son droit à indemnisation dans les formes et conditions prévues par les textes.
La demande de M. [C] est donc recevable au titre d'une détention provisoire indemnisable du 29 novembre 2018 au 3 juin 2019, soit pour une durée de deux mois et dix-neuf jours.
Sur l'indemnisation
-Sur le préjudice moral
M. [K] [C] fait état d'un préjudice moral résultant de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de réintégrer son poste au sein de la société dans laquelle il travaillait et de la mise à exécution d'une peine d'emprisonnement de six mois avec sursis rendue par le tribunal correctionnel de Bobigny du fait de sa détention injustifiée.
L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général estiment qu'il convient de tenir compte des précédentes incarcérations de M. [C] lesquelles ont amoindri le choc carcéral et que la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un aménagement de peine de six mois avec sursis n'est qu'hypothétique.
A la date de son incarcération, M. [K] [C], âgé de 23 ans, était célibataire et sans enfant.
Le choc carcéral qu'il a subi a été amoindri par une précédente incarcération de deux mois intervenue en juin 2017.
Il n'a pas été aggravé par la mise à exécution de la condamnation à six mois d'emprisonnement prononcée le 12 juin 2017. En effet, la perte de chance de bénéficier d'un aménagement de cette peine est très faible au regard des huit condamnations figurant sur son casier judiciaire avant cette date.
- Le préjudice matériel
M. [C], qui rappelle qu'il travaillait dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée lors de son incarcération allègue d'un préjudice matériel de 7008 euros correspondant aux pertes de salaires subies.
L'agent judiciaire de l'Etat et le procureur général estiment que la promesse d'embauche et le contrat à durée déterminée n'ont été établis et produits que pour les besoins de l'appel de l'ordonnance de refus de placement en détention provisoire, de sorte que la preuve d'une perte de chance réelle et sérieuse de percevoir des salaires n'est pas rapportée.
M. [C] produit une lettre de promesse d'embauche en date du 6 novembre 2018 et un contrat à durée déterminée daté du 12 novembre 2018, non signé par lui, régularisé avec la société [4], dont sa soeur, Mme [J] [C], est la gérante.
Outre qu'il ne verse aucun bulletin de salaire pour la période antérieure à son incarcération, il avait déclaré au cours de l'enquête pénale, qu'il était étudiant, sans ressources et qu'il demeurait chez sa soeur, Mme [J] [C] (D84).
La réalité de l'emploi et donc du préjudice matériel allégué n'est pas suffisamment établie, de sorte que la demande formée à ce titre sera rejetée.
PAR CES MOTIFS,
Déclarons la requête de M. [K] [C] recevable,
Allouons à M. [K] [C] la somme de 4 000 euros en réparation de son préjudice moral,
Déboutons M. [C] de sa demande au titre du préjudice matériel,
Laissons les dépens à la charge de l'Etat.
Décision rendue le 09 Janvier 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
LE GREFFIER LE MAGISTRAT DÉLÉGUÉ