RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 12
ARRÊT DU 06 Janvier 2023
(n° , 2 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 19/08400 - N° Portalis 35L7-V-B7D-CANGM
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Juillet 2019 par le Tribunal de Grande Instance d'EVRY RG n° 17/00803
APPELANTE
CPAM 13 - BOUCHES DU RHONE
Service 782 - Contentieux Général
[Adresse 4]
[Localité 2]
représentée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
INTIMEE
SAS CARREFOUR HYPERMARCHES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Olivia COLMET DAAGE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0346
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 04 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant M. Raoul CARBONARO, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Raoul CARBONARO, Président de chambre
M. Gilles REVELLES, Conseiller
M. Gilles BUFFET, Conseiller
Greffier : Mme Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par M. Raoul CARBONARO, Président de chambre et par Mme Claire BECCAVIN, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue sur l'appel interjeté par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône d'un jugement rendu le 5 juillet 2019 par le tribunal de grande instance d'Evry dans un litige l'opposant à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que la S.A.S. Carrefour Hypermarchés a contesté la prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône de l'ensemble des soins et arrêts prescrit à M. [H] [O] consécutifs à un accident du travail survenu le 13 mars 2013 ; qu'après vaine saisine de la commission de recours amiable, la S.A.S. Carrefour Hypermarchés a formé son recours le 7 juillet 2017 devant le tribunal des affaires de sécurité sociale ; que par jugement avant dire-droit du 20 septembre 2018, le tribunal a ordonné une expertise technique sur pièces.
Par jugement en date du 5 juillet 2017, le tribunal a :
- déclaré recevable le recours de la S.A.S. Carrefour Hypermarchés ;
- entériné le rapport d'expertise du docteur [L] [T] ;
- déclaré inopposable à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge, au titre de la législation sur les risques professionnels, par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône des arrêts de travail et soins prescrits à M. [H] [O] suite à l'accident du 13 mars 2013 postérieurement à la date du 16 juin 20213 ;
- condamné la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône aux dépens qui comprenaient le coût de l'expertise ordonnée par jugement avant-dire-droit en date du 20 septembre 2018 et confiée au Docteur [L] [T].
Le tribunal a retenu que l'expertise avait conclu au fait que les soins et arrêts prescrits postérieurement à l'accident étaient en relation exclusive avec un état pathologique antérieur à compter du 17 juin 2013 ; que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône ne déposait aucun élément médical objectif remettant en cause les conclusions de l'expert.
Le jugement a été notifié par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception remise le 8 juillet 2019 à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône qui en a interjeté appel par lettre recommandée avec demande d'accusé de réception adressée le 31 juillet 2019.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône demande à la cour de :
- infirmer le jugement du tribunal de grande instance d'Evry du 5 juillet 2019 (RG 17/00803) en toutes ses dispositions ;
et statuant à nouveau,
à titre principal,
- confirmer la décision rendue le 9 mai 2017 par la Commission de Recours Amiable qui a rejeté le recours introduit par la S.A.S. Carrefour Hypermarchés ;
- juger que les arrêts de travail et soins du 13 mars 2013 jusqu'au 31 mars 2015, date de consolidation, sont imputables à l'accident de travail dont a été victime M. [H] [O] le 13 mars 2013 ;
- déclarer opposable à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge des arrêts de travail et soins du 13 mars 2013 jusqu'au 31 mars 2015 consécutifs à I 'accident de travail de M. [H] [O] daté du 13 mars 2013 ;
à titre subsidiaire .
- juger que les arrêts de travail et soins du 13 mars 2013 jusqu'au 12 mars 2014 sont imputables à l'accident de travail dont a été victime M. [H] [O] le 13 mars 2013 ;
- déclarer opposable à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la décision de prise en charge des arrêts du 13 mars 2013 jusqu'au 12 mars 2014 consécutifs à l'accident de travail de M. [H] [O] daté du 13 mars 2013 ;
en tout état de cause :
- débouter la S.A.S. Carrefour Hypermarchés de toutes ses demandes ;
- condamner la S.A.S. Carrefour Hypermarchés aux entiers dépens.
Elle expose justifier de la continuité des arrêts de travail de la date d'accident de travail, le 13 mars 2013, jusqu'au 31 mars 2015, date de consolidation de M. [H] [O] ; que l'employeur qui conteste la durée des arrêts de travail délivrés à la victime doit rapporter la preuve de ce que la présomption d'imputabilité n'aurait pas dû jouer ; que la hernie discale dont le salarié a été victime résulte du port d'une charge lourde (16 kg) ayant exercé un mouvement de compression verticale +/- torsion du tronc ; que celui-ci a éprouvé directement après le traumatisme une radiculalgie dans le membre inférieur droit ; qu'elle sera constatée lors de l'examen clinique effectué au service médical le 15 juillet 2013 (4 mois après le fait traumatique initial) ; que par ailleurs, cette atteinte droite sera confirmée par les différents résultats d'imagerie concordance radio-clinique ; qu'il existait en effet un état antérieur pathologique à type de hernie discale L5-S1 droite traitée chirurgicalement en novembre 2010 ; qu'elle admet que cet état interférait avec le fait traumatique survenu le 13 mars 2013 ; que la récidive de hernie discale s'avère être une aggravation temporaire - due entièrement à l'accident du travail - de l'état pathologique de l'assuré ; que l'arrêt de travail jusqu'à la prise en charge chirurgicale de cette récidive de hernie le 12 décembre 2013 ainsi que les trois mois de convalescence post-opératoire sont donc à prendre au titre de l'accident du travail du 13 mars 2013.
Par conclusions écrites visées et développées oralement à l'audience par son avocat, la S.A.S. Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :
- débouter la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône de l'intégralité de ses demandes ;
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance d'Evry le 5 juillet 2019 ;
en conséquence
- entériner le rapport d'expertise médicale judiciaire établi par le Docteur [T] ;
- juger que la prise en charge, au titre de la législation professionnelle, par la Caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, des arrêts de travail, prestations, lésions et soins prescrits après le 16 juin 2013 lui sont inopposables, en ce compris l'indemnité en capital afférente au taux d'IPP de 8 % ;
- juger que la date de consolidation doit être fixée au 16 juin 2013 ;
ce faisant,
- condamner la Caisse primaire des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la Caisse primaire des Bouches-du-Rhône aux entiers dépens ;
- enjoindre la Caisse primaire des Bouches-du-Rhône de transmettre à la CARSAT compétente le montant des prestations correspondant aux soins, arrêts de travail et toutes autres prestations prescrits déclarés inopposables à la concluante.
La S.A.S. Carrefour Hypermarchés expose que le rapport du Docteur [T] est clair, précis et dénué de toute ambiguïté sur l'existence d'un état antérieur ; que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône reconnaît d'ailleurs aux termes de ses écritures cet état antérieur important, également mentionné et précisé sur la notification attributive de rente de M. [H] [O] ; que la Caisse n'apporte aucun élément médical objectif ; qu'elle n'a pas participé aux opérations d'expertise et elle est donc malvenue à contester a posteriori et pour des raisons médicales le rapport d'expertise et les conclusions du Docteur [T].
SUR CE,
Il résulte de l'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, que la présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, dès lors qu'un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial est assorti d'un arrêt de travail, s'étend à toute la durée d'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime. Il appartient à l'employeur qui conteste cette présomption d'apporter la preuve contraire, à savoir celle de l'existence d'un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l'accident ou la maladie ou d'une cause extérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les soins et arrêts de travail postérieurs (2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655).
Dès lors qu'un accident du travail est établi, la présomption d'imputabilité à l'accident des soins et arrêts subséquents trouve à s'appliquer aux lésions initiales, à leurs complications, à l'état pathologique antérieur aggravé par l'accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l'accident dans la mesure où la caisse justifie du caractère ininterrompu des arrêts de travail y faisant suite, (2e Civ., 24 juin 2021, pourvoi n° 19-24.945) ou, à défaut, de la continuité de symptômes et de soins.
En outre, les dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ne sont pas applicables lorsque la demande de prise en charge porte sur de nouvelles lésions survenues avant consolidation et déclarées au titre de l'accident du travail initial. (Civ.2., 24 juin 2021 n°19-25.850).
En la présente espèce, M. [H] [O] a été victime d'un accident du travail le 13 mars 2013 ayant donné lieu à un certificat médical initial du même jour prescrivant un arrêt de travail pour des lombalgies aiguës. Selon les déclarations rapportées par l'employeur, le salarié, en soulevant un colis de jambon de 16 kg, avait ressenti une grosse douleur dans le bas du dos côté droit qui s'est diffusée jusqu'en bas de la jambe droite.
Les certificats médicaux postérieurs prescrivant des arrêts travail jusqu'à la date de consolidation retenue par la Caisse font part d'une lombosciatique droite invalidante puis d'une hernie discale lombaire.
La caisse a fixé un taux d'incapacité permanente partielle à 8 % à compter du 1er avril 2015, la date de consolidation étant fixée au 31 mars 2015.
Pour combattre la présomption d'imputabilité, la société oppose le rapport d'expertise du 16 janvier 2019 établi par le docteur [L] [T] commis par ordonnance du 7 septembre 2018 du tribunal des affaires de sécurité sociale d'Évry.
Selon les pièces médicales du service de la caisse et notamment l'examen du 28 janvier 2014, il est fait état d'un état antérieur aggravé par le nouvel accident du travail ayant causé la récidive d'une hernie discale réopérée en décembre. Cette hernie discale objectivée par IRM concerne la zone L5 ' S1 paramédiane droite venant au contact de la racine S1. Le dossier médical révèle ainsi que le 18 novembre 2010, M. [H] [O] a été opéré d'une hernie discale lombaire de topographie L5 ' S1. Cet état antérieur a été considéré comme consolidé au 18 mars 2012 avec un taux d'incapacité permanente partielle de 7 %.
Selon l'avis médical sur pièce du Docteur [S] cité par l'expert, il s'agissait d'une récidive d'une hernie discale L5 ' S1, déjà opérée en novembre 2010, qui compliquait elle-même un état discal L5 ' S1 très dégénératif. Selon ce praticien, la récidive s'expliquait, non par le geste de soulèvement du 13 mars 2013, mais par la dégénérescence secondaire du disque laissé en place et l'instabilité générée par l'intervention, ce qui est attesté par la notion de hernie exclue, confirmant au passage le caractère dur de cette hernie et donc son ancienneté. Il s'agit en effet d'une migration d'un morceau de disque. Ce praticien relève en outre que les lésions secondaires à l'usure prématurée des surfaces articulaires des apophyses articulaires postérieures devaient être prises en compte, dont l'origine était l'instabilité réactionnelle à la discopathie sous-jacente en L4 ' L5 et qui persistent malgré la seconde intervention, expliquant la raideur, les lombalgies, voir les lombosciatalgies résiduelles rapportées. Ce praticien explique que l'accident du travail du 13 mars 2013 n'est à l'origine de la dolorisation temporaire de cet état antérieur, caractérisée par les lombalgies constatées aux urgences et confirmées par le médecin traitant.
L'expert judiciaire, sans développer, maintient les conclusions du Docteur [S] sur les causes de la récidive de la hernie discale. Il considère néanmoins que la date de consolidation doit être fixée à la reprise à mi-temps thérapeutique, les arrêts de travail postérieurs au 17 juin 2013 devant être imputés exclusivement à l'état antérieur évoluant pour son propre compte, le dernier arrêt de travail antérieur au 17 juin 2013 mentionnant une amélioration de la sciatique.
Si la caisse conteste l'expertise, elle ne dépose aucune pièce médicale susceptible de modifier l'appréciation de l'expert, dont les conclusions sont claires, précises et circonstanciées dès lors qu'elle n'apporte aucun élément de contradiction médicale au diagnostic de hernie exclue, caractéristique de son ancienneté.
Il en résulte que l'accident du travail a dolorisé temporairement une hernie discale mal consolidée, l'intervention chirurgicale du 12 décembre 2013 étant en lien avec cette dégénérescence évoluant pour son propre compte. La date retenue par l'expert, 17 juin 2013, correspondant à la reprise à mi-temps thérapeutique du travail est en lien avec une amélioration de l'état de M. [H] [O], constatée dans le dernier certificat médical antérieur de telle sorte que les soins et arrêts prescrits à compter de cette date doivent être considérés comme n'étant pas en lien avec l'accident du travail mais comme la conséquence de l'évolution naturelle de la pathologie.
Le jugement déféré sera donc confirmé. Il sera enjoint à la Caisse primaire des Bouches-du-Rhône de transmettre à la CARSAT compétente le montant des prestations correspondant aux soins, arrêts de travail et toutes autres prestations prescrits déclarés inopposables à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés.
La Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône qui succombe sera condamnée aux dépens ainsi qu'au paiement de la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
DÉCLARE recevable l'appel de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône ;
CONFIRME le jugement rendu le 5 juillet 2019 par le tribunal de grande instance d'Evry ;
Y ajoutant ;
ENJOINT à la Caisse primaire des Bouches-du-Rhône de transmettre à la CARSAT compétente le montant des prestations correspondant aux soins, arrêts de travail et toutes autres prestations prescrits déclarés inopposables à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône à payer à la S.A.S. Carrefour Hypermarchés la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE la Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Bouches-du-Rhône aux dépens.
La greffière Le président