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05/01/2023 | FRANCE | N°22/00326

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 10, 05 janvier 2023, 22/00326


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10



ARRÊT DU 05 JANVIER 2022

(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/00326 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE5N6



Décision déférée à la cour :

Jugement du 20 décembre 2021-Juge de l'exécution de PARIS-RG n° 21/81302



APPELANTE

Madame [Y] [I] [M] épouse [E]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SE

LARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Delphine Dendievel, avocat au barreau de PARIS



INTIMÉS

Monsieur [V] [I] [M]...

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 10

ARRÊT DU 05 JANVIER 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 22/00326 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CE5N6

Décision déférée à la cour :

Jugement du 20 décembre 2021-Juge de l'exécution de PARIS-RG n° 21/81302

APPELANTE

Madame [Y] [I] [M] épouse [E]

[Adresse 3]

[Localité 7]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Delphine Dendievel, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉS

Monsieur [V] [I] [M]

[Adresse 8]

[Localité 4]

Madame [P] [I] [M] épouse [X] [D]

[Adresse 2]

[Localité 6]

Madame [N] [I] [M] épouse [K]

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentés par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056

Ayant pour avocat plaidant Me Agathe LEVY-SEBAUX, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

L'affaire a été débattue le 17 novembre 2022, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseiller

Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

-contradictoire

-par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Se prévalant d'une ordonnance de référé rendue le 4 mai 2021 par le tribunal judiciaire de Paris et condamnant Mme [Y] [I] [M] épouse [E] (ci-après Mme [E]) au paiement d'une provision de 3.705.810 euros, Mme [P] Helloin [M] épouse [J] [D], M. [V] [I] [M] et Mme [N] [I] [M] épouse [K] (ci-après les consorts [I] [M]) ont entrepris à l'encontre de Mme [E] diverses mesures d'exécution forcée, à savoir :

- trois saisies-attributions du 26 mai 2021, dénoncées le 28 mai 2021,

- un commandement de payer aux fins de saisie-vente du 2 juin 2021,

- une saisie-attribution de créance à exécution successive entre les mains de la SA Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] du 15 juin 2021, dénoncée le 17 juin 2021,

- une saisie-attribution de droits d'associé et de valeurs mobilières entre les mains de la même société du 15 juin 2021, dénoncée le 17 juin 2021.

Par assignation en date du 25 juin 2021, Mme [E] a fait citer les consorts [I] [M] devant le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris aux fins de mainlevée des mesures d'exécution forcée.

Par jugement du 20 décembre 2021, le juge de l'exécution a notamment :

déclaré « recevable l'ordonnance rendue par le premier président de la cour d'appel de Paris le 8 décembre 2021 transmise par message RPVA du même jour »,

déclaré irrecevable la note en délibéré de Mme [E] transmise par message RPVA du 15 décembre 2021,

déclaré irrecevable la note en délibéré des consorts [I] [M] transmise par message RPVA du 16 décembre 2021,

débouté Mme [E] de l'intégralité de ses demandes,

rappelé que le tiers saisi paie le créancier sur présentation de la décision rejetant la contestation, après sa notification, conformément à l'article R.211-13 du code des procédures civiles d'exécution,

condamné Mme [E] au paiement d'une somme de 6.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec distraction.

Par déclaration du 24 décembre 2021, Mme [E] a formé appel de ce jugement.

Par conclusions du 16 novembre 2022, Mme [Y] [I] [M] épouse [E] demande à la cour d'appel de :

infirmer le jugement dont appel en ce qu'il :

déclare irrecevable sa note en délibéré transmise par message RPVA du 15 décembre 2021,

la déboute de l'intégralité de ses demandes,

rappelle que le tiers saisi paie le créancier sur présentation de la décision rejetant la contestation, après sa notification, conformément à l'article R.211-13 du code des procédures civiles d'exécution,

la condamne au paiement d'une somme de 6.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, avec distraction.

Statuant à nouveau,

ordonner la mainlevée totale du commandement de payer aux fins de saisie-vente du 2 juin 2021,

ordonner la mainlevée totale de la saisie-attribution dénoncée le 28 mai 2021,

ordonner la mainlevée de la saisie de droits d'associé et valeurs mobilières qu'elle détient au sein de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] dénoncée le 15 juin 2021,

juger que la saisie de créance à exécution successive dénoncée le 15 juin 2021 est sans objet,

A titre subsidiaire,

reporter le paiement du solde de la dette à deux années (soit la somme de 3.763.857,84 euros à parfaire),

suspendre la majoration d'intérêts encourue durant le délai de grâce tel qu'il sera fixé par la cour d'appel,

En tout état de cause,

condamner les intimés au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir tout d'abord que la saisie-attribution à exécution successive est sans objet, donc inutile, car la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] n'est titulaire d'aucune créance à exécution successive à son encontre, et que les dividendes ne sont pas des créances à exécution successive. Ensuite, elle invoque l'intention de nuire des intimés et le caractère disproportionné des saisies pratiquées et fonde alors sa demande de mainlevée sur les dispositions de l'article L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution. Elle explique en premier lieu que l'intégralité de son patrimoine a été saisi, tant son patrimoine personnel, à savoir ses meubles meublants et ses avoirs bancaires pour un total de 203.271,36 euros, ce qui ne lui permet plus de régler ses charges de famille, que son patrimoine professionnel par la saisie de ses actifs au sein de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9], ce qui l'asphyxie sur le plan financier. En deuxième lieu, elle soutient que son activité professionnelle est mise en péril par cette saisie qui impacte les salariés de la société et le projet de développement de l'entreprise via une holding qui est suspendu, étant précisé que la vente forcée des titres est très angoissante. En troisième lieu, elle invoque l'application d'un taux d'intérêt exorbitant, puisqu'il lui est réclamé au titre des intérêts la somme de 168.372,97 euros, alors que les intimés ne doivent que la somme de 68.000 euros chacun au titre des intérêts du prêt souscrit.

A titre subsidiaire, sur sa demande de report du paiement, elle fait valoir que sa situation financière ne lui permet pas de régler immédiatement la somme de plus de 3 millions d'euros hors intérêts, précisant qu'elle est mère de famille recomposée de huit enfants, dont deux à sa charge, que son appartement à [Localité 10] est grevé d'un prêt immobilier pour lequel elle rembourse à elle seule la somme de 1.977 euros par mois, qu'elle perçoit des revenus de 19.383 euros par mois en moyenne sur les trois dernières années, que ses charges s'élèvent à la somme totale de 15.365 euros en moyenne sur les trois dernières années, et que compte tenu de sa situation et de son « reste à vivre », il est impossible de mettre en place un échéancier. Elle ajoute que sa situation financière sera diamétralement opposée dans deux ans et va s'améliorer compte tenu de la succession en cours et de sa demande de partage provisionnel, de sorte qu'elle pourra rembourser sa dette. Elle précise que les intimés ont souscrit un prêt de 16 millions d'euros remboursable in fine sur une durée de cinq ans de sorte qu'ils peuvent attendre le partage de la succession pour rembourser le capital du prêt et que l'octroi d'un délai de grâce ne leur porte pas préjudice. Elle souligne que l'effet attributif immédiat ne fait pas obstacle à sa demande pour le surplus de la dette et y a un intérêt puisque pendant ce délai, aucune nouvelle mesure d'exécution ne peut être pratiquée et les saisies-ventes sont suspendues. En réponse aux conclusions adverses, elle estime qu'elle ne dissimule pas ses revenus et son patrimoine, que sa situation ne lui permet pas d'obtenir un crédit bancaire, qu'il n'y a pas lieu de prendre en compte les revenus de son conjoint, le couple étant marié sous le régime de séparation de biens, que seul le déblocage des fonds séquestrés chez le notaire chargé de la succession lui permettra de régler les droits de succession et qu'elle a engagé une procédure aux fins de partage provisionnel en ce sens.

Par conclusions du 15 novembre 2022, les consorts [I] [M] demandent à la cour de :

- débouter Mme [E] de l'ensemble de ses demandes,

- confirmer le jugement entrepris en l'ensemble de ses dispositions,

En tout état de cause,

- condamner Mme [E] au paiement de la somme de 20.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens, donc distraction.

Ils font valoir tout d'abord que la saisie-attribution de créances à exécution successive est parfaitement valable, le caractère infructueux de la saisie ne la privant pas de sa validité et n'étant pas un motif de mainlevée. Ils précisent qu'en sa qualité de présidente de la Société d'Exploitations Spéléologiques de [Localité 9], il lui appartenait d'informer l'huissier des éventuelles créances à exécution successive dont elle bénéficiait ou de l'absence de créance, et qu'elle n'a rien répondu à l'huissier.

Ensuite, ils invoquent l'absence d'intention de nuire ou de disproportion des mesures d'exécution forcée. Ils expliquent en premier lieu que les saisies ne concernent pas l'intégralité du patrimoine personnel et professionnel de Mme [E], puisqu'elle a continué à percevoir sa rémunération, soit environ 20.000 euros par mois après paiement des impôts, laquelle n'a été saisie qu'à compter de la mise en 'uvre de la décision rendue le 31 octobre 2022 sur la saisie des rémunérations, qu'elle ne justifie pas de l'ensemble de sa situation, notamment sur ses revenus, comprenant les dividendes, ni de la consistance de son patrimoine, notamment son important patrimoine immobilier qui n'est pas concerné par les saisies, qu'elle ne justifie pas non plus n'avoir pu continuer à régler ses charges de famille, qu'en tout état de cause, les conséquences de ces mesures d'exécution ne sont dues qu'à sa résistance abusive et à son refus de régler la moindre somme au titre des droits de succession depuis l'ouverture de la succession il y a quatre ans, qu'elle ne s'est jamais préoccupée des conséquences financières pour ses frères et s'urs qui ont dû régler les droits de succession pour son compte, qu'enfin, le fait d'être privée de la libre disposition de ses actifs correspond au principe même de la saisie et n'implique pas en soi des conséquences disproportionnées justifiant la mainlevée. En deuxième lieu, ils font valoir que Mme [E] n'établit pas la mise en péril de son activité professionnelle, laquelle ne constitue pas un motif de mainlevée, expliquant qu'elle ne justifie pas du projet de développement invoqué, ni que la saisie des titres de Mme [E] serait seule de nature à empêcher l'exploitation du site du gouffre de [Localité 9] et le fonctionnement de la société qui continue de prospérer. En troisième lieu, ils invoque l'absence de preuve de disproportion dans les saisies et d'intention de nuire, en ce que les saisies sur les comptes bancaires de Mme [E] n'ont permis de bloquer que la somme totale de 203.271,36 euros, ce qui ne permet pas de recouvrer le montant de leur créance, approchant les 4 millions d'euros. En quatrième lieu, ils estiment que le taux légal des intérêts a été parfaitement appliqué, et ressort du titre exécutoire que le juge de l'exécution ne peut modifier et de l'article 1231-7 du code civil.

Enfin, ils s'opposent à la demande de report du paiement de la dette. Ils soutiennent en premier lieu que non seulement Mme [E] ne justifie pas de sa situation patrimoniale et financière complète, puisqu'elle n'a justifié de ses revenus que le 9 novembre 2022, veille de la date prévue pour la clôture, qu'elle refuse de justifier de ses dividendes, et qu'elle ne justifie pas des revenus de son conjoint et de la participation de celui-ci aux charges communes, mais en outre les éléments produits montrent qu'elle a largement la capacité de rembourser sa dette dès à présent puisqu'elle a un revenu disponible de 13.721 euros par mois et que l'étendue de son patrimoine lui permet de souscrire un prêt. Ils soulignent que l'absence totale de règlement depuis l'émission du titre exécutoire, en dépit de ses capacités financières, démontre que la demande de report est totalement dilatoire. En deuxième lieu, ils font valoir que Mme [E] a déjà bénéficié de nombreux délais, puisqu'elle est informée du montant des droits à payer depuis le 28 septembre 2018, soit depuis plus de quatre ans, s'est opposée à tout règlement amiable, qu'elle a été assignée en référé en janvier 2021 et n'a pris aucune disposition pour anticiper la décision et n'a pas répondu à l'interrogation de leur conseil sur une éventuelle exécution spontanée de l'ordonnance de référé du 4 mai 2021, si bien que son attitude montre qu'elle n'a aucune intention de régler. En troisième lieu, ils estiment que les prétendues perspectives d'amélioration de sa situation dans deux ans ne sont pas avérées, puisque d'une part, sa demande de déblocage des fonds et de partage provisionnel à hauteur de 4 millions d'euros n'est absolument pas justifiée au regard des critères fixés par l'article 815-11 du code civil qui ne sont pas remplis, les liquidités disponibles étant inférieures au montant sollicité compte tendu des dettes de l'indivision, si bien que Mme [E] ne pourrait prétendre qu'à une avance de 500.000 euros maximum, d'autre part, le partage judiciaire ne pourra être finalisé dans deux ans compte tenu du comportement contentieux et dilatoire de Mme [E]. En quatrième lieu, ils font valoir que la date de remboursement de leur prêt est indifférente puisqu'ils ont déjà avancé sur leurs fonds propres une partie des droits et qu'ils n'auraient pas eu à emprunter dans ces proportions si Mme [E] avait payé sa part.

La clôture a été prononcée à l'audience de plaidoirie du 17 novembre 2022.

La cour a autorisé l'appelante à déposer, avant le 1er décembre 2022, une note en délibéré pour répondre de façon plus complète aux dernières conclusions des intimés en date du 15 novembre.

Par note en délibéré du 1er décembre 2022, Mme [E] fait valoir en premier lieu que les consorts [I] [M] tentent de minimiser le montant des liquidités disponibles de la succession et d'augmenter artificiellement les dettes de celle-ci pour mettre en échec sa demande d'avance successorale et fragiliser sa demande de délai de paiement. Elle explique d'une part qu'ils empêchent l'indivision successorale d'encaisser les dividendes des sociétés Yam Invest et Maya Partners, de sorte que 7,2 millions de liquidités sont actuellement bloqués par les intimés, d'autre part que la dette fiscale invoquée n'est pas celle de l'indivision successorale mais concerne M. [V] [I] [M] à titre personnel. En second lieu, elle soutient que la cour doit tenir compte du jugement du juge de l'exécution du 31 octobre 2022 qui ordonne la saisie de ses rémunérations, ce qui obère encore plus sa situation déjà précaire, et que seule une décision de report permettrait d'empêcher toute nouvelle mesure d'exécution pendant le délai de grâce et la vente des titres de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9]. Elle ajoute que compte tenu de sa situation patrimoniale, ne disposant plus d'aucun revenu, elle ne peut plus emprunter.

Par note en délibéré du 6 décembre 2022, les consorts [I] [M] estiment que les éléments invoqués ne sont pas nouveaux et ont déjà été évoqués dans les conclusions des parties. Ils font valoir que le refus de prêt obtenu postérieurement à la clôture est tardif et que Mme [E] aurait pu solliciter un emprunt depuis 2019, avant les saisies.

Par note en délibéré du 16 décembre 2022, Mme [E] a informé la cour de ce que par décision du 14 décembre 2022, il lui a été accordé une avance sur la succession de 400.000 euros, qu'elle entend verser intégralement aux intimés en exécution de l'ordonnance du 4 mai 2021, ce qui doit selon elle être pris en compte par la cour.

Par note en délibéré du 21 décembre 2022, les consorts [I] [M] font valoir que l'utilisation de cette avance n'a aucune incidence sur les demandes formulées devant la cour, la somme de 400.000 euros ne couvrant même pas le montant des intérêts puisque les sommes sont dues depuis 2019 et Mme [E] n'ayant aucune garantie d'obtenir de futures avances pour solder sa dette.

MOTIFS DE LA DECISION

I. Sur les demandes de mainlevée

1) Sur la saisie-attribution à exécution successive du 15 juin 2021

C'est en vain que Mme [E] fait valoir que les dividendes ne sont pas des créances à exécution successive de sorte qu'elle ne serait titulaire d'aucune créance à exécution successive à l'égard de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9], tiers saisi. S'il est exact que les dividendes ne sont pas des créances à exécution successive (en l'absence d'automaticité du versement), force est de constater que le tiers saisi n'a effectué aucune déclaration à l'huissier sur l'étendue de ses obligations envers Mme [E], puisque l'huissier instrumentaire mentionne sur son procès-verbal, comme réponse de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] : « Mme [Y] [E] pdte Refus catégorique ». Puis par courrier du 12 juillet 2021 signé par Mme [Y] [E] en qualité de présidente, la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] a indiqué à l'huissier : « Nous prenons acte des procès-verbaux de saisie-attribution à exécution successive et de saisie de droits d'associé et de valeurs mobilières et nous en tirons toutes les conséquences ». Ainsi, Mme [E], qui est à la fois la débitrice et la représentante de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9], n'a pas daigné répondre à l'huissier sur l'étendue des obligations de la société à son égard, alors qu'elle aurait pu simplement déclarer que la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] n'était pas débitrice d'une créance à exécution successive à son égard si tel était le cas. Au surplus, l'absence de dette du tiers saisi n'est pas un motif de mainlevée de la saisie, qui est seulement infructueuse. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande de mainlevée de cette saisie-attribution de créance à exécution successive.

2) Sur l'intention de nuire et le caractère disproportionné des saisies allégués

Aux termes de l'article L.121-2 du code des procédures civiles d'exécution, le juge de l'exécution a le pouvoir d'ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou abusive et de condamner le créancier à des dommages-intérêts en cas d'abus de saisie.

Mme [E] ne peut prétendre que, par les cinq saisies attaquées et le commandement de payer aux fins de saisie-vente, la totalité de son patrimoine a été saisi, dès lors qu'aux dates où ces actes ont été réalisés, son patrimoine immobilier et ses rémunérations ne faisaient l'objet d'aucune mesure d'exécution forcée.

Il convient de rappeler que la créance résultant d'une décision de justice exécutoire, qu'il n'appartient pas au juge de l'exécution, ni à la cour statuant avec les mêmes pouvoirs, de remettre en cause, s'élève à 3.705.810 euros en principal.

Dès lors, saisir l'ensemble des comptes bancaires de Mme [E], qui présentent un solde saisissable d'un montant total de 203.271,36 euros, n'est nullement disproportionné. La débitrice ne saurait prétendre qu'elle ne peut plus vivre normalement au quotidien ni régler ses charges compte tenu du blocage de ses comptes, alors que les trois saisies-attributions litigieuses sur ses comptes ne font pas obstacle au versement de son salaire chaque mois.

Compte tenu du caractère partiellement infructueux des saisies-attributions, il ne peut être reproché aux consorts [I] [M] d'avoir poursuivi le recouvrement du solde de leur créance par la délivrance d'un commandement de payer aux fins de saisie-vente, puis de deux saisies entre les mains de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9]. La saisie des meubles ainsi engagée ne caractérise pas un acharnement particulier des intimés ni une volonté de dépouiller Mme [E], comme elle le soutient, mais manifeste seulement leur volonté non blâmable de recouvrer leur créance. De même, aussi difficile que soit pour Mme [E] la saisie de ses parts sociales dans la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9], une telle mesure d'exécution forcée ne saurait être considérée comme étant disproportionnée ni caractériser une intention de nuire compte tenu du montant de la créance à recouvrer, étant précisé que la débitrice est taisante sur la valorisation de ses parts sociales.

Par ailleurs, Mme [E] produit elle-même son avis d'imposition sur la fortune immobilière qui fait ressortir qu'elle a un patrimoine immobilier net imposable de 2.276.904 euros. Ainsi, et même si sa rémunération fait désormais l'objet d'une saisie, selon jugement du juge de l'exécution en date du 31 octobre 2022, elle est particulièrement mal venue de prétendre que la totalité de son patrimoine a été saisi. Il convient en outre de rappeler que, contrairement à ce que Mme [E] tente de faire croire à la cour, ce n'est pas la totalité de son salaire qui est saisi, mais seulement la quotité saisissable, de sorte qu'elle peut parfaitement continuer à vivre et ne se trouve pas dans la situation précaire qu'elle décrit.

S'agissant de la mise en péril alléguée de son activité professionnelle, il convient de préciser tout d'abord que l'anxiété et les interrogations des salariés de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] à la suite de la saisie des parts sociales de Mme [E], à les supposer réelles, ne sont pas des motifs justifiant la mainlevée de cette saisie. Ensuite, l'appelante apporte certes la preuve qu'elle avait un projet d'apport de ses titres dans une société holding et que cette opération a dû être suspendue du fait de la saisie de ses parts sociales qui les rend indisponibles. Toutefois, elle ne justifie pas du coût financier invoqué engendré par l'arrêt de ce projet, ni surtout des conséquences de la saisie sur le fonctionnement de la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9]. Si le projet de développement de cette société, par la création d'une holding, est à l'arrêt, il n'est pas démontré pour autant que le fonctionnement de la société [Localité 9] serait actuellement paralysé du fait de la saisie des parts sociales, comme la débitrice le soutient, alors qu'il est constant que le site du gouffre de Padirac est toujours exploité et ouvert au public et que la Société d'Exploitation Spéléologiques de [Localité 9] continue donc d'exercer son activité. C'est donc en vain que l'appelante se plaint d'une mise en péril de son activité professionnelle. En outre, Mme [E] ne saurait utilement faire part à la cour de sa crainte de voir la vente forcée de ses titres intervenir à tout moment, alors que la vente forcée n'intervient qu'à défaut de vente amiable par le débiteur.

Surabondamment, au regard des dispositions de l'article L.231-1 du code des procédures civiles d'exécution, les circonstances ainsi invoquées par Mme [E] à l'appui de sa demande de mainlevée de la saisie des droits d'associé et de valeurs mobilières sur la mise en péril de son activité professionnelle ne peuvent justifier la mainlevée sollicitée, dès lors que les consorts [I] [M] sont titulaires d'une créance liquide et exigible constatée par un titre exécutoire, que le juge de l'exécution, ni la cour d'appel statuant avec les mêmes pouvoirs, ne peuvent remettre en cause en application de l'article R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution.

Enfin, le taux d'intérêt appliqué par les créanciers est le taux légal, lequel ne peut être qualifié d'exorbitant comme l'affirme Mme [E], puisque l'application de ce taux sur une condamnation judiciaire est de droit et est d'ailleurs mentionné dans l'ordonnance de référé, qui est le titre exécutoire. Il importe peu que les consorts [I] [M], qui, eux, ont réglé les droits de succession en partie à l'aide d'un prêt, aient bénéficié d'un taux plus avantageux et paient moins d'intérêts que Mme [E], qui n'a pas voulu payer sa part de droits de succession.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [E] de ses demandes de mainlevée.

II. Sur la demande de délai de grâce

Aux termes de l'article 1343-5 du code civil, le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner le paiement des sommes dues, dans la limite de deux années.

Il résulte des articles 510 alinéa 3 du code de procédure civile et R.121-1 alinéa 2 du code des procédures civiles d'exécution que le juge de l'exécution peut, après la signification du commandement ou de l'acte de saisie, accorder un délai de grâce.

L'article L.211-2 alinéa 1er du code des procédures civiles d'exécution dispose : « L'acte de saisie emporte, à concurrence des sommes pour lesquelles elle est pratiquée, attribution immédiate au profit du saisissant de la créance saisie, disponible entre les mains du tiers ainsi que de tous ses accessoires. Il rend le tiers personnellement débiteur des causes de la saisie dans la limite de son obligation. »

Les articles 1343-5 et suivants du code civil, en ce qu'ils sont conçus en des termes généraux, permettent l'octroi de délais de paiement y compris après la mise en oeuvre d'une mesure d'exécution. Toutefois, ils prévoient seulement que la décision du juge suspend les procédures d'exécution qui auraient été engagées. Cette suspension, qui ne saurait être assimilée à une mainlevée, s'opère nécessairement dans l'état où se trouve la mesure d'exécution au jour de l'octroi des délais.

Ainsi, en matière de saisie-attribution, la suspension ne peut avoir pour effet que de différer le paiement en faisant obstacle à l'attribution matérielle des fonds au créancier dans le mois suivant la mise en place de cette mesure d'exécution, puisqu'en application l'article L.211-2 du code des procédures civiles d'exécution l'acte de saisie a déjà emporté attribution juridique des fonds au saisissant.

En conséquence, l'octroi de délais, qui ne permet pas de débloquer les comptes du débiteur, ne présente aucun intérêt pour les sommes effectivement saisies pour lesquelles la saisie-attribution a produit ses effets. Ainsi, dès lors que la somme saisie suffit à désintéresser le créancier, la demande de délais de paiement est sans objet. Dans le cas contraire, le juge de l'exécution peut statuer sur la demande de délais pour le solde de la créance.

En l'espèce, les saisies-attributions n'ont permis de saisir que la somme de 203.271,36 euros, de sorte que Mme [E] reste redevable de près de 3,7 millions d'euros comprenant les intérêts.

Elle justifie avoir perçu en moyenne sur les années 2019, 2020 et 2021, des revenus nets après impôts de 19.383 euros par mois (comprenant salaires, dividendes et pension alimentaire). Elle invoque des charges fixes, sur cette même période, d'un montant mensuel de 15.365 euros comprenant notamment ses dépenses alimentaires, les aides financières versées aux enfants et ses frais d'avocat et de notaire. Ainsi, de l'aveu même de Mme [E], et bien que toutes ses charges ne soient pas justifiées, elle dispose d'un solde mensuel d'environ 4.000 euros. En outre, elle a un patrimoine immobilier évalué à plus de deux millions d'euros.

Dès lors, même si elle n'est pas en capacité de régler sa dette au vu de son montant, il est incontestable que Mme [E] avait, entre 2019 et 2021, une large capacité d'emprunt permettant de payer les droits de succession, qu'elle ne contestait d'ailleurs pas, étant rappelé que ces droits sont dus à l'ouverture de la succession (2018 en l'espèce) sans attendre le règlement de celle-ci qui peut prendre des années. Elle ne peut donc être considérée comme étant un débiteur malheureux et de bonne foi, alors qu'elle a déjà bénéficié d'un long délai, depuis l'ordonnance de référé du 4 mai 2021 et surtout depuis l'ouverture de la succession, pour trouver une solution de financement sans attendre la mise en place de procédures d'exécution forcée.

Pour éviter des pénalités de retard, les consorts [I] [M] ont avancé la part de Mme [E], notamment à l'aide d'un prêt qu'ils remboursent. Dans ces conditions, il apparaît mal venu de solliciter un report à deux ans, alors que Mme [E] aurait pu faire de même afin de ne pas être redevable envers ses frère et s'urs, d'être à jour de ses obligations fiscales et d'éviter les mesures d'exécution forcée.

Au regard de ces éléments et du montant de la dette, l'avance sur la succession d'un montant de 400.000 euros obtenue par Mme [E] après clôture des débats est sans incidence.

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [E] de sa demande de délai de grâce.

III. Sur les demandes accessoires

Compte tenu de l'issue du litige, il convient de confirmer les condamnations accessoires de Mme [E], partie perdante, et de la condamner aux dépens d'appel, dont distraction au profit de l'avocat des intimés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'équité justifie en outre de faire application de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner à ce titre Mme [E] à payer aux consorts [I] [M] la somme de 6.000 euros pour leurs frais irrépétibles d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 décembre 2021 par le juge de l'exécution du tribunal judiciaire de Paris,

Y ajoutant,

CONDAMNE Mme [Y] [I] [M] épouse [E] à payer à Mme [P] Helloin [M] épouse [J] [D], M. [V] [I] [M] et Mme [N] [I] [M] épouse [K] la somme globale de 6.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [Y] [I] [M] épouse [E] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Me Patricia Hardoin, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 1 - chambre 10
Numéro d'arrêt : 22/00326
Date de la décision : 05/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-05;22.00326 ?
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