Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 6
ARRET DU 04 JANVIER 2023
(n° 2023/ , 12 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05755 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCJWY
Décision déférée à la Cour : Jugement du 12 Août 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de PARIS - RG n° 18/01275
APPELANTE
S.A.S. SERVICE D'ENTRETIEN ET DE NETTOYAGE INDUSTRIEL
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me Camille JOSSE, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉ
Monsieur [X] [M]
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Henri-Joseph CARDONA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1533
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre
Madame Nadège BOSSARD, Conseillère
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
- contradictoire,
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
La société Service d'entretien et de nettoyage industriel (SASU) dite la société SENI a employé M. [X] [M], né en 1965, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 28 janvier 2007 en qualité d'agent de service.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des entreprises de propreté.
Sa rémunération mensuelle brute moyenne s'élevait en dernier lieu à la somme de 1 078,34 €.
M. [M] a eu un avertissement le 24 juin 2016 pour mauvaise exécution du travail et un autre le 30 mai 2015 pour le même motif et pour une attitude irrespectueuse.
Le 6 juillet 2017, l'employeur a informé M. [M] de sa mutation sur le site de [Localité 7] habitat à [Localité 5] à compter du 17 juillet 2017.
Le 17 juillet 2017, M. [M] s'est présenté sur ce site et en est reparti en faisant valoir qu'il n'y avait pas de toilettes et qu'il était allergique à la poussière ; il a alors demandé une autre affectation.
Le 21 juillet 2017 l'employeur lui a adressé vainement une mise en demeure de justifier son absence ; il a engagé une procédure disciplinaire et lors de l'entretien préalable du 21 août 2017, il lui a confirmé la présence de toilettes et M. [M] a maintenu qu'il était allergique à la poussière.
L'employeur a alors organisé une visite médicale qui a eu lieu le 12 septembre 2017 et le médecin du travail a rendu un avis médical précisant « pas de travail exposant à la projection de poussières (pas d'usage du souffleur) ».
L'employeur a alors mis à la disposition de M. [M] les outils suivants : masque, lunette de protection, pince et balai afin d'éviter la projection de poussières liées à l'utilisation du souffleur et par lettre recommandée avec accusé de réception du 19 septembre 2017, lui a confirmé le maintien de sa mutation sur le site [Localité 7] habitat et l'a invité à reprendre son poste immédiatement.
La société SENI a procédé à la régularisation du salaire de M. [M] pour le mois de juillet 2017.
Cependant, M. [M] n'a pas repris son poste sans prévenir l'employeur de ses absences, et sans justifier de ces dernières.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 27 septembre 2017 restée sans réponse, la société SENI l'a mis en demeure de justifier ses absences.
Par lettre notifiée le 4 octobre 2017, M. [M] a été convoqué à un entretien préalable fixé au 17 octobre 2017.
M. [M] a ensuite été licencié pour faute grave par lettre notifiée le 30 octobre 2017 ; la lettre de licenciement indique :
« Après réflexion et réexamen de votre dossier, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave, pour le motif suivant :
Nous sommes au regret de constater que vous ne vous présentez toujours pas sur votre lieu de travail sis [Adresse 2] depuis le 21 septembre 2017, en dépit de l'aménagement de votre poste de travail conformément aux préconisations de la médecine du travail émises en date du 12 septembre 2017 et confirmées définitivement en date du 15 septembre 2017.
Et ce, sans nous avoir, au préalable, informés de votre indisponibilité ni nous avoir transmis de justificatifs.
Nous vous avions pourtant rappelé, par courrier recommandé avec accusé de réception du 27 septembre 2017, vos obligations contractuelles et mis en demeure de justifier votre absence et de reprendre votre poste de travail conformément à l'article 4.9.1 de la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.
Vous n'avez jamais donné suite à ce courrier.
Aussi, nous vous avons convoqué à un entretien préalable afin de connaître les raisons de votre absence prolongée et recueillir vos éventuelles explications.
Lors de l'entretien préalable du 17 octobre 2017, vous avez justifié votre absence par le fait que votre site est dépourvu de toilettes. Nous vous avions déjà confirmé par courrier recommandé daté du 19 septembre 2017 que le site en question disposait bel et bien de toilettes.
Bien qu'informé de leur existence, vous n'avez pas daigné reprendre votre poste de travail et le vérifier par vous-même. Par ailleurs, suite à une nouvelle vérification, nous vous confirmons par la présente que le site dont vous avez la charge est bien équipé de toilettes.
Il en ressort donc que vous avez basé votre argumentaire sur des suppositions et avez abandonné votre site sans raison valable.
Par ailleurs, à ce jour, vous n'avez toujours pas justifié vos absences, ni repris votre travail. Ces absences, du fait de leur caractère imprévisible et persistant, perturbent l'organisation du service fourni par notre entreprise notre client et ne permettent plus de compter sur votre collaboration régulière. De plus, ces absences à votre poste de travail restent non autorisées et non justifiées.
Votre comportement est évidemment inacceptable en ce sens qu'il démontre le peu d'intérêt porté aux directives de votre hiérarchie et vous place en infraction par rapport à vos obligations contractuelles conventionnelles.
Une telle attitude révèle un manque sérieux de professionnalisme et ternis l'image de la société.
En conséquence, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave, votre maintien dans l'entreprise s'avérant impossible, y compris pendant la durée du préavis.
La rupture de votre contrat de travail prend donc effet immédiatement la date d'envoi de cette lettre par les services postaux et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date sans indemnité de préavis ni de licenciement (...) ».
A la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement, M. [M] avait une ancienneté de 10 ans et 8 mois ; la société SENI occupait à titre habituel au moins onze salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités consécutivement à la rupture de son contrat de travail, M. [M] a saisi le 21 février 2018 le conseil de prud'hommes de Paris pour former les demandes suivantes :
« - Indemnité de licenciement légale : 4 313,36 €
- Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 10 783,40 €
- Indemnité compensatrice de préavis : 1 568,33 €
- Indemnité compensatrice de congés payés sur préavis : 156,83 €
- Rappel de salaire pour les mois de juillet à octobre 2017 : 6 275,33 €
- Annulation des avertissements des 24 juin 2016 et 30 mai 2017
- Dommages et intérêts pour licenciement vexatoire : 2 000,00 €
- Article 700 du Code de Procédure Civile : 2 000,00 €
- Dépens
- Exécution provisoire »
Par jugement rendu en formation de départage le 12 août 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, le conseil de prud'hommes a rendu la décision suivante :
« Annule l'avertissement du 24 juin 2016 ;
Condamne la société SENI à verser à Monsieur [X] [M] les sommes de :
- 1 568,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 156,83 euros au titre des congés payés afférents
- 4 313, 36 euros au titre de l'indemnité de licenciement
- 10 000, 00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1 986,55 euros à titre de rappel de salaire
Ordonne l'exécution provisoire de la présente décision ;
Condamne la société SENI au paiement d'une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Déboute Monsieur [X] [M] du surplus de ses demandes ;
Condamne la société SENI aux dépens ; »
La société SENI a relevé appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique le 1er septembre 2020.
La constitution d'intimée de M. [M] a été transmise par voie électronique le 9 septembre 2020.
L'ordonnance de clôture a été rendue à la date du 6 septembre 2022.
L'affaire a été appelée à l'audience du 7 novembre 2022.
Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 17 novembre 2020, la société SENI demande à la cour de :
« Infirmer le jugement entrepris,
À titre principal,
Dire et juger que Monsieur [M] a commis des manquements constitutifs d'une violation caractérisée de ses obligations professionnelles rendant impossible son maintien dans l'entreprise même pendant le temps de son préavis.
Dire et juger que Monsieur [M] n'a pas justifié à compter du 21 septembre 2017 d'un motif légitime d'absence.
Dire et juger que les manquements commis par Monsieur [M] dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail sont constitutifs d'une faute grave.
En conséquence,
Dire et juger légitime le licenciement pour faute grave notifié à Monsieur [M]
Débouter Monsieur [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions contraires.
À titre subsidiaire,
Si par extraordinaire, la Cour considérait que le comportement de Monsieur [M] n'est pas constitutif d'une faute grave.
Dire et juger que le licenciement de Monsieur [M] repose sur une cause réelle et sérieuse.
En conséquence,
Limiter strictement l'indemnisation de Monsieur [M] au versement de l'indemnité légale de licenciement.
Débouter Monsieur [M] de sa demande d'indemnité compensatrice de préavis.
Débouter Monsieur [M] de toutes ses autres demandes, fins et conclusions contraires.
À titre infiniment subsidiaire,
Si par extraordinaire, la Cour devait estimer que le licenciement de Monsieur [M] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Vu l'article L.1235-3 du Code du travail,
Constater que la Société SENI s'oppose à la réintégration de Monsieur [M]
Constater que Monsieur [M] ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de l'étendue et de la réalité de son préjudice.
Limiter en conséquence strictement le montant des dommages et intérêts éventuellement dus à Monsieur [M] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 3.235,02 €, soit les 3 derniers mois de salaire.
En tout état de cause,
Débouter Monsieur [M] de sa demande de rappel de salaires pour la période du mois de juillet à octobre 2017
Débouter Monsieur [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
Dire et juger que l'avertissement en date du 24 juin 2016 est bien fondé et en conséquence infirmer le jugement sur ce point,
Confirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que l'avertissement en date du 30 mai 2017 est bien fondé. »
Par conclusions communiquées par voie électronique en date du 29 janvier 2021, M. [M] demande à la cour de :
« CONFIRMER le jugement rendu le 12 août 2020 par le Conseil de prud'hommes de PARIS en ce qu'il a condamné la société SENI au règlement de :
- 10.000 € d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 1.568,33 € d'indemnité compensatrice de préavis
-156,83 € de congés payés afférents
- 4.313, 36 € d'indemnité de licenciement
- 1.986,55 € de rappel de salaire
- 1.000 € de frais irrépétibles et dépens,
Et annulé l'avertissement du 24 juin 2016
INFIRMER le jugement rendu en ce qu'il a :
- débouté partiellement Monsieur [M] de sa demande de rappel de salaire pour les mois de juillet à octobre 2017,
- débouté Monsieur [M] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 30 mai 2017,
- débouté Monsieur [M] de sa demande de 2.000 € de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
En conséquence,
CONDAMNER la société SENI à verser la somme de 4.313,36 € à Monsieur [X] [M] au titre de l'indemnité légale de licenciement ;
CONDAMNER la société SENI à verser la somme de 10.000 € à Monsieur [X] [M] au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse ;
CONDAMNER la société SENI à verser la somme de 1.568,33 € à Monsieur [X] [M] à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
CONDAMNER la société SENI à verser la somme de 156,83 euros à Monsieur [X] [M] à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;
CONDAMNER la société SENI à verser à Monsieur [X] [M] la somme de 6.275,33 euros à titre de rappel de salaires;
DIRE ET JUGER que les avertissements des 24 juin 2016 et 30 mai 2017 seront annulés;
CONDAMNER la société SENI à verser à Monsieur [X] [M] la somme de 2.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement vexatoire ;
CONDAMNER la société SENI à verser à Monsieur [X] [M] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER la société SENI aux entiers dépens, »
Lors de l'audience présidée selon la méthode dite de la présidence interactive, le conseiller rapporteur a fait un rapport et les conseils des parties ont ensuite plaidé par observations et s'en sont rapportés pour le surplus à leurs écritures ; l'affaire a alors été mise en délibéré à la date du 4 janvier 2023 par mise à disposition de la décision au greffe (Art. 450 CPC)
MOTIFS
Vu le jugement du conseil de prud'hommes, les pièces régulièrement communiquées et les conclusions des parties auxquelles il convient de se référer pour plus ample information sur les faits, les positions et prétentions des parties.
Sur le licenciement
M. [M] soutient que :
- il a exercé légitimement son droit de retrait au motif qu'il est allergique à la poussière comme son médecin traitant l'indique (pièce salarié n° 7) et comme le médecin du travail l'a confirmé ;
- l'employeur s'est contenté de lui fournir un équipement censé le protéger des projections de poussières ; cela était insuffisant pour le prémunir de toute allergie ;
- l'employeur aurait dû le muter sur un autre poste, comme il le lui a demandé par lettre du 2 août 2017 (pièce salarié n° 10)
- la preuve de la désorganisation que l'employeur lui impute dans la lettre de licenciement n'est pas rapportée.
En réplique, la société SENI soutient que :
- M. [M] a été licencié pour faute grave en raison de ses absences injustifiées sur le site [Localité 7] habitat situé à [Localité 5] et de son refus délibéré de se soumettre aux instructions de son employeur ; en effet il ne s'est pas présenté sur son lieu de travail, malgré les mises en demeure qui lui ont été adressées ;
- un salarié peut exercer un droit de retrait s'il a un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ;
- aucun danger grave et imminent pour la vie ou la santé de M. [M] ne saurait être constaté ;
- le certificat médical produit par M. [M] (pièce salarié n° 7) pour justifier son droit de retrait ne mentionne aucunement « une allergie à la poussière » ; il indique uniquement « l'état de santé de Monsieur [M] [X], doit lui éviter les travaux en ambiance poussiéreuse » ;
- l'avis du médecin du travail indique « Pas de travail exposant à la projection de poussières (pas d'usage du souffleur) » (pièce salarié n° 11)
- l'état de santé de M. [M] n'était donc pas incompatible avec le travail en environnement poussiéreux, seul le travail entraînant la projection de poussières, et donc l'utilisation du souffleur, était prohibé ;
- l'entreprise a pris en compte ces préconisations du médecin du travail puisqu'elle a mis à la disposition de son salarié des équipements pour éviter la projection de poussières liées à l'utilisation du souffleur, tels qu'un masque, des lunettes de protection, une pince et un balai ;
- il n'y a pas de contradiction entre les préconisations du médecin du travail et le courrier de la société SENI en date du 19 septembre 2017 ; dans ce courrier l'entreprise indique à M. [M] que son état de santé n'est pas incompatible avec un travail en environnement poussiéreux mais plutôt avec les activités induisant la projection de poussières telles que le nettoyage de la voirie et des espaces verts qui amènent notamment à faire usage du souffleur et qu'après avoir étudié les différentes possibilités d'adaptation de son poste, elle met à sa disposition des équipements masque, des lunettes de protection, pince et balai pour lui éviter la projection de poussières liées à l'utilisation du souffleur ;
- l'entreprise a ainsi pris des mesures à la suite de l'avis rendu par le médecin du travail ;
- sans critiquer les mesures mises en place ou indiquer son refus de se présenter sur le site, M. [M] a fait le choix de ne plus jamais revenir travailler sur le site sans justifier ses absences, ni prévenir son employeur ;
- eu égard aux absences injustifiées de M. [M] et à son refus délibéré de se soumettre aux instructions de son employeur, à compter du 21 septembre 2017, son maintien dans l'entreprise était impossible.
Il ressort de l'article L. 1235-1 du Code du travail qu'en cas de litige, le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste il profite au salarié.
Quand le licenciement est prononcé pour faute grave, il incombe à l'employeur de prouver la réalité de la faute grave, c'est à dire de prouver non seulement la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail mais aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis.
Pour apprécier la gravité de la faute, les juges doivent tenir compte des circonstances qui l'ont entourée et qui peuvent atténuer la faute et la transformer en faute légère.
Si un doute subsiste sur la gravité de la faute reprochée, il doit profiter au salarié.
La cour rappelle que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat dont le corollaire est pour son salarié, la faculté de se retirer d'une situation dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave pour sa vie et sa santé.
Pour pouvoir se retirer légalement d'une situation de travail, le salarié doit avoir un motif raisonnable de penser qu'il encourt un danger grave et imminent pour sa santé (C. trav., art. L. 4131-1).
L'existence d'un motif raisonnable de penser qu'une situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou pour sa santé implique que le danger soit exceptionnel, inhabituel et pouvant entraîner des blessures graves. Le droit de retrait est réservé à des situations exceptionnelles et nécessitant une réponse urgente.
Toutefois, s'il s'avère que le salarié n'a pas de motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente pour lui un danger grave et imminent, il commet un abus de droit.
Il ressort de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige que M. [M] a été licencié en raison de ses absences injustifiées sur le site de [Localité 7] habitat à [Localité 5] et de son refus délibéré de se soumettre aux instructions de son employeur, à compter du 21 septembre 2017.
M. [M] invoquant l'exercice du droit de retrait, il incombe à la cour d'apprécier si cet exercice était légitime comme M. [M] le soutient ou abusif comme la société SENI le soutient.
Sur le droit de retrait
A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'exercice du droit de retrait par M. [M] était abusif au motif que M. [M] n'avait pas de motif raisonnable de penser que sa situation de travail sur le site de [Localité 7] habitat à [Localité 5] présentait pour lui un danger grave et imminent, étant précisé que M. [M] ne soutient même pas qu'il croyait être exposé à un danger grave et imminent pour sa santé.
C'est donc en vain que M. [M] soutient qu'il a exercé son droit de retrait au motif qu'il est allergique à la poussière comme son médecin traitant l'indique (pièce salarié n° 7) et comme le médecin du travail l'a confirmé ; en effet la cour retient que ce moyen est mal fondé en ce qu'il ne suffit pas à établir qu'il avait motif raisonnable de penser que sa situation de travail sur le site de [Localité 7] habitat à [Localité 5] présentait pour lui un danger grave et imminent pour sa santé.
C'est aussi en vain que M. [M] soutient que l'employeur s'est contenté de lui fournir un équipement censé le protéger des projections de poussières et que cela était insuffisant pour le prémunir de toute allergie ; en effet la cour retient que ce moyen est mal fondé en ce qu'il ne suffit pas à établir qu'il avait motif raisonnable de penser que sa situation de travail sur le site de [Localité 7] habitat à [Localité 5] présentait pour lui un danger grave et imminent pour sa santé.
Compte tenu de ce qui précède, la cour retient que M. [M] a commis un abus de droit dans l'exercice de son droit de retrait.
Sur les faits mentionnés dans la lettre de licenciement
Il résulte de l'examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus que la société SENI apporte suffisamment d'éléments de preuve pour établir les absences injustifiées de M. [M] sur le site de [Localité 7] habitat à [Localité 5] et son refus délibéré de se soumettre aux instructions de son employeur, à compter du 21 septembre 2017.
La cour retient aussi que cette faute est telle qu'elle impose le départ immédiat du salarié, le contrat ne pouvant se poursuivre même pour la durée limitée du préavis au motif que sans critiquer les mesures mises en place ou indiquer son refus de se présenter sur le site, M. [M] a fait le choix de ne plus jamais revenir travailler sur le site sans justifier ses absences, ni prévenir son employeur manifestant ainsi qu'il ne se plaçait plus dans un lien de subordination à son égard.
Le jugement déféré est donc infirmé en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [M] n'est pas justifié par une faute grave, et statuant à nouveau de ce chef, la cour dit que le licenciement de M. [M] est justifié par une faute grave.
Par voie de conséquence le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société SENI à payer à M. [M] les sommes de :
- 1 568,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis
- 156,83 euros au titre des congés payés afférents
- 4 313, 36 euros au titre de l'indemnité de licenciement
- 10 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
et statuant à nouveau de ces chefs, la cour déboute M. [M] de ses demandes relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents, à l'indemnité de licenciement et aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le rappel de salaires de juillet à octobre 2017
M. [M] demande la somme de 6.275,32 euros à titre de rappel de salaires pour la période de juillet à octobre 2017 et soutient que :
- il a exercé son droit de retrait à compter de juillet 2017 en raison de risque pour sa santé ;
- l'employeur a considéré, à tort qu'il s'agissait d'absences non rémunérées et l'a privé de tout salaire à compter de cette date ;
- cette situation a perduré jusqu'au 30 octobre 2017, date de son licenciement ;
- l'entreprise ne peut prendre aucune sanction à l'encontre d'un salarié en cas d'exercice du droit de retrait et la société SENI ne pouvait donc pas le priver de son salaire pendant cette période.
En réplique, la société SENI s'oppose à cette demande et soutient que :
- dans l'attente de la visite médicale prévue le 12 septembre 2017, elle a maintenu le salaire de M. [M] (pièce employeur n° 15) et a également régularisé son salaire pour les retenues de salaire opérées en juillet 2017 ;
- M. [M] a donc perçu son salaire pour la période du mois de juillet 2017 au 21 septembre 2017 et à compter de cette date, il était en placé en absence injustifiée et les retenues opérées étaient fondées.
Compte tenu de ce qui précède en ce qui concerne l'exercice abusif par M. [M] de son droit de retrait, la cour retient que M. [M] est mal fondé dans ses demandes étant ajouté qu'en plus la société SENI établit lui avoir payé ses salaires jusqu'au 21 septembre 2017 et avoir fait les régularisations utiles pour les retenues de salaire opérées en juillet 2017.
Par voie de conséquence le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la société SENI à payer à M. [M] la somme de 1 986,55 euros à titre de rappel de salaire et statuant à nouveau de ce chef, la cour déboute M. [M] de sa demande de rappel de salaire pour la période de juillet à octobre 2017.
Sur les dommages et intérêts pour licenciement vexatoire
A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour déboute M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire au motif qu'il est mal fondé à soutenir qu'il a exercé légitimement son droit de retrait, que l'employeur l'a rendu destinataire de nombreuses mises en garde et rappels à l'ordre alors qu'il pouvait simplement le muter sur un autre poste et qu'il l'a finalement licencié pour faute grave alors qu'il n'avait fait que protéger sa santé et demandé, à juste titre, des toilettes sur son lieu de travail ; en effet la cour a retenu plus haut que M. [M] a commis un abus du droit de retrait étant ajouté que l'envoi des mises en demeure n'est que l'exercice normal du pouvoir de direction de l'employeur qui est en l'espèce exempt de faute ou d'abus.
Le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire.
Sur l'annulation des avertissements des 24 juin 2016 et 30 mai 2017
M. [M] demande l'annulation des avertissements des 24 juin 2016 et 30 mai 2017 et fait valoir qu'il conteste la réalité des faits invoqués dans ces avertissements.
La cour constate que M. [M] ne donne pas plus de précision.
Aux termes de l'avertissement en date du 24 juin 2016, il est reproché à M. [M] de ne pas avoir respecté les consignes de ses supérieurs hiérarchiques et de ne pas avoir correctement effectué ses prestations de nettoyage sur les sites situés à [Localité 8].
La cour constate que la société SENI ne produit ni même n'invoque les éléments de preuve établissant que M. [M] n'a pas respecté les consignes de ses supérieurs hiérarchiques et de n'a pas correctement effectué ses prestations de nettoyage sur les sites situés à [Localité 8].
L'avertissement du 24 juin 2016 doit donc être annulé et le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a annulé l'avertissement du 24 juin 2016.
Aux termes de l'avertissement en date du 30 mai 2017, il est une nouvelle fois reproché à M. [M] la mauvaise qualité des prestations de nettoyage sur les sites situés à [Localité 6] et un manque de respect envers le client et le personnel de Véolia.
La société SENI produit des éléments de preuve pour établir les griefs (pièces employeur n° 5 et 6) étant précisé que ces pièces sont composées de photos des déchets non ramassés sur le site après l'intervention du salarié et des courriels signalant en substance la mauvaise qualité des prestations de nettoyage et le manque de respect de M. [M].
A l'examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l'avertissement du 30 mai 2017 est justifié et déboute M. [M] de sa demande d'annulation ; le jugement déféré est donc confirmé en ce qu'il a débouté M. [M] de sa demande d'annulation de l'avertissement du 30 mai 2017.
Sur les autres demandes
La cour condamne M. [M] aux dépens de la procédure de première instance et de la procédure d'appel en application de l'article 696 du Code de procédure civile au motif qu'il succombe de façon prépondérante.
Le jugement déféré est infirmé en ce qui concerne l'application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il n'apparaît pas inéquitable, compte tenu des éléments soumis aux débats, de laisser à la charge de la société SENI les frais irrépétibles de la procédure.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a annulé l'avertissement du 24 juin 2016 et débouté M. [M] de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et d'annulation de l'avertissement du 30 mai 2017 ;
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et ajoutant,
DIT que le licenciement pour faute grave de M. [M] est justifié ;
DÉBOUTE M. [M] de toutes ses demandes relatives à l'indemnité compensatrice de préavis et aux congés payés afférents, à l'indemnité de licenciement, aux dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et au rappel de salaire pour la période de juillet à octobre 2017 ;
DÉBOUTE la société SENI de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
CONDAMNE M. [M] aux dépens de première instance et d'appel.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT