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15/12/2022 | FRANCE | N°18/19526

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 7, 15 décembre 2022, 18/19526


Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 5 - Chambre 7



ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2022



(n° 31, 14 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général : 18/19526 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6H52



Décision déférée à la Cour : Décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 01-38-17 rendue le 13 juillet 2018




>REQUÉRANTE :



ENEDIS S.A.

Prise en la personne de son président du directoire

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 444 608 442

Dont le siège social est [Adresse 4]

[Localité 8]...

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 7

ARRÊT DU 15 DÉCEMBRE 2022

(n° 31, 14 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 18/19526 - N° Portalis 35L7-V-B7C-B6H52

Décision déférée à la Cour : Décision du Comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 01-38-17 rendue le 13 juillet 2018

REQUÉRANTE :

ENEDIS S.A.

Prise en la personne de son président du directoire

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 444 608 442

Dont le siège social est [Adresse 4]

[Localité 8]

Élisant domicile au cabinet de l'AARPI TEYTAUD-SALEH

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentée par Me François TEYTAUD, de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée de Me Vincent ROUER, substituant Monsieur le vice-Bâtonnier Laurent MARTINET du PARTNERSHIPS PAUL HASTINGS (EUROPE) LLP, avocats au barreau de PARIS, toque : J001

DÉFENDERESSE AU RECOURS :

ENI GAS & POWER FRANCE S.A.

Prise en la personne de son directeur général

Immatriculée au RCS de NANTERRE sous le n° 451 225 692

Dont le siège social est au [Adresse 3]

[Localité 9]

Élisant domicile au cabinet de Me Jeanne BAECHLIN

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN, de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Florent PRUNET, de l'AARPI JEANTET, avocat au barreau de PARIS, toque : T04

EN PRÉSENCE DE :

LA COMMISSION DE RÉGULATION DE L'ÉNERGIE

Prise en la personne du président du Comité de règlement des différends et des sanctions

[Adresse 2]

[Localité 6]

Comparant par Madame [H] [J], directrice juridique

Ayant pour avocat constitué Me Karim HAMRI, de la SELARL EARTH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0880

Assistée de Me Alex MENARD, substituant Me Karim HAMRI, de la SELARL EARTH AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : A0880

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 1er décembre 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

' Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente,

' Mme Agnès MAITREPIERRE, présidente de chambre,

' Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIÈRE, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l'affaire a été communiquée

ARRÊT :

' contradictoire,

' prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

' signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la déclaration de recours déposée au greffe, le 23 août 2018, par la société Enedis, contre la décision du comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie n° 01-38-17 du 13 juillet 2018 sur le différend qui oppose la société Eni Gas & Power à la société Enedis, relatif à la conclusion d'un contrat de prestations de gestion de clientèle en contrat unique ;

Vu l'arrêt de cette Cour rendu le 12 septembre 2019, ayant prononcé un sursis à statuer sur une partie des demandes ;

Vu les observations n° 3 déposées au greffe le 1er février 2022 par la société Enis Gas & Power France ;

Vu les observations n° 3 et observations récapitulatives n° 4 déposées au greffe les 5 octobre 2021 et 5 juillet 2022 par la société Enedis ;

Vu les observations récapitulatives n° 2 déposées au greffe le 5 avril 2022 par la Commission de régulation de l'énergie ;

Le ministère public ayant reçu toutes les pièces de la procédure ;

Après avoir entendu à l'audience publique du 1er décembre 2022, les conseils de la société Enedis, de la société Enis Gas & Power et de la Commission de régulation de l'énergie.

FAITS ET PROCÉDURE

Éléments de contexte

1.Afin de simplifier la souscription des contrats d'approvisionnement en électricité des petits consommateurs et de faciliter la mise en 'uvre de leur droit de choisir leur fournisseur à la suite de la libéralisation des marchés de détail de l'électricité, l'article L.224-8 du code de la consommation et l'article L.332-3 du code de l'énergie prévoient la faculté de conclure un « contrat unique » portant sur la fourniture et la distribution d'électricité. La souscription d'un tel contrat dispense ainsi les consommateurs de conclure directement un contrat d'accès au réseau avec le gestionnaire du réseau de distribution, parallèlement au contrat de fourniture conclu avec leur fournisseur. Ce contrat place le fournisseur dans le rôle d'un intermédiaire, missionné à cet effet à la fois par le client final et le gestionnaire du réseau de distribution (ci-après le « GRD »). Ce fournisseur devient l'interlocuteur privilégié du client final et conclut avec le GRD un contrat portant sur l'accès au réseau et l'acheminement de l'énergie pour le compte du client final. Ce mécanisme entraîne un certain nombre de charges de gestion de clientèle que le fournisseur supporte au bénéfice du GRD.

2.À l'origine, les contrats conclus entre les GRD et les fournisseurs ne prévoyaient pas de modalités financières spécifiques concernant la gestion de clientèle. C'est dans ce contexte que la Commission de régulation de l'énergie (ci-après la « CRE ») a été amenée à prendre des délibérations.

3.Par une délibération du 26 juillet 2012 portant communication relative à la gestion de clients en contrat unique, la CRE a examiné les stipulations contractuelles envisagées par les sociétés Direct Energie et Enedis relatives à la rémunération du fournisseur pour certaines prestations de gestion de clientèle en contrat unique. La CRE a, par cette délibération, validé un système de régulation qualifié d'asymétrique au profit des fournisseurs nouveaux entrants. Sous certaines conditions liées à l'entrée récente de l'opérateur sur le marché et au désavantage objectif en résultant, ces fournisseurs pouvaient conclure avec la société ERDF un contrat de prestation de gestion de clientèle en contrat unique (ci-après un « CPS »). Ce contrat devait être temporaire et la dissymétrie devait être proportionnée à la différence de situation, afin de corriger le déséquilibre. Elle a précisé, qu'un tel contrat pouvait être conclu avec d'autres fournisseurs nouveaux entrants placés dans une situation comparable à celle de la société Direct Énergie.

4.Par une délibération du 3 mai 2016, la CRE a approuvé la prolongation pour un an, jusqu'au 30 septembre 2016, du contrat de gestion de clientèle de la société Direct Energie analysé en 2012.

5.Par une décision du 13 juillet 2016 (GDF Suez, req. n° 388150), le Conseil d'État a jugé que la délibération du 26 juillet 2012 était contraire aux dispositions de l'article L.121-92 du code de la consommation, devenu l'article L.224-8 du même code et a annulé la délibération de la CRE du 10 décembre 2014, par laquelle celle-ci avait rejeté le recours gracieux, formé par la société GDF Suez, devenue la société Engie, tendant au retrait de la délibération du 26 juillet 2012.

6.Le motif de cette annulation énonce qu'en application de l'article L.121-92 du code de la consommation, les stipulations des contrats conclus entre le GRD et les fournisseurs d'électricité ne doivent pas laisser à la charge de ces derniers les coûts supportés par eux pour le compte du gestionnaire de réseau. Le Conseil d'État en a conclu qu'en prévoyant que ce type d'accord ne pouvait qu'être transitoire, d'une part, et en en réservant le bénéfice à certains fournisseurs seulement, d'autre part, la CRE avait méconnu ces dispositions.

7.Prenant acte de la décision du Conseil d'État, la CRE a, par une délibération du 12 janvier 2017, abrogé ses délibérations des 26 juillet 2012 et 3 mai 2016, tout en précisant, d'une part, qu'en l'absence de recommandation spécifique ou d'encadrement par la CRE de la rémunération des fournisseurs pour leur part de gestion de clientèle pour le compte des GRD, il appartenait à ces derniers ainsi qu'aux fournisseurs concernés « de déterminer contractuellement le versement au fournisseur d'une compensation financière au titre des coûts qu'il supporte du fait des prestations effectuées pour le compte du GRD » et en indiquant, d'autre part, qu'elle avait engagé des travaux sur les coûts relatifs à la gestion de clientèle des utilisateurs des réseaux de distribution de gaz naturel et d'électricité en contrat unique, et lancé une étude pour leur évaluation.

8.Puis, par une délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017, la CRE a défini et déterminé la composante tarifaire d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique, qui constitue la contrepartie due par les GRD aux fournisseurs au titre de la gestion de clientèle effectuée, à compter du 1er janvier 2018.

9.Par une délibération n° 2017-239 du même jour, elle a modifié les tarifs d'utilisation du réseau de distribution d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT afin de tenir compte de cette nouvelle composante tarifaire.

10.La loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche ainsi qu'à l'exploitation des hydrocarbures conventionnels et non conventionnels et portant diverses dispositions relatives à l'énergie et à l'environnement (dite « loi hydrocarbures ») a reconnu la compétence de la CRE pour fixer la rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle qu'ils réalisent pour le compte des GRD.

11.L'article L.341-4-3 du code de l'énergie, issu de la loi hydrocarbures, prévoit désormais que : « Les prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs d'électricité pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture d'électricité peuvent donner lieu à une rémunération, dont les éléments et le montant sont fixés par la Commission de régulation de l'énergie. ».

12.Tenant compte de ce nouveau cadre juridique explicite, la CRE a abrogé la délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017 par une délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, entrée en vigueur à compter du 26 janvier 2018, et a fixé à cette occasion les éléments et le niveau de cette rémunération due par les GRD aux fournisseurs, reprenant ceux fixés dans la délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017.

Le différend

13.Le différend oppose la société Enedis (ci-après « Enedis »), filiale à 100 % de la société EDF, qui est le GRD d'électricité sur 95 % du territoire métropolitain, et la société Eni Gaz & Power France (ci-après « Eni »). Cette dernière commercialise, depuis le 1er février 2017, pour les professionnels, et depuis le 1er avril 2017, à destination des clients résidentiels, des offres de fourniture alternative d'électricité.

14.Le 26 octobre 2015, Eni a, conformément aux prescriptions de la délibération du 26 juillet 2012, demandé au directeur général de la CRE à pouvoir bénéficier du contrat de prestations de gestion de clientèle en contrat unique avec Enedis, lequel lui a confirmé qu'elle se trouvait dans la situation requise et l'a invitée à se rapprocher d'Enedis pour convenir des stipulations contractuelles.

15.Dans ce contexte, Enedis a adressé à Eni, le 5 janvier 2016, un « modèle de contrat » de prestations de services, conforme aux dispositions de la délibération du 26 juillet 2012.

16.Le 2 novembre 2016, Eni a renvoyé à Enedis le contrat « complété par [ses] soins ».

17.Cette dernière lui a alors indiqué, par lettre du 21 novembre 2016, qu'elle avait transmis sa demande à la CRE pour examen et qu'elle la tiendrait informée de la réponse apportée par cette autorité.

18.Par lettre du même jour, Eni a réitéré sa demande de lui retourner le contrat signé dans un délai de huit jours.

19.À l'issue de plusieurs échanges, Enedis a fait savoir à Eni, le 19 janvier 2017, qu'elle restait dans l'attente d'une réponse de la CRE.

La procédure de règlement de différend

20.Le CoRDIS a été saisi le 22 février 2017 par Eni du différend qui l'oppose à Enedis relatif à la conclusion d'un contrat de prestations de gestion de clientèle en contrat unique.

21.Par une décision n° 01-38-17 du 13 juillet 2018 (ci-après la « décision attaquée ») celui-ci a retenu qu'un « contrat de prestations pour la gestion de clientèle en contrat unique a été valablement formé entre Enedis et Eni le 2 novembre 2016 » (article 1 de la décision attaquée).

22.Enedis a formé un recours contre cette décision le 23 août 2018 et demandé à la Cour, notamment de :

À titre principal, annuler la décision attaquée ;

À titre subsidiaire, réformer cette décision :

' en ce qu'elle a implicitement refusé de faire application de la loi Hydrocarbures, et des délibérations de la CRE des 26 octobre 2017 et 18 janvier 2018, et

' en ce qu'elle a considéré qu'un contrat de prestation de services pour la gestion de clientèle en contrat unique a été valablement formé entre Enedis et Eni le 2 novembre 2016 ;

Et statuant à nouveau, juger :

' qu'aucun contrat de prestation de services pour la gestion de clientèle en contrat unique n'a été valablement formé entre Enedis et Eni le 2 novembre 2016, et

' que les demandes d'Eni sont irrecevables et dépourvues d'objet ;

À titre infiniment subsidiaire,

' constater qu'Eni bénéficie, depuis le 1er janvier 2018, au même titre que l'ensemble des fournisseurs d'électricité, de la rémunération prévue par la délibération de la CRE du 18 janvier 2018 ;

' constater que les dispositions impératives de la délibération du 18 janvier 2018 s'appliquent nonobstant les contrats en cours, y compris le contrat de prestation de services ;

' constater que le maintien d'une rémunération d'Eni par Enedis au titre du contrat de prestation de services après le 1er janvier 2018, serait contraire à l'article L.322-8 du code de l'énergie ;

23.En réplique, Eni a demandé à la Cour, notamment, de :

À titre principal,

' rejeter l'exception d'incompétence soulevée par Enedis dans ses observations en réplique ;

' confirmer la décision attaquée et rejeter le recours ;

' y ajoutant, enjoindre à Enedis d'exécuter le contrat formé le 2 novembre 2016 sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, avec capitalisation des intérêts ;

À titre subsidiaire, enjoindre à Enedis de signer le CPS qu'elle a envoyé à Enedis le 5 janvier 2016 et que celle-ci lui a retourné complété le 2 novembre 2016, avec effet rétroactif au 1er novembre 2016, et de verser la rémunération complète afférente à la période débutant le 2 novembre 2016, le tout dans un délai de huit jours à compter de la décision à intervenir sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter de cette date.

24.La Cour a, par un arrêt du 12 septembre 2019 :

' dit n'y avoir lieu de statuer sur les exceptions d'incompétence abandonnées à l'audience par la CRE et Enedis ;

' rejeté le recours formé par Enedis contre cette décision, en ce qu'elle a jugé qu'un contrat de prestation de services pour la gestion de clientèle en contrat unique a été valablement formé entre Enedis et Eni le 2 novembre 2016 ;

' constaté que ce contrat est resté en vigueur au moins jusqu'au 31 décembre 2017 ;

' et, pour le surplus, a sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil d'État sur le recours formé par Eni contre la délibération de la CRE n° 2018-011 du 18 janvier 2018 portant décision sur la composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique dans les domaines de tension HTA et BT.

25.Par une décision du 31 décembre 2020, n° 416802, le Conseil d'État a :

' donné acte du désistement des conclusions du recours en excès de pouvoir de Eni dirigées contre les délibérations de la CRE n° 2017-237, n° 2017-238 et n° 2018-012 ;

' annulé la délibération de la CRE n° 2017-236 ;

' rejeté le surplus des requêtes [demandes d'annulation des délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011.

26.Concernant la délibération n° 2017-236 du 26 octobre 2017, constatant qu'à cette date, antérieure à l'entrée en vigueur de la loi hydrocarbures du 30 décembre 2017, la CRE ne tenait d'aucun texte compétence pour fixer le montant des rémunérations que le GRD verse aux fournisseurs d'électricité, le Conseil d'État a déclaré fondé la demande d'annulation de cette délibération pour excès de pouvoir. En revanche, il a retenu que la CRE était à cette date compétente, en vertu des articles L.134-1 et L.341-3 du code de l'énergie ['], pour modifier les tarifs d'utilisation du réseau public de distribution d'électricité afin d'y inclure une composante correspondant au montant des rémunérations que doit verser le gestionnaire de réseau en contrepartie de ces prestations. Par suite, il a rejeté le moyen tiré de ce que la délibération n° 2017-239 du 26 octobre 2017 aurait été prise par une autorité incompétente.

27.Concernant la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, il a relevé que l'article 13 de la loi hydrocarbures a modifié, à compter du 1er janvier 2018, le 3° de l'article L.134-1 du code de l'énergie pour habiliter la CRE à fixer la rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle qu'ils réalisent pour le compte du GRD dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture de l'électricité. Il en a déduit que la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018 n'avait pas été prise par une autorité incompétente.

28.Il a rejeté les moyens mettant en cause la régularité de la procédure préalable à l'édiction des délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011 et, sur la légalité interne des délibérations n° 2017-239 et n° 2018-011 a dit , après avoir rappelé les termes de l'article L.224-8 du code de la consommation :

« 17. Il résulte de ces dispositions que les obligations mises à la charge des fournisseurs ne s'épuisent pas, contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, avec la signature par les clients du contrat unique portant sur l'accès au réseau et la fourniture d'électricité mais que les fournisseurs sont en outre tenus d'assurer, pour le compte du gestionnaire de réseau, des prestations d'intermédiation pour la souscription par le consommateur des options et prestations techniques proposées, la facturation de l'acheminement de l'électricité sur le réseau de distribution, à hauteur des tarifs d'utilisation de ce réseau mentionnés à l'article L.341-2 du code de l'énergie, ainsi que le recouvrement des sommes correspondantes. Par suite, la Commission de régulation de l'énergie n'a pas commis d'erreur de droit en incluant ces prestations dans le périmètre des rémunérations en litige ».

29.En ce qui concerne les modalités d'appréciation des coûts supportés par les fournisseurs pour le compte du distributeur, au titre de la détermination tant du tarif d'utilisation des réseaux que de la rémunération des fournisseurs, le Conseil d'État s'est prononcé en ces termes :

« 18. Il ressort des deux délibérations attaquées que la Commission de régulation de l'énergie a fixé le montant de la rémunération due aux fournisseurs au titre du contrat unique et le tarif afférent, pour chaque point de livraison, par référence aux coûts supplémentaires, de nature fixe ou variable, exposés par un fournisseur normalement efficace pour fournir les prestations en cause, dans la limite des coûts évités par le gestionnaire de réseau. Elle a retenu pour référence les coûts supportés par un fournisseur alternatif actif dans le secteur de l'électricité sur un seul marché, à savoir le marché 'de masse', correspondant à la clientèle résidentielle et à celle des petits professionnels ou le marché 'des affaires', et disposant de 10 % de parts de marché.

19. En premier lieu, la référence aux coûts d'un fournisseur normalement efficace vise, conformément aux objectifs assignés à la Commission de régulation de l'énergie par l'article L.131-1 du code de l'énergie, à promouvoir le bon fonctionnement du marché de l'électricité au bénéfice des consommateurs finals, dès lors que la rémunération des fournisseurs est couverte par les tarifs d'utilisation du réseau acquittés par ces derniers. Contrairement à ce que soutiennent les sociétés requérantes, aucune disposition du code de l'énergie ni aucun autre texte ou principe n'imposait à la commission de fixer le montant de la rémunération en cause par référence aux coûts propres supportés par chaque fournisseur. En outre, si l'article L.341-2 du code de l'énergie dispose que le tarif doit être fixé en fonction des coûts d'un gestionnaire de réseau efficace, il résulte des termes mêmes de l'article L.224-8 de ce code que les prestations effectuées au titre du contrat unique ne peuvent l'être que par le fournisseur. Enfin, l'article L.322-8 du même code, qui prescrit au gestionnaire d'assurer l'accès au réseau dans des conditions non discriminatoires, ne fait pas obstacle à ce que la commission fixe des montants de rémunération distincts selon le point de livraison, afin de tenir compte d'une différence objective de situation, notamment au regard des caractéristiques de la clientèle. Ces dispositions ne lui imposent en revanche pas de procéder à une distinction en fonction de la taille des opérateurs, pourvu que la rémunération fixée couvre les coûts de fournisseurs efficaces disposant d'une moindre part de marché et ne créent pas de barrière à l'entrée sur ces marchés. Par suite, c'est sans erreur de droit que la commission a fixé les montants en cause au regard des coûts d'un fournisseur efficace, en distinguant selon les caractéristiques objectives des clients en cause.

20. En deuxième lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 19 que dès lors qu'il résulte des termes mêmes de l'article L.224-8 du code de la consommation que seul le fournisseur assure les prestations offertes au titre du contrat unique, la Commission de régulation de l'énergie ne pouvait légalement estimer que la rémunération des fournisseurs ne peut excéder les coûts évités par le gestionnaire du réseau de distribution. Cette erreur est toutefois sans incidence sur la légalité des délibérations attaquées dès lors qu'il ressort des pièces du dossier que la rémunération des fournisseurs n'a pas été plafonnée à hauteur des coûts évités du gestionnaire de réseau, lesquels excèdent en l'espèce les coûts supplémentaires supportés par les fournisseurs pour fournir les prestations en litige. Pour les mêmes motifs, les sociétés requérantes ne peuvent utilement critiquer les modalités retenues par la commission pour déterminer les coûts évités du gestionnaire de réseau. ».

30.C'est dans ce contexte que la présente instance a repris.

31.Eni demande à la Cour :

À titre principal,

' d'enjoindre à Enedis d'exécuter le contrat formé le 2 novembre 2016 jusqu'à son terme, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;

' d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

' de rejeter les moyens invoqués par Enedis dans son recours ;

À titre subsidiaire,

' d'enjoindre à Enedis d'exécuter le contrat formé le 2 novembre 2016 jusqu'au 25 janvier [2018] inclus, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;

' ordonner la capitalisation des intérêts.

32.Enedis demande à la Cour de rejeter la demande d'Eni visant à lui enjoindre d'exécuter, sous astreinte, le contrat de prestation de services pour la période postérieure au 1er janvier 2018.

33.La CRE considère que la délibération n° 2018-011 était applicable dès son entrée en vigueur à tous les contrats en cours d'exécution et que la demande de condamnation à exécuter le CPS sous astreinte, formulée par Eni, ne peut être accueillie que pour la période allant du 2 novembre 2016 au 25 janvier 2018.

MOTIVATION

I. SUR LA DEMANDE D'INJONCTION D'EXÉCUTER LE CPS JUSQU'À SON TERME

34.Eni, par sa demande d'injonction, entend obtenir la rémunération prévue dans le CPS, au titre des prestations de gestion de clientèle réalisées entre le 1er janvier 2018 et le 1er août 2020. À cette fin, elle considère, d'abord, que l'application immédiate de la délibération du 18 janvier 2018 au contrat conclu entre les parties porterait une atteinte excessive aux principes de liberté contractuelle et de sécurité juridique. Elle soutient que ces principes justifient que les contrats en cours restent soumis à la loi sous l'empire de laquelle ils ont été conclus.

35.Elle rappelle, ensuite, que le simple fait qu'un texte de loi soit d'ordre public ne suffit pas à lui seul à le rendre immédiatement applicable aux contrats en cours, renvoyant en ce sens à deux arrêts rendus par la Cour de cassation (Com., 11 octobre 1988, n° 87-11.884 et Civ. 1ère, 17 mars 1998, n° 96-12.183). Elle soutient qu'Enedis ne démontre pas, en l'espèce, que l'application de la délibération n° 2018-011 aux contrats en cours serait justifiée par « un motif d'intérêt général suffisant lié à un impératif d'ordre public ». Elle relève que l'objectif de la délibération n° 2018-011 est de rémunérer l'ensemble des fournisseurs pour leurs prestations de gestion de clientèle, non de substituer des conditions moins favorables à celles déjà conclues entre les GRD et certains fournisseurs, et que l'application de la rémunération prévue dans les contrats en cours jusqu'à leur terme ne contrevient pas à cet objectif de rémunération des fournisseurs.

36.Elle estime que l'arrêt « KPMG » rendu par le Conseil d'État le 24 mars 2006, invoqué par Enedis, n'est pas transposable à l'espèce, ayant trait à d'autres dispositions. En tout état de cause, elle observe que le Conseil d'État y a indiqué qu'en l'absence de disposition transitoire, les dispositions nouvelles entraîneraient « des perturbations qui, du fait de leur caractère excessif au regard de l'objectif poursuivi » seraient « contraires au principe de sécurité juridique » et a refusé d'en faire application. Elle soutient également que la solution dégagée dans l'arrêt du 25 mars 2014 de la Cour de cassation n'est pas davantage applicable à la présente espèce.

37.Elle ajoute que la décision attaquée a retenu qu'un contrat avait été valablement conclu en 2016, sans indiquer que le CPS ne devait pas recevoir une pleine et entière exécution jusqu'à son terme, ni se référer à la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018. Elle en déduit qu'une telle distinction n'a donc pas lieu d'être. Elle observe que dans sa lettre du 3 octobre 2018 (pièce Enedis n° 18), le président de la CRE insiste sur le fait qu'il appartient à Enedis d'appliquer la composante précitée pour tous les fournisseurs, c'est à dire à l'ensemble des fournisseurs, sans toutefois indiquer que cette composante devrait s'appliquer à la place de la rémunération qui aurait été contractuellement fixée entre Enedis et les fournisseurs conformément à la délibération de la CRE du 12 janvier 2017. Elle souligne que le Conseil d'État, dans sa décision du 31 décembre 2020, n'a pas davantage évoqué cette application aux contrats en cours et que la loi hydrocarbures, qui a attribué compétence à la CRE pour fixer la rémunération des prestations de gestion de clientèle en cause, ne comporte aucune disposition prévoyant que les délibérations de la CRE fixant cette rémunération seraient d'application immédiate à tous les contrats en cours, y compris ceux qui prévoient d'ores et déjà une rémunération des prestations de gestion de clientèle. De même, elle considère que la directive n° 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (ci-après la « directive n° 2009/72/CE ») n'impose pas que la délibération de la CRE soit d'application immédiate à un contrat en cours « valablement conclu » entre un GRD et un fournisseur, dans la mesure où ce contrat prévoit une rémunération en contrepartie des prestations de gestion de clientèle effectuées par le fournisseur pour le compte du GRD.

38.Elle considère qu'Enedis n'établit pas que l'exécution du CPS jusqu'à son terme créerait une discrimination justifiant une atteinte aux principes de liberté contractuelle et de sécurité juridique.

39.Elle conteste ainsi tant l'habilitation implicite du législateur pour une application immédiate de la délibération n° 2018-011 aux contrats en cours, que l'existence de motifs d'ordre public et d'intérêt général justifiant une telle application, de même que le caractère impératif de la rémunération prévue par cette délibération.

40.Elle ajoute qu'il n'existe aucune raison d'appliquer aux contrats en cours la rémunération prévue par la CRE dès lors que ces contrats prévoient bien une rémunération des prestations de gestion de clientèle effectuées par les fournisseurs et que cette rémunération a été validée, tant par la CRE dans sa délibération du 26 juillet 2012, que par le Conseil d'État dans sa décision du 13 juillet 2016, ce qui n'a pas été remis en question dans sa décision du 31 décembre 2020.

41.À titre subsidiaire, elle demande à la Cour de prendre acte de l'engagement d'Enedis, « en application de la décision du Conseil d'État du 31 décembre 2020 annulant la délibération du 26 octobre 2017 » de « procéder au versement à Eni de la somme correspondant à la différence entre le montant prévu par la Délibération annulée et l'exécution du CPS pour la période du 1er au 25 janvier 2018 » inclus et, en conséquence, a minima, d'enjoindre à Enedis d'exécuter le CPS jusqu'au 25 janvier 2018 inclus.

42.Enedis rappelle, préalablement, que dans ses délibérations des 26 octobre 2017 et 18 janvier 2018, et pour la période postérieure au 1er janvier 2018, la CRE a fixé le montant de la contrepartie financière devant être versée à l'ensemble des fournisseurs par le GRD. Elle estime, compte tenu des termes employés, que la CRE a indiqué, dès sa délibération du 26 octobre 2017, reprise à l'identique dans celle du 18 janvier 2018, que la rémunération fixée s'appliquait à l'ensemble des contrats en cours et qu'elle avait un caractère impératif. Elle rappelle que depuis le 1er janvier 2018, elle fait ainsi application de cette nouvelle réglementation en versant à l'ensemble des fournisseurs, en ce compris Eni, la rémunération annuelle de 6,80 euros par point de connexion pour les clients résidentiels en offre de marché, laquelle a été validée à la suite de l'arrêt du Conseil d'État du 31 décembre 2020.

43.Elle soutient, ensuite, que la délibération du 18 janvier 2018 est nécessairement d'application immédiate aux contrats en cours au regard de la jurisprudence du Conseil d'État (arrêts des 24 mars 2006, n° 288460, KPMG, 8 avril 2009, n° 271737, Commune d'[Localité 10] et 29 décembre 2021, n° 437594 et 443328, [I]), une telle application étant justifiée par des motifs d'intérêt général liés à des impératifs d'ordre public, tenant au respect d'une concurrence effective et loyale sur le marché de l'électricité, ainsi que par le principe de non-discrimination rappelé tant dans la directive 2009/72/CE que dans le code de l'énergie aux articles L.341-2, L.322-8 et L.111-92-1.

44.À l'instar de la CRE, elle considère que la protection des consommateurs constitue également un motif impératif d'intérêt général justifiant cette application immédiate, dans la mesure où l'ensemble des sommes versées par le GRD aux fournisseurs au titre des prestations de gestion de clientèle sont couvertes par le tarif d'acheminement de l'électricité (TURPE) et, in fine, supportées par les consommateurs.

45.Elle en déduit que le CPS conclu le 2 novembre 2016 ne peut trouver application au-delà du 25 janvier 2018, de sorte que la demande d'Eni visant à bénéficier de la rémunération prévue par ce contrat postérieurement au 26 janvier 2018 doit être rejetée.

46.En conséquence, elle indique à la Cour qu'elle a, par virement du 30 octobre 2018 et en exécution de la décision attaquée, versé à Eni une somme de 1 548 574,50 euros (correspondant à la redevance pour la Période 2 du CPS soit entre le 1er août 2017 et le 31 décembre 2017) et 98 005,67 euros (correspondant aux intérêts de retard), que depuis le 1er janvier 2018, elle verse à Eni, comme à l'ensemble des fournisseurs, la rémunération prévue par la délibération du 18 janvier 2018 et qu'en application de la décision du Conseil d'État du 31 décembre 2020 annulant la délibération du 26 octobre 2017, elle va procéder au versement à Eni de la somme correspondant à la différence entre le montant prévu par la délibération annulée et l'exécution du CPS pour la période du 1er au 25 janvier 2018.

47.La CRE a développé la même analyse et précise que les montants en jeu pour les fournisseurs d'électricité sont loin d'être négligeables. Elle relève ainsi, pour la seule période allant du 1er janvier au 26 janvier 2018, que la différence entre le montant de la rémunération versée en application de la délibération n° 2017-236 ' égale à celle prévue par la délibération n° 2018-011 ' et les tarifs stipulés dans les CPS représentait une somme de 544 000 euros.

Sur ce, la Cour,

48.La Cour relève, en premier lieu, concernant la période du 1er janvier 2018 au 25 janvier 2018, que le montant de la rémunération des prestations de gestion de clientèle réalisées par les fournisseurs d'électricité pour le compte du GRD n'était régulièrement encadré par aucune délibération de la CRE, dès lors que par la décision du Conseil d'État du 31 décembre 2020, précitée, la délibération du 26 octobre 2017 a été annulée.

49.Les parties s'accordent sur le fait que rien ne s'oppose, en conséquence, à ce que le CPS conclu le 2 novembre 2016 entre Enedis et Eni s'applique en toutes ses dispositions jusqu'au 25 janvier 2018.

50.Enedis s'est d'ailleurs engagée, dans ses dernières écritures, à procéder au versement à Eni de la somme correspondant à la différence entre le montant prévu par la délibération de 2017 annulée (dont elle s'est acquittée le 20 octobre 2018, pièce Enedis n° 19) et celui qui était dû en exécution du CPS, pour la période du 1er au 25 janvier 2018.

51.Ce paiement devra intervenir dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt par le greffe. Passé ce délai, cette obligation de paiement sera assortie d'une astreinte provisoire de 1 500 euros par jours de retard, pour deux mois.

52.La Cour rappelle, en second lieu, concernant la période postérieure au 25 janvier 2018, qu'à la suite de l'adoption de la loi hydrocarbures, le législateur a donné compétence à la CRE pour arrêter le montant de la rémunération due aux fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle en contrat unique.

53.C'est sur le fondement de ces nouvelles dispositions que la CRE a adopté la délibération n° 2018-011, dont la légalité a été confirmée par le Conseil d'État dans sa décision du 31 décembre 2020 synthétisée aux paragraphes 27 et suivants du présent arrêt.

54.Il est constant que cette délibération est entrée en vigueur le lendemain de sa publication au journal officiel de la République française, soit le 26 janvier 2018.

55.La circonstance que la décision attaquée du 13 juillet 2018 soit intervenue quelques mois après la délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, sans que le CoRDiS n'y ait fait référence pour limiter les conditions dans lesquelles ce contrat pouvait être exécuté jusqu'à son terme, est tout d'abord inopérante pour répondre à la question de savoir si cette délibération était immédiatement applicable aux contrats en cours d'exécution. En effet, le CoRDIS s'est uniquement prononcé sur les éléments du différend qui lui était soumis, lequel portait sur la situation des parties en 2016 et plus spécifiquement sur la reconnaissance d'un contrat de prestation de services valablement formé le 2 novembre 2016, non sur une demande d'injonction d'exécuter le contrat jusqu'à son terme impliquant d'examiner l'incidence de la délibération précitée sur le niveau de rémunération applicable aux prestations réalisées par Eni.

56.Comme l'a récemment rappelé le Conseil d'État (CE, 29 décembre 2021, req. n° 437594, pièce CRE n° 1) la CRE « tient nécessairement » des dispositions de l'article 36 de la directive 2009/72/CE « le pouvoir d'imposer aux gestionnaires de réseau de modifier des contrats en cours d'exécution passés par le gestionnaire de réseau, lorsque la modification de ces contrats répond à un motif d'intérêt général suffisant lié à l'impératif d'ordre public tenant à l'établissement d'une concurrence effective et loyale sur le marché ».

57.L'application aux contrats en cours des dispositions des délibérations qu'une autorité de régulation est conduite à prendre dans le cadre de ses missions de régulation peut dès lors ressortir de façon implicite mais nécessaire de ses décisions (en ce sens, Com., 25 mars 2014, pourvoi n°12-28.426, Bull. 2014, IV, n° 61).

58.Par ailleurs, le principe selon lequel « la loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif », énoncé à l'article 2 du code civil, ne fait pas obstacle à ce que des dispositions nouvelles puissent s'appliquer aux contrats en cours pour définir leurs effets futurs, au regard, précisément, des considérations précitées, tenant à l'existence d'un motif d'intérêt général lié à un impératif d'ordre public.

59.En l'espèce, dans sa délibération n° 2018-011, la CRE a d'abord rappelé le cadre juridique dans lequel elle s'insère et, notamment, les termes de l'article L.341-4-3 du code de l'énergie en application duquel « les éléments et le montant » de la rémunération litigieuse sont fixés par la CRE et ceux de l'article L.341-2 du code de l'énergie, qui prévoit que « [l]es tarifs d'utilisation du réseau public de transport et des réseaux publics de distribution sont calculés de manière transparente et non discriminatoire, afin de couvrir l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau efficace ».

60.Elle a ensuite prévu que cette composante d'accès aux réseaux publics de distribution d'électricité pour la gestion de clients en contrat unique « s'applique à l'ensemble des gestionnaires de réseaux publics de distribution d'électricité dans les domaines de tension HTA et BT, nonobstant toute disposition contraire des cahiers des charges, des conventions de concession et des contrats, notamment celles relatives à la facturation de frais d'exploitation, d'entretien et de renouvellement. » (point 3.2).

61.Par ailleurs, aux termes du deuxième alinéa de l'article L.131-1 du code de l'énergie, la CRE « veille, en particulier, à ce que les conditions d'accès aux réseaux de transport et de distribution d'électricité (...) n'entravent pas le développement de la concurrence. ».

62.La CRE a ainsi fixé la rémunération des prestations en cause à « 6,80 euros en BT '36 kVA ».

63.Or, il n'est pas contesté que le contrat conclu entre les parties en 2016, pour une durée de 3 ans et 9 mois, prévoit une rémunération d'un montant différent, étant de 33 euros pour la période en débat, selon les précisions orales apportées par Enedis à l'audience, non contestées par Eni.

64.L'alignement des contrats en cours sur les niveaux définis par la CRE, applicables à compter de l'entrée en vigueur de la délibération, est seul de nature à soumettre l'ensemble des fournisseurs à des conditions tarifaires identiques, à compter de la même date, sans que leur effet ne soit reporté à l'expiration du contrat conclu avec chacun d'eux.

65.Contrairement à ce que soutient Eni, l'application immédiate répond ainsi à un impératif d'ordre public tenant à la garantie d'une concurrence effective et loyale sur le marché de l'électricité et garantit, en instaurant une standardisation du montant de cette rémunération, un accès non-discriminatoire au réseau, conformément au principe notamment rappelé au considérant 32 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 précitée et à l'article L.341-2 du code de l'énergie.

66.Compte tenu du montant des rémunérations en cause, le maintien des stipulations contractuelles au bénéfice des titulaires de CPS jusqu'au terme de ces contrats, nonobstant l'entrée en vigueur de la délibération n° 2018-011, constituerait un avantage concurrentiel très important sur leurs concurrents, ainsi qu'une discrimination dans les conditions d'accès au réseau.

67.Il résulte de l'ensemble de ces éléments et du cadre légal dans lequel la délibération s'inscrit qu'il n'est pas porté une atteinte excessive à la liberté contractuelle et au principe de sécurité juridique.

68.La demande d'Eni relative à la période postérieure au 25 janvier 2018 ne peut, en conséquence, être accueillie.

II. SUR LES FRAIS IRRÉPÉTIBLES

69.Enedis demande la condamnation d'Eni à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

70.Eni demande la condamnation d'Enedis à lui régler la somme de 50 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de Maître Baechlin conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

71.L'équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de l'une ou l'autre des parties, chacune succombant pour partie dans ses prétentions.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement :

DIT que le contrat conclu entre Enedis et Eni le 2 novembre 2016, en ce qu'il fixe la rémunération des prestations de gestion de clientèle en contrat unique, doit être exécuté par les parties jusqu'au 25 janvier 2018 ;

DONNE ACTE à Enedis de son engagement de payer à Eni les sommes restant dues à ce titre, correspondant à la différence entre la rémunération versée en application de la délibération de la CRE du 26 octobre 2017 et celle due en exécution du contrat du 2 novembre 2016 ;

DIT que les sommes dues sont assorties des intérêts au taux légal à compter de la notification du présent arrêt par le greffe et, ordonne, s'il y a lieu, la capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil ;

DIT qu'à défaut de paiement volontaire dans le délai de quinze jours suivant la notification du présent arrêt par le greffe, cette obligation sera assortie d'une astreinte provisoire de 1 500 euros par jours de retard, pour une période de deux mois ;

DIT qu'après le 25 janvier 2018 et jusqu'au terme du contrat précité, la rémunération des prestations de gestion de clientèle est encadrée par la délibération de la CRE n° 2018-011 du 18 janvier 2018, laquelle est applicable aux contrats en cours à compter de son entrée en vigueur ;

REJETTE en conséquence la demande d'Eni d'exécution sous astreinte du contrat conclu le 2 novembre 2016 avec Enedis, en ses dispositions relatives au montant de la rémunération des prestations de gestion de clientèle en contrat unique, pour la période courant du 25 janvier 2018 et jusqu'à son terme ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chaque partie la charge de ses dépens.

LA GREFFIÈRE

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE

Frédérique SCHMIDT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 5 - chambre 7
Numéro d'arrêt : 18/19526
Date de la décision : 15/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-15;18.19526 ?
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