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13/12/2022 | FRANCE | N°20/05335

France | France, Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 11, 13 décembre 2022, 20/05335


Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11



ARRET DU 13 DECEMBRE 2022



(n° , 9 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05335 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCHWR



Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01763



APPELANTE



Madame [I] [G]

[Adresse 2]

[Localité 4

]

Représentée par Me Jean-Gilles BARBAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0906



INTIMEE



SAS DAMIANI PARIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBO...

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 11

ARRET DU 13 DECEMBRE 2022

(n° , 9 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/05335 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCHWR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 16 Juillet 2020 -Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° 19/01763

APPELANTE

Madame [I] [G]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Jean-Gilles BARBAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : C0906

INTIMEE

SAS DAMIANI PARIS

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Matthieu BOCCON GIBOD, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Catherine VALANTIN, Conseillère, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,

Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,

Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI

ARRET :

- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Mme [I] [G], née le 12 janvier 1967, a été engagée par la société Damiani Paris SAS dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée à compter du 13 juillet 2016 en qualité de « Vendeuse hautement qualifiée », niveau V échelon 1, relevant de la convention collective de l'horlogerie-bijouterie.

Suite à une altercation avec son supérieur hiérarchique le vendredi 18 janvier 2019, Mme [G] a été placée en arrêt maladie à compter du 19 janvier 2019.

Par requête en date du 28 février 2019, elle a saisi le le conseil de prud'hommes de Paris d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, invoquant au soutien de cette demande des faits de harcèlement moral et le non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité.

Le 21 septembre 2020, Mme [G] a été déclarée inapte à tout reclassement dans un emploi par le médecin du travail.

Elle a été licenciée pour inaptitude le 14 octobre 2020.

A la date de son licenciement, Mme [G] avait une ancienneté de 4 ans et 3 mois et la société occupait à titre habituel plus de 10 salariés.

Saisi d'une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et de diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour licenciement nul, pour exécution déloyale du contrat de travail, et pour non-respect de l'obligation de sécurité de résultat, et d'une demande de condamnation au paiement de jours de récupération non pris, le conseil de prud'hommes de Paris, par jugement du 16 juillet 2020, auquel la cour se réfère pour l'exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit :

Condamne la société Damiani Paris à payer à Mme [G] les sommes suivantes :

3 000,00 euros à titre de paiement de 12 jours de repos compensateurs,

Avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par la partie défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation.

1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Déboute Mme [G] du surplus de ses demandes.

Déboute la société Damiani Paris de sa demande reconventionnelle.

Condamne la société Damiani Paris, partie succombante au litige, aux dépens de la présente instance.

Par déclaration du 1 août 2020, Mme [G] a interjeté appel du jugement rendu par le conseil de prud'hommes, notifié par lettre recommandée avec accusé de réception le 20 juillet 2020.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 2 septembre 2022, Mme [G] demande à la cour de :

Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Paris en ce qu'il a débouté madame [G] de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Statuant à nouveau,

A titre principal, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de madame [G] aux torts exclusifs de la société Damiani Paris en raison des actes de harcèlement moral subis.

A titre subsidiaire, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de madame [G] aux torts exclusifs de la société Damiani Paris en raison des manquements graves de l'employeur à son obligation de sécurité.

Fixer la date de résiliation du contrat au 14 octobre 2020.

A titre infiniment subsidiaire, dire et juger que le licenciement pour inaptitude de madame [G] intervenu le 14 octobre 2020 est sans cause réelle et sérieuse

En tout état de cause,

Dire et juger que la société Damiani Paris a manqué à son obligation de sécurité.

Dire et juger que la société Damiani Paris n'a pas exécuté loyalement le contrat de travail.

En conséquence,

Condamner la société Damiani Paris à verser à madame [G] les sommes suivantes:

Rappel d'indemnité de préavis 2.641,25 € brut

Rappel d'indemnité spéciale de licenciement 2.974,98 € net

Rappel d'indemnités de congés payés (84,75 jours) 10.216,81 € brut

A titre subsidiaire rappel d'indemnités de cp (67 jours) 6.362,22 € brut

Condamner la société Damiani Paris à verser à madame [G] des dommages et intérêts à hauteur de 108.598,20€ au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison des agissements de harcèlement moral dont elle a été la victime, produisant les effets d'un licenciement nul.

A titre subsidiaire, condamner la société Damiani Paris à verser à madame [G] des dommages et intérêts à hauteur de 108.598,20€ au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

A titre infiniment subsidiaire, condamner la société Damiani Paris à verser à madame [G] la somme de 108.598,20€ à titre de dommages et intérêts au titre de son licenciement pour inaptitude sans cause réelle et sérieuse.

En tout état de cause,

Condamner la société Damiani Paris à verser à madame [G] :

Dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail 5.000,00 € net

Article 700 du code de procédure civile 5.000,00 € net

Condamner également la société Damiani Paris à remettre à madame [G] sous astreinte de 100 € par jour de retard une attestation pôle emploi, un certificat de travail et un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la décision à intervenir ainsi qu'une attestation de salaire accident de travail mentionnant la date du 18 janvier 2019 comme dernier jour travaillé et non le 19 janvier 2019.

Débouter la société Damiani Paris de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions.

Condamner la société Damiani Paris aux dépens de l'instance et notamment ceux liés à l'exécution de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 30 août 2022, la société Damiani Paris demande à la cour de :

Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Madame [G] de sa demande de résiliation judiciaire et de ses demandes subséquentes ;

Infirmer le jugement du Conseil de prud'hommes en ce qu'il a condamné la société au paiement de 3.000 euros de jours de repos compensateur ;

Par conséquent :

A titre principal : dire et juger que la demande de résiliation judiciaire de Madame [G] n'est pas justifiée, et à titre subsidiaire, que son licenciement est parfaitement fondé ;

Juger que Madame [G] n'a pas fait l'objet de harcèlement moral ;

Juger que la société a respecté son obligation de sécurité de résultat;

Débouter Madame [G] de l'intégralité de ses demandes ;

Condamner Madame [G] au versement de la somme de 2.000 Euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;

Condamner Madame [G] aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 10 novembre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail:

Pour infirmation du jugement la salariée soutient à titre principal qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement moral et à titre subsidiaire d'un manquement par l'employeur à son obligation de sécurité, ce qui rendait impossible la poursuite du contrat de travail.

Pour confirmation, l'employeur conteste de son coté les agissements et les manquements reprochés .

La résiliation judiciaire du contrat de travail peut être demandée en justice par le salarié lorsque l'employeur n'exécute pas ses obligations contractuelles et que les manquements qui lui sont reprochés présentent un caractère de gravité suffisant de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Lorsque la résiliation judiciaire est prononcée elle est assimilée dans ses effets à un licenciement sans cause réelle ou sérieuse, ou à un licenciement nul conformément aux dispositions des articles L 1153-4 out L 1226-13 du code du travail, lorsqu'elle résulte notamment de faits de harcèlement moral ou qu'elle a été prononcée au cours d'une période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail.

Elle prend effet au jour où le conseil de prud'hommes la prononce, ou du licenciement si un licenciement est entre temps intervenu.

- A titre principal, sur le harcèlement moral:

La salariée soutient avoir été victime d'agissements de harcèlement moral caractérisés par le fait que son supérieur hiérarchique, M.[Y] n'aurait cessé de la dénigrer et de lui imposer l'exécution de tâches qui ne relevaient pas de ses attributions, aurait adopté une attitude hostile, l'aurait menacée verbalement et aurait eu pour habitude de se changer dans son bureau au vu de tous, ce qui la mettait mal à l'aise, ces faits ayant été dénoncés auprés de la médecine du travail. Elle fait encore valoir que M.[Y] l'aurait agressée le 18 janvier 2019, cette agression ayant entrainé un arrêt de travail ininterrompu, reconnu en accident du travail, à l'issue duquel elle a été déclarée inapte à son poste de travail. Elle ajoute enfin que la société a cherché à faire pression sur elle en ne lui transmettant pas les documents nécessaires à sa prise en charge par l'assurance maladie et la prévoyance.

L'employeur réplique que Mme [G] ne verse aucun élément aux débats permettant de démontrer les faits reprochés à M. [Y]. S'agissant de l'altercation du 18 janvier 2019, elle affirme que l'enquête réalisée a fait ressortir une toute autre version des faits, la salariée ayant eu un comportement désobligeant à l'égard de son supérieur hiérarchique.

Elle expose encore que si M.[Y] se change à l'intérieur de son bureau qui est privé et équipé d'une porte, il prend soin de se mettre dans un coin non couvert par la caméra, qui encadre essentiellement la table de travail. Elle ajoute que les images correspondant à cette caméra sont diffusées sur un quart d'écran d'ordinateur et visibles uniquement si regardées volontairement ;

Elle indique enfin, que les attestations de salaires conformes permettant à la salariée de percevoir les indemnités journalières ont en définitive été remises à la salariée et qu'elle n'est pas responsable des retards et erreurs du prestataire de service qui gère les fiches de paie.

Aux termes des dispositions de l'article L 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L 1154-1 du code du travail précise que lorsque survient un litige relatif à l'application des dispositions de l'article précité, le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce, la salariée invoque au soutien de sa demande les faits suivants et produit à cette fin:

- le fait qu'elle a été victime d'une agression de la part de son supérieur hiérarchique le 18 janvier 2019. La preuve de cette agression est établie par:

. la plainte pénale que la salariée a déposé au commissariat de police le lendemain des faits,

. le certificat médical établi également le lendemain des faits mentionnant un choc psychologique ' suite à agression physique: bloquée contre le mur par un tiers',

. le procès verbal d'audition établi par la CPAM dans le cadre de l'instruction de la demande de reconnaissance d'accident du travail,

. la reconnaissance effective par la CPAM de l'accident du travail,

. et courrier adressé par l'avocat de Mme [G] à son employeur le 23 janvier 2019 notamment pour dénoncer cette agression,

. et enfin l'attestation établie par un salarié de l'entrepise ayant non seulement assisté aux faits mais été en outre contraint d'intervenir pour mettre un terme à l'altercation, ce salarié ayant exposé '... J'ai vu [N] [M.[Y]] sortir frénétiquement de son bureau, très en colère vers sa direction dans le bureau voisin lui demandant de changer son attitude. [I] [Mme [G]] se trouvait coincée entre l'angle du mur, le bureau sur sa gauche et [N] très en colère en face d'elle. J'ai fini de me changer et vu que la position de [N] n' avait pas changé en face de [I] refusant de la laisser passer et continuant à crier. En sachant qu'il n'avait pas déjeuné le midi et beaucoup bu d'alcool durant l'évènement, j'ai senti un potentiel danger avec toute cette agressivité. J'ai attrapé [N] par le bras pour laisser [I] sortir de ce coin au plus vite pour éviter que la situation ne dégénère.'

- le fait que son employeur ait eu une attitude de déni suite à cette agression, celui-ci ayant pris parti pour M.[Y] par courrier en date du 11 février 2019 en ces termes ' Il apparait que c'est Mme [G] qui a adopté à l'encontre de M. [Y] une attitude agressive et irrespectueuse lorsqu'elle a appris que le coffre-fort de la boutique avait été fermé par erreur et qu'il n'y avait pas d'espèces à avancer aux collaborateurs pour que ceux-ci rentrent en taxi à leur domicile.

MR [Y] a proposé de rembourser Mme [G] dés le lendemain, voire d'aller personnellement retirer des espèces le soir même afin d'en donner à Mme [G], mais celle-ci à continuer à invectiver M. [Y] affirmant, entre autres que ce dernier n'effectuait pas correctement son travail.

Face à cettte attitude inacceptable, M.[Y] lui a indiqué à plusieurs reprises qu'il était nécessaire qu'elle se ressaisisse, et qu'il n'était pas possible de tenir de tels propos envers sa hiérachie. Toutefois à aucun moment, M. [Y] n'a physiquement agressé Mme [G] ainsi qu'elle le prétend.

C'est à la suite de cette échange que Mme [G] a rapidement quitté la boutique, et a, par la suite, transmis son arrêt de travail.'

- le fait que ses fiches de paie et attestations postérieures à son arrêt maladie, lui ont été délivrées avec retard ce qui a retardé le paiement de ses indemnités journalières.

La salariée justifie, en outre, des documents médicaux attestant notamment du choc psychologique consécutif à son agression, de ses arrêts de travail successifs, d'un suivi psychologique, d'un avis d'inaptitude à son poste de travail et d'une reconnaissance de son statut de travailleur handicapé, la salariée n'ayant pas repris son travail suite à l'agression.

L'ensemble de ces éléments, à savoir l'agression dont la salariée a été victime, le parti pris par son employeur pour son responsable auteur de l'agression et les carences dans l'établissement des fiches de payes et des documents sociaux, outre les éléments médicaux, laissent présumer l'existence d'un harcèlement moral.

La société Damiani Paris affirme de son coté que ces éléments sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, faisant valoir que la salariée était responsable de l'altercation du 18 janvier 2019, ce qu'aurait démontré l'enquête réalisée immédiatement aprés les faits. S'agissant du retard et des erreurs dans l'établissements de fiches de payes et des documents sociaux elle invoque la responsabilité de son prestataire auprés de qui elle a dû intervenir à plusieurs reprises pour que le nécessaire soit fait.

Si la société démontre effectivement par de nombreux échanges de mails avec son prestataire chargé d'établir les fiches de paye et les divers documents sociaux, que les erreurs ou les retards reprochés ne sont pas de son fait et qu'elle a fait le nécessaire pour que la situation soit régularisée, elle ne rapporte en revanche pas la preuve que l'agression dont Mme [G] a été victime serait justifiée par les éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, le fait que la salariée ait pu avoir un comportement irrespectueux, ce qui n'est pas clairement établi et ne résulte pas du seul fait qu'elle ait été en conflit avec son responsable, ne pouvant en tout état de cause justifier l'attitude extrêmement agressive et potentiellement dangereuse de M.[Y].

La société Damiani ne démontre pas plus que l'enquête réalisée aprés les faits du 18 janvier 2019 démentait totalement la version de la salariée et justifiait ainsi que la direction ait pris parti pour M.[Y]. Il ressort au contraire des éléments versés au dossier que cette enquête réalisée avait mis en évidence des éléments à charge à l'encontre de M. [Y].

Le salarié ayant attesté en faveur de Mme [G] dans le cadre de la présente procédure, avait en effet lors de son audition par l'employeur le 26 janvier 2019 d'ores et déjà indiqué: 'Elle [ Mme [G]] n'a pas semblé contente et elle a soufflé assez fort. A ce moment là, je suis sorti des vestiaires et j'ai vu [N] [ M.[Y]] sortir de son bureau très rapidement et en colère en direction d'elle dans l'arrière boutique pour lui dire qu'elle doit changer d'attitude. Après, ils se sont disputés et je ne me souviens plus des mots exacts mais elle était dans le bureau coincée entre [N] devant et le mur derrière où se trouve l'imprimante. Ils étaient très bruyants et je n'aimais pas cette situation. Il était tard et je sentais que la situation pouvait empirer, donc j'ai décidé de prendre [N] par le bras et de laisser [I] partir d'où elle était.'

La version donnée par M. [Y] lui même, si elle tend à minimiser le caractère agressif de son attitude et à faire supporter la responsabilité de l'altercation à Mme [G], confirme en tout état de cause le fait qu'il ait poursuivi la salariée dans un bureau pour lui faire des reproches, celle-ci ayant dû le repousser avec son bras pour tenter de sortir, ce à quoi il s'était opposé, un salarié ayant en définitive dû intervenir pour libérer la salariée.

La société Damiani Paris, après avoir refusé dans un premier temps de transmettre l'audition du salarié contraint d'intervenir pour mettre un terme à la situation de danger potentiel dans laquelle s'était trouvée Mme [G], affirmant que cette dernière avait tous les torts, a ainsi fait preuve de déloyauté dans l'appréciation de la situation et n'a, en outre, pris aucune mesure pour permettre le retour de la salariée dans des conditions de travail sécurisées et appaisées, confortant ainsi M.[Y] dans sa position de supériorité malgré l'agression commise et Mme [G] dans un état d'insécurité, alors qu'elle justifiait d'un traumatisme consécutif à cette agression, reconnue comme accident du travail, et ayant par la suite conduit à l'avis d'inaptitude.

La cour retient ainsi au regard de l'ensemble de ces éléments que les faits établis par la salariée ne sont pas justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement et sont constitutifs d'agissements de harcèlement moral, qui rendaient impossible la poursuite du contrat de travail.

Il y a, en conséquence lieu, par infirmation du jugement déféré, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Cette résiliation prendra date au jour du licenciement et produira les effets d'un licenciement nul.

sur les conséquences financières:

- sur le rappel de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité spéciale de licenciement:

Au soutien de sa demande de rappel Mme [G] fait valoir que la moyenne des salaires à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de préavis et l'indemnité spéciale de licenciement est celle plus avantageuse des 12 derniers mois, la société Damiani Paris se référant quant à elle aux salaires de 3 derniers mois.

Si aux termes de l'article R1234-4 du code du travail, le salaire à prendre en considération pour le calcul de l'indemnité de licenciement est, selon la formule la plus avantageuse pour le salarié soit le douzième de la rémunération des douze derniers mois précédant le licenciement, soit le tiers des trois derniers mois, les dispositions de l'article L1226-16 du code du travail prévoient quant à elles que 'les indemnités prévues aux articles L. 1226-14 et L. 1226-15 (soit l'indemnité spéciale de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis) sont calculées sur la base du salaire moyen qui aurait été perçu par l'intéressé au cours des trois derniers mois s'il avait continué à travailler au poste qu'il occupait avant la suspension du contrat de travail provoquée par l'accident du travail ou la maladie professionnelle'.

Les indemnités compensatrices de préavis et spéciale de licenciement ayant été calculées conformément aux disposition de l'article L 1226-16 du code du travail, sur la base du salaire moyen des 3 derniers mois ayant précédé la suspension du contrat de travail, Mme [G] sera déboutée des demandes de rappel faites à ce titre.

- sur l'indemnité compensatrice de congés payés:

Mme [G] soutient que son droit à congé payé doit être calculé sur la totalité de la période de travail jusqu'à la date du licenciement, la société Damiani Paris faisant valoir, qu'en cas de suspension du contrat pour accident du travail, la durée à prendre en compte ne peut excéder 1 an.

Il résulte des dispositions de l'article L3141-5 du code du travail qu'est considérée comme période de travail effectif pour la détermination de la durée du congé, la période pendant laquelle l'exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle dans la limite d'une durée ininterrompue d'un an.

C'est donc à juste titre que la société Damiani Paris a calculé le nombre de jours de congés dus à Mme [G], sur la période janvier 2019 à janvier 2020, et non sur la totalité de la période jusqu'à la rupture du contrat de travail. Mme [G] sera en conséquence déboutée de la demande faite à ce titre.

- sur les dommages et intérêts pour licenciement nul :

Aux termes de l'article L 1235-3-1 du code du travail en cas de nullité du licenciement et lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l'espèce, il y a lieu eu égard à l'ancienneté de la salariée et à sa situation financière postérieure à la rupture du contrat de travail, Mme [G] justifiant avoir été prise en charge par pôle emploi, d'évaluer son préjudice à la somme de 50.000 euros et de condamner la société Damiani Paris au paiement de cette somme.

La société Damiani Paris qui a fait preuve de déloyauté en imputant la responsabilité de l'altercation à Mme [G], malgré l'audition pourtant sans ambiguïté du salarié ayant assisté à l'altercation, sera en outre condamnée à payer à Mme [G] la somme de

2.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

- sur la condamnation de Mme [G] à la somme de 3 000 euros au titre des 12 jours de repos compensateurs :

Pour confirmation du jugement entrepris, Mme [G] expose qu'elle a travaillé au cours de l'année 2018, 12 dimanches ou jours fériés, sans bénéficier de récupération.

Pour infirmation, la société Damiani Paris indique que si la salariée a travaillé 2 dimanches en décembre 2018, le 9 et le 30, elle a travaillé 34 heures la semaine du 4 au 10 décembre (incluant le dimanche travaillé) et 37 heures la semaine du 4 au 10 décembre, 2 heures supplémentaires lui ayant été réglées. Elle affirme que la salariée a bénéficié de jours de récupérations pour les autres dimanches.

Il résulte des dispositions de L 3132-1 du code du travail qu'il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine, l'article L3132-2 du code du travail précisant que le repos hebdomadaire a une durée minimale de vingt-quatre heures consécutives auxquelles s'ajoutent les heures consécutives de repos quotidien prévu au chapitre Ier.

L'article L 3132-3 du code du travail prévoit par ailleurs que dans l'intérêt des salariés le repos hebdomadaire est donné le dimanche.

Le contrat de travail liant les parties ne stipule pas que la salariée devait travailler habituellement le dimanche, l'article 5 précisant que la durée de travail était de 35 heures hebdomadaires et que son horaire de travail serait établi conformément au planning qui lui sera communiqué.

La société Damiani Paris ne conteste pas que la salarié a travaillé 12 dimanches en 2018, y compris deux dimanches au mois de décembre 2018.

Le bulletin de paie du mois de décembre 2018 ne fait apparaître aucune heure majorée au titre du travail accompli le dimanche alors que les bulletins de paie de 2018 font apparaître, - 12 heures majorées au titre du travail du dimanche en juillet 2018, 19 heures en juin 2018, 24 heures en mai 2018, 12,50 heures en avril 2018, 20 heures en mars 2018, 17,50 heures en février 2018 et 18 heures en janvier 2018.

Le nombre très élevé d'heures supplémentaires accomplies sur ces mêmes mois excluent le fait que la salarié ait bénéficié d'un repos compensateur hebdomadaire qui n'est d'ailleurs pas mentionné sur les bulletins de paie, la société Damiani Paris ne rapportant par ailleurs aucun élément démontrant que la salariée ait bénéficié de jours de récupération.

Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société Damiani Paris à payer la somme de 3.000 euros au titre des repos compensateurs.

- sur les autres demandes:

Il y a lieu d'ordonner la remise, dans un délai de 2 mois à compter de la signification de la présente décision, des documents de fin de contrats et d'une fiche de paye rectificative conformes à la présente décision et d'une attestation de salaire accident de travail mentionnant la date du 18 janvier 2019 au lieu du 19 janvier 2019 comme dernier jour travaillé.

Le prononcé d'une astreinte n'apparaît pas nécessaire.

Pour faire valoir ses droits Mme [G] a dû exposer des frais qu'il serait inéquitable de laisser à sa charge.

La société Damiani Paris sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement,

Confirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Damiani Paris SAS à payer à Mme [I] [G] la somme de 3.000 euros au titre des repos compensateurs.

Infirme le jugement pour le surplus,

et statuant à nouveau,

Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Dit que cette résiliation produira les effets d'un licenciement nul à la date du 14 octobre 2020.

Condamne la société Damiani Paris SAS à payer à Mme [I] [G] les sommes de:

- 50.000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul

- 2.000 euros de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

- 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Ordonne la remise, dans un délai de 2 mois à compter de la signification de la présente décision, des documents de fin de contrats et d'une fiche de paye rectificative conformes à la présente décision et d'une attestation de salaire accident de travail mentionnant la date du 18 janvier 2019 au lieu du 19 janvier 2019 comme dernier jour travaillé.

Dit n'y avoir lieu à prononcer une astreinte.

Condamne la société Damiani Paris SAS aux dépens.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Paris
Formation : Pôle 6 - chambre 11
Numéro d'arrêt : 20/05335
Date de la décision : 13/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-13;20.05335 ?
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