Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 5 - Chambre 10
ARRÊT DU 12 DECEMBRE 2022
(n° , 6 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/03713 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CDFUM
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Septembre 2020 -Tribunal de Grande Instance de Bobigny - RG n° 18/13049
APPELANTS
Monsieur [T] [E]
Madame [D] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]/Luxembourg
Représentée par Me Marc BORNHAUSER de la SELARL CABINET BORNHAUSER, avocat au barreau de PARIS, toque : C1522, Me Ninon COUANET, avocat au barreau de PARIS, toque : C1522
INTIME
LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE Le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile de France et du département de Paris qui élit domicile
En ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire,
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Edouard LOOS, Président
Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente
Madame Sylvie CASTERMANS, Magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
Greffier, lors des débats : Madame Claudia CHRISTOPHE
ARRÊT :
- contradictoire
- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Edouard LOOS, Président et par Madame Sylvie MOLLÉ, Greffière présent lors du prononcé.
FAITS ET PROCÉDURE
Monsieur et Madame [E], résidents au Luxembourg, font valoir que l'impôt a été déterminé sur la base de parts de SCI dont ils sont propriétaires alors que selon la convention franco luxembourgeoise les parts de SCI, étant des biens meubles, ne peuvent être imposée que dans l'État de résidence du contribuable.
Ils précisent qu'à la différence des conventions conclues avec les États-Unis, l'Allemagne ou l'Espagne, celle conclue avec le Luxembourg ne réserve pas à l'État dans lequel se situe l'immeuble l'imposition des parts des sociétés dont l'actif est constitué par cet immeuble.
La direction générale des finances publiques a rejeté les prétentions des époux [E].
Par acte d'huissier de justice en date du 5 octobre 2018, monsieur et madame [E] ont fait assigner le directeur général des finances publiques devant le tribunal de Bobigny, exposant qu'ils ont acquitté à tort la somme de 25 173 euros au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune pour l'année 2017 et que soit déclarée non fondée la décision de rejet de leur réclamation, que soit ordonnée la décharge et la restitution de la somme de 25173 euros et que leur soit allouée la somme de 3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 3 septembre 2020, le tribunal judiciaire de Bobigny a statué comme suit :
- Déboute monsieur et madame [E] de toutes leurs demandes;
- Déclare en tant que de besoin fondée, la décision de rejet de l'administration fiscale en date du 8 août 2018 faisant suite à la réclamation en date du 14 juin 2018 de Monsieur et Madame [E];
- Condamne monsieur et madame [E] aux dépens.
Par déclaration du 23 février 2021, monsieur et madame [E] ont interjeté appel du jugement.
Par dernières conclusions signifiées le 21 octobre 2021, monsieur et madame [E] demandent à la cour de :
Vu la convention entre la France et le grand-duché de Luxembourg tendant a éviter les doubles impositions et a établir des règles d'assistance administrative réciproque en matière d'impôt sur le revenu et sur la fortune signée le 16 avril 1958 et modifiée en dernier lieu par l'avenant du 5 septembre 2014, la loi n° 2015 1715 du 22 décembre 2015 et le décret n° 2016 321 du 17 mars 2016, 1'article 529 du code civil, 1'article 700 du code de procédure civile ;
- Déclarer Madame et Monsieur [E] recevables et bien fondé dans leur appel ;
Y faisant droit,
- Infirmer en toute ses dispositions la décision déférée ;
Statuant a nouveau,
- Déclarer non fondée la décision de l'administration fiscale en date du 8 août 2018 ;
- Ordonner la décharge et la restitution de la somme de 25 173 euros correspondant a l'impôt de solidarité sur la fortune acquitté au titre de 1'année 2017 par madame et monsieur [E] ;
- Mettre à la charge de 1'État la somme de 3 000 euros sur 1e fondement de 1'artic1e 700 du code de procédure civile ;
- Condamner l'État aux dépens ;
Par dernières conclusions signifiées le 26 juillet 2021, le directeur général des finances publiques demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bobigny du 3 septembre 2020 ;
- Débouter les appelants de toutes leurs demandes, fins et conclusions ;
- Les débouter de leur demande de condamner l'administration au paiement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR
Exposé des moyens
Les époux [E] estiment qu'ils ont été assujettis à tort à l'ISF en France. Ils font valoir que l'analyse des juges de premiere instance procède d'une confusion entre la qualification et la compétence pour imposer le bien, en considérant qu'i1 se déduit de la lecture combinée de l'article 20 et du paragraphe 3 de l'article 3 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise, dans sa version en vigueur en 2017, que les parts de SCI françaises sont imposables à l'impôt sur la fortune en France.
Les appelants font valoir que si l'article 20 -1 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise renvoie à la répartition des compétences déterminées pour les revenus tirés des biens immobiliers, il s'agit là de la règle de détermination de la compétence des États pour imposer et non son champ d'application.
Ils soutiennent qu'il y a lieu de distinguer le champ d'application des règles de compétences et les règles de compétence elles-mêmes, que le tribunal s'est mépris en se référant à la règle de répartition des compétences, visée à l'article 3 point 3 de la convention, pour déterminer la qualification des parts de SCI. Ils ajoutent qu'il ne se déduit pas des dispositions du point 3 de l'article 3 de la convention précitée que les termes « 'biens immobiliers'» désignent les parts de SCI.
L'administration fiscale répond en substance que selon l'article 20.1 de la convention franco luxembourgeoise, les 'biens immobiliers', et non les immeubles sont imposables aux impôts sur la fortune dans l'État contractant autorisé à imposer les revenus qui proviennent de ces biens et que l'article 3.3 réserve à l'État de situation des immeubles détenus à travers des sociétés l'imposition des revenus qui en sont tirés.
Réponse de la cour :
La compétence fiscale en matière d'imposition sur la fortune est régie par l'article 20 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise. La convention distingue trois catégories de biens : ' biens immobiliers et accessoires ', les ' entreprises commerciales ou industrielles ' et 'les autres éléments de fortune' qui sont imposables dans l'Etat de résidence.
L'article 20-1 de la convention fiscale franco-luxembourgeoise en vigueur, dispose que :
les « 'Biens immobiliers et accessoires'» sont imposables aux impôts sur la fortune dans l'État contractant autorisé à imposer les revenus qui proviennent de ces biens.
L'article 3-1 de la convention fiscale prévoit que : Les revenus des biens immobiliers et leur accessoires ne sont imposables que dans l'état où les biens sont situés.
A la lecture de ces dispositions, il s'en déduit que conformément à la règle usuelle en matière fiscale, l'imposition se réalise dans le pays de localisation de l'établissement stable et celle des revenus immobiliers dans l'état de localisation des biens.
S'agissant de la qualification des parts de SCI, assimilées à des biens immobiliers au regard de la convention.
Selon les appelants, il ne peut être déduit des dispositions du point 3 de l'article 3 de la convention précitée que les termes « 'biens immobiliers'» désignent les parts de SCI. Ils exposent que l'article 3 de la convention porte sur la répartition du droit d'imposer les revenus tirés de biens immobiliers, mais seul le premier point de cet article porte sur les biens immobiliers en détention directe, les trois autres portent sur les revenus tirés des biens immobiliers détenus par des sociétés de forme distincte. Ils en concluent qu'il faut assimiler les parts de SCI à des biens meubles, dès lors qu'il ne ressort d'aucune des dispositions de la convention fiscale franco- luxembourgeoise, que la détention d'immeubles pour au moins 50'% de leur valeur feraient perdre aux parts de SCI litigieuses leur nature mobilière, celles-ci doivent être qualifiées 'd''autres éléments de la fortune' au sens de l'article 20 de la convention franco-luxembourgeoise.
Si la convention franco luxembourgeoise ne définit pas spécifiquement les parts de sociétés, l'article 20-1 de la convention énonce clairement 'les biens immobiliers'. Elle évoque les biens immobiliers et les revenus tirés des immeubles détenus à travers des sociétés, qui n'ont pas une personnalité distincte de celle de leurs membres pour l'application des impôts visés par la convention. Les 'biens immobiliers et accessoires ' sont imposables aux impôts sur la fortune dans l'État contractant autorisé à imposer les revenus qui proviennent de ces biens.
L'article 3-3 prévoit que les dispositions des paragraphes 1 et 2 s'appliquent également aux gains tirés de l'exploitation ou de l'aliénation d'immeubles réalisés au travers de sociétés qui, quelle que soit leur forme juridique, n'ont pas de personnalité distincte de celle de leurs membres pour l'application des impôts visés à l'article 1.
Sont visés les revenus tirés des immeubles détenus à travers des sociétés qui n'ont pas de personnalité distincte de celles de leurs membres,lesquels sont imposés dans l'État de situation des biens immobiliers.
L'article 3- 4 dispose que : Les gains provenant de l'aliénation d'actions, parts ou autres droits dans une société, une fiducie ou toute autre institution ou entité, dont l'actif ou les biens sont constitués pour plus de 50 pour cent de leur valeur ou tirent plus de 50 pour cent de leur valeur - directement ou indirectement par l'interposition d'une ou plusieurs autres sociétés, fiducies, institutions ou entités- de biens immobiliers situés dans un Etat contractant ou de droits portant sur de tels biens ne sont imposables que dans cet Etat.
Il résulte clairement de cet article que les revenus tirés de biens immobiliers et les gains réalisés à l'occasion de la cession de biens immobiliers ou de titres sociaux de sociétés à prépondérance immobilière sont imposés dans l'État de situation des biens immobiliers.
En droit français, l'article 885 A du code général des impôts (CGI), en vigueur à l'époque de l'imposition litigieuse, dispose que les personnes physiques n'ayant pas leur domicile fiscal en France sont soumises à l'ISF à raison de leurs biens situés en France lorsque leur valeur est supérieure à 1 300 000 euros.
L'article 885 L du code général des impôts précisait que les personnes physiques qui n'ont pas en France leur domicile fiscal ne sontpas imposables sur leurs placements financiers. Il était ajouté que ne sont pas considérées comme placements financiers les actions ou parts détenues par ces personnes dans une société ou personne morale dont l'actif est principalement constitué d'immeubles ou de droits immobiliers situés sur le territoire français, et ce à proportion de la valeur de ces biens par rapport à l'actif total de la société.
L'article 8-1 du code général des impôts dispose que : les membres des sociétés civiles (...) sont personnellement soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote- part correspondant aux droits dans les bénéfices, ce qui implique que les SCI n'ont pas de personnalité fiscale propre.
En l'espèce, les SCI Les Myosotis et Le Melèze bleu, qui ont leur siège social en France, relèvent des dispositions de l'article 8. 1 précité.
Les SCI n'ayant pas de personnalité fiscale propre, leurs résultats sont déclarés par chaque associé à hauteur de sa participation dans la catégorie des revenus fonciers.
Par application des dispositions de l'article 3.3 de la convention, les résultats des SCI Les Myosotis et Le Melèze bleu doivent être imposés en France. Et, il résulte du point 4 de l'article 3 de la convention que les revenus tirés de biens immobiliers et les gains réalisés à l'occasion de la cession de biens immobiliers ou de titres sociaux de sociétés à prépondérance immobilière sont imposés dans l'État de situation des biens immobiliers.
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la convention franco-luxembourgeoise assimile les titres des sociétés à prépondérance immobilière à des biens immobiliers.
C'est donc à juste titre que le tribunal a considéré que lesdites sociétés immobilières sont imposables aux impôts sur la fortune en France, par application des dispositions de l'article 20.1 de la convention précitée.
Monsieur et madame [E], parties perdantes, au sens de l'article 696 du code de procédure civile, seront condamnés aux dépens.
Il paraît équitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qui ont été exposés.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant
REJETTE toutes autres demandes
CONDAMNE, solidairement, monsieur et madame [E] aux dépens
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
S.MOLLÉ E.LOOS