RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
Pôle 6 - Chambre 13
ARRÊT DU 09 Décembre 2022
(n° , 10 pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/06116 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B3GIW
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 09 Novembre 2016 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CRETEIL RG n° 13/00657
APPELANTE
Madame [K] [X]
[Adresse 2]
[Localité 6]
comparante en personne, assistée de Me Amalia RABETRANO, avocat au barreau de PARIS, toque : E1359
INTIMEES
COMPAGNIE [7]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Me Camille LEVALLOIS, avocat au barreau de PARIS, toque : C2292 substituée par Me Marie TANGUY, avocat au barreau de PARIS, toque : J061
CPAM 94 - VAL DE MARNE
Division du contentieux
[Adresse 1]
[Localité 5]
représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901 substituée par Me Lucie DEVESA, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 17 Octobre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller , chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre
Monsieur Raoul CARBONARO, Président de chambre
Monsieur Gilles BUFFET, Conseiller
Greffier : Madame Claire BECCAVIN, lors des débats
ARRET :
- CONTRADICTOIRE
- prononcé
par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
-signé par Madame Laurence LE QUELLEC, Présidente de chambre et par Mme Alice BLOYET, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La cour statue à la suite de l'arrêt rendu le 9 octobre 2020, dans un litige opposant Mme [K] [X] à la Compagnie [7] et la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne.
FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Il est rappelé que Mme [K] [X] a été engagée par la société [7] en 1983 et qu'elle occupait au dernier état de ses fonctions un poste d'ingénieur commercial 'grands comptes'; qu'elle a déclaré avoir été victime d'un accident du travail survenu le 9 février 2010, accident déclaré par l'employeur le 17 juin 2010 en ces termes : 'la collaboratrice revient vers [7] ce jour suite à un état de fatigue extrême avec crise de pleurs constaté le 9 février 2010 qui a donné lieu à une visite au centre médical du site' ; que le certificat médical initial en date du 26 mai 2010 comportait les constatations suivantes : 'anxiété - insomnie- état dépressif en rapport avec l'activité professionnelle' et a prescrit un arrêt de travail du 9 au 27 février 2010 ; qu'à l'issue d'une instruction du dossier, la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a reconnu le caractère professionnel de l'accident par décision du 18 janvier 2011 ; que l'état de santé de Mme [K] [X] a été déclaré consolidé le 3 mai 2011 avec un taux d'incapacité permanente de 20% pour les 'séquelles d'un état dépressif en rapport avec l'activité professionnelle consistant en syndrome dépressif nécessitant suivi spécialisé régulier' ; qu'elle a été licenciée pour inaptitude le 4 octobre 2011; que, le 21 mars 2012, la société [7] a formé un recours contre la décision implicite de la commission de recours amiable de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne rejetant sa demande de voir constater l'inopposabilité de la décision de prise en charge de l'accident du 9 février 2010 au titre de la législation sur les risques professionnels ; que Mme [X] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Créteil le 18 juin 2013 pour voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur dans la survenance de l'accident.
Par jugement du 9 novembre 2016, ce tribunal a :
- déclaré recevable le recours de la société [7] en la forme et bien fondé,
- dit que la matérialité de l'accident invoqué le 9 février 2010 n'est pas établie et que les faits décrits ne revêtent pas un caractère professionnel,
- dit que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident déclaré par Mme [X] le 9 février 2010 est inopposable à la société [7],
- constaté qu'en l'absence d'accident survenu le 9 février 2010, le recours de Mme [X] en reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur est irrecevable,
- rejeté toute demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur appel de cette décision interjeté par Mme [X], la cour a, par arrêt du 9 octobre 2020 :
- déclaré l'appel recevable,
-infirmé le jugement déféré
- statuant à nouveau :
- dit que Mme [K] [X] a été victime d'un accident du travail le 9 février 2010;
- déclaré la prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne de l'accident du travail de Mme [X] survenu le 9 février 2010 opposable à la société [7] ;
- déclaré la prise en charge de l'ensemble des soins et arrêts prescrits à Mme [K] [X] à la suite de son accident du 9 février 2010 opposable à la société [7];
-jugé que l'accident du travail dont Mme [X] a été victime le 9 février 2010 est dû à la faute inexcusable de la société [7],
-fixé au maximum prévu par la loi la majoration de la rente allouée à Mme [X] sur la base d'une incapacité permanente partielle de 20%,
-avant dire droit sur la réparation des préjudices subis par Mme [K] [X];
- ordonné une expertise médicale confiée au docteur [V] afin notamment de fixer les déficits fonctionnels temporaires résultant de l'accident du travail, les souffrances endurées, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément existant à la date de consolidation, compris comme l'incapacité d'exercer certaines activités régulières pratiquées avant l'accident, le préjudice sexuel, dire si l'assistance d'une tierce personne avant consolidation a été nécessaire et la quantifier et donner toutes informations de nature médicale susceptibles d'éclairer la juridiction au titre de la perte de chance de promotion professionnelle,
- alloué à Mme [X] une indemnité provisionnelle d'un montant de 6.000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices personnels et moraux;
-dit que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne devra verser directement à Mme [X] la majoration de rente allouée ainsi que l'indemnité provisionnelle accordée,
- condamné la société Compagnie [7] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne le capital représentatif de la majoration de la rente et l'indemnité provisionnelle accordée,
- condamné la société Compagnie [7] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne les sommes dont elle sera tenue de faire l'avance,
- condamné la société Compagnie [7] à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne le coût de l'expertise,
- débouté la société Compagnie [7] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société [7] à payer à Mme [X] une somme de 2.000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés,
- réservé les dépens,
- renvoyé l'affaire à l'audience du 17 juin 2021.
L'expertise a été effectuée le 8 juin 2021 et l'expert a déposé son rapport au greffe de la cour le 22 juin 2021.
L'affaire a fait l'objet de plusieurs renvois avant d'être retenue à l'audience du 17 octobre 2022.
Aux termes de ses conclusions déposées reprises oralement à l'audience par son conseil, Mme [K] [X] demande à la cour de :
- fixer les préjudices subis comme suit :
60.000 euros au titre de la perte de chance de promotion,
30.000 euros au titre des souffrances endurées,
4.480 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
5.000 euros au titre du préjudice d'agrément,
- subsidiairement et si la cour s'estime insuffisamment informée, ordonner une expertise complémentaire par la désignation d'un médecin psychiatre,
- dire que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne fera l'avance des sommes allouées à titre de dommages-intérêts,
- condamner la société [7] à la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Mme [K] [X] fait essentiellement valoir que :
- malgré la désignation le 9 octobre 2020 de l'expert et du règlement par la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne des sommes prévues au titre de la consignation, l'expert n'a convoqué les parties que le 8 juin 2021, conduisant à un rallongement de la procédure judiciaire,
- il n'y a eu lieu qu'une seule réunion sans qu'une note de synthèse ait été établie par l'expert, ce qui aurait pu permettre aux parties de produire des dires,
- malgré les demandes formulées lors de la réunion d'expertise par le docteur [O], psychiatre conseil de Mme [X], aucune analyse par un médecin psychiatre n'a eu lieu, tandis que l'appréciation de l'état de santé de la victime relevait du domaine psychiatrique et psychologique, ce qui n'est pas le domaine naturel d'activité de l'expert, spécialisé en traumatologie sportive,
- elle considère donc que si la cour s'estime insuffisamment éclairée, un complément d'expertise par la désignation d'un médecin psychiatre est nécessaire,
- sur le préjudice lié à la perte de promotion professionnelle, Mme [X] s'est trouvée dans l'impossibilité de poursuivre sa carrière débutée 27 ans plus tôt chez la société Compagnie [7] jusqu'à sa retraite, et privée de la possibilité d'intégrer des sociétés équivalentes, ayant été obligée d'effectuer une reconversion professionnelle en qualité d'agent immobilier, ce qui a entraîné une baisse significative de ses revenus,
- l'expert n'explique pas comment il a pu retenir un taux de 15% au titre du déficit fonctionnel temporaire, lequel est manifestement insuffisant, l'expert ne tirant pas les conséquences des différents certificats médicaux produits, alors que le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a retenu un taux d'incapacité permanente de 20%,
- le taux doit être fixé à au moins 50%, compte tenu des troubles endurés jusqu'à la consolidation,
- l'expert a également minoré les souffrances endurées en ne retenant qu'un taux de 2/7, Mme [X] s'étant trouvée, eu égard à son état de santé, dans l'impossibilité de s'occuper comme elle l'aurait souhaité de son environnement familial, sa propre fille ayant été témoin de l'effondrement de sa mère ; Mme [X] a souffert d'une obsession hyperanxieuse centrée sur le sujet de sa défense dans le présent litige, avec une incapacité de s'intéresser à des choses plaisantes, ainsi que d'un isolement,
- compte tenu de la persistance des éléments anxieux, les souffrances endurées doivent être évaluées à 4/7,
- sur le préjudice d'agrément, l'expert n'a pas tiré de conséquences liées à l'arrêt des activités de loisirs par Mme [X].
Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience et développées par son conseil, la société Compagnie [7] demande à la cour de :
- juger régulière la procédure d'expertise menée par le docteur [V],
- rejeter en conséquence la demande d'expertise complémentaire formulée par Mme [X],
- confirmer les conclusions de l'expert judiciaire,
- rejeter les demandes d'indemnisation de Mme [X] au titre du préjudice d'agrément et de la perte de chance de promotion professionnelle,
- évaluer les autres préjudices subis par Mme [X] comme suit :
1.344 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire,
3.000 euros au titre des souffrances endurées.
La société Compagnie [7] fait valoir que :
- aucun retard ne peut être reproché à l'expert dans le cadre de l'instruction de l'expertise, un impératif personnel l'ayant obligé à reporter la réunion d'expertise,
- aucun pré-rapport n'était exigé,
-il appartenait à Mme [X] d'adresser spontanément ses observations à l'expert à l'issue de la réunion d'expertise et avant la rédaction du rapport,
- le complément d'expertise sollicité n'est pas justifié, Mme [X] n'ayant pas pris la peine de saisir le juge chargé du contrôle des expertises, tandis que le docteur [V], diplômé en expertises médicales, avait les compétences nécessaires pour connaître de la mesure d'expertise, même si le litige portait sur des répercussions psychologiques,
- la perte de chance de promotion professionnelle invoquée n'est pas caractérisée, étant précisé que l'incidence professionnelle imputable à l'accident du travail a déjà été réparée par l'allocation d'une rente,
- aucun élément de nature à remettre en cause le taux de 15% retenu par l'expert au titre du déficit fonctionnel temporaire n'est produit,
- l'indemnisation sollicitée au titre des souffrances endurées est excessive,
- Mme [X] ne justifie pas, au titre du préjudice d'agrément, de la pratique régulière d'activités de loisirs avant l'accident du travail et en quoi leur interruption serait liée à l'accident du travail, l'attestation de sa fille étant dénuée de toute force probante.
Aux termes de ses conclusions déposées à l'audience et soutenues oralement par son conseil, la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne demande à la cour de :
- fixer l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire partiel à la somme de 1.344 euros,
- ramener à de plus justes proportions la somme réclamée par Mme [X] au titre des souffrances endurées,
- débouter Mme [X] de ses demandes d'indemnisation au titre de la perte de chance de promotion professionnelle et du préjudice d'agrément,
- débouter Mme [X] de sa demande d'expertise complémentaire,
- dire que la caisse fera l'avance de l'ensemble des sommes allouées à Mme [X] après déduction du montant de la provision de 6.000 euros versée,
- en tout état de cause :
- condamner la société Compagnie [7] à supporter l'ensemble des conséquences financières liées à la reconnaissance de sa faute, y compris au remboursement des frais d'expertise avancés par la caisse,
- dire, en conséquence, que la caisse récupérera les sommes dont elle a fait l'avance auprès de la société [7],
- condamner la société Compagnie [7] à verser à la caisse la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne soutient, pour l'essentiel, que :
- la demande de désignation d'un médecin psychiatre n'est pas justifiée,
- Mme [X] ne rapporte pas la preuve d'une perte de chance de promotion professionnelle,
-le taux de 15% fixé par l'expert pour le déficit fonctionnel temporaire partiel est justifié, Mme [X] étant restée très active avant la consolidation de son état de santé,
- il n'est pas plus justifié que le taux de 2/7 retenu au titre des souffrances endurées serait sous-évalué, tandis que le préjudice d'agrément invoqué n'est pas caractérisé.
Pour un exposé plus complet des moyens des parties, il convient de faire référence aux conclusions sus mentionnées, reprises oralement à l'audience par leurs conseils.
SUR CE :
Sur le rapport d'expertise :
L'expert ayant établi son rapport le 8 juin 2021, lequel a été déposé le 22 juin 2021, Mme [X] ne justifie pas d'un retard anormal dans le déroulement des opérations ni d'un quelconque préjudice que lui aurait causé la durée des opérations d'expertise.
Mme [X] ne demande pas expressément la nullité du rapport déposé, de telle sorte qu'elle ne saurait invoquer un éventuel manquement de l'expert dans le respect du contradictoire alors qu'il lui était loisible de spontanément communiquer à l'expert ses observations et les pièces qui lui apparaissait utiles à tout moment et sans attendre le dépôt du rapport.
Mme [X] ne justifie pas plus de la nécessité de procéder à la désignation d'un expert psychiatre, le docteur [V], spécialiste en expertises médicales, étant qualifié pour apprécier les répercussions psychologiques en rapport avec l'accident du travail en cause, de sorte que la demande d'expertise supplémentaire apparaît sans fondement.
L'expertise du docteur [V] est une expertise judiciaire dont les juges et les parties peuvent librement discuter des conclusions puisqu'il ne s'agit pas d'une expertise médicale technique.
Sur l'indemnisation des préjudices :
Aux termes de l'article L.452-3 du code de la sécurité sociale, indépendamment de la majoration de rente qu'elle reçoit, la victime a le droit de demander à l'employeur la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. La réparation de ces préjudices est versée directement aux bénéficiaires par la caisse qui en récupère le montant auprès de l'employeur.
En application de cette disposition, telle qu'interprétée par le Conseil constitutionnel (décision n°2010-8 du 18 juin 2010 sur QPC) et la Cour de cassation (Cass. civ.2e 13 février 2014 n°13-10548), peuvent également être indemnisés le déficit fonctionnel temporaire, l'assistance par tierce personne avant consolidation, les frais d'aménagement du véhicule et du logement, le préjudice sexuel, le préjudice permanent exceptionnel, le préjudice d'établissement, le préjudice scolaire, les dépenses de santé non prises en charge et les frais divers, postes de préjudice non couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale. Les autres chefs de préjudices couverts par les dispositions du code de la sécurité sociale, même partiellement, ne peuvent faire l'objet d'une indemnisation complémentaire.
Les conclusions du rapport du docteur [V] sont les suivantes :
- accident du travail : 9 février 2010,
- déficit fonctionnel temporaire total : aucun,
- déficit fonctionnel temporaire partiel : à 15% du 9 février 2010 au 3 mai 2011,
- tierce personne : aucune,
- souffrances endurées : 2/7,
- préjudice esthétique : aucun,
- préjudice d'agrément : aucun,
- préjudice sexuel : aucun,
- perte de chance de promotion professionnelle : impossibilité de continuer une activité professionnelle chez [7].
Sur le déficit fonctionnel temporaire :
Le déficit fonctionnel temporaire peut être défini comme l'invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique jusqu'à la consolidation. Il traduit l'incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu'à sa consolidation. Il correspond à la période d'hospitalisation de la victime mais aussi à la perte de qualité de vie et celle des joies usuelles de la vie courante et inclut le préjudice temporaire d'agrément et éventuellement le préjudice sexuel temporaire.
L'expert retient un déficit fonctionnel temporaire de 15% en raison de l'absence de document descriptif précis tant au moment de la prise en charge de l'accident du travail que dans l'évolution, avec une objectivation d'un traitement médicamenteux stable. Il indique que les certificats médicaux mentionnent un syndrome dépressif réactionnel à son activité professionnelle, relevant notamment que, jusqu'à la date de consolidation retenue au 3 mai 2011, il n'est donné que peu de détails de l'évolution sur le plan psychologique de la part des différents médecins et le plus souvent, il est indiqué asthénie, anxiété, insomnie et état dépressif. L'expert relève que le traitement médicamenteux délivré le plus souvent par un psychiatre est toujours de la même teneur avec un antidépresseur prescrit à dose modérée, Séroplex 10 mg par jour et que, malgré l'anxiété et l'insomnie rapportées régulièrement, il ne ressort pas de traitement médicamenteux à visée anxiolytique ni hypnotique. Mme [X] rapporte également un suivi hebdomadaire par une psychologue, pour lequel aucun document descriptif n'a été produit.
L'expert indique cependant que Mme [X] a rapporté être restée, durant son arrêt de travail, très active, puisqu'elle a dit avoir travaillé régulièrement 8 heures par jour pour rédiger une autobiographie, tout en continuant à s'occuper de son domicile et de ses 4 enfants, ces éléments contrastant avec les informations données par les médecins à type d'asthénie.
Cependant, même si Mme [X] est restée très active pendant la période allant de son arrêt de travail initial jusqu'à la date de consolidation, il est observé que le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a fixé un taux d'incapacité permanente après consolidation de 20% au regard des seules séquelles psychologiques 'd'un état dépressif en rapport avec l'activité professionnelle' consistant en un syndrome dépressif nécesitant un suivi spécialisé régulier (production n°18).
Il s'ensuit que le taux inférieur de 15% retenu par l'expert est insuffisant pour quantifier l'incapacité temporaire subie par la victime.
Compte tenu de la symptomatologie présentant des éléments anxieux et dépressifs subie par la victime et décrits par les certificats médicaux reproduits par l'expert qui ont généré une gêne conséquente pour l'accomplissement des actes de la vie courante, même si la victime a cherché à rester active, le taux du déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à 30%.
La cour, retenant un forfait journalier de 20 euros comme proposé par Mme [X], il y a lieu de fixer le déficit fonctionnel temporaire à 2.688 euros (20 x 448 jours x 30%).
Sur les souffrances endurées :
Il s'agit des souffrances physiques, psychiques et morales et troubles associés endurés par la victime du fait des atteintes à son intégrité, sa dignité et à son intimité et des traitements, interventions, hospitalisations qu'elle a subis.
L'expert retient un taux de 2/7 eu égard à l'absence d'éléments descriptifs précis de la part des différents médecins, d'un traitement médicamenteux stable et simple depuis la prise en charge en accident du travail avec un suivi psychologique rapporté par Mme [X].
Il est cependant observé que l'ensemble des certificats médicaux mentionnés par l'expert dans son rapport décrit un syndrome anxio-dépressif en rapport avec l'activité professionnelle, une dépression avec épuisement professionnel évoluant depuis juin 2009 (courrier du docteur [R], médecin du travail, du 1er juin 2020) avec des idées suicidaires depuis février 2010. De nombreux certificats relatent des insomnies, tandis qu'il est justifié que, depuis la date de consolidation, il persiste des éléments anxieux avec perte de confiance massive et une altération de l'estime de soi, une incapacité de se projeter dans l'avenir accompagnée de ruminations permanentes autour du préjudice subi et un état thymique fragile malgré un traitement antidépresseur et le soutien psychothérapeutique régulier ; cet état thymique est émaillé de moments de tristesse où Mme [X] verbalise son sentiment d'incapacité à envisager son avenir (certificat du docteur [Y] du 22 septembre 2011).
Le docteur psychiatre [O], dans son rapport du 26 octobre 2013 dressé à la demande de Mme [X], en cohérence avec les certificats médicaux antérieurs, rappelle que Mme [X] a développé un état anxio-dépressif sévère, reconnu comme accident du travail, du fait de sa souffrance liée à une surcharge de travail majeure, qui a nécessité une prise en charge psychiatrique spécialisée ainsi que l'instauration d'un traitement médicamenteux antidépresseur jusqu'en avril 2013. Ce médecin constate à la date de son rapport que Mme [X] présente des séquelles de cet épisode traumatique sous la forme d'éléments de la lignée psycho-traumatique mais surtout des modifications durables de la personnalité, cicatricielles de l'épisode dépressif réactionnel avec une altération de l'estime de soi, une fracture existentielle indépassable liée à un sentiment douloureux de perte et d'incompréhension de ce que Mme [X] a pu vivre au sein d'une entreprise pour laquelle elle a travaillé depuis 27 ans. Le docteur [O] évalue les souffrances endurées à 4/7.
Enfin, il est rappelé que le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne a fixé un taux d'incapacité permanente après consolidation de 20% au regard des seules séquelles psychologiques 'd'un état dépressif en rapport avec l'activité professionnelle' consistant en un syndrome dépressif nécessitant un suivi spécialisé régulier.
Eu égard à l'ensemble de ces éléments et à la persistance d'un état psychologique symptomatique, ayant nécessité une longue prise en charge, il convient d'évaluer les souffrances endurées par Mme [X] à 15.000 euros.
Sur le préjudice d'agrément :
L'expert exclut l'existence d'un tel préjudice à la date de consolidation, Mme [X] devant être déclarée médicalement apte à reprendre comme avant sa prise en charge en accident du travail, l'ensemble de ses activités d'agrément déclarées.
Or, Mme [X], pour justifier de ce préjudice, ne se prévaut que d'une attestation de sa fille (production n°43), qui est contestée à juste titre par la société Compagnie [7] comme ne présentant pas des garanties d'objectivité suffisantes, et qui n'est pas corroborée par d'autres éléments.
La demande formée au titre du préjudice d'agrément sera donc rejetée.
Sur la perte de promotion professionnelle :
En vertu de l'article L.452-2 du code de la sécurité sociale, en cas de faute inexcusable de l'employeur, la victime ou ses ayants droit reçoivent une majoration du capital ou de la rente attribués.
Si l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale, tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2010-8 QPC du 18 juin 2010, dispose qu'en cas de faute inexcusable, la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle peut demander à l'employeur, devant la juridiction de sécurité sociale, la réparation des chefs de préjudice autres que ceux énumérés par le texte précité, c'est à la condition que ces préjudices ne soient pas déjà couverts par le livre IV du code de la sécurité sociale. La perte de droits à la retraite, même consécutive à un licenciement du salarié pour inaptitude, est couverte, de manière forfaitaire, par la rente majorée qui présente un caractère viager et répare notamment les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité permanente partielle subsistant au jour de la consolidation. La perte des droits à la retraite subie par une victime, bénéficiant d'une rente majorée, se trouvait déjà indemnisée par application des dispositions du livre IV, de sorte qu'elle ne pouvait donner lieu à une réparation distincte sur le fondement de l'article L. 452-3 du code de la sécurité sociale (Cassation, chambre mixte, 9 janvier 2015, n° de pourvoi 13-12310).
Or, si l'expert judiciaire retient qu'une reprise du travail chez le même employeur est exclue, les pertes de gains professionnels invoqués par Mme [X] sont réparés par l'allocation de la rente majorée.
Mme [X], qui fait valoir qu'elle s'est retrouvée dans l'impossibilité de pouvoir continuer sa carrière chez [7] débutée depuis 27 ans ou d'intégrer des sociétés équivalentes, ne se prévaut d'aucune perte ou diminution d'une possibilité de promotion professionnelle, laquelle est seule susceptible de constituer un chef de préjudice distinct indemnisable.
Aussi, la demande formée à ce titre sera rejetée.
La caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne sera ainsi condamnée à payer à Mme [X] la somme de 10.344 euros en réparation des préjudices personnels subis, déduction faite de la provision de 6.000 euros déjà versée en exécution de l'arrêt du 9 octobre 2020.
Sur l'action récursoire de la caisse primaire d'assurance maladie :
Quelles que soient les conditions d'information de l'employeur par la caisse au cours de la procédure d'admission du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur par une décision de justice passée en force de chose jugée emporte l'obligation pour celui-ci de s'acquitter des sommes dont il est redevable à raison des articles L.452-1 à L. 452-3.
La société [7] sera donc condamnée à rembourser à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne les indemnités allouées à Mme [X].
Sur les frais et dépens :
La société [7], qui succombe, sera condamnée aux dépens de la présente instance, incluant les frais d'expertise.
Une somme de 2.000 euros ayant déjà été allouée à Mme [X] en application de l'article 700 du code de procédure civile, il convient de lui allouer une indemnité complémentaire à ce titre de 1.000 euros.
La société Compagnie [7] sera enfin condamnée à payer à la caisse 1.000 euros au titre de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
DEBOUTE Mme [K] [X] de sa demande de complément d'expertise,
FIXE les préjudices de Mme [K] [X] aux montants suivants :
- déficit fonctionnel temporaire : 2.688 euros,
- souffrances endurées : 15.000 euros,
Soit un montant total de 17.688 euros,
ALLOUE à Mme [K] [X] une indemnité complémentaire de 11.688 euros après déduction de la provision de 6.000 euros versée en application de l'arrêt du 9 octobre 2020 ;
DIT que la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne devra verser directement à Mme [K] [X] l'indemnité complémentaire accordée ;
DÉBOUTE Mme [K] [X] de ses demandes formées au titre du préjudice d'agrément et de la perte de chance de promotion professionnelle,
CONDAMNE la société Compagnie [7] à rembourser à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne l'ensemble des sommes qu'elle aura versées au profit de Mme [K] [X],
CONDAMNE la société Compagnie [7] aux dépens, incluant les frais d'expertise judiciaire,
CONDAMNE la société [7] à payer à Mme [K] [X] la somme complémentaire de 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société Compagnie [7] à payer à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure.
La greffière, La présidente,